Chapitre 39
Toujours se méfier de l'alcool sucré
Violet
Eden prend ma main dans la sienne puis la serre doucement pour me rassurer. Mon cerveau et mon cœur la remercie en silence, parce que j'avoue que je stresse beaucoup. Nous sommes mercredi trois novembre, mon anniversaire est dans deux jours, et peut-être qu'aujourd'hui je vais être libre. Quand je dis libre, je parle de la radiothérapie. On a commencé à l'arrêter progressivement, mes médecins confiants des résultats, mais ce n'est que maintenant, dans cette pièce blanche qui pue le désinfectant, que je vais savoir si pour l'instant, je suis tranquille.
J'ai demandé à Eden de m'accompagner tout naturellement parce qu'elle est la première à m'avoir soutenue, quitte à ce que mes parents m'en veulent mais pas du tout. Papa était heureux de ne pas avoir à m'accompagner, sois-disant parce qu'il a trop pleuré et il perd en crédibilité, et maman parce qu'elle sait qu'Eden connait tous les détails et gardera son calme. Ma mère a enfin compris que son comportement n'était du tout approprié, elle ne veut pas me faire subir de nouveau tout ça si mes résultats ne sont pas à la hauteur de nos attentes.
Le docteur Smith entre dans la pièce, son nez tellement plongé dans les documents que c'est à peine s'il nous salue.
Mon cœur fait un salto dans ma poitrine et j'ai l'estomac au bord des lèvres.
Le docteur s'installe tranquillement sur son siège, checkant ses documents papiers mais aussi son gros ordinateur. J'aperçois quelques radios que j'ai fait il n'y a pas si longtemps. Je crois qu'il les compare en fait.
- Bonjour, dit enfin Eden avec dédain.
L'homme relève la tête, se sentant concerné puis ses pommettes rougissent légèrement.
- Excusez-moi, bonjour, reprend-t-il en s'éclaircissent la gorge. J'ai eu une longue garde, j'en oublie la politesse.
- Ce n'est pas une raison.
Qu'il fasse attention, Eden a l'air sur les nerfs ! Si moi, je me contiens un minimum, elle, elle ne cache pas son stress. En même temps, c'est décisif ce qu'il va se passer.
- Bon, vous savez comment elle va ou non ? S'impatiente ma tante avec un rictus.
- Madame Davis, je comprends le stress mais j'étais justement en train de comparer...
- Vous ne pouviez pas faire ça avant ?
- Votre fille n'est pas ma seule patiente...
- Ce n'est pas ma mère, je le coupe en riant de nervosité.
L'homme se frotte les yeux avant de chuchoter qu'il a besoin d'un café. C'est un miracle qu'Eden ne réplique pas quelque chose de sanglant pour lui. Au contraire, elle se penche vers moi pour me murmurer à l'oreille.
- Il a la même gueule que père Fouras, tu ne trouves pas ?
Je pouffe mais essaye de garder mon sérieux quand le médecin semble enfin capable de nous donner des réponses. Plus le temps avance et plus les références auxquelles fait allusion Eden sont atroces.
- Alors, commence le médecin toujours en observant son écran. Violet a eu un programme lourd, avec plusieurs séances par semaine, sur plusieurs semaines. On a conscience que cette jeune femme est une vraie guerrière parce qu'honnêtement, je ne suis pas sûr que j'aurais eu le courage de faire la moitié de ce qu'elle a accompli.
- Et donc ? Intervient Eden en serrant encore plus ma main d'impatience.
- Les rayons ont très bien fonctionné Violet. Pour le moment, tu es définitivement hors de danger.
Ma mâchoire se décroche seule et les mots ricochent dans mon esprit.
Hors de danger.
- Vous pouvez répéter ? J'articule avec une voix que moi-même je ne reconnais pas.
- On devra suivre de près ton corps pour être sûr qu'il n'y ait pas de récidive, ce qui est totalement possible avec ce sarcome surtout dans quelques années, mais pour l'instant tout va bien. C'est un miracle, tu peux être fière de toi.
Une larme dévale ma joue puis je sens Eden me serrer contre elle. J'ai l'impression d'être dans un autre espace-temps. J'ai dû mal à réaliser ce qu'il vient de me dire. Hors de danger pour le moment, ça veut dire que je peux vivre normalement ? Et ma jambe ? Récidive mais dans combien d'années ? Trop de questions se bousculent et pourtant je n'arrive pas à sortir les mots de ma bouche.
- Il faudra poursuivre la rééducation comme tu le fais, tu progresses de jour en jour. Mais sache que tout va s'accélérer, explique le médecin avec un sourire. Maintenant que la radiothérapie est derrière toi, tu auras de plus en plus d'énergie pour tout le reste. Bravo, sincèrement.
Eden me berce tout doucement, secouée par ses propres sanglots. Je sais que je pleure mais je ne le sens pas. Je vais pouvoir passer à autre chose. Le cancer est derrière moi.
Mes cheveux vont revenir.
***
- Il ne t'a pas envoyé ça quand même ? S'exclame Layla en riant.
- Si, si. Du coup je l'ai bloqué et hop, plus de Charles en vue. Sa mère est une connasse pour avoir fait ça à Eden, hors de question que cette famille foute le dawa dans ma famille.
Layla rit puis porte la paille de son cocktail à sa bouche. Noël arrive au même moment, pose un baiser sur sa tempe et s'assoie à côté d'elle. Son sourire disparaît directement.
Quand nous sommes rentrés au café avec Eden, nous avons annoncé la bonne nouvelle à Layla. Elle sautait tellement partout qu'Eden qui lui a donné sa soirée pour qu'elle vienne fêter ça avec moi. Quoi de mieux que des Sex on the beach en récompense de tout ce merdier ? Mon amie était tellement heureuse pour moi qu'elle a lâché quelques larmes ! J'ai été obligée de lui expliquer que ce n'est pas fini, il pourrait revenir dans quelques années mais elle s'en foutait totalement. L'important, c'est le moment présent. Le futur, on a le temps avant qu'il n'arrive.
La seule chose reloue, c'est que Noël a décidé de nous rejoindre en apprenant que sa copine sortait. Au début, je n'étais pas enchantée à cette idée mais maintenant que j'ai bu plus de trois verres, j'ai carrément envie de l'envoyer chier avec son regard mielleux et ses faux airs protecteurs.
- Je peux goûter ? Il demande à mon amie en ayant déjà la paille entre les lèvres.
Mi-gênée, mi-amusée, elle hoche la tête et le laisse goûter le temps que sa boisson arrive. Le liquide rose remonte jusqu'à ce qu'il en avale une gorgée, mais sa tête change aussitôt. Ses yeux bleus s'assombrissent et il relâche la paille pour observer sa petite-amie qui semble perdue.
Enfin, je crois qu'il la regarde. Je dois fermer un œil pour réussir à voir droit ce qu'il fait. J'ai surestimé ma résistance à l'alcool et plus les secondes passent, plus j'ai l'impression de voir des Tony Stark et des Peppa Pig dans le bar.
- C'est super sucré ton truc, râle Noël en regardant de haut en bas sa copine. T'es sûr que tu devrais boire ça ?
Layla ouvre la bouche pour répondre mais ses yeux deviennent rouges. Je ne sais plus s'ils l'étaient avant à cause de l'alcool ou si c'est parce qu'elle va pleurer, mais je n'en peux plus de ce mec. Comme si j'étais une super héroïne, je me lève en me tenant des deux mains sur la table pour ne pas tomber, mais la vache ! C'est déjà compliqué d'être debout sobre avec une jambe mais alors bourrée ? J'ai l'impression que ma jambe est un bateau en pleine mer.
- Nan mais t'es vraiment qu'un gros con Noël ! Je crache en postillonnant. Layla, je sais même pas ce que tu fais encore avec ce bouffon qui te rabaisse comme ça ! Cette journée est la plus belle de ma vie depuis très longtemps, Rodolphe.
Je pouffe seule en l'appelant par le nom du père Noël. Layla se met à pleurer en silence mais je vois qu'elle a un léger sourire dans le coin des lèvres. J'en ai marre d'observer tout ça sans rien dire à ce pauvre con. C'est ma copine, on ne dit pas ça à ma pote.
- Si tu dis que cette nana, continué-je en montrant Layla, est laide ou trop grosse alors que c'est une putain de mannequin, je suis quoi moi ? J'ai pas de cheveux, des cernes plus grandes que mon bras et je suis maigre et difforme comme je reste dans un siège, et en plus de ça j'ai une jambe en moins !
Noël devient blanc tout en m'observant avec un air de dégoût.
- Mais t'es malade toi !
- Non figure-toi ! Si tu t'intéressais un peu à ta copine et ses amies, tu apprendrais que je suis guérie pour le moment, eh ouais pauvre con !
Il se lève, les sourcils froncés, les joues rouges comme tout le monde nous observe. Je n'en ai rien à faire. Au bout d'un moment, je me suis habituée aux regards insistants, aux gens qui se posent des questions ou qui me jugent juste par mon physique. Quand vous perdez tout physiquement, tout ce qui vous rend normale, vous permet d'être socialement dans la masse, vous vous rendez compte de ce qui compte vraiment. Et l'apparence, ce n'est pas un critère, ce n'en est plus un.
Noël tend la main à sa copine, l'incitant à partir avec lui pour me laisser seule, mais Layla ne prend pas la main qu'il lui tend. Elle reste figée quelques secondes avant de se lever, de se détourner puis de venir près de moi.
- Je te quitte, Noël, elle murmure en sanglotant. Violet a raison, je ne mérite pas d'être traitée comme ça.
Il éclate de rire avant de nous regarder avec une incompréhension totale dans le regard. Il passe une main tremblante dans ses cheveux roux, mal à l'aise de tant de regards sur nous, puis crache un molard dégueulasse sur la table devant nous, sans nous toucher.
- T'es qu'une grosse connasse, c'est moi qui te quitte salope ! Personne ne voudra de toi avec ton ventre et tes formes, tu aurais dû réfléchir à tout ça avant d'être pote avec cette garce ! Ne viens pas pleurer dans mes bras quand elle crèvera à l'hôpital !
Sur ces mots violents, il nous tourne le dos pour rejoindre la sortie avant que des agents de sécurités ne viennent le sortir de force. Layla s'effondre dans mes bras et plusieurs personnes viennent enfin voir si nous allons bien.
- Vous êtes tous aussi con que lui ! me déchaîné-je en caressant le dos de Layla. Personne n'a levé le petit doigt pour ne pas que ça dégénère ! Vous êtes tous des putains de pourritures qui mériteraient de crever !
- Madame, il va falloir partir, me dit un homme en costume noir.
Je devine que c'est un vigile, lui aussi.
- C'est nous qui nous font agresser et c'est à nous de partir ? Vous êtes vraiment des cons putain !
L'homme écarte Layla qui est trop dans les vapes pour se défendre puis il pousse mon siège pour m'éjecter du bar.
- Tout ça parce que je suis handicapée ! Espèce de raciste des handicapés ! Je vais porter plainte contre vous ! Je devais fêter la fin de mon cancer et vous m'empêcher de finir mon verre !
- Vous êtes bourrée, madame.
- NON !
Il m'amène dehors, s'en foutant royalement qu'il fait super froid puis je le vois discuter avec Layla qui sèche ses larmes. J'essaye de m'enfuir en utilisant la force de mes bras et les grandes roues de mon siège mais un autre vigile débarque de nulle part pour bloquer ma fuite.
- PUTAIN ! Je lâche avec rage en essayant de lui rouler dessus.
- Il va falloir vous calmer, mademoiselle. Quelqu'un va venir vous chercher.
- BANDE DE CONS !
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