Chapitre 33
Comme dirait Angèle : Touttt, il faudrait tout oublierrrr
Violet
Charles est devant moi. Je reconnais son sourire — un peu crispé aujourd'hui —, ses cheveux frisés coupés ras et sa peau métisse qui me donne envie de croquer dedans comme dans du chocolat. Je découvre un bouc qui lui va plutôt bien, une boucle d'oreille dorée qui décore son visage. Sa mère aussi est une découverte et sans mentir, ils ne se ressemblent pas du tout hormis les yeux peut-être ? Je ne sais pas.
Sidonie s'est évaporée aussi vite qu'elle est apparue, accompagnée de Nate qui avait l'air sur les nerfs. Je ne sais pas ce qui lui a pris, mais ça faisait des années qu'il n'avait pas été aussi protecteur avec moi. J'ai ressenti jusque dans mes os sa méfiance et son mépris alors que je mettrai ma main à couper qu'il n'a jamais rencontré Charles avant aujourd'hui.
D'un coup de tête, je fais comprendre au danseur de se retourner pour rejoindre une table qui vient de se libérer. Il hésite deux secondes avant de se rendre compte que je peux largement me mouvoir seule même en fauteuil, mais il a quand même le réflexe d'enlever une chaise pour laisser place à mon bloc bionique.
— Zut, je ne t'ai même pas proposé de prendre quelque chose...
— Ce n'est rien.
Un blanc gênant s'installe, et je regrette de ne pas avoir pris une boisson pour occuper mes mains. Je me sens d'un coup très nue face à lui avec mon déguisement très flippant — et réussi faut se l'avouer — et je n'arrive pas à passer au-dessus du regard qu'il me lance depuis tout à l'heure. En fait, on dirait exactement le genre de personne intriguée par vous mais qui ne veut pas être impolie alors elle fait genre de tout va bien. Mais en vrai, elle a juste envie de vous dévisager pendant des heures.
J'espère que je n'ai pas embêté Nate avec tout ça. Je sais qu'en ce moment il est un peu perdu dans sa vie, et même si conduire une femme dans un bar n'est pas une tâche insurmontable, il n'a pas besoin de mes soucis en plus.
Charles m'a proposé plusieurs moments pour se voir depuis quelques temps, mais j'ai toujours décliné. J'aurais dû me douter qu'il pourrait se pointer à une soirée comme ça où il est presque sûr de me trouver. Et me trouver comment en plus... On s'est donné à fond sur les costumes avec les filles, passant tout l'après-midi à rire et chanter tout en nous maquillant. Je voulais faire quelque chose de simple à la base, mais Eden avait l'idée parfaite. Elle s'est dit que ça rendrait mieux sur moi avec mon crâne chauve, et elle a eu raison.
Pour une fois que mon crâne lisse sert à autre chose qu'être laid.
Charles me dévisage encore du coin de l'œil, et ça commence vraiment à être chiant. En le voyant comme ça, j'ai l'impression d'être des mois en arrière, seule dans la salle de répétition à l'Opéra. Je revois l'accident qui m'a tout coûté et sauvé la vie en même temps. Je ressens tout un tas d'émotions dont je n'arrive pas à me débarrasser ou à mettre des mots dessus. Charles me regarde et je me sens petite, insignifiante et ratée. Oui, c'est ça. En le voyant, je vois tout ce que j'ai perdu et tout ce que j'ai foiré.
— Bon, commence-t-il en se grattant l'arrière de la nuque, je crois que j'ai loupé une saison plutôt qu'un ou deux épisodes... Je me suis arrêté à ton accident moi.
— Ouais...
— C'était y a des mois Violet, on parle par message et tout ça, pourquoi tu ne m'as pas dit pour... ça...
Il finit sa phrase en me regardant de haut en bas, insistant bien plus sur mon physique que le reste. Mes muscles se crispent instantanément, m'alertant peut-être sur ce qu'il va se passer. J'ai déjà eu du mal à avouer mon cancer à mes propres parents, il pense vraiment que j'allais lui dire comme ça ? Juste parce qu'on s'est parlé deux fois ?
— Hum... En fait, c'est un peu compliqué.
— Je vois ça et j'ai tout mon temps.
— Mais moi pas, répliqué-je sèchement, piquée vive.
C'est quoi cette attitude de couillon ? Dans mes souvenirs il était gentil et avenant, et même en virtuel on parlait bien de tout et de rien. À quel moment il est devenu comme ça ? En y pensant une question me vient en tête. Mais qu'est-ce qu'il fait ici en fait ? J'ai l'impression que ça fait des mois qu'il est aux USA plutôt que d'être à l'Opéra en train de donner son âme pour son avenir. Il y a quelque chose d'incohérent. Ok pour des vacances, mais c'est beaucoup trop là...
— Avant de parler de ça, dis-je en secouant la tête, pourquoi tu es ici ?
— Je n'ai pas le droit ?
— Si, mais je veux dire, pourquoi tu n'es pas à l'Opéra ? À Paris ?
Une lueur sombre passe dans son regard, comme si j'avais touché une corde sensible. Très sensible. D'un coup, il se met à rire doucement, mais pas un rire franc, heureux, plutôt un rire dégouté, sarcastique presque. Je me permets de le dévisager à mon tour sans me faire prier, l'incitant à m'expliquer parce que je suis un peu perdue.
— Clément a été promu Quadrille, et Héloïse aussi figure toi. Moi, non, c'est de la merde sans nom ce que je fais. Je commence à remettre un peu en doute ma carrière, surtout dans cet endroit. Ça fait peur de se dire qu'on ne va pas évoluer et entrer dans La Compagnie. C'était mon but, mon rêve, et mes amis y accèdent sans moi.
Aïe, je comprends ce qu'il veut dire. Rentrer dans La Compagnie de l'Opéra est un des premiers objectifs pour beaucoup d'entre nous, moi aussi j'y ai cru même si j'avais beaucoup moins de chance d'y accéder que les autres. Dans cette fourmilière qu'est l'Opéra, pas de place pour la pitié. S'il n'a pas été pris, c'est qu'il n'était pas assez bon, point. Je peux comprendre qu'après un tel échec, surtout en voyant ses amis réussir, on puisse tout remettre en doute. Je suis la première à le faire, mais pas pour les mêmes raisons.
— Et donc ma mère que tu as rencontrée tout à l'heure m'a avouée qu'elle habitait vers ici, il y a des années maintenant. Comme par hasard c'était vers chez toi, mais je t'assure que c'est une coïncidence. J'ai pris des vacances et là je suis en train de voir pour quitter l'Opéra et venir ici. Pas ici, ici, mais je vais tenter les sélections pour la Juilliard School à New-York. Enfin bref, tu t'en fous de ça je parie. Mes parents vont venir s'installer près de moi aussi, et je recommence un bout de ma vie.
J'hoche la tête pour ne pas l'interrompre mais il s'arrête. C'est un beau projet et je suis persuadée qu'il réussira ce qu'il entreprend, même si c'est triste de changer aussi radicalement de pays et tout ça. Même si ses parents le suivent — ce qui est une belle preuve d'amour — ça reste un peu un caprice d'enfant, à mon sens. Il n'a pas eu ce qu'il veut et ses amis oui, alors au lieu de bosser encore plus pour être pris l'année prochaine, il abandonne et change d'endroit. Chacun sa vision des choses, mais je ne suis pas sûre que j'aurais fait ça. Je me serai tuée à la tâche.
— Eh bien, c'est cool ? Enfin pas que tu n'aies pas réussi mais le reste.
Je vois sa mâchoire se serrer doucement d'agacement. Oups.
— Personnellement je n'aurais pas fait ça, mais c'est ta décision.
Charles se met à rire mais cette fois, j'ai l'impression que c'est pour se foutre de moi.
— Ouais, tu as raison, répond-t-il en ricanant, c'est ma décision. Et toi du coup, j'ai un peu l'impression de m'être fait avoir sur la marchandise.
Je n'ai pas rêvé ? J'ai bien entendu ? La marchandise ? Depuis quand je suis un objet mis aux enchères ? Ça remarque me vexe mais j'essaye de rester calme. La journée était géniale jusqu'ici, ce n'est pas des remarques d'un idiot qui vont me faire changer.
— Et moi je crois aussi qu'on m'a trompé sur la marchandise, marmonné-je dans ma barbe en croisant les bras sur ma poitrine.
— Comment ?
— Je viens de dire que moi aussi on m'a trompé.
Il ne semble pas comprendre pourquoi je dis ça alors c'est moi qui me mets à rire pour se foutre dans lui. Nan mais je ne vais pas me laisser faire !
— Je viens de passer un super moment avec mon ami Nate qui est parti escorter ta mère, et tu nous interromps pour me faire des remarques déplacées. Pour ta gouverne, j'ai eu un cancer, Charles.
J'adore le voir pâlir comme ça.
— Eh oui, j'ai eu un putain de cancer qui a eu ma jambe et mes cheveux. Mon physique a changé parce que je ne peux plus danser comme j'ai un moignon et la force d'une grand-mère de 90 ans. Tu viens me voir le jour d'Halloween et non, dommage, je ne suis pas déguisée en infirmière sexy mais en putain de connasse qui plante des têtes sur des pics ! Désolée de te décevoir, vraiment, la maladie ne se contrôle pas et le reste non plus. Crois-moi, je préférerais largement être sur une scène à faire des grands jetés qu'à rouler dans mon siège comme une pauvre merde !
Quelques personnes dans le café se sont arrêtées de parler pour nous écouter discrètement. Même Eden et Layla nous regardent du coin de l'œil au-cas-où il se passe quelque chose. Charles ouvre la bouche pour me répondre mais je ne lui en laisse pas le temps. Je mets ma main devant lui pour lui faire comprendre que notre conversation est terminée, puis je quitte la table en tournant mes roues. Il ne se lève même pas pour m'aider.
Je l'abandonne pour rejoindre le comptoir et me glisser derrière avec mes amies, mais Greyson entre en trombe dans le café.
Saw ?
En tout cas, il n'a pas l'air très joyeux. Ses sourcils sont froncés et il cherche quelqu'un du regard. Ses cheveux blond foncé lui tombent sur le front, comme s'il n'avait pas mis assez de gel pour tout faire tenir en arrière. Quand ses yeux bleus se posent sur moi, la profondeur de son regard me fait froid dans le dos.
— Violet ! aboie-il, s'en foutant du monde autour. Ne reste pas avec ce petit con ! Et toi dégage d'ici ! Je ne veux pas vous voir dans cette ville !
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