6
Au matin, le vétérinaire fut surpris par la nuit qu'il avait passée aux côtés d'Amare. Contre toute attente, il avait trouvé un sommeil profondément apaisant, malgré la présence inattendue d'un loup-garou dans son lit. Cette réalisation le laissa perplexe. Normalement, toute personne sensée aurait paniqué ou alerté les autorités face à une telle situation. Pourtant, il avait accueilli Amare chez lui sans hésitation, se demandant à peine pourquoi ce jeune homme exerçait sur lui une telle attraction. Son sommeil avait été si lourd qu'il refusa de se lever une fois éveillé, déterminé à prolonger cet instant de quiétude.
Dom fit une deuxième constatation : ni lui ni Amare n'avaient bougé de toute la nuit. Intrigué et attiré par une force qu'il ne pouvait expliquer, Dom posa les yeux sur le loup-garou. Contrairement à lui, Amare semblait tourmenté par un cauchemar. C'était peut-être ce qui avait fini par le réveiller.
— Urgh...
Les yeux d'Amare s'agitaient sous ses paupières, ses traits étaient crispés, et des sueurs perlaient sur sa peau. Dom voulut le réconforter, mais au moment où il prononça son nom, Amare se réveilla en sursaut.
La bête prédatrice avait posé une main sur la gorge du vétérinaire. Elle grondait.
Alors que la peur et l'envie de tousser menaçaient de le submerger, Dom demeura figé, une sensation glaciale d'angoisse lui étreignant le cœur alors qu'il sentait la mort rôder à ses côtés. Le grognement menaçant d'Amare résonna dans la pièce, et l'homme put sentir le souffle chaud du loup-garou s'approcher dangereusement de son visage. Un instant de tension suspendu dans l'air fut brisé par un couinement de surprise, suivi d'un mouvement brusque alors qu'Amare, pris au piège des draps, bascula et chuta lourdement au pied du lit. Il émit un deuxième gémissement empreint de douleur.
Dom se précipita vers lui, l'inquiétude tordant ses entrailles, mais le loup-garou repoussa ses avances, ses yeux reflétant une terreur incompréhensible pour l'homme.
— Hey, tout va bien , murmura Dom, ses gestes empreints de prudence alors qu'il tentait de réduire l'espace entre eux. Tu es en sécurité, je ne te ferai pas de mal.
Le loup-garou leva lentement ses yeux embués de larmes vers Dom, la douleur et la peur se mêlant dans son regard. Ses iris brillaient d'une intensité poignante, reflétant toute la détresse qui agitait son âme tourmentée. Des larmes silencieuses perlèrent sur ses joues, s'accrochant à la fourrure de son visage, témoignant de la terreur qui le traversait. Il avait failli le tuer, pensa-t-il.
Dom sentit son propre cœur se serrer douloureusement à la vue de cette détresse insoutenable. Sa gorge se noua, l'émotion l'envahissant jusqu'à lui couper le souffle.
— Ce n'est rien, tu avais peur Amare , murmura-t-il avec douceur, ses propres yeux humides de compassion.
Il chercha à apaiser la souffrance de l'être vulnérable qui se tenait devant lui, une créature à la fois menaçante et brisée par ses propres démons intérieurs.
Les mots de Dom étaient empreints d'une sollicitude sincère, mais ils semblaient impuissants face à la douleur qui tourmentait le loup-garou.
— Tu veux bien redevenir humain pour qu'on en discute ? ajouta-t-il, son ton empreint d'une tendresse infinie mêlée à une pointe d'espoir fragile.
Il espérait que dans sa forme humaine, Amare pourrait trouver le réconfort dont il avait besoin, et qu'ils pourraient partager leurs tourments dans la lumière tamisée de la réalité.
Amare se transforma lentement, mais resta recroquevillé au sol, semblant accablé par le poids de sa culpabilité. Ses vêtements, offerts par Dom, étaient déchirés. Il n'avait aucune excuse.
— De quoi as-tu eu peur ? , demanda doucement Dom, la compassion lourde dans sa voix alors qu'il cherchait à comprendre ce qui le tourmentait.
Aucune explication n'arriva à franchir ses lèvres. Même si une partie de sa peur était liée à la réaction de Dom, il savait que l'élément déclencheur venait d'autre part. Il avait rêvé de ces choses floues, terrifiantes, horribles. Mais en ouvrant les yeux, tout s'était envolé.
Honteux, il baissa la tête. Il ne se souvenait plus.
L'humain n'eut pas besoin qu'il lui dise quoi que ce soit. Tout se lisait dans les yeux : tant la peur que la raison pour laquelle il l'avait attaqué. Son instinct animal avait pris le dessus. Dom sut qu'il était resté longtemps dans la nature et que l'homme avait été presque oublié. Il tendit la main jusqu'à sa joue, étudia ses contours dans une caresse intime puis, toujours avec délicatesse, lui fit relever le menton et chassa ses longs cheveux blancs. Le visage dévoilé et terriblement beau même lorsqu'il était empreint de tristesse, Dom voulut l'embrasser. Il se mordit la lèvre puis lui adressa un sourire bienveillant.
— Ne te force pas, tout va bien.
Observant qu'Amare ne montrait plus d'opposition, Dom s'approcha encore un peu plus, se saisissant délicatement du corps du loup-garou pour le soulever avec précaution. Une proximité intense les enveloppa à nouveau, comme dans les récits d'amour les plus tendres, semblable à ce que sa mère lui décrivait lorsqu'elle évoquait son histoire avec son père : une bulle protectrice s'était formée autour d'eux. Ils se contemplèrent, respirant profondément l'aura de chaleur mutuelle qui les entourait.
L'humain lutta intérieurement pour réfréner le désir brûlant qui menaçait de le submerger, s'efforçant de ne pas succomber à la tentation de dévorer la peau nue du loup. Il tint Amare fermement, même lorsqu'il dut se faire violence pour le rhabiller, et même après, lorsqu'il l'emmena dans la cuisine pour lui offrir quelque chose pour se détendre.
— Tu aimes le chocolat chaud ? Ou tu préfères le thé ?
— Le chocolat chaud.
Alors que Dom lui offrait une boisson réconfortante dans la cuisine, Amare se sentit un peu plus à l'aise. Le chocolat chaud lui rappelait des souvenirs agréables et familiers. Pour la première fois depuis longtemps, il commençait à se sentir chez lui.
Cependant, ses pensées furent interrompues par une sensation fraîche et humide sur son mollet. Il sursauta et écarta brusquement sa jambe, constatant que c'était Silas et Sora, les deux cockers de Dom, qui étaient venus enquêter sur l'odeur étrange de l'invité. Dom, observant la scène, ne put s'empêcher de ricaner. Il connaissait bien le comportement de ses chiens, toujours avide de caresses et de léchouilles, ce qui pouvait être un véritable calvaire pour les invités. En effet, même les visiteurs les plus enthousiastes finissaient par être lassés après quelques heures d'attention non-stop de la part des deux chiens. Ils étaient sans aucun doute des chieurs pure race.
Soudain, les deux petites bêtes piquèrent un fard et passèrent par leur petite porte qui donnait sur le jardin extérieur. Amare les dévisagea avec curiosité en étirant son cou pour voir où ils allaient, il fut interpellé par l'humain qui lui dicta, dans une douceur qui le fit frissonner, de finir son repas. L'albinos se sentit rougir, l'homme en face de lui le regardait, un coude sur la table, la tête posée au creux de sa main. Ses yeux ne le quittaient pas. Même si dans l'histoire il était le grand méchant loup, il savait qu'à ce moment-là il était sa proie. Il rougit en mangeant son petit déjeuner.
Les yeux rivés sur le jeune homme, Dom réfléchit à comment les événements allaient se passer à présent. En effet, il s'était résolu à garder cette créature chez lui — il n'avait pas eu à méditer longtemps sur le sujet — et se demandait bien quels problèmes allaient lui tomber dessus. La veille, il avait pensé à finir en prison, en pâtée pour des chasseurs de primes et bien pire, mais en tout honnêteté, une part de lui s'en fichait royalement tant qu'Amare pouvait rester près de lui. Que lui avait-il fait ? Son regard dévia sur ses lèvres rouges. Il savait qu'il l'avait envoûté. Oui, il n'y avait pas d'autres explications.
— Tu as encore faim ? demanda-t-il en s'apercevant qu'il avait fini de manger.
L'intéressé secoua la tête.
En jetant un œil à sa montre qui affichait 8h22, Dom se leva en grimaçant, débarrassa la table puis partit dans la chambre. Il revint moins de deux minutes plus tard, portant des vêtements chauds à son bras.
— Il est déjà tard, je vais devoir aller travailler , dit Dom.
Amare l'étudia sans un mot pendant qu'il se faisait habiller. Il avait les traits tendus. Le vétérinaire était un peu détaché, il avait l'air de ne pas vraiment savoir quoi faire. Le loup pencha la tête sur le côté. Dom fondit.
— Je... tu préfères rester là, ou bien venir avec moi ? Enfin, est-ce que tu sais te faire à manger ? Il ne faut pas que tu forces sur ta jambe donc...
— Je peux venir ?
Leurs cœurs se gonflèrent de soulagement. Ils savaient, l'un comme l'autre, qu'ils n'auraient pas pu se voir séparés.
Quelques minutes plus tard, Amare était dans les bras de Dom — car ce dernier était décidé à ce qu'il ne s'appuie pas un seul instant sur sa jambe — quand Donna Geller sonna à la porte. C'était la voisine, une femme d'un certain âge qui avait pris sa retraite il y a sept ans et qui lui avait vendu la maison. Elle vivait avec son mari, Dave, un fervent amateur de peinture, et aimait se balader tôt le matin pour aller chercher son pain. Elle gardait le double des clés de chez Dom, car elle venait souvent s'occuper de ses chiens lorsqu'il travaillait (elle ne pouvait pas en avoir car Dave avait une terrible allergie des animaux), et c'était la raison pour laquelle elle était venue tôt, en plus de celle qu'elle portait à son bras.
En voyant ses chiens accourir près de la porte, Dom sut de qui il s'agissait. Il prit le temps d'installer Amare sur le canapé puis alla ouvrir. Il salua chaleureusement la bonne femme qui ne se fit pas prier pour entrer et se mettre au chaud.
— En retard ce matin ? D'habitude je ne te croise pas.
En effet, Dom partait vers 7h50 car la clinique ouvrait à 8h30 et il aimait vérifier que tout était en ordre auprès de ses collègues et des animaux. Il n'y était pas réellement obligé car le gardien se faisait remplacer vers cinq heures par Martha, une vétérinaire qui ne travaillait que le matin (sauf le mardi, mercredi et le dimanche où c'était lui et Gary à tours de rôle) et le numéro de Dom était le premier sur la liste de contact en cas d'urgence.
Alors que l'homme refermait la porte, Donna échappa du mieux qu'elle le put aux boules de poils pour aller poser le carton qu'elle portait à bout de bras.
— J'ai gardé ton colis, comme tu me l'as demandé.
— Merci Donna, tu me sauves comme à chaque fois
La bonne femme balaya ses remerciements de la main puis ouvrit la bouche pour dire quelque chose. Elle sursauta en s'apercevant de la présence d'Amare. Elle haussa un sourcil et alterna son regard entre le garçon et le vétérinaire.
— Un ami à toi ?
Le loup s'enfonça dans le canapé, mal à l'aise. Dom s'approcha de lui pour le rassurer ; il ne connaissait pas de personne plus bienveillante que Donna, pas même sa mère qui pourtant était une perle.
— Voici Amare, il restera quelque temps chez moi. Amare, voici Donna, ma voisine, elle vient s'occuper des deux monstres lorsque je ne suis pas là.
Donna ne manqua pas le regard des deux hommes et en fut amusé. Si elle connaissait très bien Dom, elle ne l'avait encore jamais vu ainsi. Il était captivé par Amare et inversement.
— S'il vous embête, vous pouvez toujours venir vous plaindre de ce grand ours chez moi.
— Qui appelles-tu grand ours vieille bique ?
— C'est de bonne guerre.
Amare ne comprit pas un traître mot de cet échange, mais il ressentit toute l'affection partagée et se détendit.
— Tu as les clés ? Leur nourriture est dans le placard et j'ai laissé une boîte dans le frigo...
— Oui, ne t'inquiète pas, je prends soin de tes bébés , fit-elle en caressant les chiens.
Dom roula des yeux en s'emparant du loup dans ses bras. . Donna lâcha un « oh » de surprise en les dévisageant ; ils suintaient de désir.
— Bonne journée Donna.
La bonne femme leur lança un fabuleux sourire. Puis ils partirent.
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