4
Peu avant minuit, et bien après la fermeture de 20 heures de la clinique vétérinaire, Dom acheva de soigner l'homme-loup. Il l'invita à se retransformer, puis tira un bandage par-dessus les points qu'il lui avait fait, il constata avec surprise que le bleu qui se trouvait sur son épaule avait disparu. Il regarda de plus près, s'aperçut que l'égratignure sur sa joue s'était estompée et que les sutures n'étaient plus aussi nettes que l'instant d'avant sous sa forme de loup. Dom fut troublé et pensa qu'en plus d'être une créature surnaturelle, il avait également une capacité de régénération plus rapide que celle des humains, où même des loups. Il ne prit pas la peine de demander quoi que ce soit à ce propos pour le moment. S'il l'avait fait, l'albinos lui aurait répondu que c'était grâce à sa métamorphose. Sa mère lui avait raconté que c'était en rapport avec l'ajustement de la forme des cellules vers l'autre corps qui permettait une telle chose, que c'était un mélange de magie et de recombinaison allélique. Il n'avait cependant pas de cicatrisation plus rapide s'il restait humain ou bien loup.
— J'ai terminé, fit le vétérinaire en enlevant ses gants, d'ici quelques heures, tu devrais sentir de nouveau ta jambe, je vais te prescrire des anti-douleurs. Pense à bien nettoyer ta plaie, sans frotter, les points partiront tout seuls, ce sont les tissus qui les absorberont. Pour le moment, évite de marcher et interdiction de courir.
L'albinos jeta un regard à sa blessure, laissa ses doigts parcourir le pansement, mais se fit rapidement stopper par la poigne du vétérinaire. Les yeux sombres de l'homme se posèrent sur lui, ils n'avaient pas l'air en colère quoique le feu qui brûlait aux fonds de ces iris sombres aurait pu faire penser le contraire, ils étaient seulement inquiets. En réponse, le loup voulut fondre contre lui pour l'enlacer et le calmer ; il s'approcha. Dom le vit faire sans vouloir l'en empêcher, car lui aussi ressentait cet étrange sentiment d'attirance, cette certitude qui lui disait que s'il le frôlait, le touchait, l'étreignait, il serait aimé, complet. L'infime caresse entre leur corps les fit frissonner. Le loup voulut plus, l'homme s'y refusa.
— Est-ce que quelqu'un peut venir te chercher ? demanda le vétérinaire en s'écartant.
Après un instant à être dans ses pensées — d'abord attristé par le refus de son vis-à-vis, ensuite réfléchissant à la question posée — l'intéressé secoua la tête. Dom ne cacha pas sa surprise.
— Tu n'as pas de famille par ici ?
L'albinos secoua de nouveau son chef.
Comment une si belle créature peut-elle se trouver seule, pensa le vétérinaire démuni. Il se corrigea en rougissant que personne ne méritait de se trouver seul, et que ce n'était pas une question de beauté.
— Tu n'as personne ? Pas même quelqu'un comme toi ?
— Meute, souffla le plus petit. Fa-famille meute de loups.
Dom fronça les sourcils. Il avait tellement de questions, à commencer par ces transformations étranges, quel était cet ADN ? Et cette magie, d'où venait-elle ? En passant par comment de telles créatures surnaturelles pouvaient exister sans qu'on soit au courant ? Il savait parfaitement que pour cette dernière réflexion, une partie du gouvernement devait bien être tenu au secret. Pour quelle raison ? Probablement pour éviter la peur et la guerre. Ouais, ce serait une terrible guerre de pouvoir qui frapperait le monde, sûrement la pire.
— Tu ne connais personne qui est un loup-garou?
Pour la troisième fois, il répondit négativement.
— Je ne peux pas te laisser seul dehors, dit le brun consterné. Ni ici.
Il réfléchit à voix basse en mélangeant les mots ; on aurait pu aussi dire qu'il baragouinait dans son coin. L'albinos ne comprit pas, cependant, il apprécia d'observer les traits de son visage qui communiquait ouvertement ses émotions : l'inquiétude se peignait dans ses yeux et la gêne colorait ses joues... il avait une idée derrière la tête.
En effet, Dom avait l'intention un peu folle de ramener la bête chez lui. Bien sûr, il s'était dit qu'il aurait dû prendre ses distances, se mettre en sécurité, car après tout, de nombreux problèmes pouvaient survenir, comme tout simplement se faire déchiqueter à coups de crocs et de griffes en arrivant chez lui. Et même si la créature ne l'attaquait pas, que se passerait-il si une unité spéciale venait chez lui ? Ou bien des scientifiques ? Des chasseurs de primes peut-être ? Dom savait parfaitement que ni son mètre quatre-vingt-dix et ses muscles, ni sa tête bien faite n'étaient prêts à les recevoir en bonne et due forme. L'homme frissonna, il savait qu'il aurait des emmerdes, dont certaines qu'il ne soupçonnait même pas l'existence. C'était toujours comme ça non ?
Malgré tout, il nettoya la pièce puis lui tendit sa veste.
— Enfile ça.
Le patient s'exécuta sans opposition ; des rougeurs colorèrent ses pommettes. Une fois le vêtement mis, il regarda le vétérinaire. Dom crut défaillir lorsque ses yeux bleus se posèrent sur lui. Il se gratta la gorge et s'approcha.
« Je peux ? » demanda-t-il le souffle court, il était si près.
Après un signe de tête affirmatif de la part de l'albinos — peu importe ce qu'il lui faisait, il aurait dit oui à tout — le brun passa ses bras sous son dos et ses jambes puis le souleva. Ils prirent la direction de la sortie, en faisant bien attention à ne croiser personne. Dom espéra sincèrement que le gardien n'était pas en train de regarder les caméras et se dit qu'il lui faudrait faire quelque chose d'encore plus à l'encontre de ses principes que de ramener un animal sauvage à la clinique : récupérer les enregistrements et les effacer. Parfait, se sermonna-t-il, je fais dans l'illégalité parfaite maintenant. Heureusement qu'il était le proprio.
Ce ne fût qu'une fois qu'il l'eut déposé dans son pick-up puis démarré qu'il réalisa qu'il n'avait rien dit à l'homme loup.
— Hum... je te ramène chez moi, fit-il d'abord dans l'intention de le rassurer.
Ensuite, très maladroitement, il tenta un peu d'humour pour alléger l'atmosphère :
— Je ne suis pas en train de te kidnapper, tu peux partir dès que tu le souhaites, hein.
L'intéressé sourit doucement, honnêtement, il ne se serait pas opposé au kidnapping. Dans d'autres circonstances, il aurait même trouvé ça excitant (il se garda bien de lui dire).
— Alors... Tu es un loup-garou et tu vis dans une meute de loups, fit l'humain en pleine réflexion. Je suppose que si tu peux comprendre ce que je dis, tu as déjà vécu parmi les humains ?
— Hum, affirma la créature en hochant la tête. Jus...jusqu'à dix-sept ans.
— Et tu vis dans ta meute depuis longtemps ?
L'albinos regarda par la fenêtre, le grand astre arrivait à s'extirper d'entre les nuages, et il répondit dans un souffle :
— Oui, beaucoup de lunes.
Ca ne donnait pas vraiment une idée précise de son âge, mais Dom comprenait que cela faisait au moins quelques années qu'il se trouvait dehors, seul. A cette pensée, une sensation étrange agrippa son cœur. Il décela une émotion chaude, violente et consumante de l'intérieur, comme s'il avait trouvé du réconfort, presque de l'amour. Néanmoins, il ressentit également une amertume, du regret d'avoir laissé le temps passé à une sorte de solitude qu'il n'avait apparemment jamais décelée, comme si toutes ces années, il avait été seul et que ce n'était que maintenant qu'il goûtait à la plénitude ? Il balaya très vite cette idée qu'il qualifia de saugrenue et fit attention à la route.
Quelques minutes plus tard, alors qu'ils approchaient de l'endroit où Dom avait trouvé le loup, son esprit s'alarma. Un lycan. Il avait encore du mal à croire que cet amas de neige était un lycan, pensa-t-il. Il se demanda s'il rêvait, car son esprit cartésien refusait d'accepter une telle réalité. Et si tout cela n'était qu'une hallucination ? Était-il tombé de fatigue en rentrant chez lui ou avait-il eu un accident par ce temps neigeux ? Était-ce à ça que ressemblait la mort ? Une vérité parallèle faisant surgir des idées farfelues pour nous pousser vers notre fin ? Était-il celui qui l'escorterait vers sa fin ?
Dom se massa les tempes, conscient qu'il allait beaucoup trop loin dans ses réflexions. Le garçon à ses côtés était bel et bien un loup-garou. Oui, il fallait qu'il s'y fasse, c'était juste une putain de créature surnaturelle à grandes dents.
Du coin de l'œil, il vit l'albinos toucher son boîtier d'AirPods. Le vétérinaire le laissa faire, un rire lui échappa lorsqu'il vit le jeune homme sursauter en ouvrant l'objet.
— Ce sont mes écouteurs, tu sais ce que c'est ? demanda-t-il, cachant son amusement.
L'albinos hocha la tête, mais resta surpris.
— Sans fils ?
Dom gloussa. Visiblement, il avait quelques années à rattraper.
Il roula prudemment, conscient que cette nuit marquait le début d'une réalité qu'il n'aurait jamais imaginée.
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