Chapitre 7eme
Oxytocin
" Vous n'êtes plus seul maintenant."
Encore une nuit tourmentée par des cauchemars toujours plus immondes que les précédents. Je me demandais comment je faisais pour réussir à trouver le sommeil sachant très bien ce qui m'y attendait. Mais la réponse était simple, le remède de l'herboriste.
Mou et ensuqué, je me levai. Il n'était pas tard. Peut-être huit heures. En temps normal, je me serais préparé pour aller au lycée, mais ce temps était révolu. Jamais je n'aurais trouvé la force de me rendre là-bas, déjà que c'était un supplice, avec le manque de sommeil et ces sortes d'hallucinations, je préférais ne même pas tenter. Je redoutais de voir le visage de mon professeur devenir ce visage affreusement maigre, dont les orifices laissaient couler un sang vieux et pâteux.
Je décidai plutôt de sortir en ville prendre un petit-déjeuner puis me mettre devant la maison et de dessiner au soleil, en attendant onze heures, heure à laquelle je devais retrouver Seo Changbin. Ou plutôt, l'heure à laquelle je lui avais signifié ma venue. J'espérais qu'il eût eu mon message et qu'il accepterait de me rencontrer.
Je pris une rapide douche pour réveiller mes sens encore endoloris de ce sommeil forcé. Heureusement, cette fois-ci je n'eu aucune mauvaise surprise, aucune fenêtre étrangement ouverte, ou autre vision macabre. J'en fus grandement soulagé. Peut-être que tout n'était que le fruit de mon imagination en manque de sommeil. Je priais pour que cela fût en effet le cas.
Je m'habillai simplement, pantalon droit et chemise. Il faisait déjà chaud dehors. Les orages étaient passés et je voulais croire qu'ils ne reviendraient plus.
J'attrapai mon porte-feuille. Heureusement, il me restait quelques économies... Je n'avais donc pas encore à aller travailler. Après avoir manqué plusieurs jours, et avec la catastrophe que j'avais été la dernière fois, j'étais sûr que le patron, aussi gentil qu'il eût pu être, ne me reprendrait pas. Mais je gardais espoir. Un jour, je serai rétabli, ou, comme je l'imaginais, la chose qui me suivait se lassera. Un jour, que j'espérais proche, je pourrais reprendre le cours normal de ma vie.
Je rangeai le pliant en cuir dans la poche arrière de mon pantalon, puis m'assis sur mon lit pour enfiler mes chaussures. Je me penchai pour faire mes lacets quand un petit bruit me fit sursauter. Il provenait de sous mon lit. Un frisson glacé me parcourut l'échine. Avais-je parlé trop vite ? Les choses ne s'étaient elles donc pas calmées.
Je patientai quelques secondes, dans l'attente d'un autre son, et cette attente ne fut pas vaine. Une petite minute plus tard, j'entendis à nouveau ce son. Et cette fois beaucoup plus distinctement. C'était comme si quelque chose glissait sur le parquet. Le son durait trois interminables secondes, se stoppait, puis reprenait de plus belle.
Ma première pensée fut irrationnelle, mais ma deuxième s'orienta vers une souris. Je ne voulais pas me noyer dans cette peur de l'inconnu, dans cette peur qui me paralysait depuis trop longtemps maintenant.
Persuadé qu'il s'agissait, si non d'une souris, d'un autre petit animal ou insecte, je tapai du poing sur le matelas espérant en provoquer la fuite. Je crus avoir réussi car le silence revint. Je poussai un soupir de soulagement en me mettant sur mes pieds.
" Bien sûr que ça n'était rien. C'est une vieille maison, et dans les vieilles maisons, il y a toujours des petits rongeurs inoffensifs...", tentais-je de me rassurer.
Je pris mes quelques affaires de dessins sur ma table de chevet. Malheureusement, ma mine graphite me glissa des mains et roula sous le sommier.
Je restai figé quelques instants. C'était le seul crayon de la sorte que j'avais, je me devais donc d'aller le chercher... Mais, et si les petits bruits n'étaient pas produits par ce que je croyais ?
Je pris une grande inspiration. Il n'y avait rien sous mon lit. Je pouvais très bien récupérer mon outil de dessin.
Je me mis d'abord à genoux et tâtai le parquet étrangement froid. J'essayai d'éviter de trop penser à ce que ce froid eût pu présager.
Ne trouvant pas mon crayon, je déterminai qu'il avait surement roulé un peu plus loin. Par conséquent, je me mis à plat ventre et tendis le bras, la tête tournée à l'opposé. Si j'avais le courage de passer outre ma peur, je n'en eu pas assez pour regarder. Mon crayon était là, je finirais bien par le trouver en tâtonnant le sol à sa recherche. Mais ma main n'entra point en contact avec le bâtonnet de graphite, mais avec quelque chose de froid, mou et suintant. Ce fut à ce même instant qu'une odeur de pourriture me souleva les tripes. Je retirai ma main d'un geste brusque qui me valut de retrouver ma mine. Je l'attrapai et au moment même où j'allais me redresser, ignorant complètement ce avec quoi j'avais été en contact et qui dégageait cette forte odeur qui me donnait la nausée. Le bruit reprit.
Surpris, et terrifié, je tournai le visage vers sa source, sous le lit. Mais j'aurais mieux fait de m'abstenir. Avec le temps, j'aurais dû savoir qu'il ne fallait pas regarder.
Deux orifices coulants me regardaient sans me voir, la lycéenne était là. Boursouflée, suintante, la peau verdâtre, allongée sur le ventre. Sa main brisée et recouverte de sang couleur de boue, grattait inlassablement contre le parquet à s'en retourner les ongles.
Mon corps se figea, et je fus incapable de faire le moindre mouvement, forcé de regarder ce cadavre puant bouger de lui-même par je ne sais quelle magie. Je voulais hurler, vomir, fuir. Mais mon corps refusait de m'obéir. Je ne pus même pas fermer les paupières. Le temps était figé et me voilà prisonnier de mon propre corps.
Ce fut alors que je sentis un poids sur mon dos. Comme si quelqu'un s'asseyait sur moi. Un souffle glacial vint me caresser la nuque.
" Ce spectacle, te plait-il plus ?"
Cette voix, je l'aurais reconnu entre mille. Une voix de femme si brisée qu'elle n'en paraissait plus humaine. Une voix présente et pourtant si lointaine, comme si elle ne venait pas de ce monde. Une voix glacée qui gèlerait n'importe qui. Une voix aussi tranchante qu'une lame de rasoir, aussi perçante qu'un pic à glace. Pic qui vous transpercerait de part en part pour laisser filer la moindre once d'espoir qui pourrait encore se trouver en vous.
C'était la voix de cette créature invraisemblable, incroyablement mince et terriblement effrayante. Cette femme aux ailes de monstres et aux orbites coulants.
" Ne voulais-tu point en finir ?", me murmura-t-elle dans le creux de l'oreille.
Mon corps tremblait de peur. Mon coeur battait si fort que je l'entendais dans mes tempes. Le souffle court, je manquai d'air, mais ne pouvais rien y faire. Le froid s'insinuait en moi, petit à petit, tel un poison dans mes veines. Etais-je en train de mourir ? Je ne pouvais rien faire. Sans même m'en rendre compte, mes pensées se tournèrent vers l'homme que je devais rencontrer plus tard. Je ne pouvais pas mourir ainsi, sans même savoir comment. Et je devais rencontrer ChangBin. Quelque chose en moi me disait que c'était non pas un simple désir, mais quelque chose de vital.
Je pus fermer les yeux, me coupant de cette vision morbide, ma main se serra contre le graphite. Je repris en partie possession de mon corps même si le froid incommensurable restait inlassablement présent.
" Vous n'êtes qu'un fantôme !", hurlais-je sans pour autant entendre le son de ma voix.
Silence.
Vide.
Je ne voyais, ne sentais plus rien. Je me retrouvais dans le noir complet. Privé de tous mes sens.
" Felix ?"
Une voix familière. Un homme.
"Felix, maman m'a dit de donner ça."
Où étais-je ?
Doucement des lumières, puis des formes. S'en suivirent des sons, puis des sensations. Je sentais à nouveau mon corps. J'ouvris grand les yeux.
" Felix ?"
Je tournais le visage vers cette voix familière et découvris avec étonnement, qu'il s'agissait du fils de madame No. Il tenait un petit sac à la main et le tendait vers moi.
Je regardai rapidement autour de moi. J'étais sur le pont qui surplombe le canal non loin de la maison. Mes mains étaient fermement agrippées à la barrière de métal.
" Maman m'a dit de donner ça."
J'étais incapable de comprendre ce qu'il se passait, mais je pris le sac en le remerciant d'un mouvement de tête. Et il s'en alla sans plus de formalités.
Je poussais un soupir puis m'éloignai rapidement du rebord de ce pont. J'avais horreur de cet endroit... Pourquoi m'y réveillais-je ?
Les jambes chancelantes, je m'avançai vers mon domicile que je voyais d'ici.
Il faisait beau, et chaud, le soleil tapait fort et pourtant rien ne me réchauffait. C'était comme si le froid était entré en moi et ne me quitterait jamais.
×××
J'étais installé sur la petite table, devant le bâtiment où se trouvait mon appartement, et mangeais sans appétit. Madame No m'avait préparé un petit-déjeuner, et c'était ce que son fils était venu me donner. Peut-être avait-elle cru me voir partir pour le lycée. Ca n'aurait pas été très étonnant, il était tôt, j'avais ma sacoche avec moi, et je portais même mon uniforme... Mais je ne me souvenais pas l'avoir enfilé... Entre le moment où je me retrouvais dans le néant le plus total, et où je me réveillais sur ce pont, s'était écoulé plus d'une heure, et je n'avais aucune idée de ce que j'avais bien pu faire. Je n'avais pas eu le courage de remonter dans ma chambre après les évènements de peur d'y retrouver le cadavre de la jeune femme ou pire encore.
Je préférai rester là, à attendre que le temps passe. A attendre qu'il soit enfin onze heures que je puisse finalement aller voir mon voisin.
Pris de violente nausées, sans raison apparente, je posai la nourriture que j'avais dans la main. Il n'était que dix heures et je devais attendre encore une heure.
Je pris une grande inspiration pour calmer mes envies de vomir, mon regard se perdant vers le petit canal.
Avais-je essayé de me tuer ? Avais-je tenté de sauter dans cette eau qui me terrifiait tant ? Avais-je eu si peur que j'eusse préféré l'eau à cette monstruosité qui me hantait ?
Et je restai là, immobile, au soleil chaud et pourtant si froid, à regarder ce pont duquel j'avais surement pensé sauter sans même le savoir.
Les couleurs étaient si fades aujourd'hui. Le monde si silencieux. C'était très étrange. Jamais je ne m'étais senti si las de toute ma vie. Après quelques minutes, je sortis mon carnet d'aquarelles de mon sac, ainsi que ma peinture, et me mis à peindre sans but. Je peignais simplement ce que mon esprit voulait bien me laisser sortir de lui.
Je ne regardais même pas vraiment. Laissant mon corps me guider. Laissant mon coeur l'aiguiller.
Mon pinceau tâchait frénétiquement le papier dans des teintes que je n'utilisais que rarement. Des sombres, des marrons, des noirs d'encre, des verts profonds et glauques.
Petit à petit, les taches de couleurs sales se mirent à avoir une forme. Un corps. Une personne dans les profondeurs d'un petit canal. Une personne blonde et à la peau bleutée par la décomposition. Une personne que je connaissais très bien, car cette personne n'était autre que moi-même.
Les mains tremblantes, je relevais mon carnet pour en voir la totalité de l'oeuvre, sans me soucier des coulures de l'aquarelle sur cette pièce macabre. Ma gorge se serra. Je crus pleurer, mais une main chaude se posa sur mon épaule.
" Lee Felix ?"
Je sursautai avant de tourner mon visage vers la personne qui venait de dire mon nom. Je ne l'avais pas entendu arriver, ni même reconnu sa voix.
Mais je ne rêvais pas. Il était là, face à moi, Seo Changbin.
Mon coeur se stoppa pour reprendre à un rythme effréné. Je m'étais rarement senti ainsi, c'était même, très sûrement, la première fois. Je le regardais sans pouvoir bouger, comme paralysé par sa présence. Mon corps fut traversé de picotements, de mes pied jusqu'à la dernière mèche de mes cheveux. J'avais l'impression d'avoir été électrisé par son regard. Heureusement que j'étais assis car autrement, je serais tombé.
Et alors que mes yeux rencontrèrent les siens, ce fut comme si j'avais toujours été avec lui. C'était un sentiment si étrange qu'il m'était impossible à décrire. C'était comme si mon âme connaissait la siennes. Comme si tout cela était simplement ce qu'il devait être. Une évidence.
Une vive chaleur se propagea de mon ventre à mes joues et remplit mon corps glacé d'une vie que je pensais disparue à jamais.
D'un geste rapide, bien que maladroit, je fermais mon carnet, ne voulant pas qu'il voie mon dessin. Puis me levai d'un bond, le feu aux joues.
" O-Oui. B-Bonjour.", bégayai-je, pris par la surprise de le voir si tôt, et surtout dans ces conditions.
Nous nous regardâmes encore un moment sans oser dire le premier mot. Il était un peu plus petit que moi, mais paraissait plus âgé. Ses cheveux noirs étaient en pagaille, mais propre, je supposai qu'il n'eût pas pris le temps de se coiffer. Il portait une chemise blanche rentrée dans son pantalon droit noir, relativement près du corps. Ses manches étaient remontés, dévoilant ses avants bras musclés, et ses mains veineuses enserraient un carnet de croquis. Sur le moment, je ne fis pas le rapprochement avec la veille.
Finalement, mon regard se perdit une nouvelle fois dans le siens. Il semblait tout aussi fatigué que moi, et pour une raison qui m'était inconnue, je sentis ma gorge se serrer à nouveau. J'avais envie de pleurer toutes les larmes de mon corps. J'avais l'impression de savoir, d'une mémoire ancestrale, ce que nous allions inévitablement partager. Et heureusement, il eut la décence de rompre ce silence presque trop long, empêchant les gouttelettes salées de perler sur mes joues.
" Je suis Seo Changbin, je sortais de mon appartement quand j'ai trouvé votre carnet devant ma porte... J'ai été très surpris de le retrouver là... Et je n'ai pas pu m'empêcher de le feuilleter... Je suis désolé... Je ne savais pas quoi en faire, et je partais pour le déposer à nouveau chez l'herboriste, mais je vous ai vu."
Je le regardai toujours sans pouvoir parler. Je savais ce que je voulais lui dire, mais les mots restaient bloqués dans ma gorge. Il me tendit mon carnet que je pris doucement en pinçant les lèvres et effleurant ses doigts. Je me sentais gêné et troublé.
" Vous habitez ici ? C'est fou... quelle coïncidence !"
Il y eu un petit silence durant lequel je ne pu lui répondre.
"Vos dessins sont magnifiques..."
Il n'était visiblement pas très à l'aise non plus, et peut-être que mon mutisme n'aidait pas à le détendre. C'était même très probable.
Moi qui étais habituellement de nature sociable, je me sentais bien bête de ne pouvoir aligner deux mots.
J'écartai les lèvres et murmurai un faible " Merci" tout en rangeant le livret dans mon cartable.
" Vous n'êtes pas au lycée ?", me demanda-t-il en regardant mon uniforme.
Que devais-je répondre à ça ? Il essayait de faire la conversation, mais il avait choisi une des choses que je ne pouvais pas expliquer sans mentir. Or, je ne voulais pas que la première chose que je lui dise soit un mensonge. J'avais eu envie de le rencontrer, et maintenant qu'il se tenait devant moi, je voulais apprendre à le connaître. Mais on ne construit jamais rien de bon en partant d'un mensonge. Malheureusement, je ne pouvais simplement pas lui dire que je n'avais jamais mis cet uniforme de mon propre gré, que je devenais fou et manquais de sommeil, ni même que je voulais, à ce moment précis, me jeter dans ses bras et pleurer jusqu'à épuisement.
Mais c'est en jouant sa phrase plusieurs fois dans mon esprit que je compris qu'il ne m'en avait pas demandé la raison, mais que sa question était rhétorique. Evidemment que je n'étais pas au lycée. J'étais devant lui. Bien entendu, cela sous-entendait sûrement une explication de ma part, mais je profitai de son choix de tournure pour ne point avoir à lui mentir.
" En effet, je-je n'y suis pas."
Un petit sourire se dessina au coin des ses lèvres, et je me surpris à les fixer. Mais je ne lui laissai pas le temps de répliquer et repris.
" Vous n'avez pas eu mon message ?"
Il fronça les sourcils et eut une petite moue.
" Quel message ? Je n'ai rien reçu."
Je ne compris pas comment cela était possible. Je me souvenais très bien avoir mis le mot sous sa porte. Je me souvenais clairement l'avoir écrit.
" Pourtant, je l'ai glissé sous votre porte hier soir. J'ai toqué plusieurs fois, vous ne répondiez pas alors j'ai écrit un mot, pensant que vous le verriez en rentrant où le lendemain."
" Je n'ai rien vu de tel... Et c'est étrange... Je ne vous ai pas entendu toquer. J'étais chez moi pourtant. Je ne suis pas sorti de la journée."
Comment avait-il pu ne pas m'entendre... Était-il en train de mentir ? Mais, il avait l'air sincèrement troublé et ses paroles sonnaient vraies.
" En effet, c'est étrange..."
" Et que disait donc ce mot ?"
Je serrai les mains sur ma chemise pour trouver le courage de lui parler.
" Simplement que je souhaitais vous rencontrer et que je passerai aujourd'hui à onze heures pour venir vous voir. Enfin, si cela ne vous dérange pas."
Il sembla quelque peu surpris mais dans le bon sens. Un petit sourire se dessina sur ses lèvres avant qu'il ne baisse la tête. J'avais posé mon regard sur son visage et ne pouvais plus m'en décoller. Il ne correspondait pas vraiment aux standards de beauté de l'époque mais je le trouvais très beau. Bien plus beau quand dans mes souvenirs ou mes cauchemars. Il releva finalement les yeux vers moi, et sans perdre ce magnifique, bien que discret, sourire, il prit la parole.
" Pourquoi attendre onze heures maintenant que nous sommes face à face ? L'on pourrait... Faire connaissance autour d'un verre en terrasse d'un café, qu'en dites vous Félix?"
L'entendre prononcer à nouveau mon prénom me fis frémir pour une raison qui m'était encore inconnue.
" Je pense que c'est une bonne idée, seulement je préfèrerai un lieux un peu moins fréquenté si vous êtes d'accord. Je suis un peu fatigué et l'agitation de la ville ne ferait que me distraire."
Il ne sembla point surpris et presque rassuré. Je vis même ses épaules redescendre, et les muscles de ses bras se détendre un peu.
" Je comprend tout à fait. Que dites-vous du parc ? Nous pourrions simplement marcher en discutant ou nous asseoir sur un des bancs."
" Avec plaisir. Laissez-moi le temps de ranger mes outils et nous pouvons y aller.", dis-je en pointant du doigt mes affaires de dessin encore sur la table.
Sans attendre, j'entrepris de ranger le tout dans mon cartable. Je ne voulais pas le faire patienter trop longtemps.
" Oh ! Vous avez récupéré votre sac à ce que je vois."
Me fit-il remarquer.
" Oui... Je vous remercie de l'avoir posé chez monsieur Huang."
" Si j'avais su que nous vivions dans la même maison, je vous l'aurais porté directement mais je n'avais pas cette information."
Je ne répondis pas, ne sachant que dire de peur de passer pour encore plus étrange. Je lui fis signe d'entamer la marche vers le parc, ce qu'il fit.
Nous marchâmes en silence, aucun de nous ne sachant comment reprendre la conversation. J'avais bien quelques idées en tête, mais n'étais-ce pas un peu osé de lui demander directement comment il gérait l'événement traumatisant qui nous menait aujourd'hui à marcher ensemble. Loin de moi l'idée de le mettre plus mal à l'aise. Nous paraissions déjà bien assez étrange à marcher sans un mot, d'un pas constant, tout deux aussi crispés l'un que l'autre.
Nous arrivâmes rapidement près du petit boisé. Il n'y avait pas grand monde en cette journée de semaine, seulement quelques mères de familles promenant des petits en poussette avant que la chaleur ne soit trop intense.
Cela faisait peut-être une dizaine de minutes que nous marchions, qu'il eut le courage que je n'avais pas et engagea la conversation.
" Vous savez... Je vais être honnête avec vous. Je ne sais pas trop par où commencer, mais je crois bien devenir fou..."
Je levai les yeux vers lui et nous nous stoppâmes. Il plongea ses pupilles noires dans les miennes et reprit.
" Depuis cette soirée orageuse où nous nous sommes rencontrés..."
Je le soupçonnais de ne parler de la lycéenne pour ne point éveiller en nous de mauvais souvenirs.
" Je ne dors que très peu et très mal, je n'arrive pas à me retirer les images de l'esprit et me concentrer sur autre chose. Ce qui est-"
Je ne lui laissai pas le temps de continuer et l'interrompis.
"Moi aussi ! Ces images macabres me hantent jours et nuits, si bien que ces dernières sont remplies d'affreux cauchemars liant mes plus grandes peurs... Mais le plus troublant... ce sont..."
" Les bruits ? Les hallucinations ?"
" Oui ! Comment le savez-vous ?"
Il eut un long soupir que je pensais être de soulagement et répondit :
" Je ne suis donc pas le seul..."
A ses mots mon coeur manqua un battement. C'était comme si un poids s'enlevait de ma poitrine. Je ne savais comment réagir à cela, car bien que soulagé de ne pas être le seul à souffrir de ce mal, je me sentais triste de savoir qu'il vivait toutes ces choses que je ne souhaitais à personne.
J'allai m'asseoir sur le banc le plus proche, il m'y rejoignit.
" Quand cela a-t-il commencé pour vous ?", lui demandais-je tout bas, comme si j'avais peur que quelqu'un nous entende.
" Je ne me rappelle plus bien car ma mémoire ne fonctionne plus très bien. Mais je crois que tout remonte au soir même."
Il lia ses mains entre elles alors que son regard fatigué se perdit dans le petit bois face à nous.
" C'est ironique car tout a commencé à cet endroit précis... Sur ce banc. Mais je m'égare... Plus je repense aux événements, plus je me mets à douter de la véracité de ce dont nous avons été témoins."
Il baissa la tête et se tut. Je ne savais pas où il voulait en venir. Pour moi le cadavre de cette lycéenne était bien trop vrai. Bien plus même que tout ce que j'avais pu voir par la suite.
" Que voulez-vous dire par là ? Bien que mes souvenirs soient flous... Je me rappelle très bien du... Enfin... C'était bien réel."
Ses phalanges se blanchirent. Il serrait ses mains si fort que j'en eu que plus peur de ce qu'il allait m'annoncer par la suite.
" Je ne sais comment vous l'expliquer rationnellement Félix... Mais ce soir-là, après vous avoir conduit à l'herboristerie, la police est arrivée-"
" Oui je me souviens, un officier m'a ramené chez moi, mais il ne m'a jamais recontacté contrairement à ce qu'il m'avait dit...", l'interrompis-je, les souvenirs me revenant un peu plus clairement.
" Oui. Un officier est resté avec vous pendant que j'accompagnais les deux autres sur les lieux du crime..."
Il marqua une pause qui me glaça le sang. Il avait donc eu à voir deux fois cette chose ?
" ... Tout avait disparu. Il n'y avait plus rien dans cette ruelle à l'exception de nos cartables trempés."
" Mais... C'est impossible !"
Il prit sa tête entre ses mains alors que je restais immobile, abasourdi par une telle révélation. Je ne voulais pas le croire. Et pourtant une part de moi savait qu'il ne mentait pas. Je lui faisais confiance. Une confiance aveugle, comme si c'était la seule chose à faire. Comme si ce sentiment pouvait traverser les âges sans faiblir. Comme s'il était une évidence, une chose naturelle.
" Je sais que cela paraît impossible et pourtant... Je vous assure qu'il n'y avait plus rien dans cette ruelle. Même pas la moindre goûte de sang. Comme si tout ça n'avait jamais existé. Bien que je me rappelle très bien, et que trop bien, de ce qu'il y gisait avant. De l'odeur... De ses yeux.."
Je le regardais et compris, alors même qu'il fût immobile qu'il souhaitait se recroqueviller sur lui même et se faire le plus petit possible dans l'espoir d'étouffer ces souvenirs au plus profond et espérer ne jamais les revoir. Je le compris, car j'avais moi même voulu faire de même, et cela me brisait le coeur de le reconnaître dans une souffrance semblable.
Timidement je posai ma mains sur son épaule, ce qui le fit sursauter. Je m'excusai rapidement après, et la retira tout aussi vite.
Il relâcha ses cheveux et d'un geste las, laissa son dos reposer contre le dossier.
" J'ai cherché une explication logique... Mais je n'ai rien trouvé. Comment expliquer de façon rationnelle que nous ayons vu la même chose mais que pourtant... tout ait disparu si vite. Pour ce qui est des événements qui ont suivi... Je pensais à un choc post-traumatique... Cependant cela ne fait aucun sens... Les symptômes seraient beaucoup trop violent, ne pensez vous pas ?"
" Je... Je ne sais pas. Je ne connais rien de tout ça..."
Il soupira longuement.
" Je suis désolé que notre première conversation soit aussi... macabre. Mais je devais en parler avec quelqu'un."
" Ne vous excusez pas. Je voulais moi aussi vous en parler. J'avais peur d'être le seul à souffrir des événements... Bien que je ne vous souhaitais pas d'être aussi tourmenté que moi."
" Moi de même. Parlez moi de quelques une de vos expériences... Enfin, si vous voulez."
" Vous savez, je crains fort qu'il ne soit plus question de capabilité plutôt que de volonté. Mais je veux bien essayer."
Sur ces mots je me mis, tant bien que mal, à lui expliquer ce que j'avais enduré ces derniers jours. Je dus me stopper plusieurs fois pour ne pas craquer et pleurer.
Pouvoir sortir tout ça sans passer pour un fou, pouvoir le dire à quelqu'un qui m'écoute et comprends, était une véritable délivrance. Cependant je fus incapable de lui raconter pour ce matin.
Je voulais lui expliquer mais ma gorge se serra si fort qu'il m'était impossible de sortir le moindre son. Plus vite que je ne l'aurais cru, mes yeux se remplirent de larmes et avant que je ne puisse fermer les paupières, elles glissèrent lentement le long de mes joues. Je posai une main sur ma gorge et la serra dans l'espoir de la dénouer mais rien. J'éclatai en sanglots, cachant, honteux, mon visage de mes deux mains.
Ce fut à ce même instant que je sentis sa main brûlante son mon dos. Elle filait de bas en haut dans des mouvements lents et réguliers.
Je me tournai vers lui et posai mon front contre son épaule. Il se laissa faire et m'enveloppa dans ses bras rassurants, l'une de ses mains terminant sa course dans mes cheveux.
Ce geste semblait si naturelle. Moi, blottis dans ses bras. Si bien que le temps passa sans que nous nous en rendîmes compte.
Peu à peu mes sanglots se calmèrent et je me détachai de sa personne en essuyant mon visage bouffis par les pleurs.
" Excusez-moi, Monsieur Seo... Je ne voulais pas."
Il me sourit et essuya discrètement la petite larme qui s'était frayé un chemin jusque sur sa joue légèrement rosé.
" Ne vous excusez pas Félix."
Il glissa sa main sur la mienne et prononça ces mots qui résonnèrent en moi tel un mantra salutaire.
" Vous n'êtes plus seul maintenant."
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