À peine ma mère eut fini de déverrouiller la porte de l'appartement que je m'engouffrai dans ma chambre sans piper mot. Je fermai la porte (pas à clé, bien sûr, mes parents l'avaient cachée depuis mes tentatives de rejoindre Camille) et me jetai sur mon lit. Les larmes coulaient sur mes joues, tombaient sur les draps, pourtant je ne pleurais pas. Une douleur effroyable me prit à la poitrine, pourtant je ne souffrais pas j'étais complètement vide d'émotions ou de sensations depuis mon réveil à l'hôpital. Le lendemain de... du jour où... Camille... ça fait aujourd'hui pile trois ans, et je ne peux toujours pas le formuler.

Je n'étais plus rien sans Camille. Nous étions toujours fourrés ensemble, à faire les quatre cent coups. Quand nous n'étions pas ensemble, nous parlions par SMS. Lorsque Camille voulait faire quelque chose, aller quelque part, je suivais sans réfléchir. Nous étions meilleurs amis depuis... toujours, en fait. Rien ne nous a jamais séparés depuis notre rencontre, en maternelle, lorsque nous avions trois ans. Je vivais à travers ses émotions, ses ressentis, ses souffrances. Pourtant, depuis ce fameux jour horrible, tous les souvenirs que j'avais de Camille ont disparu. Effacés. Je ne me souviens de son visage que grâce aux nombreuses photos que j'ai, réunies dans un album, abandonné au fond d'un tiroir.

J'ai essayé plusieurs fois. Je me souviens avoir pris l'album, l'avoir ouvert. Avoir vu son visage fin, ses lèvres pâles, ses cheveux de jais mi-longs tombant sur ses yeux noirs en amande. Puis avoir repoussé le livre, loin, très loin. Ça me faisait plus souffrir qu'autre chose.

Alors, je me contentais de survivre comme je le pouvais. Je ne ressentais plus rien, au bout d'un moment. Les médicaments ne calmaient plus mes crises de convulsion. Le sommeil ne m'étreignait plus. Je n'étais plus que le gars bizarre au regard vide qui ne sort de chez lui que pour aller pleurer dans le champ derrière chez lui.

Si je devais tout résumer en quelques mots : je suis mort le jour où j'ai appris pour Camille.