Salomé se réveille plutôt tard, aux alentours de midi, un mal de dos écrasant et une mauvaise nouvelle matinale : elle a ses règles. Sa journée est déjà fichue. Autant se rendormir et se rouler en boule dans sa couette en sanglotant. Mais sa mère en a décidé autrement.

«- Salomé lèves toi il est midi et demi ! On doit aller à la bibliothèque et faire des courses !»

La brune grommelle et pousse rageusement la couette avec ses pieds. Elle est déçue de ne pas pouvoir aller chez le disquaire aujourd'hui.
Toute la nuit elle a pensé à Nicolas, elle s'est imaginé une petite romance entre eux, chaste et passionnée.  Quand elle y repense, elle était envahie d'un sentiment de bonheur et d'apaisement immense. Elle ne saurait dire pourquoi mais elle en veut encore. C'est comme la cocaïne ou le Nutella, une fois qu'on y goûte difficile de résister aux tentations.

«- Salomé !»

Elle en avait oublié sa mère ! Salomé sort de son lit en hâte, ouvre en grand les fenêtres de sa chambre pour laisser l'air matinale – ou du midi – s'engouffrer dans sa chambre. Quelques mèches de ses cheveux tombés pendant la nuit virevoltent avec la brise et elle frémit à se contact. Se dépêchant à sa routine matinale – douche, nettoyage du visage, application de crème, coiffure et lavage de dents – elle s'habille en un temps record, enfile ses baskets et sa veste en jean puis descend au salon.
Elle y retrouve sa mère, un sac de course orange dans les mains avec une petite liste – épinglé avec des bons de réductions trouvés sur internet.

«- Pourquoi tu as mis un jean ? Il fait chaud dehors ! Tu aurais pu mettre un pantalon fluide !
- Maman...
- Quoi ? Je t'en ai acheté pleins ! T'as intérêt à les mettre Salomé !
- Je sais Maman je n'ai pas envie d'en mettre un aujourd'hui c'est tout !
- Ne te plains pas si tu as chaud.
- Non.»

Les deux femmes sortent de la maison et se dirigent vers leur véhicule rouge, avec un scotch gris sur le pare-choc cassé. La voiture démarre, effectue une marche arrière et sort de l'impasse dans laquelle Salomé et sa mère habite. Sur la route, elles passent devant le disquaire et Salomé se colle à la vitre pour voir qui y est. Personne. C'est bon signe, Nicolas n'y est pas. Pourquoi elle pense à lui ?
Elle chasse ses pensées quand sa mère se gare sur le parking du supermarché. D'un pas nonchalant elle sort du véhicule en soupirant. Elle n'a pas du tout envie de faire des courses, elle déteste ça, comme le shopping d'ailleurs. Tout ce qui nécessite de marcher des heures et d'attendre – la librairie et le disquaire ne comptent pas, ce sont ses passions. Sa mère prend un caddie et met le sac de course dedans.
Pendant que la mère et la fille arpentent les rayons hauts et larges du supermarché, le téléphone de Salomé sonne attirant les foudres de sa mère. "Dieu merci" pense-t-elle. Elle décroche rapidement et s'éloigne un peu.

«- Allô ?
- Oui Salomé, c'est Victoire !
- Oh ! Comment vas tu ?
- Oui bien et je suppose que toi aussi parfait.
- Euh oui...
- Il faut que tu passes à la boutique. Maintenant.» coupe-t-elle.
«- Victoire je suis avec ma mère, je fais des courses je peux pas passer maintenant...
- Tu n'as pas le choix ! Passes moi ta mère.
- Quoi ? Non !
- Salomé j'ai vraiment besoin que tu viennes ! Ça ne peut pas attendre !
- Bon ne bouges pas.»

Salomé tourne la tête vers sa mère qui choisit un paquet de papier toilettes. Elle soupire et s'approche de sa mère.

«- Qui est-ce ?
- C'est Victoire. Elle veut que je passe à la boutique maintenant.
- Mais...
- C'est urgent Maman.
- Bien. Elle peut venir te chercher ? Je n'ai pas fini les courses.
- Oui elle va venir dans cinq minutes. Merci Maman !»

Elle embrasse sa mère sur la joue et s'enfuit en courant, contente d'être libérer de la corvée des courses. Elle reprend son appel avec Victoire en chemin.

«- Je peux venir !
- Je t'attends.
- Attends tu ne viens pas me chercher ?» demande Salomé qui ralentit.
«- Je t'ai envoyé quelqu'un.
- Quoi ? Victoire tu sais que je ne monte pas avec des inconnus.
- Ce n'est pas vraiment un inconnu ne t'en fais pas.
- Je viens à pieds.
- Non Salomé attends !»

Mais elle raccroche brutalement, range son téléphone dans sa poche de veste et fourre ses mains dans les poches de son jean. Monter avec un inconnu ? Pour qu'on la retrouve
pendue à un arbre dans une forêt bizarre ? Jamais ! La brise chaude vient caresser et chatouiller son cou dénudé. Elle frémit à ce contact et défait son chignon en ôtant la pince qui le tenait. Elle atteint le centre ville en cinq minutes et tourne à gauche après le rond-point, marche encore quelques mètres et entre chez Victoire. La clochette donne son arrivée.

«- Victoire ? Je suis là !
- Dans l'arrière boutique !» cri-t-elle.

Salomé attend devant l'entrée et tape du pied au rythme de la musique qui passe : "You spin me right round" de Depeche Mode.
Son regard s'arrête sur un petit paquet coloré, de forme carré sur le comptoir près de la caisse.
Victoire surgit de derrière un rideau épais et opaque noir.

«- Que voulais tu alors ?
- Ça. C'est pour toi.» dit la grande métisse en attrapant le paquet.

Salomé s'avance et le prend dans ses mains. Ses yeux voyagent entre le paquet cadeau et Victoire qui l'incite à déballer le cadeau.

«- Mais c'est de la part de qui ?
- Un admirateur secret.
- Mais bien sûr ! Victoire sérieusement.
- Ouvres et tu verras.»

Salomé déchire le papier bleu marine transparent et fin, puis découvre le cadeau à l'intérieur. Elle sourit et se met à rire. C'est l'album de Téléphone qu'elle avait vu hier. Mais comment...

«- C'est de Nicolas ?
- Je ne sais pas.» sourit à pleines dents Victoire.

À ce sourire, notre amie sait que c'est de la part de Nicolas. Il a dû entendre son appel avec sa mère et avait dû voir la déception sur son visage. Comment lui rendre la pareille maintenant ? Il ne s'était pas vraiment parlé et avait échangé peu sur leurs goûts musicaux.
Elle regarde Victoire en souriant et se tourne vers les rayons pleins de bacs. Fouillant dans les boys bands, elle trouve sa perle rare. Elle le paye et demande à Victoire de l'emballer proprement et de remettre à son mystérieux admirateur.