Salomé pose son stylo à l'encre bleue métallique sur son bureau en bois marron. Ses yeux voyagent entre ses feuilles où sont inscrits des mots qui forment des phrases qui forment des suites logiques; le cadre rouge où se trouve une photo d'elle et son père qu'elle n'a jamais connu; ses pots à crayons remplis de stylos de toutes les couleurs, comme un champ coloré; les photos accrochés au mur d'elle et ses amies. La pièce est comblée par la musique diffusée par son enceinte bleue posée sur une de ses étagères. Elle ôte ses lunettes rondes marrons et les posent sur son bureau. Ce bureau, c'est son père qui l'a monté alors qu'elle était petite, c'était bien avant qu'il ne disparaisse de sa vie. Malgré son absence, elle ne cesse de penser à lui, à ce qu'il devient sans elle, sans sa progéniture qu'il n'a même pas pris le temps d'élever un minimum; a-t-il fondé une autre famille ? Si oui, leur a-t-il parlé d'elle et de sa mère qui galère à payer les factures en retard ? Bien sûr que non. Il ne pense qu'à lui et pas aux autres, sa mère lui a dit : "c'est ainsi que ton père fonctionne, il fait les choses mais ne les assument pas derrière". Salomé était donc une chose que son père avait conçu mais qu'il n'assumait pas. Fantastique.
La plupart de ses poèmes lui sont dédiés. Elle parle du vide immense qu'il a laissé, malgré les photos qui ne remplacent pas son absence constante.
Une autre photo attire les beaux yeux verts de Salomé : une avec elle et sa mère, au mariage d'une de ses cousines, souriantes et heureuses. Ses lèvres s'étirent et ses dents blanches déformées ressortent. Ce weekend leur avait fait du bien, elles avaient pu oublier leur quotidien morose et ennuyeux, face aux factures impayées qui s'entassaient. C'était un moment de fête et de joie immense.

«- Salomé descend ! Le repas est prêt !
- J'arrive Maman !»

La brunette descend en enfilant son gilet gris à capuche et met les couverts pour que les deux femmes puissent manger. Au menu ce soir : fougasse aux olives noires. L'un des plats préférés de Salomé.

«- Bon appétit Maman», sourit l'adolescente.
«- Toi aussi ma fille. Attention c'est chaud.»

La mère et la fille mangent en regardant la télévision, les informations lassives et horribles. Le monde va mal, tout le monde en parle mais personne n'agit.

«- C'est malheureux ces attentats, tu as vu le nombre de morts et de blessés ? On ne peut plus se sentir en sécurité nulle part !»

Salomé acquiesce et continue d'écouter la présentatrice télé débiter toutes les imbécilités que l'Homme fait chaque jour en pendant à un prochain poème. Un poème qui va dénoncer les injustices du monde ? Trop vu.

«- Maman je peux aller chez le disquaire au coin de la rue cette après-midi ?
- Tu sais que je n'aime pas quand tu sors toute seule.
- Maman s'il te plaît, je dois me vider la tête et j'ai besoin de marcher.
- Bon, d'accord, mais tu m'envoie un message quand tu arrives là-bas et aussi quand tu rentres ?
- Promis.»

Demander de sortir après un reportage sur les attentats du jour ce n'est pas judicieux. Elle sait que sa mère peut changer d'avis à tout moment alors elle se dépêche de manger, prépare son sac avec son téléphone, sa batterie externe, son porte monnaie avec une dizaine d'euros dedans, son carnet à poèmes avec un stylo et un paquet de mouchoirs. Elle met ses baskets blanches et sa veste en jean, embrasse la joue de sa mère et sort de la maison en prenant ses clés au cas où elle rentrerait tard.