Nicolas accorde sa guitare une dernière fois et griffonne quelques notes sur sa feuille de musique. Ses doigts fins se posent sur les cordes et ses autres doigts grattent les cordes afin de produire une petite mélodie harmonieuse. Mécontent, il s'arrête et pousse un grognement du fond de sa gorge. Dans son garage aménagé en petit studio d'enregistrement, il est seul pour profiter pleinement de sa passion. Loin des cris de ses parents, des pleurs de son petit frère et des caprices de sa soeur. Ici, il sait que personne ne le dérangera, car sa famille a interdiction de rentrer dans son lieu sinon il fugue. Au début ses parents ont ri à cette condition jusqu'au jour où Nicolas est parti pendant une semaine et demie sans donner de nouvelles. Ça leur a servi de leçon et le temps de cette semaine et demie, la famille s'est retrouvée soudée comme avant. Jusqu'à ce que son père trompe pour la énième fois sa mère avec Martine, la voisine en face de chez eux. Cette garce leur sourit tous les jours et sait exactement ce qu'il se passe.
Peut-être que c'est dû aux nombreuses infidélités de son paternel que Nicolas a commencé à fuguer et à se renfermer sur lui-même. À vrai dire, il ne s'est jamais véritablement posé la question. Depuis petit il a toujours été du genre timide, peu sociable, mais le premier de la classe, brillant à l'école et ce, depuis la maternelle et le temps des coloriages magiques.
Étant l'aîné de sa famille, sa mère lui a répété mainte et mainte fois qu'il devait donner l'exemple. "Je ne veux pas être le modèle de gamins mal élevés et capricieux" pour cette phrase sa mère l'avait giflé. Son père aussi et c'est sûrement à cause de ça qu'il est devenu encore plus distant avec sa famille. Soit il passe son temps dans sa chambre à l'étage à écrire de nouvelles chansons, soit dans son studio à enregistrer ses chansons ou à s'imaginer rock star. Il ne sort que pour les repas du midi et du soir. Sa famille et leur présence est insupportable, alors il reste dans son petit studio aménagé.

«- Nicolas ?»

La voix de son petit frère passe à travers le rideau qui sépare la porte du studio.

«- Dégage Samuel !» rugit Nicolas.
«- Nico' s'il te plaît.
- J'ai dit non !
- Mais s'il te plaît !»

Le garçon soupire, pose sa guitare sur son socle pour aller ouvrir à son petit frère. Quand il dépasse le rideau et ouvre la porte en plastique blanche, il voit la tête de son petit frère baissée, les joues rouges.

«- Sam qu'est-ce que tu veux ?»

Le petit garçon relève la tête et fond en larmes devant son grand frère. Sa joue gauche est rouge et son œil gauche est gonflé en plus de rougir à perte de vue.

«- Oh merde Sam.»

Il prend son petit frère dans ses bras, de façon maladroite évidemment, l'affection n'est pas son fort il n'en a pas reçu durant son enfance.

«- Je crois que Papa est méchant.
- C'est un connard oui.
- Maman a dit de ne pas dire de gros mots.
- Elle dit pleins de choses stupides tu sais ? Il ne faut pas l'écouter quand elle dit des choses stupides.»

Le blondinet sourit et ses prunelles bleues se posent sur le studio de son grand frère. Il lâche sa taille, trop haute pour ses petits bras, et trotte vers les instruments de musique. Il les touchent doucement de l'index, comme hypnotisé par les petites merveilles achetées – ou volées pour certaines – par son grand frère.

«- Tu peux me jouer quelque chose ?
- Tu peux me raconter ce que t'as fais Papa ?
- Joues d'abord. S'il te plaît.»

Son frère soupire et se place sur son tabouret. Il prend délicatement sa guitare rouge flamboyante qu'il pose sur ses genoux.

«- C'est une nouvelle mélodie, je travaille encore dessus. Ce n'est pas parfait.
- Tout ce que tu touches est parfait.»

La petite moue d'ange de son frère fait sourire Nicolas qui pose ses doigts sur les cordes et gratte les quelques airs qu'il a composé ce matin en se brossant les dents. Samuel, assis par terre en tailleur, regarde son frère, admiratif, les yeux pleins d'étoiles.

«- Je veux être comme toi plus tard !» sourit Samuel.
«- Tu sais ce qu'en pense Maman.
- Maman dit des choses stupides, et il ne faut pas l'écouter quand elle dit des choses stupides !»

Nicolas rigole et comprend que, du haut de ses sept ans, Samuel est son portrait craché. Le même tempérament de feu qui lui vaut quelques coups de Papa, les mêmes yeux brillants devant des instruments de musique.
Nicolas finit par poser sa guitare après avoir jouer et demande l'avis de son petit frère, très attentif à ses gestes.

«- C'était génial !
- Merci bonhomme. Maintenant si tu me disais ce que Papa t'as fais ?»

Samuel ne répond pas en premier temps. Il touche encore un peu les grosses enceintes branchées à de gros câbles qui les relient aux nombreux instruments.

«- J'étais dans ma chambre quand Papa et Maman ont crié. Ils étaient en colère, très en colère. Pire que d'habitude. Puis Papa est entré dans ma chambre, il a hurlé que c'était de ma faute. Il m'a pris le bras et m'as giflé.»

Nicolas jure dans ses mains et se contient pour ne pas tout démolir dans son studio.

«- Et pour ton œil ?
- Le coin de la porte de ma chambre.»

C'était la phrase que répondait Nicolas quand sa soeur lui demandait ce qu'il avait à avoir tout ces hématomes et marques sur le corps. Ou alors il se faisait taper à l'école par des plus grands que lui. Jamais il n'a osé dire la vérité à sa sœur. Ils n'ont qu'un an de différence mais il veut encore la protéger.

«- Bon, ça te dit qu'on aille faire un tour ? On va chez le disquaire et ensuite je t'achète des bonbons ?«

Samuel se retourne et sautille de joie avant de sauter dans les bras de son frère.

«- Tu vas chercher ton manteau et on y va.»

Le petit garçon acquiesce et les deux sortent du garage pour rejoindre la maison familiale. Quand ils pénètrent dans la maison, la mère des deux enfants est assise dans le salon, le regard divaguant sur l'écran de télévision noir. Samuel monte les marches quatre par quatre et court dans sa chambre attraper son petit manteau et ses chaussures à scratch.

«- Maman, j'amène Samuel faire un tour en ville. On rentrera pas tard.»

Sa mère ne prend pas la peine de répondre et hoche à peine la tête. Nicolas prend les clés, sa veste noire et les deux frères sortent de la maison en se tenant par la main.