Quelques instants plus tard, le garçon se retrouva le cul sur une chaise, la tête plantée dans ses bras, les yeux et les oreilles fermés au monde extérieur. De cette façon, son métabolisme essayait vainement de rattraper les heures de sommeil qu'il se privait depuis déjà de nombreuses nuits. Mais c'était sans compter la voix criarde de la vieille pie qui s'égosillait non loin de lui, depuis le tableau électronique :

« Quand on ajoute cette somme-là à l'ensemble du calcul, on voit qu'on obtient le quotient de... »

D'un geste las, l'adolescent tenta de se redresser, de prendre une pose décente et de tenir un stylo entre ses doigts. Bien qu'il soit invisible aux yeux de sa professeure, lui, le gars collé aux radiateurs du fond, ne voulait risquer de se prendre une réflexion, et de manquer une trop grande partie du cours. N'écoutant que d'une oreille le reste des formules de mathématiques, il s'occupa finalement à décorer la marge de ses feuilles de formes biscornues et sans intérêt.

Ce ne fut que quelques minutes plus tard que le cours pris une tournure un peu plus intéressante, du moins pour le reste des élèves. La vieille plantée comme un piquet face à la classe d'adolescents en uniformes sombres continuait de crier de sa voix insupportable :

« Bon, et bien maintenant que j'ai fini ce chapitre, nous allons pouvoir parler de votre orientation post-collège... Pour la plupart, vous choisissez des filières générales et je suis bien contente pour vous puisque vous avez tous le niveau pour réussir. »

Les élèves concernés, cela voulait dire presque tous, brisèrent un moment le silence religieux de la classe pour chuchoter fièrement entre eux de leurs futurs lycées. La professeure continuait son monologue sans faire attention aux bavardages :

« Pour les autres, ... Asta Atuka, tu vas faire des études professionnelles de cuisine ?... Ça ne devrait pas te poser de problèmes, tu es déjà très douée... Puis... Hum... Tadashi Okumi... »

L'appelé leva légèrement la tête. Son regard brun croisa celui glacial de la vieille femme dont les rides du visage étaient tellement nombreuses que ses joues faisaient penser à des dizaines de crêpes entassées les unes sur les autres. Ses yeux fixaient le garçon avec une expression proche d'un mélange d'étonnement et de mépris. Ces quelques mots suivants furent soufflés de sa bouche gercée, comme une question crachée sur la figure de l'adolescent :

« Tu veux donc aller à Yuei, c'est ça ? »

Un à un, les bavardages se turent, et, comme un seul homme, les élèves se retournèrent vers leur silencieux camarade, caché au fond de la salle. Celui dont on ne faisait jamais attention, celui dont on oubliait le nom, presque muet pour eux, toujours des écouteurs enfoncés dans ses oreilles, ce garçon-là était maintenant devenu le centre de l'attention de toute l'assemblée. Et il en maudissait son idiote de professeure.

Comme un réflexe de survie, le garçon baissa ses yeux au regard neutre sur son cahier, fuyant tous ces regards oppressants, et hocha discrètement la tête en signe d'approbation.

« Bien, si c'est ce que tu veux, répondit froidement la vieille pie aux cheveux trop crêpés. »

Après un soupir de contrariété, fatiguée par cet élève insolent qui ne prenait jamais la parole en classe et dont le choix d'orientation scolaire était douteux, elle se tourna vers quatre autres élèves qui, eux, voulaient être, et ce à son plus grand soulagement, de fiers soldats de l'armée.

Les paires d'yeux indiscrètes continuèrent de fixer l'adolescent du fond de la classe. Certaines se retournèrent vers leur bureau, en le traitant au passage de « bizarre », d'autres restèrent accrochées, grouillant de questions d'une curiosité déplacée et que les jeunes gens ne se génèrent pas pour poser :

« T'es sérieux ? Ou t'as juste mis ça pour la déconne ? »

« T'es bien au courant dans quoi tu t'entraines là ? »

« Non mais tu es vraiment sûr ? »

Le garçon, devenu une vraie bête de foire contre son gré, acquiesça de nouveau la tête, répondant qu'il était bien sûr et voulant clôturer au plus vite ce moment gênant.

Peu à peu, le reste des élèves se retournèrent enfin. Quelques murmures s'échappèrent de leurs bouches pour arriver aux oreilles du garçon. Il entendit des « étrange », des « pas normal », des « faire son intéressant » et même quelques « suicidaire », le tout adressé à sa personne, mais l'adolescent n'en avait que faire de leurs réflexions.

Une fille resta plus longtemps que les autres, continuant de le fixer comme s'il n'était qu'un pauvre animal perdu sur son chemin.

« Tu es sûr ? lui demanda-t-elle, Tu ne vas pas changer d'avis ? »

L'adolescent continuait de dessiner comme si de rien était. Les élèves autour de lui ne comprenait pas l'attitude de leur camarade, et lui ne leur demandait pas de le comprendre. Après tout, il s'agissait de son choix, et ils n'avaient rien à dire dessus. Comme s'il allait leur demander, à eux, s'ils étaient sûrs de se lancer dans des études générales.

Le garçon savait ce qu'il voulait, et ce n'étaient pas tous ces regards remplis de mépris, d'incompréhension et de pitié, qui lui feront changer d'avis.

Tadashi voulait être un super-héros, et ce, malgré tout.