Dernière Partie
18 Novembre 2029 :
Si je venais à mourir, qui le saurait ? Découvrirait-on seulement mon vieux corps avant qu'une fouille de mon chez-moi ne soit organisée suite à des factures impayées ? « Être ou ne pas être, telle est la question ». Quelle interrogation absurde...Être ou ne pas être pour quelqu'un, voilà la vraie question. J'ai parfaitement rempli mon rôle, jusqu'au bout. Tout d'abord l'amie de dernier recours, la psy de service qu'on jette après usage, puis la psychiatre diplômée.
J'ai toujours paru forte et inébranlable, j'ai toujours eu un rôle à jouer. Certes pour des personnes constamment différentes, mais tout de même, c'était déjà cela. J'avais alors le sentiment d'être importante, étant sans cesse indispensable à quelqu'un. Et aujourd'hui, voilà, il est bien tard pour regretter.
Regretter mon image dorée à cause de laquelle jamais on ne m'a aidée.
Regretter de m'être accommodée de l'étiquette « jetable après utilisation, à recycler ».
Regretter d'avoir vécu pour des inconnus, et uniquement cela.
Car à présent que mon travail est « accompli », à présent que j'ai atteint l'âge fatidique de 62 ans et que les rides altèrent mes traits, pour qui, pour quoi pourrais-je encore vivre ?
Je me souviendrai toujours de ma dernière conversation. Une infirmière de l'hôpital psychiatrique, pour lequel j'ai délaissé mon cabinet à mes quarante ans, m'a appelée pour fixer la date d'un « repas » organisé par le personnel soignant pour fêter mon départ, comme le voulait la tradition. Le dialogue avait été si attendu, c'est peut-être le seul type d'échange que j'ai jamais eu en étant sincère, tout en parlant à quelqu'un d'autre que moi-même :
– Salut, comment vas-tu ? C'est Lisa, du service A2 en pédopsychiatrie.
– Oh... Bonjour Lisa. Je vais bien et vous ?
– Parfaitement bien, merci ! s'était-elle exclamée. Que fais-tu, je ne te dérange pas ?
– Oh non je... j'essaie un nouveau sourire.
Rien qu'à ces mots, mon visage s'était doucement éclairé, la nostalgie de mes années de jeunesse m'avait frappée de plein fouet.
– Oh, pourquoi donc ? Le tien est pourtant rassurant.
– Parce que je ne veux que d'un sourire qui me ressemble pour m'accompagner éternellement.
Lisa s'était tue un instant puis, sans comprendre mon propos, avait embrayé sur sa proposition de dîner, proposition que j'avais déclinée.
Et j'avais raccroché.
Au fond, peut-être aurais-je dû y aller, à ce repas. Qu'importe en vérité, ce sera ma dernière erreur.
Oui car la prochaine fois qu'ils verront mon sourire, il sera pour la première fois véritable mais maquillé, pour cacher une teinte bleutée.
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