72. Ayden
En sortant de ma séance de boxe habituelle, je vérifie mon téléphone et y trouve un texto de Mel. Pressé comme un gamin, torse nu au milieu du couloir, j'ouvre son message. La bonne nouvelle que j'y trouve me redonne toute l'énergie dont Noah vient de me vider. Il m'a vraiment épuisé ce matin, mais pas assez pour que je n'aie plus envie d'elle. Je sais pas comment je vais m'en sortir avec ce truc d'y aller en douceur. Je suis pas capable de faire ça. Ça a jamais été trop dans mes cordes, et avec elle encore moins. Quand elle ira mieux, j'espère qu'elle perdra vite ce putain de contrôle qu'elle exerce sur elle-même. J'ai trop besoin d'elle. Au moment où je m'apprête à réfléchir à une phrase qui puisse la faire sourire, un appel de Chuck m'interrompt.
- Qu'est-ce que tu veux ?
- Bonjour, Ayden, rétorque-t-il vertement.
Connard.
- Salut. Qu'est-ce que tu veux ?
- Des explications. Lana m'a dit que tu avais l'intention de prendre un avion pour New-York demain.
Quelle merde. Je peux même plus respirer sans que l'info fasse le tour du monde.
- Lana aurait dû fermer sa bouche.
- Ayden, c'est moi qui paie Lana. Tu imagines bien qu'elle ne me cacherait pas quoi que ce soit.
Génial. Chuck a une putain de taupe, maintenant. Noah n'aurait jamais fait un truc pareil.
- Tu savais que j'y retournerai. Pourquoi chercher à comprendre ?
- Tu sais combien me coûtent tes caprices, Ayden ? s'insurge mon demi-frère au téléphone.
- Combien je te rapporte ? Parce que je suis pas certain que tu y perdes au change.
- C'est plus compliqué que ça. Les annulations d'interviews, les heures de répétition, il n'y a pas que tes billets d'avion.
- Tu te souviens de qui on parle ? On parle de Mel, Chuck. De Mel. Tu préfères que je plante tout le monde ? Tu n'as qu'un mot à dire. Un seul putain de mot et j'arrête tout.
Au bout du fil, Chuck pousse un soupir résigné, et je préfère ça. Cette menace marche à chaque fois, et je ne me lasse pas de m'en servir. Mel détesterait, mais c'est pour elle que je le fais. Elle a pas son mot à dire.
- Comment va-t-elle ?
- Elle passe un scanner aujourd'hui. Si tout va bien, elle sortira dans deux jours. Et je vais pas rater ça.
- C'est une bonne nouvelle.
- Ouais. Une putain de bonne nouvelle.
- J'essaierai de passer la voir à l'hôpital. Puisque je ne te ferai pas changer d'avis, est-ce que tu peux au moins me dire à quelle heure tu as l'intention d'atterrir à New-York ?
- En quoi ça te regarde ?
- Tu es vraiment infernal. Je voulais juste demander à James de te récupérer. Ce genre de déplacements se prévoient, si tu ne veux pas te retrouver entouré de journalistes.
- J'aime pas ça.
- Personne n'aime ça, en fait.
- Tu seras là-bas ?
- J'y suis déjà. J'ai beaucoup de rendez-vous. Je n'ai pas que ta carrière à gérer. Et Erin n'est plus là, je te rappelle.
- En fait, je m'en fous complètement. Mais n'essaie pas de me faire croire que t'es seul au monde. Si tu veux, je te renvoie Lana. J'ai pas besoin de chaperon.
Mon demi-frère éclate d'un rire ironique qui ne laisse aucun doute sur son avis.
- Ça va aller, elle peut rester avec vous. A ce propos...
L'hésitation dans sa voix ne me dit rien qui vaille. Quand il a ce ton là, ça sent jamais très bon.
- Chris est un ami, Ayden.
Le silence lourd de sens qui suit m'insupporte. Je n'ai rien à foutre des états d'âme de l'oncle de Mel.
- Et ?
- C'est quelqu'un de bien.
- Je vois pas le rapport avec moi. Qu'est-ce que je viens foutre là-dedans ?
- Il n'a pas vraiment apprécié que Mel reste au fond de son lit pendant plus de dix jours.
- En quoi ça le concerne ?
- Il tient à elle, Ayden.
- C'est du passé. Ça regarde personne. Surtout pas un mec qui prétend traiter Mel comme sa fille alors qu'il la connaît même pas.
- Est-ce que tu te rends compte de ce que tu dis ? Ça ne te pose pas de problème, la souffrance de Mel ? La souffrance de sa famille ?
Qu'est-ce que sa famille peut bien me foutre ? La seule chose qui compte, c'est elle. Et je vais pas commencer une putain de séance de psy avec Chuck pour lui expliquer à quel point je regrette mes conneries avec elle.
- Non.
- Okay, laisse tomber. Je voulais juste que tu saches que Chris n'est pas quelqu'un de mauvais. Et que c'est un ami. Tout ce que je te demande, c'est d'être à Los Angeles dans cinq jours.
- J'y serai, papa.
Et pas tout seul, en plus. Si Mel sort de ce putain d'endroit qui respire la mort, je la laisserai pas refuser de partir avec moi. Pas cette fois. Même si je dois la porter de force dans cet avion. On a perdu beaucoup trop de temps pour que je la laisse tergiverser douze plombes.
- Bien, rétorque-t-il d'un ton sec. J'y serai aussi.
- Te sens pas obligé. Je suis un grand garçon.
- Je préfère m'assurer que tout se passe bien. Surtout en ce qui te concerne, s'esclaffe-t-il. Et puis j'espère que mon frère finira par me considérer comme tel à force de me voir dans les parages.
Chuck et ses putains de failles affectives sont de retour. Et j'y peux rien, mais chaque fois qu'il parle de ça, j'arrive à rien faire d'autre que me renfermer.
- Ouais. On se voit à New-York. Peut-être.
Si je ne suis pas trop occupé à gagner ce pari à la con avec Mel. Et même sans ça, je vois pas ce qui pourrait me faire sortir de son champ de vision plus de dix minutes. Tout ce temps sans elle m'a coûté assez cher.
Durant le dernier concert à Denver, Noah me regarde souvent de travers. J'ai du mal à me canaliser, je fais le con bien plus que d'habitude, et j'oublie même mes propres textes à deux reprises. Je m'éclate comme un gamin, mais je n'arrive pas à la sortir de ma tête. Ça en devient complètement barré. Je ne pense qu'à une chose : la faire rire. La faire sourire. La faire pleurer. Lui faire oublier le connard que j'ai été pendant tout ce temps où elle aurait mérité que je la traite comme une reine. J'espère juste que j'en suis capable.
En sortant de scène, je rencontre rapidement quelques fans à qui j'offre des sourires absents. Je commence à peine à m'habituer à ce genre de trucs. Jusqu'à présent, j'avais du mal à me lâcher. A laisser tous ces inconnus me toucher, me sourire, me prendre en photo. Mais je me sens mieux maintenant. L'envie de les insulter, de leur dire que j'en vaux pas la peine m'est passée. Même si j'en pense pas moins, je laisse faire.
Noah m'accompagne toujours dans ce genre de trucs. Je sais pas comment, on dirait qu'il sent que j'ai besoin de quelqu'un de familier pour supporter. Je sais pas si c'est dû au fait qu'il m'a connu quand j'étais gamin, mais c'est peut-être le seul en dehors de Mel de qui j'accepte la franchise. Et pourtant, cet enfoiré mâche pas ses mots. Exactement comme maintenant.
- Si tu me refais un set comme ça, je rentre à Londres. T'es prévenu, Ayden.
Il a la rage. Et qu'il sait que je le sais.
- Ça va, Noah. Ça arrive, ce genre de merdes. C'est pas comme si j'avais l'habitude de me planter.
- Non, ça va pas. Ta carrière débute. Tu n'as pas le droit à l'erreur.
Putain, Chuck lui a fait la leçon ou quoi ?
- Ouais, ben j'ai pris le gauche. Me fait pas chier, Noah. Déjà pas mal que j'aille jusqu'au bout de ce truc.
- Parce que quelqu'un t'y force ?
Sa question me prend de court. La tension dans sa voix aussi.
- Grandis, mec, poursuit-il avec lassitude Tu as décidé de faire cette tournée. Toi et personne d'autre.
- Ouais, mais...
- Ouais. Mel. Je sais. Depuis quand tu fais ce qu'on te dit, toi, Ayden Dean Harrington ? Pourquoi tu te caches derrière elle ? Tu as fait cette tournée parce que tu aimes ça. Parce que c'est pour ça que tu vis. Parce que la scène fait partie des seules choses qui te tiennent debout. Tu n'es pas un artiste par amour. Tu es sur scène parce que c'est ce que tu es. Mel est juste une excuse parce que tu n'assumes pas.
- Et pourquoi je ferais ça, hein, Noah ?
- Parce que c'est à cause de la scène qu'il est mort. Parce que c'est à cause de la scène que tu as morflé comme aucun gosse ne le devrait.
- Il est mort parce qu'il était taré. Parce qu'il supportait pas que personne le regarde.
Je déteste cette conversation. Je déteste Noah d'y voir aussi clair. Je déteste cette putain de bile qui remonte dans mon ventre quand je pense à l'autre connard dont les initiales sont gravées sur ma peau pour ne jamais oublier de ne pas prendre le même chemin que lui. Est-ce que j'aime la scène ? Ouais. J'adore ça. Mais ça deviendra jamais une putain de drogue. Je refuse d'être comme lui.
- Tu n'es pas comme lui. Tu ne le seras jamais. Mais assume tes décisions. Ça te changera, pour une fois, me taille-t-il en me suivant jusque dans ma loge.
La vision de Brittany recroquevillée sur un des deux fauteuils rouges m'empêche d'extérioriser ma colère. Le regard vide, elle essuie au fur et à mesure les larmes silencieuses qui glissent sur ses joues. Je m'approche d'elle doucement pour m'abaisser à sa hauteur.
- Brittany. Je suis là.
Ses yeux se lèvent doucement vers moi.
- Je t'ai déjà expliqué que j'étais obligé de partir. Une de mes amies a eu un grave accident.
Ses yeux rouges et enflés s'obstinent à ne pas se tourner vers moi.
- Tu n'es pas venu pour moi, murmure-t-elle.
- Parce que j'étais un bien plus gros connard que maintenant. Je t'ai déjà dit ça aussi. Viens, on rentre à l'hôtel.
Je tends la main, mais elle esquisse un mouvement de rejet. Derrière moi, Noah soupire d'un air tendu.
- Allez, viens. Faut qu'on y aille.
- Je veux rester là. J'aime bien quand tu es sur scène. Tu es beau.
C'est quoi ce bordel ? Qu'est-ce qu'elle fout ?
Depuis que je suis revenu de New-York, Brittany n'est plus la même. Elle avait beaucoup progressé ces derniers temps, mais le putain de cadavre qui me fait face n'a gardé aucune trace de cette évolution. La crise de cette nuit était pire que toutes celles qu'elle m'a fait traverser, et je sais pas comment mettre les choses au clair.
- Je suis tout le temps beau, j'essaie pour la faire rire.
Même pas l'ombre d'un putain de sourire. Même sur elle, j'ai du mal à me concentrer. J'arrive plus à lutter contre Mel qui m'obsède, et je sais pas comment me tirer de cette situation avec Brittany. Qu'est-ce qui m'a pris de la rajouter dans l'équation ? Et comment je m'en sors ? J'ai toujours envie de l'aider, mais je sais plus quoi faire.
- Demain, je t'emmène voir un médecin. Ce serait peut-être mieux que tu te retrouves avec ta famille, tu sais. Tout ce bordel, c'est peut-être pas bon pour toi.
- Non !
Brittany hurle si fort que Noah sursaute. Elle couvre ses yeux de ses doigts et se renfonce encore un peu dans le fauteuil en cuir.
- Alors quoi ? Tu vas rester prostrée parce que je suis parti deux jours ? Qu'est-ce que je dois faire ?
Noah pose une main discrète sur mon épaule pour me signaler qu'il rejoint les autres. J'acquiesce d'un signe de tête et avant de m'approcher doucement de Brittany pour attraper sa main. Elle est bouillante. Putain, elle est vraiment en train de péter les plombs. Et je suis pas sûr de trouver les mots sans dégoupiller moi-même. A mon contact, elle lève doucement les yeux sur moi. Agenouillé devant elle, je me demande comment faire pour qu'elle lève son cul de là.
- Je ne veux plus que tu t'en ailles.
- Je peux pas te promettre ça. On en a déjà parlé. Je t'ai proposé de m'accompagner en tournée parce que je voulais t'aider à aller mieux. Pour me faire pardonner de ne pas avoir été présent pour toi alors que j'aurai dû. Tu as passé deux ans dans le coma. Deux putains d'années. Je comprends que tu sois larguée. Mais je ne peux pas te soigner. Tu comprends ? Je peux pas être ton traitement.
- Je ne veux plus que tu t'en ailles, répète-t-elle sans bouger.
- Je vais repartir. Demain. Je vais reprendre l'avion, et tu vas rester avec Zack et Aiko. Et ensuite, je vais revenir. D'accord ?
- Revenir ?
Les yeux écarquillés, elle ne me quitte plus des yeux. Qu'est-ce qu'elle me fait ? Je donnerai cher pour capter ce qui se passe sous son crâne abîmé par ma faute.
- Ouais. Partir et revenir. D'accord ?
- C'est sûr ?
- Oui, c'est sûr. C'est bon, on peut y aller maintenant ?
Il faut vraiment que je parle de cette merde avec Noah. Il faut qu'elle voie un médecin, sa mère, n'importe qui, mais j'ai pas les épaules pour la gérer. Tant qu'elle se limitait à pas dormir et pas bouffer, ça allait encore, mais là, je sais pas. J'aimerais qu'elle arrête de me fixer comme si j'étais la huitième merveille du monde, mais elle se rapproche de moi au moment où j'essaie d'éviter son regard. Sans que j'aie le temps de réagir, ses lèvres glacées se posent sur les miennes. Mon premier réflexe est de la repousser violemment, mais je me contrôle. Immobile, je me détache d'elle doucement en posant mes mains sur ses deux bras pour l'écarter de moi. Une colère sourde me ronge. Alors c'est ça, son putain de problème ? Elle en est toujours là ?
- Jamais. Putain, refais jamais ça. Bouge, maintenant. Le bus va partir.
Incapable de supporter sa présence une seconde de plus, je quitte la pièce sans même me retourner. Dans le bus, je balance avec rage mon sac à dos avant de m'asseoir contre la vitre et attrape mon téléphone.
"Dis moi que tu vas bien. S'il te plaît."
Oui, j'ai publié un peu en avance. Et oui, je sais que là tout de suite vous avez envie de me tuer. J'ai été sadique jusqu'au bout. Et je le resterai, même si vous êtes de trop mignons bonsaïs qui déchirent.
Vous me connaissez maintenant, vous savez que je ne partirai pas comme ça. Alors dans la partie suivante, on va se faire la NDA du siècle, et on va essayer de pas trop pleurer. Okay ?
Looooooove you so so so so much.
<3.
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