70. Alive
Les quelques secondes de silence qui suivent augmentent encore la tension de mes muscles. Je ne sais vraiment pas ce qui m'a pris de lui dire ça.
- D'accord.
Heu... C'est tout ?
- Tu n'es pas en colère ?
- Non. Je devrais, mais non. J'ai pas envie de ça, Mel.
Abasourdie par son absence de réaction, je ne sais pas quoi répondre. En temps normal, il y a déjà longtemps qu'Ayden aurait déversé toute sa jalousie et sa peur de me perdre sur moi. Pourquoi ne le fait-il pas ?
- D'accord. Tu es sûr que tout va bien ? Je ne voulais pas te mentir. Mais j'avais peur de ta réaction.
- Si tu me dis que ça n'a pas la moindre putain d'importance, je te crois.
Est-ce qu'il aurait par hasard subi un lavage de cerveau ?
- Ça n'a pas la moindre putain d'importance, je souris en maltraitant une des mes mèches de cheveux. Je te le promets.
- Okay. C'est bon.
Le timbre légèrement plus grave que d'habitude de sa voix ne me rassure pas complètement. Et je n'arrive pas à me faire à l'idée qu'il accepte sans discuter une conversation banale avec mon ex. Il ne l'a jamais supporté.
- Donc, tout va bien ?
- Respire, Mel. Je veux juste être avec toi.
- Moi aussi, je soupire, pour de bon cette fois. Qu'est-ce que tu fais de beau ?
Je ne sais pas ce qui se passe. Je ne sais pas ce qui s'est passé pour que les choses deviennent aussi simples entre nous. Ça ne durera peut-être pas, mais j'ai la sensation étrange que tout ce que nous avons pu vivre de douloureux jusqu'à maintenant n'a plus la moindre importance. Comme si ces mois séparés nous avaient permis de prendre conscience que l'essentiel ne se trouve pas dans nos disputes, ni même dans cette colère qui anime notre relation depuis le départ. Quand il ne reste rien d'autre entre nous que ce besoin que nous avons l'un de l'autre, tout paraît plus clair.
- Je viens de sortir de scène. On va rentrer à l'hôtel, m'explique Ayden avec lassitude.
- C'est qui, on ? Combien vous êtes, en tout ?
- Une quarantaine.
J'ai du mal à imaginer Ayden entouré de tant de gens toute la journée. Je me demande par quel miracle il arrive à gérer tout ce monde autour de lui.
- Wow. Ça fait du monde.
- Ouais. C'est un putain d'enfer. Mais je suppose qu'on s'y fait. Et puis j'en ai plus pour longtemps.
Une pointe de regret me serre le cœur quand je réalise qu'il y a longtemps déjà, il était prévu que je fasse cette tournée avec lui. S'il n'avait pas su pour Chuck, si Melody ne s'en était pas mêlée, j'aurais pu partager avec lui cette aventure incroyable. J'aurais pu passer mon temps à l'observer évoluer sur cette scène qui lui colle à la peau quoi qu'il en dise.
- Je ne serai pas rentrée à Londres pour ton dernier concert. Je serai là.
- Je...
Brusquement, sa voix se fait plus douce.
- Tu ?
- J'adorerais ça, souffle-t-il.
Un violent frisson me traverse. Mes paupières se ferment, le temps de savourer cette seconde où je ressens plus intensément que jamais l'amour qui transpire dans sa voix, même si c'est malgré lui.
- J'espère avoir droit à un pass VIP, je souris.
- Je te trouverai ça.
- Ce serait génial.
- Je savais que le dernier serait le meilleur, ironise Ayden avec douceur.
- Je ne sais pas... ce sera peut-être le pire, qui sait ? Tu te souviens de cette soirée au Radio City ?
- Evidemment. T'étais encore une putain de chieuse.
- Et toi le dernier des connards, je me défends.
- Ça ne t'a pas arrêtée pour autant.
- C'est vrai. Il faut dire que tu n'as rien fait pour que je m'arrête.
- Non. Mais ça serait pas arrivé si tu m'avais pas cherché.
- Alors c'est comme ça que tu vois les choses ?
Un rire doux s'échappe de mes lèvres quand les images de notre première soirée me reviennent en mémoire.
- Ouais. C'est comme ça que je les verrai toujours.
J'aurais pu me contenter de ses provocations. De cette attitude hautaine et désinvolte qu'Ayden passait son temps à m'imposer. Je ne sais pas ce qui m'a poussée à ne pas m'y arrêter. Mais je ne le regrette toujours pas. Et je ne suis pas certaine d'arriver à penser différemment un jour.
- J'aurais aimé être là pour la tournée. Etre avec toi. Je suis désolée, Ayden.
Je ne sais pas si je fais bien, si ce que je fais est un aveu ou non de faiblesse, mais je ne peux plus m'arrêter de lui dire ce que je pense.
- Tu regrettes ?
Son étonnement me transperce le cœur.
- Oui.
- Pourquoi ?
- J'ai un peu ouvert les yeux ces dernières heures, je crois.
- Et ben, il était temps, se moque Ayden gentiment.
Mais je suis bien trop concentrée sur mes pensées pour essayer de le faire sourire à mon tour.
- Je crois. J'en sais rien. Les choses auraient pu être différentes si je n'étais pas allée à Londres. J'essaie de faire tout ce que je peux contre ça, mais je t'aime. Je n'aurais pas dû m'éloigner de toi.
Au bout du fil, le silence dure de longues secondes. Est-ce qu'une vague de reproches m'attend ? Est-ce que je suis en partie responsable du temps que nous avons perdu ? Même si cette colère, cette douleur qui le dépassent parfois nous ont fait beaucoup de mal, il fallait qu'on soit deux. Et je crois que je suis prête à l'assumer.
- Si. C'est toi qui avait raison.
Quoi ?
Je m'attendais à tout, sauf à ça. De surprise, j'ai beaucoup de mal à aligner les mots qui essaient désespérément de sortir de ma bouche.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- J'ai passé mon temps à merder. A te détruire. A t'imposer mon bordel et ma vision des choses, et j'aurai pas dû faire ça. A ta place, je me serai barré depuis longtemps.
- Je voulais nous donner du temps. Je voulais... j'en sais rien. Me construire à travers autre chose que toi. Tu étais devenu toute ma vie, et j'avais peur. Parce que chaque minute, chacune de mes respirations étaient pour toi. Je ne voulais pas me perdre. Je ne voulais plus subir ta colère. Quand tu es venu à Londres, j'ai cru que les choses pourraient s'arranger. Mais après Melody... je ne pouvais plus.
- Désolé.
- C'est rien, c'est...
- J'ai embrassé cette idiote parce que j'étais en colère contre toi. Et je suis désolé, Mel. Tu sais pas à quel point je m'en veux. Tu méritais pas tout ça. Mais tu me rends complètement dingue parfois. C'est pas une putain d'excuse, mais c'est la vérité. Je deviens complètement fou quand il s'agit de toi. Tu me fais péter les plombs. Je contrôle pas.
L'entendre me demander pardon de toutes ses forces m'enlève un poids immense des épaules. Sa sincérité me touche en plein cœur. J'ai tellement envie qu'il sache à quel point ça compte pour moi.
- Qu'est-ce que tu aurais fait dans la situation inverse, Ayden ?
- Je... Putain, même pas en rêve. Je refuse d'imaginer un truc pareil. Même si t'en aurais le droit.
- Je ne l'ai pas pris.
Ça aussi, ça me fait du bien de le dire. J'ai besoin qu'il sache que malgré la distance, malgré tous ces mois, malgré quelques sorties avec Gavin et deux ou trois collègues londoniens, je n'ai jamais pu considérer plus d'une seconde l'idée de me retrouver dans d'autres bras que les siens.
- Même depuis...
- Non. Je n'ai jamais pu.
- Je t'aime.
- Je sais. Moi aussi, je t'aime.
Même si ça ne règle pas tout, j'ai la certitude qu'Ayden n'a jamais été aussi sincère que maintenant. Et je ne le lui dirai pas, mais j'ai tellement besoin de lui.
- Je dois y aller. Tout le monde est déjà dans le bus.
Malgré moi, une légère déception me traverse. Je me sens lourde et fatiguée, mais je n'ai pas eu de conversation aussi franche avec Ayden depuis une éternité. Et quel que soit mon état, j'aimerais qu'elle dure encore des heures.
- D'accord. Bonne nuit.
- Bonne nuit. A demain.
Après cette discussion pour le moins intense, je trouve difficilement le sommeil. Je ne sais pas ce que je suis en train de faire. Je ne devrais peut-être pas replonger sans réfléchir. Si j'étais raisonnable, je garderai la ligne de conduite que je me suis imposée depuis plusieurs mois. Mais je n'en ai plus envie. J'ai envie de lui. D'être avec lui. De partager chaque minute de sa vie, quel qu'en soit le prix. J'ai besoin de retrouver cette complicité silencieuse avec lui dont j'ai toujours eu besoin. Et je n'ai plus qu'une hâte maintenant, sortir de cet hôpital et le voir en concert.
Le lendemain matin, après une nuit agitée, une infirmière me réveille en sursaut. Sans me demander mon avis, elle me pose un garrot sur le bras pour la prise de sang matinale à laquelle je suis maintenant habituée.
- Bien dormi ? C'est le grand jour aujourd'hui ?
- Comment ça, le grand jour ?
L'infirmière me regarde avec de grands yeux ronds, l'air de se demander si j'ai perdu la mémoire. Mais j'ai beau me refaire le film de la journée d'hier, rien ne me revient. Est-ce que j'ai oublié une information capitale ? De quoi cette femme peut-elle bien parler ?
- Le scanner, en fin de matinée. C'est lui qui va déterminer si vous pouvez nous quitter.
Quoi ? Déjà ? Je ne suis réveillée que depuis un jour à peine. Comment je pourrais déjà sortir ?
- Aussi vite ? Comment c'est possible ?
Je me voyais coincée ici pendant encore au moins plusieurs jours. Se pourrait-il que la lumière au bout du tunnel soit enfin là ?
- Vous n'avez aucune séquelle neurologique. Si votre scan est bon, on vous laissera sortir dans quarante-huit heures, avec une bonne ordonnance et un rendez vous de contrôle. C'est la procédure. Le médecin passera vous l'expliquer.
Un sourire incommensurable étire mes lèvres. Deux jours. Il ne me reste que deux jours à tenir dans cette fichue chambre blanche et déprimante. Finalement, j'aime beaucoup cette infirmière. Et son garrot aussi. Mais une pensée douloureuse traverse subitement mon esprit.
- Est-ce qu'il est encore là ? Le petit garçon. Est-ce qu'il va bien ? Vous pouvez me donner de ses nouvelles ?
- Il va très bien. Sa maman appelle tous les jours pour savoir comment vous allez. Elle a insisté pour avoir vos coordonnées, mais vous n'étiez pas vraiment en état de donner votre consentement. Si vous voulez, je peux les lui transmettre.
- Bien sûr. J'aimerais avoir les siennes, si c'est possible. Je voudrais bien passer un peu de temps avec lui. Il a changé ma vie.
- Peut-être, soupire l'infirmière. Mais vous avez eu de la chance. Vous auriez pu y laisser la peau, à vouloir jouer les héroïnes.
- Je ne suis pas une héroïne.
Et j'ai une âme-soeur. Une âme-sœur qui m'aurait retenue à ce monde, quitte à prendre ma place.
- C'est vous qui le dites, m'assène-t-elle gentiment avant de quitter la pièce. Dites ça à sa mère, vous verrez ce qu'elle en pense.
Mon premier réflexe est d'envoyer un message à Ayden pour lui annoncer la bonne nouvelle. J'attend impatiemment une réponse qui n'arrive pas, avant de me décider à faire une tentative pour me lever sans aucune autre aide que le pied de ma perfusion. Contre toute attente, je me sens bien mieux qu'hier. Mes jambes flageolent légèrement, mais rien à voir avec l'état dans lequel je me trouvais la veille.
Je m'approche à pas lents de la fenêtre condamnée en plissant légèrement les yeux à la vue de la luminosité incroyable qui inonde New-York. Respirant à pleins poumons pour la première fois depuis quarante-huit heures, je laisse une énergie venue de nulle part s'emparer de moi. Je suis en vie. Ayden va bien, je vais bien. Ma famille va bien. Je suis en vie. Les paupières closes, je m'imagine allongée sur l'herbe si verte de Central Park, les rayons du soleil réchauffant mon visage. Quoi que je fasse, je ne me suis jamais sentie aussi bien que dans cette ville.
- Mel ? Qu'est-ce que tu fais debout ? Pourquoi t'es-tu levée ?
Ma mère, accompagnée de Jules et Sarah, m'observe avec désapprobation et inquiétude, encombrée d'un bagage gris foncé.
- Je m'en sentais capable. Tu savais que je passais un scanner aujourd'hui ?
- Oui. Les médecins l'ont dit à Chris. Je ne t'en ai pas parlé parce que je ne voulais pas te donner de faux espoirs. Et que je voulais que tu te reposes. Te connaissant, tu n'en aurais pas dormi de la nuit.
- Génial. Maintenant, ma mère me fait des cachotteries.
- Quand c'est pour ton bien, oui. Je t'ai apporté des vêtements.
- Génial. Ce truc me rend dingue, je souffle en désignant d'une main la chemise blanche à minuscules pois bleus qui me recouvre à peine.
Depuis que je tiens debout toute seule, je n'aspire plus qu'à une chose : me ruer sous la douche. Même avec un cathéter planté dans le bras. Ce sera toujours mieux que rien.
- Je t'ai apporté ton jean préféré. Et assez de tee-shirts pour la semaine.
- Si je sors d'ici dans deux jours, ils ne serviront à rien.
J'ai l'impression qu'en le disant, je conjure un peu plus le sort. Même si le mariage de Chris est annulé, il faut absolument que je sois sortie d'ici le plus vite possible. J'ai besoin de profiter de toutes ces choses auxquelles jusqu'à maintenant, je n'accordais pas vraiment d'importance parce qu'elles me semblaient banales. Après ce que je viens de traverser, la moindre minute me semble primordiale.
- Pas de faux espoirs, Mel. Je veux être sûre que tu vas bien.
- Je ne peux pas aller mieux que ça, maman. Je suis vivante, c'est tout ce qui compte. Et j'ai bien l'intention d'en profiter.
Hey mes amours,
Comment ça va ? Votre semaine ? Tout va bien pour vous ?
Ici, ça va. La fin du tome commence à se dessiner...
Je vous aime fort.
❤.
Insta : hazelcartergrace
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