52. Ayden
En sortant de la douche, je passe une serviette autour de mes hanches avant d'observer longtemps mon reflet dans le grand miroir au dessus du lavabo. Aucun doute, je suis toujours en vie. J'observe avec une curiosité mauvaise les lignes de mon corps que je ne reconnais plus. J'ai fait beaucoup de sport ces derniers temps pour évacuer ma rage, et ça commence à se voir. J'évite les lignes sombres de mes tatouages, qui pour la plupart ont tous un lien avec elle. Même le premier, que j'ai fait faire sur un coup de tête le lendemain de cette nuit en boîte qui avait tout changé. La texture douce et chaude de ses lèvres me revient en mémoire comme un coup de poing. J'en perds le souffle, et mes paupières se ferment sous le coup de la douleur. L'envie de gerber qui suit est un peu plus violente que d'habitude, mais passe aussi plus vite.
L'envie de tout éclater dans cette chambre anonyme s'atténue un peu quand mes yeux se posent sur les deux oiseaux gravés sur mon ventre. Elle voulait absolument que je lui dise à quoi je pensais quand j'ai fait ce tatouage. Elle ne sait pas qu'il s'agit de nous. Elle ne sait pas que cette putain de rose des vents représentait ma seule chance de ne pas perdre mon chemin. Elle ne sait pas que l'encre noire du chiffre onze gravé dessous correspond au jour où je l'ai rencontrée pour la première fois.
La sonnerie de mon téléphone me force à sortir de ma transe. Je me rue dans la chambre en tenant fermement ma serviette. J'ai une idée de qui cherche à me joindre, et pour rien au monde je ne raterai ça.
- Tiens, pour une fois, tu décroches ?
- Ta gueule, petit con.
Le surnom que je donnais à Dan quand je ne le supportais pas est devenu ma façon préférée de l'emmerder.
- T'es sûr que c'est ce que tu veux ?
Putain non. Surtout pas.
- Ça dépend de ce que t'as à me dire.
Quelques secondes de silence s'écoulent. Dan soupire.
- Je viens de la déposer à l'hôtel.
Incapable de prononcer un mot, j'essaie de garder le contrôle de ma respiration. Ça fait trois putain de mois. Trois putain de mois, et je ne supporte toujours pas d'entendre parler d'elle.
- Ayden ? Ca va ?
- Ouais. Ouais, ça va.
J'étouffe un rire acide. Est-ce que j'ai la tronche d'un mec qui va bien ?
- Pas elle.
- Développe.
- Elle a pleuré. C'est dur pour elle d'être ici. Sans toi, insiste-t-il.
Quelque chose sous mon crâne refuse d'admettre les mots que prononcent Dan. Elle m'a quitté. Elle a disparu de ma vie depuis une éternité. Et elle pleure ? C'est quoi son putain de problème ? Pourquoi est-ce qu'elle nous inflige toute cette merde, dans ce cas ?
- Qu'est-ce que tu veux que j'y fasse, Dan ?
- J'en sais rien, ironise-t-il. Tu pourrais peut-être bouger ton cul d'artiste incompris et faire un détour par New-York avant qu'elle reparte ?
- Je peux pas. On joue à Denver ce soir, j'ai trois dates dans la semaine, et je peux pas laisser Brittany.
J'ai parlé trop vite. Répété cette putain de phrases des dizaines de fois dans ma tête pour me convaincre que c'est la bonne chose à faire. La vérité, c'est que j'ai pas la force de l'affronter. Pas la force de prendre un uppercut de trop. Tant qu'on en reste là, il me reste peut-être une chance de me faire pardonner un jour. Un jour. Mais pas maintenant. Je suis trop faible pour ça. Son amour me tient debout, l'espoir qu'il nous reste une chance me tient debout. Mais c'est pas parce qu'elle pleure qu'elle changera d'avis.
Ces dernières semaines, j'ai trouvé une forme d'équilibre. J'ai mal, mais je pense à elle, et ça me suffit pour affronter mes journées. J'essaie d'apprendre à vivre comme elle espérait que je le fasse, j'essaie de ne pas tout foutre en l'air, et je ne veux pas prendre le risque de tout gâcher.
- Ouais, ouais, raille Dan dans mon oreille. Tu sais ce que j'en pense.
- Et j'en ai toujours rien à foutre.
- Evidemment, sourit Dan au bout du fil. Toujours aussi aimable.
- Est-ce que j'y peux quelque chose si t'es chiant ?
- Ouais. Surtout quand c'est pour ton bien.
- Okay, papa. Je vais avoir une punition ?
- Pour cette fois, ça ira, ironise Dan. Mais réfléchis, s'il te plaît, reprend-il plus sérieusement. Chuck est invité au mariage. Je pense pas qu'il fasse un scandale si tu fais une apparition.
- Lâche-moi, putain. Mel a mon numéro. Elle est assez grande pour demander elle-même.
- Désolé pour ce qui va suivre, mais t'es vraiment trop con.
- T'es pas le premier à me donner cette information. Ecoute, je sais pas trop comment, mais je m'en sors bien, en ce moment. J'ai pas fait de conneries depuis longtemps. J'ai pas envie de tout foutre en l'air.
- Mec, on parle de Mel, là. Pourquoi ça arriverait ?
- Parce que ça arrive toujours.
Dan exhale un soupir agacé mais vaincu.
- Qu'est-ce que tu veux que je réponde à ça ?
- Rien. Y'a rien à dire. Juste... donne-moi des nouvelles.
- Je sais pas. Tu demandes ça gentiment ?
- S'il te plaît, connard, je ris.
- Je vais voir ce que je peux faire. Prend soin de toi, Ayden.
- Ouais. J'essaie. Toi aussi, petit con.
Avec la sensation que mon corps pèse une tonne de plus que tout à l'heure, je m'assieds sur le bord du lit. La tête entre mes mains, j'essaie de faire taire la voix dans ma tête qui me hurle de sauter dans le premier avion pour New-York. J'ai un putain de concert à donner, des gens à satisfaire, je peux pas me permettre de déconner. Pas après ce que je me suis promis. Et puis ça me tuerait de le reconnaître, mais je suis mort de peur. Et je maîtrise pas ça du tout. C'est pas un truc dans mes cordes.
Peut-être qu'elle pleure juste à cause des souvenirs et que ça va lui passer. Peut-être qu'elle se dit juste qu'elle aurait mieux fait de finir son stage. Que ça aurait été mieux pour sa carrière. Peut-être que c'est simplement New-York qui lui manque. Au fond de moi, je sais que j'ai tort, mais c'est tellement plus facile de me persuader de ça. Je n'ai pas envie de savoir qu'elle a aussi mal que moi. Parce que si c'est le cas, à quoi peut bien servir cette putain de mascarade ? Elle a dit qu'elle voulait être heureuse. Si elle ne l'est toujours pas, pourquoi s'inflige-t-elle toute cette merde elle aussi ?
L'heure du dîner arrive. Comme d'habitude, j'ai pas vraiment faim. J'hésite à appeler le room service, mais Brittany m'attend pour descendre. Il faut qu'elle mange. Quand nous entrons dans le restaurant, au premier étage de l'hôtel, ils sont tous là. Noah, Zack, Aiko, qui vient juste de nous rejoindre, et tous les techniciens. Une vingtaine de personnes qui ne sont là que parce que j'y suis. Je sais pas trop comment gérer ça.
- Tu te fais désirer, la starlette, me balance Zack entre deux bouchées de pain de viande.
Je m'assieds sur l'une des deux chaises vides, Brittany dans mon sillage, en le fusillant du regard.
- Fous lui la paix, Zack.
Ma nounou de service me jette un regard interrogateur auquel je répond par un signe d'apaisement. Tout va bien. Tout va toujours bien.
- C'est bon, Noah. Je lui manquais, c'est tout. J'y peux rien si ce pauvre enfant ne peut pas se passer de moi.
Sans prêter attention à l'éclat de rire de Zack, j'attaque l'assiette posée devant moi. Brittany n'a pas encore touché la sienne. Fatigué de devoir répéter tous les jours la même chose, je passe une main lasse dans mes cheveux avant de me tourner vers elle pour poser une main apaisante sur son bras.
- Hey. Regarde-moi. Il faut que tu manges, d'accord ? Je ne veux pas que tu retournes à l'hôpital.
Brittany regarde son assiette, puis lève à nouveau les yeux vers moi avant d'attraper sa fourchette. Une merde de moins pour ce soir. Je me retourne vers Lana, en charge de l'organisation de la tournée. Sous ses airs de bourge un peu coincée, elle gère plutôt bien la situation et les grands malades que nous sommes.
- On répète quand, Lana ?
- Demain après-midi. Chuck arrive en début de soirée. Il sera là pour le concert.
- Cool.
Contrairement à ce qui était prévu, cet enfoiré fait des allers-retours entre New-York et les lieux de mes dates. Il n'est pas plus présent pour moi qu'il ne l'était à New-York. Et finalement, tant mieux. J'ai autre chose à foutre que de supporter ses angoisses. J'en fais déjà bien assez pour me contrôler en face de tous ces gens qui n'attendent de moi qu'un bonheur pur et des sourires factices sur des photos à la con.
Quand je juge que Brittany a avalé assez de nourriture pour ne pas tomber dans les pommes, je me lève de table pour sortir fumer en évitant le regard de Noah. J'ai repris cette putain de sale habitude depuis que la tournée a démarré. Ces quelques minutes de solitude enfumée me permettent toujours de faire un peu le vide. Mon guitariste passe son temps à m'engueuler à propos de ça et de mes cordes vocales, mais j'ai jamais vraiment été un mec docile.
Le parking de l'hôtel est désert. Appuyé contre le mur de l'entrée, je savoure ma solitude, taffe après taffe. La nuit tombe doucement sur le ciel orangé, et les montagnes du Colorado rendues sombres par le coucher de soleil découpent le ciel en une sorte de courbe compliquée. C'est beau. Enfin, Mel aurait trouvé ça beau. Sur la fin de ma clope, un mec plutôt jeune qui passe sur le parking me fixe avec insistance. Je me détourne lentement de lui.
Je n'en suis pas encore au point de provoquer des émeutes, mais mes chansons se répandent un peu partout comme des traînées de poudres. Lana s'emploie corps et âme à faire de moi le dernier truc à la mode sur les réseaux sociaux. A la tête qu'elle fait le matin au petit déjeuner, je peux déjà imaginer ce que donnent les statistiques qu'elle passe un temps monstrueux à étudier. Et ces derniers temps, elle a souvent le sourire.
- Va la voir.
Dans l'obscurité, je n'ai même pas entendu Noah approcher. Son visage est plus tendu que d'habitude. Son regard noir me transperce comme s'il cherchait à déterminer mon degré de délire. Sous ses airs tranquilles et ses tatouages colorés un peu partout sur le corps, ce mec est bien trop observateur.
- T'as pas des boucles d'oreille à changer, toi ?
Mon acolyte sourit, et son air dur et froid s'envole comme par enchantement. Ses boucles d'oreilles sont devenues mon sujet de conversation quotidien. Depuis que je le côtoie, Noah les change tous les jours. Le plus souvent, il en porte des noires, rondes et très larges, qui ressemblent à des boutons. Parfois, elles sont argentées. Quand j'étais gosse, il portait un labret et une crête. Il s'est plutôt assagi depuis, mais le faire chier avec son look fait partie de mes activités préférées.
- Change pas de sujet. Elle est là, c'est ça ?
Putain, comment il sait ? Il est devin ou quoi ?
- Tu me fais chier, Noah.
- Donc, elle est là.
- Tu sais pas de quoi tu parles.
- Je parle de la tête que tu fais depuis que t'es descendu. On dirait que t'as vu un mort. Comme Brittany est toujours là, je me suis dit qu'il y avait autre chose.
Je capitule :
- Ouais, elle est là.
- Tu as besoin...
- Non. C'est bon. Je vais me pieuter, de toute façon. Tu sais où est Brittany ?
- Elle est montée. Aiko l'a emmenée. Elle doit être avec elle.
- Tant mieux. J'avais pas envie de...
- C'est lourd, ce que tu t'imposes. Tu devrais souffler un peu.
Je lâche un sourire amer. A part effacer de ma mémoire ces dix dernières années, je vois pas comment faire.
Quelques minutes plus tard, j'entends une discussion féminine en passant devant la chambre de Brittany. Ça devrait aller pour cette nuit. Sans prendre la peine d'allumer la lumière de ma chambre, je balance mes fringues par terre et m'affale sur mon lit, mon portable à la main. A tâtons, je récupère mes écouteurs sur la table de chevet, et enchaîne les morceaux jusqu'à l'épuisement.
Des cris stridents me réveillent au milieu de la nuit. Je ne sais que trop bien qui fout ce bordel monstre à cette heure-ci. Je sors du lit d'un bond et me rue en grognant sur la porte de ma chambre. Elle s'ouvre sur Brittany, en nuisette et en pleurs. Son visage, maculé de larmes, se tord en une grimace de douleur.
- Allez, viens, je murmure en regagnant mon lit.
Brittany me suit de près. Ses sanglots rythment ses pas, jusqu'à ce que je sente son corps maigre se glisser contre mon dos. Elle fait ça toutes les nuits depuis que je l'ai récupérée. Depuis le temps qu'elle est là, les choses auraient dû se calmer. Mais non. En attendant, je supporte. Je paie mes conneries jusqu'au bout, même dans mon sommeil.
Hey hey. Juste parce que c'est dimanche soir et que le dimanche soir c'est PLS pour tout le monde. Non ? C'est pas ça ?
Bref. J'avais envie de rester dans la tête d'Ayden, et je vais sûrement y rester encore un peu. Cette conversation avec Dan, elle vous a plu ?
Un petit jeu ce soir : le premier qui trouve qui m'a inspiré le personnage de Noah se verra dédier le prochain chapitre. Un petit indice, il fait de la musique.
Ça va vous ? Vous faites quoi de beau ? Racontez moi... Juste pour info, je prends pas vraiment le temps de répondre à vos commentaires parce que je me suis mise en tête de terminer la réécriture du tome 1 avant le 31 décembre. Mais voilà, sachez que je vous lis avec toujours autant de plaisir et que je suis désolée de pas pouvoir en faire plus.
Je pense tellement fort à vous.
<3.
insta : hazelcartergrace
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