Chapitre 7 : Menteuse
Scène loin d'être joyeuse, je suis désolée...
Lanaya
- Elle ment ! Elle ment forcément, s'égosille le vieil homme qui commence à me les briser sévère pour rester polie.
Je ne prends même pas la peine de le démentir. Cela ne sert à rien, c'est de la salive gaspillée. Son regard lorsqu'il m'a jaugée tout à l'heure était plus qu'éloquent. La colère et la haine ne suffisent pas à dissimuler le désespoir et le chagrin qui l'habitent. Cet homme a tout perdu. Comme tous ces gens. Ils ne vont pas renoncer au seul semblant de familiarité qu'il leur reste car une inconnue leur demande. Peu importe tous les arguments que nous apporterons, nous ne pourrons convaincre que ceux que le doute habitait déjà avant.
- Caleb ? C'est faux, n'est-ce pas ? Elle ment ? le supplie presque une femme au bras bandé.
Ce n'est pas trop tôt... On s'intéresse enfin à lui. Il attendait quoi d'ailleurs pour intervenir ? Que je me fasse pendre en place public ? J'exagère, mais quand même ! Il aurait pu m'aider. Surtout qu'à peine son nom prononcé, un changement s'opère dans les regards. Tous les espoirs convergent vers lui d'une manière presque risible pour une personne connaissant la vérité. Ils vont vite être déçus...
L'intéressé baisse la tête et une ombre traverse son visage. Soumis au silence, il ne peut ni confirmer ni infirmer. Mais son attitude de chien coupable est suffisamment éloquente. La femme recule. Ses mains se portent à sa bouche qui forme le o de la trahison, de la souffrance et de la colère. J'en déduis qu'elle a compris. La foule retient son souffle, souhaitant comme suspendre le temps et donc le moment d'accepter l'impensable.
- Je suis désolé, murmure l'Alementa de l'Apparence.
Je lève les yeux au ciel sans chercher à m'en cacher. C'est bien beau d'être désolé, mais comme dirait ma mère, ce n'est pas après avoir fait caca dans sa culotte qu'il faut serrer les fesses ! D'accord, il était sous silence et il ne pouvait rien dire. Qu'il leur explique alors au lieu de sortir qu'il est désolé, c'est pire que tout ! « Oui, alors en fait, on n'a jamais été en guerre, tout ce que vous croyez était une manipulation visant à vous priver de liberté et ceux qui étaient censés vous protéger sont potentiellement ceux qui ont détruit vos maisons et assassiné vos familles. Mais je suis désolé, je ne pouvais rien vous dire... Vous me pardonnez ? On va boire un verre pour la vérité ? » Ouais, en fait même avec l'excuse du silence, ça ne sonne pas mieux.
Je parcours de nouveau l'assemblée du regard. L'intervention de Caleb a accentué le doute de ceux déjà incertains et commence à faire flancher les moins récalcitrants. Mais pour les personnes qui ouvrent les yeux sur l'effroyable vérité, je vois peu à peu la rancœur s'installer, comme une maladie silencieuse qui attend son heure pour frapper. Effectivement, vu comme ils semblaient apprécier Caleb, savoir leur confiance trahie fait mal. Très mal.
Alors que je vais le laisser se débrouiller, un mouvement de personnes attire mon attention et il me semble apercevoir deux personnes venant vers nous. Je fonce les sourcils et me redresse, intéressée. Les deux lames incurvées dissimulées sous ma manche gagnent mes mains. Je les fais tourner, attendant que ceux qui prennent un bain de foule telles des stars nous atteignent. J'espère pour eux qu'ils viennent avec un drapeau blanc, car je n'aurai pas la patience de débattre. Caleb, à mes côtés, n'a rien remarqué, trop occupé à se débattre verbalement et mentalement entre son silence, sa gentillesse et les cinq personnes virulentes face à lui. Les silhouettes fendent enfin les abords de l'assemblée pour nous faire face. Je soupire en reconnaissant les deux têtes de cons qui s'avancent vers nous. Magnifique...
Le silence abat son couperet sur le rassemblement. Chacun a deviné ce qui va se passer. Et tous attendent la suite avec autant d'impatience que d'angoisse. Tim s'approche de moi à pas mesuré jusqu'à se poster à un mètre à peine de la buche sur laquelle je trône. Mais à cet instant, je n'ai absolument pas l'impression d'être une reine observant son sujet. Plutôt celle d'être un rat de laboratoire décortiqué par les yeux de son bourreau. Je ne fléchis pas. Il est hors de question que je m'incline. Une souveraine ne courbe pas l'échine, jamais. Yollan finit par rejoindre son compagnon qui l'invite d'un geste de main à commencer. J'ignore la haine peinte en vives couleurs sur son visage, son regard me disséquant littéralement et attends la question qui mettra fin à tous les débats. Il s'humidifie les lèvres, prend le temps de bien choisir ses mots qui, comme il le sait, seront décisifs.
- As-tu, oui ou non, dis toute la vérité et rien que la vérité dans ce que tu viens d'annoncer ?
Je prends mon temps avant de répondre pour observer le tableau avec intérêt. Tous se sont écartés comme pour laisser place aux deux têtes de lards, ce qui s'apparente clairement à un signe de déférence. Et je doute que ce respect soit né des cendres de leurs maisons. En période de crise, tu te raccroches rarement à quelqu'un d'inconnus surtout si tu as encore quelques têtes familières dans les environs. A fortiori si cet inconnu est un Sentimental. Alors j'en déduis que ces deux couillons sont les Sentimentaux du Comité. Les brins d'herbe au milieu du parterre de tulipes qui n'ont pas été arrachés et qui rêvent de se parer des mêmes milles couleurs. Mais leur seule fonction est d'habiller la terre au pied des fleurs. Ce sont les plantes vertes que les Anciens ont accepté pour une illusion démocratique. La question qui se pose à présent, c'est est-ce qu'après tant d'année à quémander leur attention, les Sentimentaux sont prêts à les trahir ? Vont-ils admettre la vérité ? Ou la piétineront-ils sans vergogne ?
- Oui, acquiescé-je, fermement.
Toutes les têtes convergent alors Tim qui lui, fixe le sol, les yeux perdus dans le vague. Au bout de quelques secondes interminables, il semble revenir parmi nous et me détaille avec un intérêt nouveau. Je soutiens son regard, le défiant de contester quoi que ce soit.
- Elle ne ment pas, déclare le Sentimental.
J'arque un sourcil hautain. Son compagnon se tourne vers lui, en serrant les dents. Un mouvement de détresse et de choc parcourt la foule entière. Je vois des gens tituber, s'effondrer en même temps que toutes leurs croyances. Le déni est un couteau qui reste figé dans une plaie. Lorsque tu le retires, il y a l'hémorragie.
- Quoi ? s'exclame Yollan.
Tim secoue la tête. Il ne recule pas malgré le mur d'agressivité auxquelles ils se frappent.
- Elle dit la vérité, Yollan. C'est comme ça et on ne peut rien y faire.
- Elle ne peut pas dire la vérité ! Elle...
Je descends de ma bûche et les abandonne à leur dispute, à la triste réalité. J'ai fait mon job. J'ai expliqué la situation et j'ai balancé la proposition de Lyanna. On peut même considérer, je pense, que j'ai fait du zèle en restant assister à leurs débats. Veni vidi vici, comme on dit. Je n'ai plus rien à faire là. Je continue de faire tourner mes dagues entre mes doigts. Les éclats de voix diminuent au fur et à mesure que mes pas m'entraînent entre les arbres dénudés. Je me concentre uniquement sur le sifflement des armes qui fendent l'air. Peu à peu, mes épaules se détendent et je peux respirer.
- Très beau discours... J'en ai presque la larme à l'œil.
Je sursaute et une des lames m'égratigne l'index. Je porte mon doigt à ma bouche par réflexe et me retourne pour atomiser du regard l'Alementa de l'Ombre. Nonchalamment appuyé contre un arbre comme toujours, il fume sa clope sans me lâcher des yeux. Après avoir rangé mes lames, je m'approche de lui et attrape sa cigarette pour tirer une taffe.
- Fais comme chez toi surtout...
Un grand sourire hypocrite s'étire sur mes lèvres. Il s'en allume une autre en silence. Nous restons un moment-là à regarder les ombres jouer à cache-cache avec la lumière sous les yeux de leur maître.
- C'est quoi la suite du plan ?
Cameron tourne la tête vers moi pour m'observer de ses yeux asymétriques. Aucune émotion n'habite ni le puit abyssal ni le gris-quartz de ses iris. Et les deux me toisent avec une impassibilité presque souveraine.
- J'imagine que tout dépendra du nombre d'Alementas qui acceptera de nous rejoindre et de leur niveau d'entraînement. On ne peut pas s'attaquer aux Anciens directement sans savoir où ils se planquent. Notre meilleur moyen est de foutre suffisamment le bordel dans leur petit royaume pour les forcer à se montrer. Si la mission de Gabriel et compagnie est un succès, on aura de quoi attaquer sans problème.
Ah oui, le fameux but secret de l'expédition sur lequel il n'a rien voulu lâcher. Cameron finit sa clope et de son pied, l'éteint sans ménagement comme il prendrait une vie. Puis il s'étire, faisant rouler tous ses muscles sur son tee-shirt noir.
- L'avantage de ne plus avoir à sauver Dante, c'est qu'on va gagner vachement de temps. Quand on y réfléchit bien, il nous a retiré une sacrée épine du pied en crevant.
Ma main tenant la cigarette incandescente tressaute. Ma gorge se noue alors que la colère s'enflamme dans mon ventre. Quel connard... À chaque fois que je pense m'être habituée à ses piques, il me prouve qu'il peut faire bien pire. Je réprime l'envie de le perforer avec mes dagues. Comment ose-t-il jeter sans pitié du sel sur une plaie si fraiche ? Comment peut-il remuer si ouvertement le couteau planter dans ma poitrine ? Je retiens mes larmes, ma colère et fais mine de ne pas rentrer dans son jeu. Ca lui ferait trop plaisir. J'attends quelques secondes, ne le daignant que d'un regard incendiaire. Il y répond par un sourire arrogant. Rira bien qui rira le dernier, mon petit Cameron, songé-je amèrement. Avant que de lui écraser la cigarette sur le bras.
Il s'écarte en lâchant un flot de jurons plus que fleuris. Une marque de brûlure apparait sur sa peau. Ca doit faire mal... Je lui adresse mon plus beau doigt d'honneur.
- Va mourir, Cameron. Sérieusement.
Je tourne alors les talons sans demander mon reste. Je marche dans la forêt à pas pressés pour me calmer. Au et à mesure que j'avale les mètres pour m'éloigner de lui, je cadenasse les émotions que Cameron a fait émerger. J'ai réussi à les maintenir enfermées pendant trois jours, ce n'est pas pour craquer maintenant.
Je souffle et me rend compte en levant la tête que mes pieds m'ont mené droit vers le cimetière. Je suis tentée de faire demi-tour. Je fume la fin de ma cigarette, assise dans l'herbe humide, le dos contre une tombe.
- Désolé, vieux, lâché-je à l'intention de son propriétaire.
Le calme de la forêt appelle mon calme intérieur ayant lâchement pris la fuite deux minutes auparavant. Mon esprit se vide peu à peu et je retrouve cette sensation d'absence que j'affectionne tant depuis des jours. Je ne pense plus. Je ne ris plus, mais je ne pleure pas. Ironiquement, je commence à tirer des leçons sur les meilleurs façons de faire son deuil. J'ai compris grâce à mon père qu'espérer ne servait à rien d'autre que blesser d'avantage. Grâce à ma mère, j'ai appris récemment que se forcer à avancer comme si de rien n'était, c'était faire face à davantage de douleur et à l'accumuler. Je propose donc le surplace. Le paysage est plutôt sympa par ici en plus.
Très vite, je suis contrainte d'écraser mon mégot sur un caillou. Je l'enterre de bout des doigts pour être sûre qu'on ne le retrouvera pas. Alors que je m'allonge dans l'herbe pour délasser mon dos meurtri par la pierre, mes yeux se ferment d'eux-mêmes.
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