Chapitre 4 : Affabulatrice
Aimazilia
Les armes ôtées, je pousse du bout du pied le cadavre encore chaud de Mathieu et m'assois au bout du lit, le plus loin possible de lui. Putain... Je resserre mes bras autour de mon corps nu. Je tremble de la tête au pied. J'ignore ce qui me touche le plus : apprendre que mon père cherche aussi l'Enchanteuse ou ce que je viens d'être forcée à faire. Ce n'était que de la légitime défense. Il allait me tuer, me répété-je.
Mes yeux retombent sur le visage sans vie de l'Alementa. Il est encore nu, seule preuve que notre partie de jambes en l'air écourtée a bien existé. Il a été si tendre, si... Je ferme les yeux. Je savais que si mon père m'a envoyé à ses trousses, il y avait une raison. Mais j'aurais mille fois préféré tomber sur un homme sans foi ni loi qui aurait essayé de me descendre. Pas sur un serveur avec une chemise à fleur qui m'a gentiment raccompagnée chez moi. Avant de me menacer de mort. Il l'aurait fait, je le sais, je l'ai vu à la lueur résignée qui assombrissait son regard. Pourtant, je le crois lorsqu'il dit qu'il aurait regretté. Il est trop tard pour toi.
Je passe une main sur mon visage puis dans mes cheveux pour chasser ses derniers mots de mon esprit. Allez Aimazilia, tu dois bouger. Je suis déjà étonnée qu'Aaron ne se soit pas ramené en entendant les hurlements de souffrance que Mathieu a poussé lorsque j'ai lâché ce don infernal sur lui. J'inspire profondément. Son détenteur original m'avait supplié de ne l'utiliser qu'en unique recours. Je commence à comprendre pourquoi. C'est un don extrêmement puissant. Et extrêmement dangereux.
Je sais qu'il l'a utilisé contre les membres du Comité du Septentrional sous mon accord, mais je ne l'avais jamais vu à l'œuvre. Capable de forcer les gens à se suicider s'ils ne font pas ce qu'on leur ordonne. Ceux possédant une grande force mentale peuvent éventuellement y résister quelques temps, mais ils finissent tous par craquer. Dans un sens ou dans l'autre. Mathieu a visiblement préféré se donner la mort que de trahir ses secrets.
Je me lève dans un soupir et me rhabille dans une série de gestes lents. L'excitation de nos deux corps si proches est bien redescendue. Les menaces de mort ne sont pas trop mon trip. J'enfile des gants et ramasse le petit poignard qui a fini me couter la vie. Il devait l'avoir dans ses vêtements. Cela expliquerait pourquoi il a eu besoin d'user de son don pour m'immobiliser. Je le fais tourner dans ma main un instant. Il faut à présent réglé le problème Aaron. Je prends une grande inspiration pour me donner une contenance, appuie sur le bouton pour remonter les volets et ouvre la fenêtre. Elle donne sur la rue et donc indirectement sur le toit d'où Aaron m'observait tout à l'heure. Dans la pénombre, je le distingue, toujours assis sur la toiture à observer les étoiles.
— Rapplique ! lâché-je juste assez fort pour qu'il m'entende.
J'attends de voir sa silhouette se mettre en mouvement pour refermer fenêtres et volets. J'ignore s'il sent les énergies. Je préfère penser que non, mais on n'est jamais trop prudent. La porte d'entrée s'ouvre quelques minutes plus tard et des pas viennent vers moi. Ma poigne gantée se resserre sur le poignard que je tiens dissimulé. Je suis prostrée dans un coin quand il arrive. Je l'entends hoqueter. Il faut dire que c'est un vrai carnage. Les trois sabres que j'avais plantés dans son torse ont laissé échapper une quantité de sang faramineuse, créant une véritable flaque à mes pieds.
— Putain...
Ouais, comme il dit. Le Sentimental s'approche à pas mesurés.
— C'est toi qui a fait ça ?
Je tressaute les épaules, les genoux repliés contre ma poitrine et mes cheveux blanc tombant en cascade sur mon visage pour le dissimuler. Je contracte tous mes muscles pour forcer mon corps à trembler. Aaron n'ose s'approcher.
— Il... il voulait...
Je ne finis pas ma phrase et fais mine de suffoquer.
— Ok, ok... marmonne-t-il, en restant tout de même à distance. Je vais appeler ton père !
Je me crispe. Non ! Surtout pas !
— Je crois... que je suis blessée, gémis-je en me tenant les côtes.
Aaron jure et en quelques pas, se retrouve accroupi à côté de moi. Sa main vient attraper mon coude pour que je lui montre ma soi-disant blessure. Je n'attends pas plus longtemps. Mon bras se détend comme un ressors. La puissance me permet de percer sa résistance et mon couteau s'enfonce dans son cou. Ses yeux s'écarquillent de stupeur et il laisse échapper le téléphone qui s'échoue au sol. Sans le lâcher des yeux, je retire mon arme d'un geste vif. Le sang coule en bouillon. Le Sentimental s'effondre, les deux mains sur la gorge. Les sonneries du téléphone me tire de ma contemplation insipide. Merde...
De ma main propre, je saisis le portable et quitte la pièce. Je doute qu'Aaron aille bien loin... Je m'appuie contre le mur en gardant un œil sur son agonie. Paniquée, Aimazilia, tu es paniquée, souviens-toi. Mon père décroche au bout d'une dizaine de secondes.
— Aaron ?
Je prends une profonde inspiration saccadée et fais mine d'essuyer des sanglots.
— Papa ? murmuré-je, la voix rauque.
Un silence est marqué à l'autre bout du fil. J'en profite pour parfaire mes pleurs. La poitrine du Sentimental se soulève encore à quelques mètres.
— Aimazilia ? demande-t-il au bout de quelques secondes. Qu'est-ce qui se passe ? Où est Aaron ?
La peur que mon paternel tente de dissimuler me parvient clairement. Mon cœur ne s'emballe même plus. Même si j'ai bien compris qu'elle ne m'était pas destinée. Elle ne m'a jamais été destinée. Je feins de nouvelles larmes, accompagnées d'un souffle paniquée.
— Il... il nous a attaqué... J'ai... rien pu faire ! 'Etait si rapide, si puissant !
— Aimazilia, j'ai besoin que tu te reprennes ! Tu es blessée ?
Mon stupide cœur ne peut cette fois s'empêcher d'accélérer. Je chasse l'espoir arrivant au galop. Concentre-toi sur ta comédie !
— Non... Mais Aaron et l'autre... Ils...
L'un n'est pas encore mort, mais ne devrait pas tarder et le deuxième est bien froid.
— Ne bouge pas, je t'envoie quelqu'un ! me coupe-t-il fermement. Tu es en sécurité ?
Avec des cadavres, je pense que oui. Ma respiration s'emballe à nouveau et je laisse échapper un gémissement de peur.
— Je... ne sais pas... Papa...
Je fais mine de m'étouffer sous la panique.
— Ok, ne panique pas et surtout tu ne bouges pas, compris ?
Il attend mon acquiescement plus ou moins audible pour raccrocher. Je cesse aussitôt mes sanglots. Presque au même moment, le corps d'Aaron s'immobilise entièrement. C'est pas trop tôt. Je m'étire un instant et me dirige à pas lent vers la scène de crime. J'avise les deux corps et soupire. Si j'ai échappé à la corvée de pelle, il va falloir arranger un peu ça.
Je ne peux pas déplacer les corps car cela se verra dans les trainées de sang. On va devoir composer avec ce qu'on a. Je pose minutieusement mon petit couteau à côté de la main de Mathieu. Heureusement que j'ai toujours des gants sur moi. Puis, je saisis une fiole du sang d'Alex dans ma table de nuit et me penche au-dessus du corps de l'homme, en prenant garde à ne pas marcher dans le sang. Si mon père voit les blessures sur son torse, il devinera sans mal que ce n'est pas le mini-poignard qui en est responsable et mes sabres sont couverts de mes empreintes. Je laisse le pouvoir du Double monter en moi et referme avec application les plaies pour qu'elles correspondent à peu près à la taille de l'arme blanche. Je doute que mon géniteur aille chercher plus loin. Heureusement, ça correspond à des zones où des artères passent, la quantité de sang au sol ne sera donc pas suspecte. J'ouvre ma trousse de secours et en sort une seringue ainsi que de l'extrait d'azalée en fleur liquide. Mathieu a écrit la fin de son histoire. Je n'ai que certains mots à remplacer pour coller à ma version.
Je ferme les yeux et visualise une scène de combat imaginaire. Aaron débarque en m'entendant hurler. Il trouve Matthieu à deux doigts de m'égorger contre la penderie ce qui explique les vêtements éparpillés hors de celle-ci. Ils se battent, je me réfugie le long de celle-ci, réussit à atteindre mon sac à main échoué près de mon lit et attrape ma seringue. Après un échange d'une violence telle que j'en ai rarement vue, Mathieu réussit à attendre Aaron à la gorge. Je profite de son inattention pour lui planter mon aiguille au niveau de la clavicule. Aaron s'effondre le long de la penderie alors que Mathieu titube un instant avant de faire de même. Je me précipite vers mon allié et tente d'endiguer l'hémorragie d'où le sang sur mes mains.
Je hoche la tête, convaincue par ma version. Je saisis ma seringue, m'approche à nouveau du corps de Mathieu en contournant la flaque de sang et lui plante ma seringue dans le cou. J'injecte mon produit en partie et jette la seringue au sol avant de marcher dessus. Le craquement résonne dans toute la chambre jusque-là bien silencieuse.
Un autre détail ; j'ôte mon gant et m'approche du cadavre d'Aaron. Je colle ma main propre sur son cou plein de sang encore chaud. Je ne fixe pas son visage et me détourne une fois mes empreintes bien placées et mes doigts aussi poisseux que les autres. J'observe une dernière fois mon travail, puis hoche la tête satisfaite. Je tourne les talons et me recroqueville comme une âme en peine dans le coin de la chambre, près du corps du Sentimental.
Il est trop tard pour toi. Les paroles de Mathieu résonne encore dans mon esprit. Peut-être pas pour devenir actrice. Ou scénariste. Je pense que j'y ai de l'avenir.
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