
Chapitre 32 : Manipulé
Cameron
Le bar-café est bondé de monde. Je slalome avec précaution entre les gens qui me frôlent pour atteindre le coin commande, réprimant mes suées froides. Je déteste les corps vivants. Par réflexe, je renfonce mon bonnet sur ma tête. Quelques mèches blondes rebelles dépassent du tissu noir. Une femme pressée me bouscule et ma hanche blessée heurte un coin de table. Je retiens une grimace face au vil élancement. Pitié, faites que ça n'est pas cassé la maigre croûte qui réussit à se former.
— Un thé à la menthe, s'il vous plaît, lancé-je au barman quand j'atteins enfin le bar.
J'ignore sa perplexité et m'accoude pour observer l'entièreté de pièce. Mes doigts tapotent frénétiquement le bois. Le contact discontinu me permet de me concentrer pour que mon regard ne change pas. J'ai beau l'avoir rendu moins surnaturel en transformant mon gris et noir en bleu et vert, il reste asymétrique malgré l'arpazo de Caleb. Aussi instable que mes dons et mes émotions.
— Un thé à la menthe ? C'est la boisson que prend l'assassin le plus recherché de cette Terre ?
Je fixe le nouveau venu avec nonchalance tandis qu'il commande à son tour un café. Il n'a pas changé d'un iota depuis la dernière fois que je l'ai vu il y a quatre ans. Toujours les mêmes cheveux poivre et sel, les mêmes yeux aussi clair qu'un ciel morose qui contraste avec l'obscurité qui y habite. Si je ne le savais pas père de deux enfants, je lui donnerais à peine trente ans. Une fois sa boisson arrivée, il me désigne une table au milieu du bar. Je lui emboite le pas, mon thé brûlant entre les doigts. Mon téléphone vibre dans ma poche au moment où je m'assieds, je le sors juste assez pour lire le message. « Deux Alementas. Un à ta droite et un derrière toi ». Parfait. Je ne réponds rien, pas plus que je ne lance de regard à Lyanna assise derrière un ordinateur dans la partie cyber. Voilà pourquoi je l'ai emmenée. Je divise donc mon attention entre l'homme face à moi et les tables à ma droite et dans mon dos.
— Le thé calme mes pulsions meurtrières, lâché-je, mine de rien.
Un rictus se dessine sur les lèvres de mon interlocuteur.
— Je penserai à t'en envoyer un paquet avant notre prochaine entrevue.
Je ne réponds pas et tourne ma cuillère dans ma tasse. Je ne suis pas fou au point de boire un thé que je ne me suis pas préparé moi-même, mais j'en aime l'odeur, elle m'apaise. Et vu la discussion à venir, je vais avoir besoin de tout le calme dont je dispose.
— Qu'est-ce que tu deviens, toi sinon ? Les affaires marchent toujours autant ?
— Mieux que les tiennes visiblement, rétorqué-je, ôtant le sachet de ma tasse. Toujours pas le maître du monde ?
— Tout vient à point à qui s'est attendre.
J'esquisse une moue légèrement narquoise puis laisse le silence s'installer durant lequel je prends le temps de le détaille de plus près. S'il ne semble pas avoir vieilli, je m'attendais à voir son visage marqué par autre chose. Le manque de sommeil, le chagrin, le désespoir, la colère. Mais rien de tout cela ne tire ses traits. Il semble tendu, oui, mais pour quelqu'un qui vient de perdre un enfant, je le trouve plutôt serein.
— Comment va ta fille ?
— Bien. Elle te salue d'ailleurs.
Je renifle, dubitatif. J'en doute... Si je m'entendais bien avec Dante, sa sœur était une autre histoire. Je n'ai jamais fait aucune remarque sur les disparités que Jon' a établi entre ces deux enfants, car j'en ai à peu près rien à foutre. Mais je sais reconnaître un amalgame de colère quand j'envoie un. Aimazilia, Lysana ou peu importe comment elle veut qu'on l'appelle, est un concentré de rage et de douleur. Il n'y a qu'à voir comment elle regarde son frère et son père pour savoir qu'un jour, elle finira par craquer. J'imagine que nous étions trop similaire et en même temps trop différents pour nous entendre. Notre relation n'était que piquant, sarcasmes. Et heures perdues dans les draps l'un de l'autre également. Je pince les lèvres lorsque des images s'infiltrent vicieusement dans mon esprit. De belles parenthèses à présent refermées.
— Je doute que tu m'es convié ici pour le plaisir de ma compagnie, Cameron, et je ne pense que ni toi ni moi n'avons de temps à perdre, alors parle, je te prie.
Toujours aussi but en blanc également. Je prends mon temps pour diluer le carré de sucre dans ma boisson avant de répondre. J'ai longuement réfléchi à comment lui présenter ça. Il me connaît depuis longtemps et a très bien deviné lorsque je lui ai proposé cette rencontre que j'avais besoin de quelque chose. Mais hors de question de lui annoncer ainsi.
— J'ai des informations qui pourrait t'intéresser, avancé-je en me redressant.
— Ah oui ? Qu'est-ce qui te fait dire que je ne les ai pas déjà ? Mon service d'informations s'est grandement étendu depuis ton départ.
Un sourire en coin s'épanouit sur ma bouche alors que je hausse un sourcil dubitatif à son attention. J'étais le meilleur de beaucoup de ses services et je sais qu'à mon départ, les actions de Jon' se sont amoindries aussi bien en nombre qu'en importance. Cela dit, il a recruté pas mal de jeunes Alementas isolés, pleins de colère et de haine comme j'ai pu l'être adolescent. Mais les années de survie dans la rue et mon passé dans les camps m'avaient donné un esprit de recul, d'indépendance et de méfiance qu'ils n'ont pas. Ainsi, il est facile de les entuber en leur promettant vengeance et sang. Je fixe l'homme face à moi. Je me suis toujours demandé comment un homme aussi acerbe a pu élevé un fils tel que Dante. Leur mère étant morte à leur naissance, ses deux enfants n'ont eu que lui comme modèle. Je secoue la tête. Après tout, mes parents étaient la définition même de la justesse et de la tendresse. Notre éducation nous forme, notre histoire nous définit.
— Parce que si tu le savais, tu aurais déjà attaqué un camp.
Un lueur d'intérêt s'allume dans les yeux de l'homme face à moi. Il se redresse imperceptiblement et boit une gorgée de son café dont l'odeur me fait froncer les narines.
— Et que veux-tu en échange ?
Nous y voilà donc.
— Ton aide, celle de ton groupe, pour libérer une des nôtres prisonnière de l'un d'eux.
Il hausse un sourcil. Le bar continue de s'animer autour de nous alors que le destin de Lana se joue. S'il refuse, elle devra se débrouiller seule pour sortir de ce camp. Autant dire qu'elle y restera jusqu'à la fin de ses jours.
— Lana, c'est ça ?
Je garde une expression impassible. Peut-être que son réseau d'information s'est bel et bien étendu. Il prend mon silence pour un aveu car son regard clair me détaille avec attention.
— Pourquoi te donner tant de mal pour elle ? Y a-t-il quelque chose que je devrais savoir ? plaisante-t-il d'un ton paternel, l'œil brillant. Un heureux évènement prochain ?
Je ne relève pas. Il fut un temps où je pensais voir en lui un père adoptif qui me comprenait. C'était avant qu'il ne tente de m'implanter une azalée dans la nuque pour pouvoir me contrôler. Je me penche vers lui, les coudes appuyés sur la table. L'homme à ma droite tourne la tête vers nous et j'entends un raclement de chaise dans mon dos. Je sens mes yeux se modifier, mon obscurité s'agiter dans mon ventre. Il ne trésaille pas, mais je vois dans son regard redevenir sérieux à son tour. D'un mouvement, il ordonne à ses sbires de se calmer.
— Tu es intéressé, oui ou non ? rétorqué-je, la voix glaciale.
— Ça dépend. En quoi consiste réellement ces informations ?
Je marque un temps d'arrêt pour détailler son expression. Je le sens à nouveau concentré, pas fermé à la discussion.
— J'ai un moyen de rentrer dans les camps et les centres du FSG.
Jon' arque un sourcil. Je plisse légèrement les yeux. Il a à peine réagi à la mention du FSG alors qu'ils viennent d'assassiner son fils. Quelque chose ne colle pas. Cet homme serait prêt à mettre le monde à feu et à sang pour se venger du Conseil et je ne le crois pas égocentrique au point d'occulter la mort de son fils pour se concentrer uniquement sur son objectif initial. Quelque chose ne tourne pas rond.
— Et que veux-tu exactement en échange ?
— Ton appui militaire pour rentrer dans un des camps, certainement l'Occidental et...
— L'Occidental a toute une armée à sa disposition, me coupe-t-il. Même réuni, je ne suis pas sûr que nous fassions le poids.
Je croise les bras sur ma poitrine en me reculant dans mon dossier.
— Avec un bon plan, nous ferons le poids, lui assuré-je. Et je veux également la coopération de Matt pour une action.
— Tu veux joindre Lana, c'est ça ? devine l'homme. Tu as conscience qu'il y a de grandes chances qu'elle soit sous azalée et donc inconsciente ? Et si c'est le cas, Matt ne pourra pas la joindre. C'est une Double de ton côté qui plus est, ils ne la laisseront pas galvauder dans le camp.
— Son apparence était modifiée quand elle s'est faite prendre, j'ai bon espoir qu'ils n'aient pas perçu l'arpazo.
Jon' fait la moue, visiblement peu convaincu. Je n'argumente pas plus. Le reste ne le regarde en rien et n'influera pas sur sa prise de décision. Je remue les épaules comme pour les délier. La transpiration rend mon vêtement collant et une douleur commence à poindre dans le bas de mon crâne.
— Je veux ajouter deux conditions au deal.
Je me retiens de lui rétorquer que nous ne sommes pas au marché, qu'il n'ajoute pas des fruits dans sa corbeille sans augmenter le prix, et serre les dents. C'est moi qui lui demande son aide en soi. Je peux au moins entendre sa requête.
— Je veux que tu retrouve la Aidia.
Je fronce les sourcils. Plus que la requête, c'est l'ajout du premier i qui m'interpelle. Seul ceux la craignant l'ajoute à son nom pour lui donner sa signification pleine. Dégoût, monstrueux. Jon' ne l'a jamais prononcé. Qu'est-ce qui a changé ?
— Pourquoi ?
Sa pomme d'Adam tressaute sur sa gorge malgré l'impassibilité de son expression.
— Elle m'a volé quelque chose auquel je tiens énormément.
Je laisse échapper un rire froid.
— Désolé, mais je ne suis pas huissier. Envoie un de tes pigeons.
— Ils ne sont pas assez puissants, tu le sais. Et personne n'arrive à la localiser.
Je le fixe avec attention en m'accoudant à nouveau sur la table. Des taches noirs commencent à danser devant mes yeux, mais je les ignore. Tous les muscles de Jon sont tendus comme des arcs, son index tapote doucement contre sa tasse de café, geste qu'il ne faisait pas lorsque nous parlions de Lana.
— Elle t'a volé quoi exactement ?
Sa mâchoire tressaute.
— Ça ne te regarde pas.
Je marque un temps de réflexion. Je respecte énormément le talent et il serait mentir en affirmant que la Adia en ai dépourvu. Mais j'ai également quelques comptes à régler avec elle. L'image du visage sans vie d'Enzo s'invite sur ma rétine le temps d'une seconde. Elle a tué Enzo, essayé d'effrayer ou de capturer Lana pour quelqu'un. Et on sait que cette personne est certainement celle ayant piégé Dante et prévu la mort de la mère de Lana pour la monter contre le Conseil des Anciens. Je redresse soudain la tête et observe l'homme face à moi.
— Mettons que j'accepte. Quelle serait ta deuxième condition ?
Jon pince les lèvres.
— Je veux que Lana rejoigne mon groupe.
Bingo. Mes yeux me brûlent, je sens l'arpazo de Caleb fléchir face à la rage qui m'envahit. L'homme esquisse un mouvement de recul devant l'assombrissement de mon regard, de mon expression.
— Qu'est-ce que la Adia t'a dérobé ? répété-je, plus froid que jamais.
— Je t'ai dit que ça ne te regarde pas.
Je hoche la tête, un petit sourire sans joie sur les lèvres.
— Lana n'est pas une monnaie d'échange. Elle est libre de faire ce qui lui chante, je réponds, d'une voix rauque. Mais pour ta gouverne, je ne suis pas sûr qu'elle accepte la proposition venant de celui qui a tué sa mère.
Il tressaille. J'ignore les mouvements des deux Alementas autour de moi. Je sais que tant que je ne me montrerai pas menaçant, ils n'agiront pas. Le fief de Jon' est bien trop près pour qu'ils prennent le risque d'attirer la police dessus. Je recule une nouvelle fois mon dos contre la banquette.
— Je me demande comment je n'ai pas pu faire le lien avant. La Adia qui tue des Alementas isolés, ton armée qui s'agrandit d'enfants paumés et en quête de vengeance. C'est du beau boulot, félicitations.
Jon se crispe, mais répète le signe de ne pas bouger aux deux Alementas à côté de moi.
— Je n'ai pas fait assassinée la mère de Lana. C'était en projet, je ne vais pas mentir, mais ce n'est pas moi. J'ai juste envoyé la Aidia récupérer Lana, elle a échoué, fin de l'histoire. Je ne m'en suis plus occupé, j'avais d'autres chats à fouetter.
Je le sonde un instant. Si je le sais parfaitement capable de tuer – il n'a d'ailleurs pas nié la partie générale de mes accusations – je le vois néanmoins mal mettre son fils en danger pour cela. Et s'il l'avait fait puis perdu le contrôle de la situation, je pense que la culpabilité le rongerait.
— Je ne me répéterais pas et si tu veux mon aide avec la Adia, je te conseille de jouer carte sur table... Qu'est-ce qu'elle t'a volé ?
Il déglutit, serre les poings. Je le laisse se débattre avec ses pensées et saisis ma tasse pour me réchauffer les mains. Je camoufle mes tremblements en contractant l'ensemble de mes muscles. J'ai l'impression d'être glacé. Foutue fièvre...
— Alighieri, lâche-t-il dans un souffle.
Je fronce les sourcils, mes mains serrent autour de ma tasse. Dante ? La Adia lui a pris Dante ?
— Nous nous sommes affrontés après qu'elle est échouée. Elle ne m'a rendu que son bracelet de cheville et a menacé de le tuer si je ne la laissais pas partir.
Je me compose un visage neutre. C'est quoi ce délire encore ? Dante a été capturé par le FSG, le Conseil l'a déclaré mort sur ses listes funèbres. Il ne peut pas être aux mains de la Adia. Ce n'est pas possible.
— Une demande de rançon ? Ou quelque chose dans ce goût-là ?
— Non, rien...
Pour la première fois, je vois l'angoisse se peindre sur le visage de Jon' Fitzer. Le leader venimeux laisse place au père inquiet. Je soupire. Pourquoi c'est toujours sur moi qu'on déverse ses états d'âmes... Ai-je l'air à ce point affable pour que les gens pensent que j'ai une épaule sur laquelle ils peuvent pleurer ?
— Dante est mort, annoncé-je sans pincette. Il a été tué par le FSG. La Adia t'a menti.
Le fier chef de résistance blêmit.
— Non, tu te trompes.
Je hausse les épaules.
— J'aurais préféré.
Je vais lui passer la partie dans laquelle je lui apprends que son fils l'a trahi en aidant des Alementas à lui échapper et en travaillant avec Lyanna pour leur redonner une vie. Je pense qu'il vaut mieux garder ça pour une autre fois. Ses bras tremblent et il ferme très fort les yeux pour ne pas s'effondrer.
— Tu as une preuve ?
— Lana l'a vu s'écrouler, il a donné ses dernières forces pour la sauver du FSG. Lorsque nous avons eu l'immense chance de rentrer dans le camp Septentrional, nous avons trouvé une liste de tous les Alementas en vie. Dante était noté décédé. Personne ne pouvait savoir que l'on pénétrerait le camp et encore moins cette pièce, alors personne n'avait d'intérêt à y mentir. Maintenant, la question est de savoir qui est le commanditaire de la Aidia ou si elle agit seule.
Je me redresse. Cette rencontre prend une tournure bien plus intéressante que prévue. Jon' avait envoyé la Aidia la chercher, elle a échoué parce que je suis arrivée. Mais il semblerait qu'elle ait un deuxième commanditaire qui lui a ordonné la mort de Ashley et de monter le piège contre Dante.
— Qui envoies-tu en premier lorsque tu as une mission ?
Le visage du chef est blanc, presque crayeux. Il essaie de faire bonne figure vis-à-vis des Alementas assis à côté, mais le tremblement de sa lèvre ne trompe personne.
— Tout dépend de la mission. Si il y a besoin d'un assassinat, toujours la Aidia. Sinon, Dante.
J'acquiesce, le cerveau tournant à plein régime.
— Donc si Dante avait été là, c'est lui qui aurait récupéré Lana, je me trompe ?
Il secoue la tête. La disparition de Dante a donc laissé la place libre à la Adia pour Lana. Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi la mercenaire s'est donné la peine de retourner au près de Jon' alors qu'elle l'avait trahi. Elle devait le connaître si elle travaillait avec lui et deviner qu'il tenterait de la tuer. C'est comme si elle souhaitait lui annoncer personnellement. Elle ne m'a rendu que son bracelet de cheville et a menacé de le tuer si je ne la laissais pas partir. Une simple ruse pour pour pouvoir s'enfuir ? Cela expliquerait pourquoi elle n'a pas demandé de rançon, mais à ce moment-là, pourquoi s'être pointé chez lui à part pour risquer sa vie ? Un moyen de faire pression sur Jon' ? Non, cela fait trop longtemps sans nouvelles. Les ravisseurs n'attendent pas qu'on les retrouve avant de balancer leurs conditions. Je contemple les traits tendus au possible de l'homme endeuillé face à moi et une troisième possibilité m'apparaît. Un moyen de le blesser ? S'échapper en lui faisant croire qu'elle a son fils puis disparaître des radars en le laissant mariner, sombrer dans l'angoisse. Particulièrement cruel. Plus je le fixe, plus je suis certain qu'il s'agit de cela. Il y avait deux cibles à cette manipulation des plus brillantes : Lana et Jonathan.
Qui peut lui en vouloir au point de... Je rouvre les yeux d'un coup. Bien sûr... Comment ai-je pu être aussi aveugle alors que je disais la savoir prête à exploser. Ce talent au combat, le fait qu'elle connaisse certaines de mes parades. J'inspire profondément. Je ne l'ai pas vu parce que je ne voulais pas le voir. Parce que cela m'emmerdait. On va avoir un petite discussion, toi et moi, Azi...
— Je vais chercher la Adia, affirmé-je sans hésitation. J'ai également quelques questions à lui poser.
Deux minutes plus tôt, cette annonce aurait certainement soulagé Jon. Mais à présent, son regard semble éteint. Il lui faudra un petit peu de temps pour réanimer sa colère et vouloir venger son fils. Nous n'avons pas ce temps.
— Mais Lana n'est pas une monnaie d'échange, poursuivis-je. L'aide de Matt et celle de ton groupe lorsque nous rentrons dans un camp contre mes informations et mon aide contre la Adia. C'est ma dernière offre.
L'homme avec qui j'ai travaillé des années me regarde un instant, les yeux épuisés, avant d'acquiescer dans un soupir. Je refrène un sourire victorieux et me lève avec précaution. Ma hanche me lance. Le monde tourne. Je me rattrape à la table d'un geste que j'espère sûr.
— Toutes mes condoléances pour Dante, lâché-je avant de partir, cachant mes tremblements en contractant tous mes muscles.
Je rejoins ma voiture. Lyanna devrait m'y retrouver une vingtaine de minutes plus tard. Je passe une main sur mon front pour éponger la sueur, en saisissant un arpazo d'Alex que j'avale avec difficulté. J'appuie mon visage contre le volant frais et ferme les paupières. J'ignore ce qui me donne plus mal à la tête : constater la trahison d'une des personnes auxquelles je tenais le plus ou la maladie qui a décidé de me pourrir la vie. Je sursaute lorsque la portière claque. Mon revolver trouve ma paume et une seconde plus tard, le canon est pointé sur la personne. Lyanna lève les mains en l'air. Je repose mon arme dans un geste lasse.
— Je conduis, décrète-t-elle.
Je ne cherche même pas à discuter. Provoquer un accident ne sauvera pas Lana et ne vengera pas Dante et Enzo. J'échange de place avec la blonde. Elle fronce les sourcils en s'asseyant, marque un temps de pause et saisis ma main d'un geste vif. Je me dégage aussi sec.
— Cameron, tu es brûlant, je ne sais pas ce qui se passe, mais il faut que tu te reposes. Tu risques de te tuer si tu continue comme ça ! Ou de te faire tuer ! Regardes, j'ai réussi à te surprendre par deux fois.
Je me masse les yeux. Les migraines sont en train de s'évanouir, chassée par l'énergie d'Alex.
— Démarre, dis-je simplement, la voix rauque.
Lyanna souffle, mais comprend à mon expression tirée qu'il vaut mieux ne pas insister car le moteur se met en marche. Lorsque nous passons devant le bar-café, Jonathan est assis sur les marches en pierres à l'entrée et fixe le ciel. Je ne l'ai jamais vu aussi démuni. Les deux Alementas l'accompagnant ne sont pas là. Je jette un œil dans le rétroviseur. Une voiture nous suit de près. Un rictus lasse s'installe sur mes lèvres. Petits malins.
— Accélère, lâché-je alors que Lyanna ralentit pour s'arrêter au feu qui devient orange.
— Quoi ? s'étrangle-t-elle.
— Lyanna, passe maintenant !
Elle doit écraser l'accélérateur car la voiture fait littéralement un bond en avant et traverse le carrefour. Les klaxons nous injurient de chaque côté, la blonde s'excuse d'un geste et poursuit sa route.
— T'es un grand malade !
— Nous étions suivis.
— Je me doute que nous étions suivis, je ne suis pas stupide, mais il n'empêche que tu es un grand malade.
C'est le cas de le dire malheureusement... Je hausse les épaules et laisse le silence s'emparer de l'habitacle. L'arpazo d'Alex a enfin fini son travail et je prie pour que l'effet dure un petit temps. Alors que nous sortons de la ville, seuls cette fois, je soupire. Il faut que je lui explique. De tous les trous du cul qui nous accompagnent, Lyanna est celle en qui j'ai le plus confiance.
— Je suis hémophile. Avec les arpazos d'Alex, je m'en suis sorti jusque-là, mais en ce moment, j'en perds le contrôle.
Lyanna me jette un rapide coup d'œil puis se reconcentre sur la route.
— Pourquoi tu ne demandes pas directement à Alex ?
— Parce qu'il ne pourra rien faire de plus que ses arpazos. C'est une maladie génétique.
Et parce que moins de personnes sont au courant, plus je suis en sécurité. Il s'agit d'une faiblesse qui peut s'avérer mortelle très rapidement. Ça et mon intolérance à l'azalée. Les gens pensent que je suis devenu le meilleur combattant pour mon métier d'assassin. C'est faux. Je suis devenu le meilleur, car si je ne le suis pas, je serai le premier à mourir.
— Jon a accepté notre offre. Nous allons libérer Lana.
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