Chapitre 3 : Illusion
Cette dernière soutient son regard sans rien dire comme pour l'inviter à poursuivre son raisonnement. Mon dos vient s'appuyer contre un arbre et je sors une cigarette. Je sens que ça va être long. Long mais intéressant. Alors que les premières fumées s'échappent d'entre mes lèvres, je fixe la rousse, attentif.
— Le mec qui a prononcé ton exécution, poursuit-elle. Il a évoqué la Luftwaffe, une occupation et a dit, je cite, la flamme de notre résistance ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas ? Je suis la seule à trouver bizarre qu'un gars enfermé dans un camp paumé au milieu de la forêt depuis sa naissance cite le général de Gaulle aussi fidèlement ? Ne me fait pas croire qu'il est juste féru d'histoire.
Lana se redresse pour observer les alentours. J'entends les rouages de son cerveau tourner à plein régime alors que j'essaie de voir où elle veut en venir.
— Et puis ce message venant du Conseil qui évoque Oradour, un village martyr de la seconde guerre mondiale, où des gens ont été brûlés vifs dans une église. Etrangement, l'opération nommée Oradour vise à cramer le camp avec tous les Alementas à l'intérieur ? Ca fait quand même pas mal de coïncidences, non ? Sans même parler de l'aspect des bâtiments et du style vestimentaire des gens. On les croirait sortis d'un autre siècle, conclut-Lana, sans lâcher Lyanna du regard. Alors quoi ? Ils ont créé une bulle temporelle et ils sont convaincus d'être encore en 1945 ?
Ce n'est pas con ce qu'elle dit... C'est même très long d'être con. Beaucoup de petits détails insignifiants de prime abord comme des notes de musique séparées qui ensemble forment une mélodie. Je fixe l'Alementa du Vent à la recherche d'un indice sur son visage. Elle ne dit rien. De toute manière, elle ne peut rien dire à cause du silence. Mais quelque chose dans ses yeux, dans son expression, m'indique que nous sommes sur la bonne voie. Les pièces du puzzle tournent et retournent dans mon esprit. Je suis loin d'être aussi calé en histoire que Lana, mais ces propos ne me semblent pas dénués de sens. Un mot s'impose alors comme un évidence dans mon esprit. Mot qui a toujours renfermé un tel mystère obscure et sans fond que j'ai fini par le laisser de côté. L'Illumarque...
— Pas une bulle temporelle, non... Une illusion, soufflé-je. Et c'est l'Illumarque qui en pose les limites. Ca serait logique. Si les Alementas sont convaincus être toujours sous occupation nazie et que les Anciens sont de grands chefs de la Résistance qui œuvrent pour les libérer, tu m'étonnes qu'ils n'essaient pas de sortir.
Pas peu fiers de nos déductions, Lana et moi tournons nos regards vers Lyanna pour une confirmation muette. Ses lèvres se pincent et si elle ne nous confirme rien, son visage ne cherche pas non plus à démentir quoi que se soit. C'est donc ça le secret des camps que le Conseil protège plus que tout. Je passe une main dans mes cheveux en dégradé en jurant à voix basse. C'est du génie.
— Cela explique tout, putain, murmure Lana. Ses connaissances, son intérêt pour cette période ! Son insistance pour que je fasse cet exposé d'histoire sur Enigma ! Et puis cette putain de phrase... Cette phrase que ma mère me répétait comme une prière désespérée chaque fois que je l'interrogeais sur les camps ou sur son passé. Je l'ai même déjà entendu la marmonner dans ses cauchemars. Nous ne sommes pas en guerre, disait-elle. Nous ne sommes pas en guerre...
Elle recule de plusieurs pas, visiblement ébranlée. Son souffle est court. Elle passe à son tour la main dans ses cheveux avant de soupirer. Ses yeux brillent d'une émotion que je ne saurais nommer. Un sourire en coin se dessine sur mes lèvres devant la satisfaction de cette nouvelle victoire sur les Anciens. Petite certes. Mais ce sont des petits pas qui mène à la victoire.
— Et bien génial... Entre le Conseil qui réécrit l'histoire à sa sauce, des gamins qui essaient de me tuer, des Alementas qui nous cassent les couilles, la mort de Dante et vous qui êtes liées, on peut dire que ces derniers jours ont été mouvementés...
— Attendez, pause ! m'interrompt Lyanna. Comment ça liée physiquement ?
Aussitôt, Lana me lance un regard tel que si ses yeux avaient été des armes à feux, je serais mort sur le coup. Je porte la main à mon cœur et mime une grimace blessée. Il fallait bien aborder le sujet à un moment ou à un autre de toute manière. Y aller avec des pincettes nous auraient fait perdre un temps précieux. Et ça m'aurait privé de la délicieuse incompréhension que je lis sur le visage de Lyanna. Je fais alors signe à Lana de se démerder et sors une nouvelle cigarette que j'allume. Elle marmonne des propos intelligibles dont je ne saisis que les insultes auxquelles je réponds par un sourire goguenard. Oh je suis touché...
— Il semblerait que lorsque tu as failli passer l'arme à gauche, tes blessures se soient répercutées sur moi pour mon plus grand plaisir, marmonne la rouquine.
Elle lui narre rapidement sa vision et le coup de poignard qu'elle s'est pris sans approcher un quelconque couteau. Le visage de Lyanna achève de perdre toutes ses couleurs et devient presque aussi blanc que ses cheveux ce qui n'est pas mince affaire. J'expire une bouffée de fumée vers le haut. Les petites volutes s'échappent entre les feuilles de l'arbres.
— C'est quoi ce délire... murmure-t-elle. Vous êtes sûre de vous ? Tu n'as pas eu une vision à cause de ton deuxième don et une blessure due à un combat ?
Lana jauge un instant Lyanna du regard avant de tourner doucement le regard vers moi. Elle hésite à dévoiler son second don. J'hausse les épaules en tirant une nouvelle taffe. Elle fait ce qu'elle veut, ce n'est pas mon problème.
— On a trouvé...
Je porte ma main ne tenant pas ma clope à ma gorge, toussant comme si je m'étouffais. Si l'Alementa du Vent me regarde de travers, Lana roule les yeux, agacée.
— Cameron pense avoir trouvé mon deuxième don. Il consisterait à sentir la mort, lâche-t-elle avec presque dégoût.
Ce que je peux comprendre. Jusque-là son Alementa lui a valu diverses malaises, des migraines à couper au couteau et des blessures pas forcément agréables, mais ne lui a pas permis de sauver les personnes qu'elle aimait ni de prévoir la mort de Dante.
— D'accord... et comment ça marche ? bredouille Lyanna ne sachant visiblement pas quoi dire.
— Aucune idée. C'est d'ailleurs la mauvaise nouvelle de cette affaire.
— Car tu vois une bonne nouvelle, toi ? s'énerve la rousse.
Je me retiens de soupirer, exaspéré, et récupère ma cigarette. Pourquoi toujours voir le verre à moitié vide lorsque l'on peut regarder celui à moitié à plein ? La moitié est juste plus ou moins grande, c'est tout.
— On sait comment interrompre les connexions si ça venait à se reproduire. Elle viendrait de ton don donc un coup d'azalée et on y met fin.
— Magnifique... Et après elle est sans défense ? ironise la chieuse de service.
Je lève les yeux au ciel. C'est dingue quand même de toujours critiquer les solutions que l'on offre comme ça. La jeunesse, décidément, c'est plus ce que c'était... Je décide néanmoins d'interrompre ses jérémiades d'un geste de main agacé. Geste qui a pour conséquence de faire tomber en cendre la moitié de ma clope en plus.
— Oh arrête, Lyanna, je t'en prie. Arrête de toujours vouloir défendre la veuve et l'orphelin. Sans mauvais jeu de mots, bien sûr, ajouté-je à l'intention de Lana, un sourire qui sous-entend exactement le contraire.
Lyanna ouvre la bouche puis la referme visiblement décontenancée. La rousse me fusille du regard et je vois ses poings se serrer. Un voile noir se superpose à ma vision, déclenchant un éclair de douleur fulgurant. Les ombres tressaillent autour de l'Alementa du feu. Je secoue la tête pour chasser cette danse de volute abyssale.
— Cameron ! siffle Lyanna.
Mon regard ne quitte pas Lana qui ne réagit pas plus que ça. Elle intériorise sa colère, je le vois et les ombres se rassasient de ses émotions offertes en pâture. Je ressaisis la réalité au vol, pour me débarrasser définitivement de cette vision. Le sourire que j'offre à Lyanna est étincelant.
— Quoi ? Je suis sûre que Lana est arrivé à la même conclusion que moi. Tu ne seras jamais réellement sans défense, n'est-ce pas ? l'interrogé-je, en parfaite connaissance de la réponse.
Ses mâchoires grincent et je sens qu'elle me maudit sur six générations. Un nouveau sourire narquois s'étale sur mes lèvres, pas peu fier de moi. C'est quoi ces gens qui pensent que des détails peuvent m'échapper ?
— Je ne suis pas sensible à l'azalée, avoue à demi-mot Lanaya.
— Quoi ? Mais bien sûr que si, j'en ai été témoin !
— Cela réagit seulement au début. Ma mère me fait ingurgiter de l'azalée depuis que j'ai dix ans. Mon corps y est plus qu'habitué, alors elle a peu d'emprise sur moi. Je brise sa camisole assez facilement. Mais sinon, j'ai une théorie quant à l'origine de notre liaison soudaine.
Je souffle à nouveau, la fumée dansant devant mes yeux l'espace de quelques secondes. J'arque un sourcil, stupéfait. Pour le coup, je n'ai pas eu le temps d'y réfléchir, alors je lui suis toute ouïe.
— J'ai fait la liste des personne décédées dont j'ai eu le privilège de sentir les derniers moments ces derniers jours. Et mise à part que la liste commence à être longue, j'ai pu au moins noté que ça n'avait sans doute aucun lien avec ma connaissance ou non de la personne. Mais en revanche, je ne mettrais pas ma main à couper que notre petit séance de magie pour trouver mon don n'ait pas joué un quelconque rôle.
Effectivement, ça non plus, ce n'est pas con.Je tire une nouvelle fois sur ma clope, pensif. Ce fameux moment se rejoue dans ma tête. Il est vrai que l'énergie qui s'est dégagée de l'union de leurs dons était extrêmement puissante. Et elle avait quelque chose de très particulier. Presque de malsain. Je l'ai senti m'appeler, se glisser en moi, chaude et cajoleuse. Un peu comme l'appel des sirènes dans la mythologie. Envoutant, magnifique et mortelle.
— Ce n'est pas idiot, admet Lyanna en se frottant l'arrête du nez. Mais pourquoi ? J'ai déjà fait ça des dizaines de fois et je pense que je le saurais si j'étais liée à chacune de ses personnes. Même si ça n'a jamais tourné autant au vinaigre.
— Ça, par contre, j'en ai aucune idée, avoue Lana, en haussant les épaules, impassible, presque blasée.
— Vous êtes sûre que vous n'êtes pas sœurs par hasard ? me moqué-je ne plaisantant pourtant qu'à moitié. Vous pourriez très bien avoir un parent en commun d'autant plus que votre famille vient du même camp.
Lyanna serre les poings et je vois qu'elle se retient de ne pas utiliser son Alementa pour m'envoyer valser.
— Mon père est mort quand j'avais huit ans, j'ai vu son corps et tu le sais. De plus, j'ai subi plusieurs... tests ADN lorsque le Conseil a découvert mon don pour être sûr que je n'étais pas une Double et tous ont été formels, je suis bien la fille de mes parents.
Je vois bien à sa mâchoire contractée et à son expression fermée qu'aborder son passé ne la ravit absolument pas. Mais je n'ai pas l'intention de m'apitoyer sur son sort ou de supporter un monologue sur ses douleurs passés alors je poursuis.
— Ma mère a tout quitté pour mon père, lâche Lana. Je la vois mal partir en laissant tout derrière elle en étant enceinte d'un autre homme.
Je hoche la tête, non pas convaincu par la force de son argument, mais parce que mon instinct vient de se réveiller. Deux personnes à une dizaine de mètres derrière nous. Je fais signe aux deux filles de se taire et sors un révolver du sac à dos posé à mes pieds. J'attends que les pas s'approchent sans prendre la peine d'être discrets. Puis me retourne d'un bond pour mettre en joue l'individu.
Caleb lève aussitôt les mains en me regardant, blasé, visiblement peu surpris par ma réaction. Il ne se donne même pas la peine de se justifier ou de crier qu'il ne s'agit que de lui. Je ne baisse pas mon arme pour autant. Je prends le temps de le détailler. Il a réussi à substituer son tee-shirt blanc, moche, couvert de sang par un autre tee-shirt blanc tout aussi moche mais propre. Son pantalon est toujours sale et poussiéreux. Mais c'est son expression qui me fait tilter. Ses yeux sont inquiets. Tout comme Alex, Caleb dégage une bonne humeur et un optimiste à tout épreuve. Il est présent pour tous les Alementas survivants et ces derniers l'apprécient, ça se voit dans leur regard lorsqu'il débarque quelque part. Sa présence les rassure. Je me demande comment ils réagiront lorsqu'ils comprendront que leur cher Comité n'a fait que leur mentir pour les garder enfermés dans leur camp de malheur.
— On a un problème, déclare-t-il avec un air grave qui ne me plait pas du tout.
Ben voyons...
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