Chapitre 23 : Piégée
Lanaya
Les lumière se penchent au-dessus de moi. Je lâche un gémissement de douleur lorsqu'elles s'approchent de mes yeux. Je voudrais lever la main pour me protéger la rétine mais mon poignet se heurte à quelque chose de dur et de froid l'empêchant de se lever. Mes paupières se crispent lorsque une déflagration de douleur déchire mon crâne et un nouveau grognement quitte mes lèvres sèches.
Je me force à rouvrir les yeux, affrontant la lumière avec toute la force qui brûle au fond de moi. Les contours des ampoules se dessinent péniblement. Je veux à nouveau me masser les muscles au coin des yeux mais mes mains sont retenues par des liens qui s'enfoncent dans ma peau. Je redresse la tête. Y provoquant un nouvel éclair de douleur. Le monde tourne avant de ralentir et se stabiliser. Le décor m'apparait enfin.
Je suis allongée dans un lit blanc, couverte par une épaisse couverture de laine. La pièce est exiguë mais chaleureuse avec sa petite cheminée où le feu crépite comme pour me saluer. Une grande armoire en bois occupe un pan de mur entier à côté de la porte et c'est le seul mobilier. Des petits cadres sont accrochés et diverses figurines ornant la cheminée. Une fenêtre laisse la nuit devenir maitresse de cette pièce. L'ambiance serait plutôt rassurante si je n'étais pas attachée à mon lit sans possibilité de même me redresser. Des menottes en fer enserrent mes poignets et mes chevilles. Et une perfusion perfore mon bras, m'injectant je ne sais quoi. Sûrement de l'azalée.
Mes souvenirs sont embrouillés, mes pensées en désordre. Comme un album photo renversé sur un parquet en bois. Les coups de feu me reviennent à l'esprit, le plan de Cameron, notre échec face aux Conservateurs et mon sacrifice. Je suis enchaînée, dans un centre du FSG. Et cette constatation me glace le sang.
Une inspiration, une expiration.
Relativisons. Je suis toujours en vie. Je n'ai pas été torturée, pour le moment. Et je suis consciente, ce qui me laisse une marche de manœuvre quand même plus importante que si j'étais dans le coma. Regardons le verre à moitié plein. Oublions le fait que je ne sais pas où je suis exactement, qu'il y a certainement des hommes armés jusqu'aux dents derrière cette porte donnant sur l'enfer et que la perfusion est définitivement de l'azalée, vu mon état brumeux. Un frisson me parcourt l'échine. Ce que je pensais être quelques jours sous azalée, était en réalité deux longues années. Les mots de Lyanna plombent mon estomac aussi sûrement que si j'avais avalé une pierre. Depuis combien de temps suis-je ici ?
Deux expirations, deux inspirations.
Je secoue la tête, déclenchant un nouvel enfoncement de l'épée plantée dans mon crâne. Mais la douleur a le mérite d'éloigner l'angoisse s'apprêtant à m'enfermer dans son étreinte. Inutile de s'inquiéter sur des questionnements auxquels je ne peux ni répondre si rien changer. Je dois fuir. Et pour ça, il faut que je réussisse à me libérer de cette perfusion qui tel un barman vicieux essaie de m'enivrer.
Je souffle discrètement en contractant les abdos pour m'asseoir. Je tends l'oreille vers la porte. Pas de bruit. Parfait. Je ferme les yeux et appelle mes lionnes. Un faible grognement me répond tel un ultime écho.
Une inspiration, une expiration.
Je concentre toute ma volonté, toutes mes forces à réveiller ces guerrières féroces anesthésiées par l'azalée. Mon appel résonne dans mon être de plus en plus puissant. Je sens les lionnes remuer. Elles se redressent en titubant. Mais les chaînes créées par la plante envahissante les font chuter. Je continue de leur donner énergie, d'implorer leur aide. Mais les maillons de fer restent imbriqués, refusant de plier.
Je rouvre les yeux, dépitée. Comment suis-je parvenue pour briser l'emprise de l'azalée dans le Camp Septentrional ? Je me souviens parfaitement avoir senti, entendu presque, la rupture de cette chaîne étranglant mes dons. L'angoisse m'assèche la bouche alors qu'une pensée terrible s'insinue dans mon esprit encore un peu brumeux. Si je ne suis pas capable de me défaire de l'azalée... Je risque de rester enfermé dans ce centre du FSG pour le restant de mes jours... À moins que Cameron et Lyanna ne trouvent un moyen d'y pénétrer à nouveau, mais cela se révèlera très compliqué après notre coup d'éclat...
Une inspiration, deux expirations.
Non, Lana. Paniquer revient à sauter du haut de la falaise. Reste calme et réessaie. J'invoque à nouveau toute mon énergie, je jette toutes mes forces dans la bataille. Mes lionnes sont éveillés à présent. Debout, elles se débattent contre les chaînes qui les entravent, qui les étouffent sans vergogne. Soudain un brusque claquement comme un coup de feu me percute les viscères. Une vague de chaleur explose, véritable volcan en irruption. Je retiens de justesse un cri de douleur et me mords la langue. Le goût du sang se distille dans ma bouche. Mes liens de fer se volatilisent et je dois retenir mes lionnes de ne pas se jeter de rage sur tout ce qui nous entoure. Quoi que... Il est impensable que je réussisse à sortir d'ici sans armes et sans avertir qui que se soit. Mais si les membres du FSG sont occupés par un incendie...
La muselière fragile que je leur imposais se brise à son tour. Je me jette hors du matelas qui s'enflamme. Tanguant, je m'appuie contre le mur. La fumée se répand rapidement dans la chambre. Je dois bouger. Sous mes pieds, le parquet pleure, se plie au rythme de ses propres grincements d'agonie.
Je plaque mes mains contre la vitre qui fond à une vitesse impressionnante sous la férocité de mes lionnes. La chambre est au rez-de-chaussée alors ni une ni deux, je passe par-dessus le vestige de la fenêtre et atterrit dans une herbe mouillée. Un vent humide me fouette aussitôt le visage et je m'appuie à nouveau contre le mur en voyant le monde tourner.
Une inspiration. Une expiration.
Je ne dois pas m'attarder ici. Je rouvre les yeux sur la nuit éclairé par la pleine lune. Cette dernière me sourit tel le Chat de Cheshire. La fumée me prend la gorge et je devine que ça ne saurait tarder à alerter le FSG. Je tourne frénétiquement la tête à droite et à gauche. Je suis au milieu d'une rue ! réalisé-je, une sueur froide glissant dans mon dos. Des gens commencent à sortir des maisons, alertée par le bruit et l'odeur. Bordel, où suis-je ?
Sans attendre qu'ils réagissent, je prends mes jambes à mon cou. Où suis-je, où suis-je, où suis-je, bordel ?! Des cris résonnent dans mon dos. J'accélère sans tenir compte des tâches noirs s'invitant sur le décor. Je jette des coups d'œil paniqués de chaque côté, espérant une forêt, une plaine, un endroit où je pourrais les semer ou me cacher. Je tourne dans un dédale de rues qui semble sans fin, longe des maisons d'où sortent encore des gens à peine réveillés. Personne ne tente de me retenir.
Deux inspirations, une expiration.
Bordel, mais ce village n'a-t-il aucune fin ? Quelque chose ne va pas. Ces mots cognent dans mon esprit aussi sûrement que mon cœur dans ma cage thoracique. Mais je ne m'arrête pas.
— Arrêtez-la ! crie soudain une femme dans mon dos.
Un homme jaillissant d'une maison essaie maladroitement de m'attraper, mais je l'évite avec l'énergie du désespoir. Je débouche sur une nouvelle rue plus large que les autres. Les habitations décharnées ne cessent de défiler comme si tout se répétait à l'infinie. Une boule commence à se former dans mon estomac à l'idée de ne voir le bout ! Mon souffle est de plus en plus court. Ma vue se trouble. Ma tête tourne.
Soudain, je bascule vers l'avant, percute le sol, roule dans les graviers qui m'égratignent les joues, le dos, les hanches. Une douleur brusque me vrille la cheville et je lâche un cri de douleur. Je veux me relever, mais je retombe au sol. Je crache du sang, mes muscles tremblent. Un poids me maintient complètement clouée au sol. Je lutte de toutes mes forces. Je dois me relever ! Je dois réussir...
L'échec arrivant sous la forme de pas précipités s'arrête à deux pas de moi. Je veux le regarder en face mais mon visage est maintenu contre terre, des pierres me dévorant la joue. La douleur est piquante mais bien moins grande que celle qui envahit mon esprit devant cette défaite. Les larmes coulent, se mêlant à la boue et aux feuilles collées à ma peau. Je pleure en silence ma liberté définitivement perdue.
La force qui m'écrasait s'allège alors doucement. L'espoir se réveille et je me redresse d'un bond. Un vertige me rattrape. Je titube, ma cheville me lançant à nouveau. Ma vision danse un instant avant de s'éclaircir et de révéler une femme d'une trentaine d'année qui lève les deux mains devant en elle en signe de paix.
— Tout va bien... Tu es en sécurité.
Ouais... Une autre fois, hein. Je tourne les talons pour fuir mais me heurte à trois hommes, les bras croisés sur leur poitrine. Un coup d'œil me confirme que je suis encerclée. Je me poste en position de combat avec détermination mais peu d'espoir. Je suis en infériorité numérique et au bord de l'évanouissement. Cameron me manque à cet instant atrocement. Tout comme mes poignards dont j'ai été délestés.
— Permettez moi d'en douter. Quand on est en sécurité, on n'est pas enchaîné à un lit sous azalée et on ne se fait pas assommer quand on cherche à partir.
La femme fait mine d'avancer alors je recule... avant de me souvenir les armoires à glace dans mon dos et de me retourner vivement. J'effectue un nouveau trois cent soixante sur mes pieds et constate avec un soulagement que personne n'a bougé ou dégainé d'armes. Mes yeux retrouvent alors celui assez extraordinaire de la cheffe. Les pépites d'or habitant son regard brillent de mille feux sous la lune.
— C'est normal de paniquer après ce qui vous ait arrivé. Il faut que vous restiez tranquille et tout ira bien.
Très rassurant.
— C'est une phrase digne d'un film d'horreur.
— La guerre est le pire film d'horreur qu'il existe, Lille. La réalité.
Cette phrase me glace littéralement de la tête au pied. Je plonge dans une baignoire de glaçons. Je recule de deux pas, les dévisageant un à un avec un mélange d'effarement, de désespoir. L'espoir de m'en sortir, déjà bien blessé, émet un dernier cri d'agonie avant de s'éteindre. Ce n'est pas possible... Je m'ouvre aux énergies sans oser les quitter des yeux. Et elles sont aussi formelles que les couleurs atypiques des yeux me scrutant. Je suis entourée d'Alementas. Toute cette comédie prend alors sens. Je ne suis absolument pas dans un centre du FSG. Je suis dans un refuge... Ce n'est pas possible !
Une inspiration, deux expirations.
Je redresse la tête, tremblant plus que je ne le voudrais.
— Vous ne me garderez pas sous votre coupe. Je refuse d'être une marionnette dans votre illusion. La seconde guerre mondiale est terminée depuis soixante-dix ans.
Je suis étonnée du calme olympien avec lequel j'ai réussi à prononcer cette phrase. La haine et la colère que j'ai toujours ressenties à l'égard des refuges, plus encore depuis que je connais la vérité, semblent s'être inclinées face à la résignation. L'expression de la femme se décompose et la satisfaction m'envahit devant cet impact dans ce masque qui se fissure. Je hausse un sourcil narquois à son attention, prenant le temps d'admirer l'incompréhension qui s'installe dans les regards de presque tous.
Un jeune homme brun à peine plus vieux que moi s'approche doucement. Je me redresse et affronte fièrement son regard obscur, mais bien moins que celui de l'Alementa de l'Ombre. Si Cameron possède deux puits noirs de haine où l'on craint de se noyer, celui face à moi arbore de véritables diamants sombres.
Il fait un nouveau pas vers moi et j'en fais un arrière par réflexe. J'ignore ce qu'il compte faire, mais je devine que ça ne plaira pas. Il s'arrête et un froid polaire glace les pierres précieuses qui ornent son regard. Je crois lire un semblant de compassion dans son sourire, mais cela n'atteint pas ses prunelles.
Une épée s'abat sur mon crâne. La douleur est insoutenable. Je crie et tombe en me tenant la tête. Comme si un tuyau immense me perforait le cerveau et effectuait des mouvements de va et vient. Je hurle à m'en déchirer les cordes vocales. Des images défilent devant mon esprit à une vitesse qui me donne la nausée. Une sensation de froid, tel un corps visqueux qui ramperait dans ma cervelle. Les souvenirs ne cessent de remonter, véritable torrent inversé. Je sens le serpent vicieux se faufilant entre eux, nageant au milieu de cette tourmente alors que je m'y noie. Son venin me paralyse. Il contamine mon passé que je sens m'échapper comme de la fumée, comme de l'eau qui glisse, s'évade. Chaque morsure efface un bonheur. Chaque morsure crée une souffrance. Les sorties au cinéma se transforment en opération d'infiltration avec fusils en bandoulière. Le corps de ma mère est couvert de sang, transpercé par de multiples balles telle une vulgaire passoire. Les moments avec Dante au chaud dans sa chambre deviennent des parenthèses de bonheur clandestines au milieu d'une guerre sans merci. Mon passé m'est arraché et j'ai l'impression qu'on m'arrache la peau. Il est en train de modifier mes souvenirs ! Il modifie mon passé sans que je ne puisse rien faire et m'en crée un avec des pièces qu'il veut teintées de sang et de guerre. Je veux le repousser, mais son venin paralyse ma volonté. Je pleure, crie, hurle sans réussir à effrayer le serpent bourreau.
Un grognement guttural intervient soudain dans cette bataille que je perdais lamentablement. Le serpent furieux d'être à nouveau interrompu dans son festin siffle sa rage. Le loup s'avance à son tour alors que mes lionnes gisent, autant en souffrance que mon esprit. Le canidé n'a pas besoin de faire un pas de plus. L'instinct de survie du reptile reprend le pas et il glisse à l'extérieur de mon cerveau. La douleur s'apaise, son venin se retire et les images implantées se dissipent alors que je sombre dans une inconscience salvatrice.
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