Chapitre 16 : Illusion
Lanaya
La séance de combat coachée par Cameron, qui est réapparu deux heures après notre combat, et moi-même s'est étonnamment bien passée. J'avoue, j'avais peur qu'au moins l'un finisse éventré ou amputé, mais finalement chacun s'est débrouillé de manière à s'en sortir entier. En les observant combattre, j'ai mieux cerné les personnalités et facultés de chacun. La façon de se mouvoir, de se défendre, d'attaquer sont très représentatifs du caractère de chacun.
Nahia a un tempérament mordant. Elle est rapide et vicieuse, sait attendre son heure pour planter son couteau dans le dos de son adversaire. Son Alementa est son compagnon d'arme, elle le maitrise parfaitement. Et on ne peut pas dire que la nature est dotée une personne aussi explosive d'un don inoffensif. L'adolescente contrôle l'air, et elle a la fâcheuse manie de s'en servir pour réduire nos poumons à l'état de canette écrabouillées. Ce qui est sûr, c'est qu'à quinze ans, elle ne s'étouffera déjà pas avec sa modestie...
Peter, son pote, apprenti-assassin qui a revu ses ambitions à la baisse, est toujours aussi puissant musculairement parlant mais lent. Si son amie est une vipère, il est un boa constrictor. Tant qu'on reste loin de ses anneaux, il est aisé de s'en sortir. Son maniement des plantes n'est pas trop mal, mais il lui manque l'utilisation agressive. Il s'en sert majoritairement pour se défendre alors qu'il pourrait avec un peu d'entraînement faire plus. En tout cas, il semble s'être calmé, même si la haine brille toujours dans ses yeux quand il voit Cameron.
Yollan est un bon acrobate, très souple, bien plus que je ne l'aurais soupçonné. Ca a été assez agréable de me battre contre lui au final car j'ai mis en application les années de gym imposées par ma mère. Il compense son manque de pouvoir par une rapidité étonnante et une puissance modérée. Son problème est qu'il carbure aux émotions que lui inspirent les autres comme Peter. Il faudra qu'ils apprennent à compter sur leurs propres forces et sur leur envie de survivre car il arrivera un jour où le reste ne suffira plus.
Caleb et Maya se débrouille relativement bien partout. Pour ce qui est de Caleb, il s'est révélé excellent dans le combat aux poignards alors que sa sœur gagne en un coup fatal en créant illusion sur illusion jusqu'à atteindre son ennemi.
Lyanna, qui a fait une courte séance car encore trop faible pour s'impliquer totalement, nous a fait une nouvelle démonstration impressionnante avec son arme faite de deux cylindres et d'une chainette. Adeline en a fait les frais comme moi lors de notre combat nocturne. Elle m'a d'ailleurs appris le nom de cet objet de malheur : un nunchaku aussi appelé le fléau japonais. L'Alementa a avoué ne pas maitriser d'autres armes que celles d'origine asiatique donc la pratique requiert énormément d'entraînements car sa mère en était passionnée aussi bien de ces pays que de la difficulté.
Quant à Adeline et Sophia, elles se battent beaucoup en duo ce qui fait leur force et leur faiblesse. Elles ne sont pas mauvaises au corps à corps, mais selon elles, meilleures avec un pistolet. Seulement, on ne peut décidément pas s'entraîner au tir si près de la civilisation.
Je les ai affrontés chacun leur tour pour permettre à l'Alementa de l'Ombre de corriger les défauts principaux et améliorer leurs techniques. Tous se sont révélés plutôt attentifs. Après j'ignore si c'est par envie de survivre face au FSG ou par désir de mieux se retourner contre nous ensuite. J'imagine qu'on le découvrira en temps voulu. Cameron a passé son temps à râler et à demander au ciel ce qu'il a fait pour hériter de pareil bras cassés. Agacé par ce qui est pour lui de l'incompétence, mais pas au point de trancher des gorges ou des membres alors je considère que ce n'est pas si terrible que ça.
Une routine s'est gentiment installée sur deux, trois jours. Chacun prenait ses repas à son rythme, Cameron fumait ses cigarettes avant et après chaque - son nouveau dicton étant d'ailleurs : pour votre santé, fumez cinq cigares et cigarettes par jour - on s'entraînait au combat le matin et l'après-midi et on se couchait tôt le soir. Tous récupéraient petit à petit des jours à la belle étoile dans l'humidité, la cendre et de disette forcée. Et honnêtement, je pense que les anciens du Camp récupèrent de toute leur vie dans le Septentrional. Il arrive d'en entendre hurler la nuit, certainement hantés par des cauchemars. Nous avons tous nos propres fantômes. Pour ma part, je donne tout ce que j'ai dans mes batailles, respectant à lettre la consigne de Cameron - ne laisser personne gagner - et le reste du temps, je cours. Dissimulée sous un Arpazos de Caleb, je parcours les bois, vignes et prés environnants. En observant les panneaux et paysages, j'ai compris que nous logions à Germaine, un village situé à proximité de Reims. Le froid du matin me procure un frisson lorsqu'il rencontre la sueur de mes foulées régulières et rapides. J'aime courir dans l'obscurité matinale et crépusculaire. Je ne suis pas une grande joggeuse de manière volontaire, mais l'épuisement et le vide engendré dans ma tête est tellement salvateur.
On s'est tous formé une bulle dans laquelle chacun cohabitait avec plus ou moins de facilité. Mais le problème des bulles, c'est que ça a tôt fait d'exploser. C'est durant une nuit que quelqu'un a décidé de sortir l'aiguille et de la planter dans la fine paroi de savon.
Des hurlements. La peur. La souffrance.
Je bondis dans le lit. Personne dans la chambre.
Une inspiration, une expiration.
Des pas qui se précipitent, des corps qui tombent à l'étage inférieur. Qu'est-ce qui se passe ? Pilotage automatique. Je saisis tous mes poignards et les accrochent à la va-vite pour prendre entre mes mains le pistolet de Cameron. Je le charge dans un clic bruyant dans le silence et la pénombre de la chambre. Lyanna a déjà son arme en mains. Je lui montre nos pieds. Elle acquiesce. Je m'avance vers la porte que j'ouvre du bout du pied. Rien dans le couloir.
Une inspiration, une expiration.
Je plisse des yeux pour m'habituer à l'obscurité. Des cris stridents. La peur à l'état pure. La rage de vivre. Mes muscles se contractent. Mes pas avalent les mètres qui nous séparent de l'escalier. Toujours rien.
Une inspiration, une expiration.
Je m'engage dans les marches. Un poignard dans une main, le revolver dans l'autre. Un pas, deux pas... Des bruits de courses, de meubles qui chutent, d'objets s'explosant au sol. J'atteints le rez-de-chaussée avec prudence. C'est quoi ce bordel ?
Une inspiration...
Hurlements à nouveau.
...deux expirations.
Je bondis, ôte le cran de sécurité, prête à tirer. Lyanna, les yeux écarquillés de terreur, se jette au sol. Je me plaque contre le mur, le cœur battant. Je n'ai aucun visuel ! Le silence revient. Aucun coup de feu ou sifflement de poignard. Je n'entends toujours que ces mêmes bruits de poursuite, de verre brisé. Je cherche Lyanna du regard et la stupéfaction me fige sur place.
Elle se débat au pied des marches, bougeant dans tous les sens comme pour se dégager de sous un objet lourd. Mes yeux fouillent le couloir à la recherche de... de quelqu'un, ou de quelque chose ! Les énergies viennent à moi dans un souffle, mais je ne sens aucune étrangère. Celle de Maya flotte dans l'air. Lyanna se relève d'un bond et se remet à crier, les larmes coulant sur ses joues. Son arme voltige dans les airs avec une technique incroyable. Elle avance, recule comme... comme si elle combattait un ennemi invisible. Un terrible rapprochement s'opère dans ma tête. Comme les soldats dans la forêt... L'énergie de Maya. Mes doigts serrent la crosse de l'arme à provoquer la douleur. Tout est une putain d'illusion ! Mon sang se glace dans mes veines. Une trahison ? J'ouvre la bouche pour avertir Lyanna que ce n'est que subterfuges, mais une main se plaque violemment contre ma bouche. Je me débats, augmente ma température, avant de me figer lorsque je reconnais une odeur familière.
Je cesse la lutte lorsque les énergies confirment. Celle de Cameron vient de m'envelopper, surplombant Maya. Ca, ce n'est pas une illusion. Je le laisse m'entrainer avec lui, abandonnant Lyanna à ses démons. Je crois que je commence à comprendre. L'Alementa de l'Ombre a beau dire, il n'aurait pas laissé la blonde au danger si ce dernier avait été réel. Tout ça n'est qu'un exercice de plus...
Je recule dans les ombres avec lui, essayant de ne pas trébucher. Il me guide dans un bureau calme où Maya est assise, les mains plaquées sur le parquet grisâtre. Je le savais... Et honnêtement, je préfère ça, plutôt que de me dire qu'on a déjà été trahi. Laissez-nous un peu de répit avant.
Cameron s'appuie contre la bibliothèque. Son regard me détaille avec intérêt. J'arque un sourcil.
— Tu m'expliques ?
— Et toi, tu m'expliques ? rétorque-t-il du tac ou tac.
— C'est une blague ? C'est toi qui nous réveille à trois heures du matin avec une simulation de merde et c'est moi qui dois des explications ?
Je croise les bras sur ma poitrine, bien décidée à ne pas me défiler à son regard inquisiteur, presque réprobateur. C'est la meilleure, ça !
— Une simulation de merde ? répète Cameron. Tu l'as vue ?
— Non ! Mais l'énergie de Maya empoisonne l'air autant qu'un poisson mort oublié dans un coin depuis une semaine, alors difficile de passer à côté !
Mon corps tremble pour une raison que j'ignore. L'adrénaline redescendant ? L'agacement montant ? Le sommeil interrompu trop brusquement ? Peu importe, il est responsable de chacun. Je le fixe doit dans les yeux, avec toute la mauvaise humeur possible.
— Pourquoi n'as-tu pas été prise par l'illusion ?
Je hausse les épaules, prête à répondre avec ressentiment que je marche peut-être trop vite pour elle, quand sa question percute mon cerveau fatigué et mon esprit énervé. L'Alementa de Maya envahit une zone et toutes les personnes dans la zone sont touchées. Je l'ai bien vu avec les soldats dans la forêt. Je fronce les sourcils. J'étais devant Lyanna lorsqu'elle s'est effondrée. J'aurais dû entrer dans le champ d'action du don avant elle.
Cameron soupire en devinant que je n'y comprenais pas plus que lui.
— Lana, j'aime bien le mystère, j'aime le risque, mais je t'avoue que jouer à un jeu sans en connaître les règles me botte moyen...
— Parles pour toi... marmonné-je en réfléchissant.
J'ai l'impression que dès qu'on résout un problème, on en découvre un autre en dessous. Un peu comme un oignon, y a toujours une couche en dessous et elle pique encore les yeux. Ou comme une poubelle. Plus tu creuses, plus les déchets puent la mort. Je secoue la tête, chassant ses pensées empreintes de poésie.
— Et ce n'est pas la première fois que ça arrive.
Je penche la tête. Quoi ? Et la réponse s'invite d'elle même dans mon esprit. Ce gars qui m'a accueillie au Camp Septentrional, à qui j'ai débité mon mensonge d'absorption de pouvoirs. Il a voulu utiliser son don sur moi. Et ça a échoué ce qui m'a conduit à broder autour. J'ai eu tellement à penser avec les évènements qui ont suivi que je ne suis pas revenue sur cette étrangeté. Une parmi tant d'autre, j'ai envie de dire.
— Et maintenant que j'y pense, ça pourrait expliquer une des paroles bizarres de Tim, réfléchit Cameron, le regard dans le vide. Avant qu'on se sépare, après m'avoir parlé de botanique mensongère. Il a dit que le voile de la vérité et du mensonge était très similaire. Qu'il ignorait dans lequel on se drapait mais que dans tous les cas, on chercherait à nous étrangler. Il était très métaphorique, notre petit Sentimental, raille-t-il. Il était censé savoir vu les questions qu'ils t'ont posé, c'est même lui qui déchiffrait tes réponses, n'est-ce pas ?
Je hoche la tête. Je revois son regard brillant d'intérêt et de surprise lorsqu'il a acquiescé mes propos. Il n'aurait pas été capable de lire en moi ? Pourquoi aurait-il signé mon discours du tampon vérité dans ce cas ? Quel aurait été son intérêt ? À moins que...
— Il savait... murmuré-je. Ou du moins il se doutait de l'illusion.
Cameron hausse les épaules, visiblement peu intéressé.
— Peut-être, mais pourquoi ne pas t'avoir balancé ? Comme s'il voulait qu'on parte...
Je croise les bras sur ma poitrine et m'appuie à mon tour contre le bureau. En effet, s'il avait réfuté mes accusations en bloc, personne n'aurait voulu se joindre à nous. Et plus important encore, Yollan et ses sbires adolescents ne seraient pas là à nous coller aux basques. Je relâche le souffle que je retenais involontairement. Tout cela ne serait donc que machination ? Pourtant Tim m'a toujours paru plus raisonnable et tempéré que son frère. Il a prévenu Cameron d'un coup monté contre lui, il a défendu Lyanna. Le loup n'est jamais si dangereux que lorsqu'il enfile un costume d'agneaux...
Cameron lâche un long soupir en baissant la tête.
— Bon, ça ne sert à rien de se triturer les méninges, tranche-t-il. De toutes façons, on se méfiait déjà d'eux. Qu'on pense à une machination en plus ou en moins, ça ne change rien à notre plan. On leur en dit le moins possible et on regarde derrière nous.
— Il faut qu'on prévienne Lyanna et Alex au moins.
L'Alementa de l'Ombre ne répond pas mais me fixe à nouveau. Je le vois me détailler avec attention et je devine qu'il est repassé au sujet initial de notre conversation. À savoir mon immunité soudaine.
— Tu peux aller dans les ombres avec moi, tu peux utiliser un Arpazos. Tu n'as pas été touchée par le don offensif du gars ni par l'illusion de Maya, ni par le Sentimental de Tim et Yollan, énumère-t-il.
— J'ai été soignée par Alex, ajouté-je, en me remémorant la semaine passée..
Je pianote sur le bois du bureau autant par angoisse que pour me concentrer. Notre réflexion silencieuse est également ponctuée par les inspirations rauques de Maya, les bruits de meubles renversés et les cris. Une soirée normale en somme...
— Les voisins vont être ravis, bougonné-je plus pour moi-même qu'à l'attention de Cameron.
— J'ai déposé un papier dans les boites aux lettres pour avertir d'une soirée escape-game déguisé pour Halloween en retard. Et j'ai confisqué les révolvers de tout le monde.
Il a quoi ? Je ne prends même pas la peine de relever la chose tellement il a dit ça d'un ton normal. Evidemment. Suis-je bête. Ca aurait été le pompon que la police nous embarque pour tapage nocturne.
— Et je peux savoir pourquoi tu fais ça ? Les entraînement diurnes ne te suffisaient plus ? Tu t'ennuyais ? ironisé-je.
— Je voulais voir leur réaction en cas d'urgence vitale.
Je comprends tout de suite le sous-entendu de cette phrase et cesse de râler. Je n'ai pas envie de mourir parce qu'un clampin n'aura pas été capable de presser la détente le premier. Ce sont ses mots. Après leur avoir enseigné à tuer, il veut voir s'ils en auront le cran. Après la théorie, la pratique...
— Et verdict ?
— Je sais que Lyanna est capable, mais elle ne le fera qu'en urgence extrême. Yollan n'aura aucune hésitation comme ses deux mini-clones. Adeline a pour le coup plus cherché à mettre hors d'état de nuire qu'à assassiner sans réfléchir. Mais je pense que pour protéger Sophia, elle plantera n'importe qui. Quant à Caleb, il fera ce qu'il faut.
Rien de nouveau sous le soleil en soit. Mais je sais que pour Cameron, le constater de ses yeux, est bien plus important. Les actes avant les mots. La vie avant la mort. Enfin tout dépend de quel côté, on se place...
Je jette un coup d'œil à la pendule murale. Quatre heures du matin. Je me frotte les yeux, comme si voir l'heure avait suffi au sommeil pour réclamer la place qu'il lui revient de droit. Ce n'est pas ce soir que l'on règlera cette question d'immunité. Et j'ai envie de dire, pour le moment, ça ne m'a pas apporté de problème, donc ça me va. Même si je me doute que si c'est un cadeau, il est sûrement empoissonné, l'urgence n'est pas vitale.
Cameron doit arriver à la même conclusion car il se redresse avec son regard de "tu ne perds rien pour attendre" et se penche pour sortir Maya de sa concentration. Elle ouvre grand les yeux en s'agrippant à lui comme si elle allait tomber à la renverse. Sa respiration saccadée, rauque résonne dans la pièce. Ses yeux alarmés fouillent les alentours avant de se tranquilliser petit à petit. Il faut quelques minutes aux pas pour s'arrêter et aux cris pour se taire. Le temps que l'information atteigne les esprits. Que la révélation se fasse.
— Mais quel connard ! hurle une voix masculine. Putain de batard, enfoiré de mes deux !
Un sourire victorieux, un brin vengeur s'esquisse sur les lèvres de Cameron, miroir du mien.
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