Chapitre 13 : Destination
Lanaya
Le visage de Cameron est complètement inexpressif alors qu'il m'annonce la mort d'une des rares personnes qu'il avait l'air d'apprécier. Seulement, je commence à le reconnaître. Le gris perle dans ses yeux a laissé place à deux pierres d'onyx reluisantes, magnifiquement obscure, et sa posture est tendue. Il est bien plus impacté par la nouvelle que ce qu'il ne veut ou n'en a conscience. Je n'ai vu Camille qu'une seule fois, alors dire que le chagrin m'envahit serait faux, mais ça ne m'empêche pas d'éprouver de la tristesse ou de l'empathie à l'égard de ses proches. L'image de la jeune femme souriante, les lunettes remontées au-dessus de sa frange fuchsia, appuyée contre le comptoir, me revient en mémoire. La complicité qu'elle avait avec les trois garçons semblait si inébranlable, si fusionnelle que j'en ai mal au cœur pour eux. Ils sont beau être des crétins infinis, leur peine ne sera pas moins grande.
— Je suis désolée, Cameron.
Certaines personnes disent que s'excuser pour la mort de quelqu'un est inutile. Je ne suis pas d'accord. Car en réalité on ne s'excuse pas, désolé n'est pas synonyme de pardon. Un paysage désolé est sans couleur, mélancolique. Il inspire la tristesse, la solitude. Le parfait reflet d'une âme en deuil. Ainsi, on témoigne notre empathie à la personne face à nous. Même si maintenant, celle-ci hausse les épaules, balayant mes condoléances.
— Elle s'est faite renverser par une voiture en fuyant le FSG.
Une pointe de culpabilité me perfore vicieusement le cœur. C'est en partie pour sauver Dante que Cameron a mis sur pied cette infiltration, bien qu'il maintienne l'existence d'un but plus grand. Sauf que nous arrivons trop tard pour ça. Et à présent, quelqu'un est mort. Pour rien. Je déglutis difficilement. Peut-être que finalement, il s'agissait bien d'excuses mes quelques mots à Cameron... Je ne conduisais pas la voiture qui l'a fauché mais j'ai guidé ses pas vers cette route maudite. Un accident... le genre qui n'arrive qu'aux autres...
— Arrête de t'en vouloir, ce qui faut maintenant, c'est trouver un moyen de libérer Jack.
Je secoue la tête pour arrêter la machine à culpabilité, battant au même rythme que mon cœur, encore bien vivant, alors que celui de Camille s'est arrêté. C'est vrai qu'une fois, Jack et Nath intervertis par Gabriel, c'est la jeune femme qui était chargée de le ramener. Maintenant qu'elle a disparu... Il est coincé dans le centre FSG ! Je jure, à voix basse.
— Ouais, comme tu dis...
Je relève la tête vers Cameron. Son pistolet tourne autour de son index alors que ses yeux me fixent avec une détermination froide. Il a déjà un plan.
— Vas-y, balance, tu veux faire quoi ?
— On a pas le choix, lance l'Alementa du l'Ombre sans hésitation. On doit aller le chercher. Et en profiter pour foutre un joyeux bordel.
Je hoche la tête, en souriant. Il est hors de question de le laisser mourir aux mains du FSG. Et si en plus, on peut faire une pierre, deux coups... Mon ventre se gonfle de haine. Je n'oublie pas que si le Conseil est responsable de la mort de Dante par ses agissements, le FSG, lui, en est coupable. Il est la main qui a tenu l'arme qui a ôté sa vie et celle de tant d'autres. Alors si on peut éliminer quelques-uns de ses membres aux passages, libérer des Alementas, voir rayer un de leurs ignobles centres de la carte, pourquoi se gêner ? De plus, cela sera peut-être également une occasion de se faire des alliés à nouveau. Cependant, un détail vient chasser cette promesse de vengeance. Si le plan pour pénétrer l'organisation était si complexe, c'était pour une raison. On ne peut pas y entrer par effraction. Un dôme, abominable détournement d'un de ces pouvoirs qu'ils haïssent tant, protègent chaque centre. Aucun Alementa ne peut y mettre les pieds. Le point d'interrogation doit se lire sur mon visage car Cameron reprend la parole.
— J'ai une idée. Une idée suicidaire ou brillante, précise-t-il avec un sourire de chat, que dis-je de chat, de panthère noire plus exactement. Tout dépend de si mon hypothèse est juste ou non.
Il se détourne alors sans précisions supplémentaires et je ne prends pas la peine de lui en demander. Je le connais suffisamment maintenant pour savoir qu'il ne lâchera rien. Alors autant économiser ma salive et continuer d'avancer. De toute manière, on ne va pas attaquer le centre dans l'heure qui suit. Adeline finit de mimer quelque chose à Sophia en langage des signes puis se tourne vers moi.
— J'avoue que je n'ai pas bien compris tout ce qui s'est dit, mais je suis désolée pour la perte de votre amie.
J'accepte sa compassion par un hochement de tête bien que je n'en sois pas réellement légitime. Je la connaissais à peine. Et le principal concerné n'a visiblement aucune envie de disserter sur ses émotions.
— On va attaquer quelque chose ? hésite la trentenaire devant mon silence.
Je lui jette un bref coup d'œil. Rien ne sert de mentir ou de les laisser dans l'ignorance, ça ne fera qu'attiser leur méfiance inutilement.
— L'un des nôtres a été attrapé par le FSG. On va le libérer.
La peur traverse un instant son regard avant qu'elle ne se tourne pour expliquer ma réponse à sa compagne. Je n'ai pas le temps de leur préciser que personne ne les obligera à nous accompagner ou à participer qu'un bruit de moteur me fait lever la tête. J'effleure le Berreta que Cameron m'a donné pour le combat, en alerte.
— Le taxi est avancé ! crie une voix que je connais bien de l'autre côté de la butée.
Je soupire et fais signe aux deux femmes que nous pouvons nous engager sans risque. Nous grimpons, sans mal pour ma part, avec plus de difficulté pour elles, la petite pente, et faisons désormais face à une ruban d'asphalte. Je ne nous pensais pas si près de la route ! Cameron, dans sa voiture qu'il avait pris soin de déplacer après l'incendie du camp, nous attend, garer sur le bas côté. Son Duster brillant, bien que sale au niveau du bas, nous nargue alors que le soleil est en train de se coucher dans son dos. L'Alementa de l'Ombre sort des bouteilles d'eau et des bouts de tissus.
— Par contre, merci de bien vouloir vous décrotter et retirer vos chaussures avant de monter. Personne ne s'installe avec le tas de boue que vous avez aux pieds.
Je lève les yeux au ciel. Comme si c'était le moment de s'inquiéter de la propreté de sa bagnole... Néanmoins, je m'avance la première, pose mes fesses sur le siège passager et ôte mes chaussures avant de les taper l'une contre l'autre. La claquement résonne alors que la terre tombe par terre en mottes collées. Je remarque seulement lorsque je les remets que je suis la seule à avoir bougé avec Lyanna et Alex. Les autres contemplent la voiture avec un mélange d'admiration et d'ahurissement. Je fronce les sourcils une seconde avant de comprendre. Evidemment. Bloquer dans le camp depuis leur naissance pour la plupart, j'imagine qu'ils n'ont pas dû voir beaucoup de véhicules si imposants. Je me demande d'ailleurs si l'illusion a quand même suivi un minimum le progrès technologique ou pas du tout. Je n'ai pas vraiment eu le temps de visiter le camp Septentrional.
Yollan est le premier à remettre son masque d'impassibilité et attrape une des bouteilles que Cameron lui tend pour laver les parties nues de sa peau. En quelques minutes, chacun retrouve un visage plus humain. La cicatrice d'Yollan courant du haut droit de son front à la naissance de sa paupière opposée est de nouveau nette et blanche, un tatouage dont je ne distingue la forme apparait le long de l'oreille de la jeune fille aux cheveux bleu, les sourcils de son pote redeviennent blond tout comme le fin duvet coiffant ses lèvres, et les tâches de rousseur ponctuant le visage des deux femmes se font nettes. Prêts à entrer dans la civilisation en somme.
Je laisse Yollan, ses deux sbires juvéniles et Adeline s'assoir dans le coffre, là où il n'y a normalement que deux places, Caleb avec Maya sur ses genoux se serrent contre Alex, Lyanna et Sophia tandis que je m'installe sur le siège passager. Je recule ce dernier autant que je puisse avec les grandes jambes d'Alex derrière pour permettre au berger allemand de monter devant moi. Je me positionne en tailleur de manière à lui laisser de la place.
J'entends Yollan râler que c'est le grand luxe et Maya lui réponde avec son mordant habituel que s'il veut, il peut faire la route à pied. Lorsque tout le monde a à peu près caler ses fesses, Cameron démarre. Le silence s'empare de l'habitacle, uniquement troublé par la radio allumée où défilent les artistes, indifférents à l'atmosphère pesante. Je me délecte de ce calme et ferme les paupières en espérant me reposer.
— Où va-t-on ? lance Yollan après plusieurs minutes.
Je retiens un soupir et ouvre les yeux pour contempler la route avec lassitude. Où qu'on aille le trajet va être très long. Cela dit, je peux comprendre qu'il pose la question. Je faisais la même chose avant de me résigner devant l'absence de réponse de l'Alementa de l'Ombre.
— Tu verras, rétorque Cameron.
— Je ne vous suivrais pas à l'aveuglette ! s'offusque le Sentimental.
— Eh bien libre à toi de sauter.
Des mots sifflés par Maya qui tente également de dormir malgré les remous et sa position inconfortable. Un petit sourire nait sur mes lèvres. J'aime bien cette fille.
— On ne fait que se protéger, tempère Alex dont l'épaule a été accaparée par Lyanna. Tu comprends bien qu'on ne peut te donner nos adresses tant qu'on n'est pas sûr de te faire confiance.
Je fixe l'Alementa du Vent dans le rétroviseur. Des mèches rebelles de sa chevelure argentée s'échappent du chignon peu protocolaire effectué à la va-vite avant de combat. Cette dernière a encore des vestiges de leur imbibition de sang. Des reflets carmins délavés la colorent par endroit. L'effet est aussi glauque que magnétisant.
Le trajet se fait ensuite dans l'absence de paroles la plus totale. Du moins, pour ce que j'en sais, vu que j'ai dormi une grande partie. Mon esprit s'éveille lorsque la voiture rentre un chemin de gravât. Je rouvre doucement les yeux et suis un instant déboussolé par l'obscurité. La nuit a pris le pas sur le jour, la lune, gagnante de son duel contre le soleil, trône dans le ciel, entouré de sa cour d'étoile. Des milliers de sujets qui lui ressemblent, incapables de rivaliser cependant avec son éclat. La lune est aussi tyrannique que son homologue diurne, bien que plus entourée.
— Terminus ! Tout le monde descend ! clame Cameron à son peuple endormi.
Etonnamment même Yollan a réussi à fermer l'œil. Pour quelqu'un de méfiant... Je m'extrais de l'habitacle une fois que le chien descendu. Ce dernier semble bien connaitre les lieux car il file de suite vers un côté de la maison. Là où se trouve certainement la porte d'entrée. Je pose rapidement le regard sur ce qui m'entoure. La maison est grande, haute de plusieurs étages et semble spacieuse. Elle est située entre deux demeures du même acabit. Une chose est sûre ; les propriétaires ne doivent pas toucher que le SMIC. La cour d'entrée est décorée de parterres qui doivent être magnifiques en été mais sont actuellement à l'état de jachère. J'ai un pincement au cœur en songeant à ceux que ma mère a cultivé avec tant d'amour sur le toit de notre immeuble. Partis en fumée en même temps qu'elle, l'accompagnant dans son voyage vers là-haut. Je secoue la tête et suis Cameron qui contourne la façade contre laquelle la voiture est garée.
Il s'accroupit près de la marche précédant l'entrée et sort une clé camouflée sous les feuilles mortes. Je le regarde, atterrée. Un voleur et assassin aussi endurci et recherché cache la clé de sa baraque dans des feuilles ? Il ne tient aucune leçon des erreurs de ses victimes ou quoi ? Note, vu le chien qu'il a et ses talents, je ne suis pas sûr qu'un quelconque intru fasse long feu, mais bon sur le principe... Il pourrait faire un effort. C'en est presque insultant.
Un clic plus tard, la porte s'ouvre sur un tapis d'ombre, prête à se jeter sur nous. Mais la présence de leur maitre les forcent à s'incliner et peu à peu, elles se retirent lorsque le prince des ténèbres passe le pas. Je cligne plusieurs fois des yeux pour chasser ses pensées. Qu'est-ce que je suis poétique aujourd'hui...
Je rentre dans la maison sans plus réfléchir, entendant les autres émerger lentement et se diriger vers nous. Yollan est déjà en train de râler. Un grand couloir blanc m'ouvre ses bras. Des tableaux dans des nuances de gris, violet et noir sont accrochés sur les murs et accompagnent ma marche vers une pièce beaucoup plus grande. La pénombre ne lève pas son rideau alors que j'avance et pose la main sur la table en bois. Elle est fraiche. Mon regard devine des plantes et de multiples cadres que je ne distingue pas. Je fronce les sourcils. C'est étrange, je ne reconnais pas Cameron dans la disposition, la décoration. Les meubles sont agencés de manière esthétique et moderne mais pas forcément au plus pratique. Sans parler du fait que je vois mal l'Alementa de l'Ombre acheter un tableau de Monet pour son entrée... Chez qui sommes-nous ?
— Cameron ? Rassures-moi, tu connais le propriétaire ?
— Bien sûr, enfin ! Tu me croyais capable de rentrer chez un inconnu sans permission ? s'indigne-t-il, la main sur le cœur, mimant l'affliction.
Mon regard doit être suffisamment éloquent car il me fait un clin d'œil. Une horrible pensée me traverse alors l'esprit. Non... Il n'aurait pas fait ça...
— Cameron ? Rassure-moi, cette personne... Elle est vivante ?
— Pour qui me prends-tu à la fin ? Je suis blessé...
— C'est ça...
Comme s'il n'était pas capable de nous faire dormir chez un de ces corps enterrés dans les bois. Tu me dirais, je ne pense pas que ça dérangerait vraiment ce dernier, mais bon, sur le principe encore une fois...
- L'avantage, c'est qu'on ne risquait pas de tomber dessus, blague Alex qui vient de rentrer dans la pièce avec Maya et Caleb.
Il nous observe un moment attendant une réaction qui ne vient pas.
— Tomber, tombe, mort ? Vous avez compris le jeu de mots ? Un cadavre ne risque pas de nous tomber dessus !
J'avoue que malgré moi, sa tentative d'humour m'arrache un sourire. Caleb pose la main sur son épaule et lui parle comme il parlerait à un enfant de cinq ans qui refuse d'aller dormir.
— Va te coucher, Alex. Ca ira mieux demain...
Alex lui tire la langue, en le bousculant gentiment. Ce qui n'a que pour effet de le déséquilibrer. Heureusement, le frère de Maya le rattrape par le bras in extremis.
— Tu vois ce qui arrive quand on est pas sage ? se moque Caleb en l'aidant à se stabiliser, tout en observant autour de lui. C'est chez toi, Cameron ? T'as le sens de la déco. Je m'attendais à autre chose, j'avoue...
— À des corps exposés, des boyaux en bocaux ou des armes accrochées au mur ? énumère Maya. Moi aussi, j'avoue que je suis déçue. Tu en deviens presque... normal.
— C'est bon ? soupire l'intéressé. Vous avez fini ? Nous ne sommes pas chez moi, mais chez une connaissance. Le canapé est convertible, je vais y dormir. Il y a trois chambres avec des lits doubles au premier et deux au second. Mettez-vous où bon vous semble. Pour ceux qui ont faim, il y a des réserves dans le frigo et les placards. Tout ce que je demande, c'est de ne pas vous entretuer car tout ici est blanc et que le sang, c'est chiant à nettoyer.
Sur ces bonnes paroles et sans même un bonne nuit, l'Alementa de l'Ombre disparait parmi ses disciples obscures. Nous nous retrouvons seuls dans cette immense maison. Je finis par les abandonner à mon tour pour passer dans la cuisine que je distingue en pièce adjacente. Alors que je me fais chauffer de l'eau pour un thé en sortant un paquet de biscuit, je les entends discuter de la dispersion dans les chambres.
— Nahia ? Tu dors avec moi ? propose Maya à, j'imagine, la fille aux cheveux bleus.
— Et moi, je vais garder un œil sur toi, ajoute son frère à, je pense, Alex. Au cas-où tu viendrais à t'étouffer avec une de tes blagues de merdes.
— Je te rendrais bien la pareille, mais ça me parait compliqué. Alors on va dire que je te confierais ma vie, les yeux fermés. Et mes blagues t'emmerdent, cordialement, d'ailleurs.
Je dodeline de la tête, amusée, en les écoutant se chamailler tandis qu'ils grimpent vers les étages. La bouilloire électrique s'éteint, signe que l'eau est chaude. Je la verse dans une tasse avec un sachet de thé aux fruits rouges, trouvé dans une boite sur le plan de travail. Je me retourne ma tasse en main et manque de me brûler à cause d'un fichu sursaut. Une silhouette pâle est appuyée dans l'embrassure de la porte.
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