Chapitre 33 : Enfuis
Lanaya
La chute est interminable. Le hurlement meurt dans ma gorge et je me mords violemment la langue pour être sûre qu'aucun son ne franchisse mes lèvres. Mon cœur pulse dans ma cage thoracique, si vite que je n'en distingue même plus les battements. Le vent siffle dans mes oreilles et je ferme les yeux.
Des bras se referment soudain autour de moi et une chaleur me saisit tout entière. L'air ne déchire plus mes tympans, le vent n'enfonce plus ses petites aiguilles dans ma peau et mes yeux ne pleurent plus. Je soupire un instant soulagée mais ce soulagement ne dure qu'une seconde. Mon cœur fait mine de s'arrêter dans ma poitrine. En face de moi, le sol se rapproche à une vitesse infinie. Et je ne peux rien faire pour éviter la collision.
Je ferme à nouveau les paupières, me crispe tout entière, comme si ça allait changer quoi que ce soit. J'attends et crains la douleur du choc.... qui ne vient pas. Soudain, le contact du sol apparaît sur mon ventre et le macadam mord ma joue. Mais ce n'est rien comparé à ce qui aurait dû se produire. Le froid me saisit de nouveau et ma peau frisonne. C'est comme si quelque chose avait fermé la porte à toutes ces sensations et que celle-ci venait de s'entrouvrir de nouveau.
— Relève-toi doucement sans me lâcher, murmure Cameron derrière moi.
Encore sonnée par ce qui vient de se passer, j'obtempère sans broncher. Une de ses mains passe sous mes genoux et la deuxième me soutient le dos pour me soulever. Je m'accroche à son cou. Mes yeux se posent sur l'ombre du bâtiment qui s'étale sur toute la rue. En tombant, nous étions dans cette ombre. Cameron a alors pu utiliser son Alementa pour nous mettre en sécurité. Il avait parfaitement prévu son coup.
— Vous avez quoi tous en ce moment à sauter des toits ? C'est quoi ? Une nouvelle tendance ? marmonné-je.
Cameron esquisse un sourire, tout en prenant soin de ne se déplacer que dans les ombres des édifices.
— Avoue que c'est stylé, quand même.
Je grommelle dans ma barbe que c'est surtout dangereux. Que ça soit Dante ou Cameron, sauter d'un toit leur a sauvé la vie. Alors, je ne vais pas râler mais bon... Faudrait pas que ça devienne une habitude.
L'Alementa de l'Ombre me porte et nous nous éloignons de l'immeuble en restant dans l'ombre.
— Ta voiture est de l'autre côté, lui indiqué-je en me rendant compte qu'on part dans la mauvaise direction.
— Oui, mais l'entrée doit être envahie par des véhicules du FSG.
Arrivés à l'angle de la rue, à la limite de l'ombre surtout, Cameron jette un œil de chaque côté avant de me poser au sol. La chaleur de son énergie me quitte. Je frissonne. Le Double me fait signe de le suivre jusqu'à une ruelle adjacente.
Nous nous camouflons derrière des grandes poubelles publiques. Une impression de déjà-vu m'étreint le cœur. Nous étions dans le même type de ruelle lorsque le FSG nous a retrouvé avec Dante. Je repousse les larmes qui me montent aux yeux et me concentre sur Cameron. Il a enlevé son sac à dos et fouille dedans. Il en ressort des vêtements qu'il me tend. Je prends alors conscience du sang qui humidifie les miens. Putain, il avait vraiment pensé à tout.
Je saisis les fringues en le remerciant du bout des lèvres. Puis je fronce les sourcils en les reconnaissant. Mais ce sont mes vêtements, pas ceux que j'ai empruntés à Lyanna ! Où a-t-il eu ça ?
— Où as-tu trouvé ses vêtements ?
— Chez Dante.
Mon coeur loupe un battement.
— Tu as été chez lui ?
— C'est vraiment le moment de me poser la question ? souffle-t-il en retirant son sweat puis son tee-shirt.
Je marque un mouvement de recul. Son torse est marqué de multiples hématomes qui semblent frais. Merde...
— Cameron...
Il suit mon regard inquiet sur ses côtes. Un sourire arrogant se dessine sur ses lèvres.
— Eh ! Arrête de me mater, je te rappelle que tu as un copain !
Je lève les yeux au ciel. Mais quel crétin... Néanmoins, les bleus qui fleurissent sur sa peau pâle me serrent la gorge. Je ne m'étais pas rendu compte qu'il avait pris de tels coups.
— Tu es sûr que ça va aller ?
Il souffle en remettant un sous-pull propre.
— Oui, bien sûr que oui. J'ai l'habitude. Dépêche toi de te changer.
Il se retourne et commence à bidouiller sur son téléphone pour me laisser un semblant d'intimité. Dans une ruelle, entre deux poubelles. Je soupire et m'exécute. Le froid me mord la peau. Je fourre mes vêtements sales avec les siens dans son sac à dos.
— C'est bon.
Cameron fait volte face et je marque un mouvement de recul devant son nouveau changement d'apparence. Ses cheveux ont pris une teinte rousse et ses yeux sont à présent caramel pour le droit et doré pour le gauche. C'est dingue qu'ils gardent toujours cette asymétrie malgré les arpazos.
— Change aussi.
Je retire le bracelet portant la pierre énergétique et enfile celui qu'il me tend. Une minute plus tard, j'arbore avec fierté une chevelure brune, un visage plus fin et des tatouages sur le cou. Je reprends la couleur bleu des yeux de mon apparence précédente.
— Parfait, dit Cameron avant d'avancer vers la sortie de la rue.
Je le suis d'un pas pressé en me frottant les bras pour me réchauffer.
— Tu avais qui en prof d'anatomie l'année dernière ?
Je fronce les sourcils. C'est quoi cette question ? Je n'ai jamais eu d'anatomie !
— Parce que j'ai vu qu'on avait un changement d'emploi du temps, donc je voulais savoir si tu connaissais le prof remplaçant.
Je lui lance un regard incompréhensif. Il est devenu fou ou quoi ? Je me lance quand même dans une réponse hésitante. Cameron ne fait jamais rien sans raison de ce que j'ai compris. Je doute qu'un dédoublement de la personnalité vienne de le frapper en quelques secondes.
— Euh, non... Inconnu au bataillon.
Nous passons l'angle de mon immeuble et je me raidis. Trois voitures du FSG stationnent devant l'entrée. Cinq hommes armés fixent la porte et les étages comme si un monstre allait en jaillir à tout instant.
— Fait chier... poursuit Cameron comme si de rien n'était. J'espère qu'il va pas nous ressortir de la myo...
Ma gorge s'assèche et je deviens incapable de répondre. Je reconnais ces hommes. Ce sont ceux qui ont capturé Dante. Mes poings se serrent. Mon énergie crépite sur ma peau, mes lionnes grognent, prête à bondir, alimentées par ma colère bouillonnante.
Cameron m'attrape soudain la main et me tire vers le passage piéton, m'obligeant à traverser. Je me débats, mais il a plus de force que moi.
— Lâche-moi tout de suite, craché-je, vipérine.
Pourquoi est-ce qu'il me retient ? Lui qui semble toujours avoir si peu de considération pour la vie humaine. Pourquoi me retenir alors que ces enfoirés ont certainement torturé Dante ? Voldemort me renvoie un regard incendiaire.
— Tiens-toi tranquille, j'ai un plan, siffle-t-il.
Je cesse alors de m'agiter et lui lance une œillade meurtrière. Nous atteignons la voiture garée sur le trottoir d'en face.
— Pourquoi est-ce qu'on ne les affronte pas ? Nous avons eu le dessus sur les autres, nous pouvons l'avoir à nouveau !
Ses yeux me renvoient tout son agacement alors qu'il déverrouille la portière et l'ouvre. Il se penche et sort de sous le siège passager, une petite mallette. Je croise les bras sur ma poitrine.
— Je ne suis pas en état de gagner un combat aussi inégal, me répond-t-il, en restant dos à moi, batifolant je-ne-sais-quoi. Pas après ce qu'il s'est passé là-haut et mon petit coup avec l'ombre du bâtiment. Mais vas-y... Fonce dans le tas seule si tu penses être de taille.
Je grimace.
— C'est bien ce qu'il me semblait, rétorque-t-il sans même voir mon visage.
Je redémarre au quart de tour.
— Alors on va les laisser gagner à nouveau ? m'emporté-je. On ne va rien faire ? On va...
Un clic me coupe alors la parole. Cameron se redresse d'un bond et lance quelque chose de toutes ses forces à deux reprises. Les deux objets en question atterrissent sur les voitures du FSG, roulent et... explosent. Je me cache les yeux en criant, surprise par la déflagration. Mon cœur s'arrête lorsque je relève les yeux et vois le feu s'élever des véhicules. Des grenades.
Cameron se retourne, le regard impassible.
— Je t'avais dit que j'avais un plan.
Indifférent au chaos, il s'installe devant le volant.
— On y va ?
Mais je reste figée à tenter de percer la fumée. Des gens crient. Mon estomac se retourne brusquement. Les civils. Des habitants de l'immeuble... Quelle est la portée de ses grenades ? Les personnes du rez-de-chaussé ont-elles été atteint ? Plusieurs voitures qui passaient dans le rue se sont rentrées dedans, les conducteurs certainement surpris par l'explosion. Il en sortent, flageolant, plus ou moins blessés, fixant choqués les flammes s'élevant sur le trottoir. Les mots « bombes », « attentats » volent dans tous les sens. Des voisins sortent de chez eux et sont déjà au téléphone. Personne ne semble avoir compris d'où venait les explosifs. Je tremble. Qu'est-ce qu'on a fait ?
— Lana, on doit partir.
Je secoue la tête en fermant les yeux avant de faire le tour de la voiture pour m'installer à côté de lui, le ventre noué. Nous roulons un temps qui me parait durer une éternité durant lequel le silence règne en maître. Dans ma tête défilent les images de l'explosion en boucle et en boucle. Tuer des hommes du FSG n'est pas difficile. Mais entre poignarder un ennemi et faire exploser une rue avec des habitants innocents, il y a un monde. Je ferme les yeux tentant d'échapper aux visages paniqués et aux yeux exorbités qui m'envahissent l'esprit. Je vous en supplie...
— Les habitants ? murmuré-je.
— La grenade n'a pas une très grande portée. Ça aura peut-être soufflé les fenêtres mais rien de plus, je pense. Et au pire, ça ne m'empêchera pas de dormir. Tu voulais te venger, c'est chose faite.
Je voulais me venger... Mais pas aux prix de la vie d'innocents... Je comprends alors que c'est la différence entre Cameron et moi. Je ne sacrifierais personne pour ma vengeance. Lui n'épargnera pas personne. Il est éteint. La compassion, l'empathie, tout ça a disparu. Et je ne dois pas l'oublier. Il a beau être l'ami de Dante, il n'en reste pas moins un éteint.
Moi, je ne suis pas un monstre. Je ne veux pas être la personne que le FSG déteste ou la Double que le Conseil présente. Instable, dangereuse, cruelle. Nous n'avons fait que nous défendre aujourd'hui. Car ceux qui gardaient l'immeuble vous menaçaient ? Je secoue la tête. Ils avaient capturé Dante. J'inspire profondément pour chasser cette voix doucereuse et vicieuse qui profite de mes doutes.
Je ne m'acharne pas à lui faire entendre raison ou à m'offusquer. Ça ne réparera pas les dégâts et je ne pourrais jamais le raisonner. D'autant que j'étais la première à vouloir attaquer. Dans quelques heures, Dante sera libéré, j'exécuterai ma part du contrat et je ne reverrais jamais Cameron. Mon seul souhait à l'heure actuelle est de quitter cette ville de malheur.
Je voulais ne pas ternir les souvenirs que j'avais ici. Mais il faut croire que j'ai de nouveau échoué. Je peux désormais ajouter « massacre » et « attentat » sur la liste des choses faites dans ses quartiers. Comment les empêcher d'occulter le reste ?
Le silence reprend le pouvoir sans que personne ne s'en rende compte. Aucun son n'a le courage de tenter une révolution, aucune parole ne prend les armes et aucun mot ne fomente un coup d'état. Il trône en maître absolu.
Soudain, une sonnerie résonne dans l'habitacle alors que nous atteignons la périphérie de la ville après avoir croisé les pompiers, le SAMU et la police en fanfare. Lyanna s'affiche sur l'ordinateur de bord. Cameron décroche avec son kit main libre dans un soupir.
— Si c'est pour me faire la morale sur quoi que ce soit, c'est pas la peine, lance-t-il.
— Cameron ? dit une voix masculine rauque.
Mon cœur tombe dans mon estomac. Ce n'est pas normal. Ce n'est pas la voix d'Alex. Je me redresse sur mon siège alors que le Double se raidit légèrement. Son regard est devenu noir en l'espace d'une seconde. Visiblement, il a reconnu la personne.
— Caleb, lâche-t-il d'un coup qu'il veut égal. Que me vaut ce déplaisir ?
Je marque un temps d'arrêt. Caleb, Caleb... C'est qui déjà ?
— Je n'ai pas beaucoup de temps, Lyanna et Alex ont été capturés.
Le sang déserte mon visage. Cameron reste impassible.
— Et donc ? C'est quoi la menace ? Normalement quand on enlève quelqu'un, on ne se contente pas d'appeler ces alliés pour l'annoncer. On précise ce qu'on veut.
L'interlocuteur peste. Oui ! Ça me revient ! Caleb est l'homme qui accompagnait Clara ! C'est un membre du Comité. Je me raidis encore plus, la bouche sèche. S'il découvre qui je suis ou ma présence, je suis terminée.
— Bon sang Cameron, je ne vais pas te menacer ! J'ai besoin de vous pour les libérer ! Je suis votre allié !
Le Double émet un ricanement.
— C'est pas l'impression que tu m'as toujours donné.
Caleb soupire à l'autre bout du fil. Des crachotis nous indiquent qu'il se déplace.
— Je suis celui qui devait vous faire entrer dans le Refuge, l'ami d'Alex !
— Oh, mais je sais que tu es l'ami d'Alex. Je m'en suis toujours douté. Le truc, c'est que je ne fais déjà pas confiance à Alex alors tu penses bien que je vais avoir encore plus de mal à te faire confiance.
— Écoute... souffle l'Alementa de l'Apparence. Je vous attendrais, toi et Lana, dans deux heures à la barrière pour vous faire entrer. Vous ne pourrez pas entrer sans moi et je ne peux pas les libérer sans vous. C'était votre plan au départ et...
Je grimace lorsque des grésillements couvrent sa voix et d'un coup, il raccroche. Il est au courant pour moi. Un membre du Comité est au courant pour moi. Je me force à ne pas paniquer. Ok, il sait. Mais ça ne veut pas dire que je suis condamnée. Pour cela, il faudrait déjà qu'il m'attrape. Et je jure que je me battrais à la vie à la mort pour que ça n'arrive jamais. Je tourne la tête vers Cameron qui fixe la route, le visage neutre.
— Ça pue le piège, on est d'accord ?
— Ça empeste le piège, mais tu sais quoi ? Soyons fou... Sautons dedans.
Je le dévisage sans comprendre quand je réalise quelque chose. Je regarde par la fenêtre. Nous n'allons pas du tout dans la direction de la boite de nuit de Cameron ! Distraite par les évènements, je n'ai pas remarqué plutôt que nous nous engagions vers le total opposé.
— Minute, on va où là ?
— Chez Lyanna.
Mon sang se glace.
— Mais... Et Dante ?
— Les Sentimentaux sont partis peu de temps après nous.
Mon cœur loupe un battement. Ça veut dire que... Cameron me jette un coup d'oeil et roule les yeux, agacé.
— Ne me regarde pas comme ça. On sait tous les deux que tu n'aurais pas voulu les laisser partir seuls. Tu aurais voulu être là.
La rage explose dans mon ventre.
— Mais évidemment que je voulais être là-bas ! m'écrié-je. On parle de Dante, Cameron ! J'aurais voulu...
— Attendre à proximité du centre en priant pour que ça se passe bien ? On était bien plus efficace en distraction.
Je réalise soudain.
— Tu savais qu'ils allaient nous attaquer. Tu voulais que ça se passe comme ça pour que le centre se vide et qu'ils rencontrent moins d'obstacles.
Bien que je comprenne ses motivations, cela ne m'apaise pour autant.
— C'est pour ça que tu n'as rien dit pour ma mère...
— Tu t'en remettras, fais pas ta Lyanna, pour l'amour du ciel.
Je me retiens de lui balancer mon poing voire une dague dans sa belle gueule impassible, uniquement car nous sommes en voiture et que je ne veux pas nous tuer tous les deux. Je le fusille du regard. Il va voir si je suis aussi gentille qu'elle !
— Cameron ?
— Ouais ?
— Mens-moi encore une fois sur quelque chose qui touche à Dante ou à moi, de près comme de loin, et je te promets que je te tue.
Il m'offre une œillade amusée.
— Dante t'en voudra.
— Je n'ai pas besoin de mettre fin à ta vie pour te tuer. Un coup bien placé et nous saurons si un assassin est toujours aussi fier en fauteuil roulant que sur ces deux jambes.
Cette fois, il ne sourit plus, même des yeux. Il faut dire que je suis on ne peut plus sérieuse. Je refuse de devenir un monstre certes. Mais je ne suis pas Lyanna. Je ne le laisserai pas me dicter sa loi sans broncher sous prétexte qu'il est éteint et puissant. Je ne suis pas une putain de marionnette. Tout ce que je veux, c'est sauver mon copain et me casser d'ici.
Cameron me jauge du regard avant d'ourler les lèvres dans un petit sourire qui n'est pour une fois pas moqueur, mais appréciatif.
— Très bien. Message reçu.
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