
Chapitre 30 : Achevée
Lanaya
Je pose un pied hors de la voiture, en blonde cette fois grâce un arpazo de l'Alementa de l'Apparence. À peine descendue, je lève les yeux vers l'immeuble de ma mère, la gorge nouée. Les larmes n'ont pas encore coulé, mais je les sens, véritables rapaces, guetter la moindre occasion pour surgir. Tant de souvenirs refluent. Des bons bien entendu comme les soirées avec Dante, les conneries avec Angel et les moments de complicité avec ma mère. Mais aussi les moins bons comme le jour fatidique où tout a basculé, les pleurs après la mort de mon père et la peur qui a hanté ces lieux tant de fois.
Cameron me pousse l'épaule pour que je bouge, sans faire le moindre commentaire, ce qui ne lui ressemble pas, mais que j'apprécie. Je secoue la tête et recommence à avancer. Si j'avais pu y aller à reculons, je crois que je n'aurais pas hésité.
Je pénètre dans le hall sans un regard en arrière. Cameron a désactivé les caméras qui tournent en boucle dans tout l'immeuble et la rue. Pour trois heures exactement. Largement le temps nécessaire.
Nous gravissons les marches en silence. Nous croisons sur le chemin une voisine, Mme Moino qui passe à côté de nous sans même nous accorder un regard. Je déglutis lorsque son parfum d'ambre me parvient. La soixantaine bien avancée mais toujours aussi jeune dans sa tête. Dire qu'il y a une semaine encore, elle se plaignait des ronflements de son mari à ma mère. Elle est souvent venue se réfugier chez nous pour prendre le thé, soi-disant pour échapper aux cris de son cher et tendre, encore fan de foot. Mes ongles s'enfoncent dans ma paume tellement je serre les poings. Je crois qu'en réalité, elle a pris ma mère en pitié depuis la disparition de mon père et se sentait un peu responsable de nous. Comme la mère ou grand-mère que nous n'avons jamais eu. Je cligne plusieurs fois des yeux pour me reprendre.
Alors que nous bifurquons vers mon étage, une petite voix nous interpelle.
— Attendez !
Je me crispe un peu plus et les larmes se précipitent, traîtresses, vers la sortie, prête à s'enfuir. Je ne veux pas lui parler. Je ne veux pas la regarder dans les yeux et voir que je ne suis qu'une étrangère pour elle.
— Oui ? répond Cameron après m'avoir pressé le bras pour que je m'arrête.
Nous nous retournons. Mon corps tremble et je m'accroche à la rambarde pour tenter de camoufler mes émotions. La vieille dame nous observe les yeux pleins de tristesse et revient sur ses pas. Je serre la barre métallique et Cameron raffermit sa poigne sur mon coude. J'ignore si c'est pour me réconforter ou m'ordonner de ne pas agir de manière stupide.
— Vous ne pouvez pas monter là-haut. La police a interdit l'accès en dehors des résidents, nous apprend-t-elle, puis nous détaillant un instant, elle ajoute : Vous êtes des amis de Lana ?
— On peut dire ça, oui. On refuse de nous dire quoi que ce soit au lycée alors on est venu trouver des réponses. Tout le monde s'inquiète pour elle.
En parfait comédien, Cameron laisse un voile sombre lui obscurcir le visage. Pour ma part, je n'ai pas besoin de jouer le chagrin. Mme Moino sourit tristement.
— Personne ne sait où elle est... Sa mère est décédée en début de semaine et on n'a plus de nouvelle de la petite. Quand je... je suis allée au commissariat, ils ont refusé de me transmettre la moindre information.
Le corps de la pauvre dame tremble sous l'étau de sanglots visiblement contenus. Les larmes coulent sur mes joues en silence. Je ferme les yeux et tente de les contenir, sans succès.
— Oh... On va redescendre dans ce cas... Dites, demande Cameron en passant une main dans sa nuque, comme embarrassé, ça vous ennuierait de nous appeler si vous avez des nouvelles ?
— Bien sûr que non...
Mme Moino s'approche pour attraper le papier avec un numéro que lui tend l'Alementa de l'Ombre. Elle le fourre dans sa poche et à la grande surprise de celui-ci, le serre dans ses bras. Cameron reste un instant les bras ballants avant de rendre l'étreinte de la vieille dame. Puis elle s'avance vers moi et me serre avec la même vigueur contre elle. Quand elle s'écarte, j'en viens à me demander si elle ne se doute pas de quelque chose. Puis, sans regard en arrière, elle s'éloigne. Si c'est le cas, l'adorable mamie n'en laisse rien paraître et disparaît dans les escaliers. Quelques minutes plus tard, on entend la porte de l'immeuble claquer.
— Tu crois qu'elle a compris ? me demande Cameron, aussi incertain que moi.
Je hausse les épaules. Revoir Mme Moino m'a fait, je pense, autant de bien que de mal. Du bien, en repensant à tout de ce que j'ai vécu ici et du mal, en assistant à la détresse émanant de cette toute gentille dame qui a toujours été là pour nous. Et me dire que je ne peux même pas la rassurer me brise un peu plus...
Nous reprenons notre ascension. Lorsque nous atteignons la porte de mon appartement après être passés sous les rubalises jaunes, je prends une profonde inspiration. Mais Cameron n'attend pas que je sois prête à quoi que ce soit. Il pousse la porte et rentre. Son attitude compatissante a été de bien courte durée. Je le suis, plus hésitante.
J'évite du regard les photos de famille et contemple l'appartement. Il est exactement dans le même état que le jour fatidique. Même la tasse de thé froide que ma mère avait certainement posée sur la table avant de monter au jardin est encore là. Le Double s'en saisit, en sens le contenu et grimace avant de la reposer.
— Où as-tu retrouvé ta mère ? m'interroge-t-il alors.
— Au-dessus.
Il hoche la tête et m'invite à prendre la tête. J'ignore les détails et souvenirs m'attrapant comme des bras jaillissant de partout, pour atteindre la trappe. Déconnectée de mon corps, mes pieds gravissent les quelques marches et mes mains poussent le battant avec le même désespoir que le jour où tout a basculé. L'esprit dans le brouillard, je trébuche sur le bord en bois et manque de m'étaler.
Une fois en haut, je me redresse. Le vent frappe mon visage et chasse les larmes en me brûlant les yeux. Je regarde le paysage que j'ai tant de fois contemplé avant que mes yeux ne se posent sur les parterres brûlés. Mon cœur se serre. Il ne reste plus rien de ce jardin auquel ma mère a consacré tant de temps et d'amour.
Cameron soupire. Il écarte la nouvelle rubalise lui intimant de ne pas avancer et s'accroupit derrière la trappe, où une silhouette a été laborieusement dessinée.
— Ça va être plus compliqué de prévu... Est-ce que tu te souviens s'il y avait des traces de lutte autour ?
Je me force à le rejoindre et m'abaisse à son niveau. Mon cerveau est empli d'un sombre brouillard de chagrin. Des flashs se superposent et le corps sans vie de ma mère vient remplacer celui dessiné au scotch. Je replonge douloureusement dans mes souvenirs. Je revois les pivoines légèrement fanées et son expression figée à jamais. Je revois son chemisier bleu roi et ses cheveux roux feu pleins de terre. Je ressens de nouveau ma douleur, mon choc, ma détresse, mon chagrin... Il me faut toute la force du monde pour me concentrer sur ce que nous cherchons. Non. Je ne me souviens pas avoir vu quelconque trace de lutte autour d'elle. Aucun parterre n'était écrasé ou aplati. Aucune trace de sang non plus. D'ailleurs si je ne savais pas intimement qu'elle avait été assassinée, aucun indice ne pointait un meurtre. Malheureusement, il existe des pouvoirs capables de tuer sans laisser ce genre de trace.
— Bon, on peut dire adieu à tout ce qui est empreintes ou tout ce qui est cellulaire, l'incendie aura tout détruit. On n'a pas accès au corps alors inutile d'étudier les trajectoires ou quelconques blessures. Il ne nous reste plus que les énergies. Alex dit qu'elles peuvent rester jusqu'à quinze jours. Je suis prêt à parier qu'il n'y a pas des masses d'Alementas qui sont passés par ici entre temps alors si on a de la chance, on chopera celle du meurtrier.
Ça fait beaucoup de si... Cela dit, je le rejoins sur un point. On n'a rien de mieux.
— Tu as toujours été capable de ressentir les énergies ? m'interroge Cameron alors que je ferme les yeux.
Je secoue la tête. Répondre à sa question me permet d'écarter les reliquats de la brume ayant envahi mon esprit depuis notre rencontre avec Mme Moino.
— Non, mais ma mère le pouvait alors elle m'a enseigné. Tout Alementa déclaré a une énergie nette que je peux sentir, mis à part les Sentimentaux qui en possèdent une plus diffuse. Mais avant il n'était pas rare que plusieurs m'échappent. C'est certainement pour ça que je n'ai pas senti Dante. Maintenant, tout s'est décuplé depuis que...
Je ne finis pas ma phrase.
— Ça fait donc pas parti de ton deuxième don... réfléchit-il.
Je secoue de nouveau la tête avant de me concentrer pour de bon. Plusieurs énergies m'accueillent alors à bras ouverts. Je rouvre les yeux sur un monde de couleur. Les dons de Cameron virevoltent autour de lui. Je ne prête pas attention à nos traces et me concentre sur les autres. Celle de Dante et de ma mère sont présentes, tenues et en train de disparaître petit à petit. Je tourne autour de moi, observant avec attention le méli-mélo que forme les énergies à la recherche. Ma respiration s'accélère lorsque je réalise que je ne vois que la mienne et celle de Cameron. J'ai beau me concentrer, je ne vois aucune autre énergie. Je fais un nouveau tour sur moi-même, le cœur au bord des lèvres. Il n'y a rien... Comment se fait-il qu'il n'y ait rien ?
— Lana ? m'appelle Cameron devant ma panique montante.
— Il n'y a rien... murmuré-je. Il n'y a rien du tout !
Je le fixe, désespérée. Pourtant, il n'y a aucune trace de surprise sur son visage. Ma respiration s'accélère.
— Tu savais...
Il hausse les épaules. Je serre les poings.
— Quoi, Cameron ? lui demandé-je, la voix tremblotante. Qu'est-ce que tu me caches ?
Son regard n'exprime rien alors qu'il lâche des mots dévastateurs.
— Une crise cardiaque. Ta mère est morte d'une crise cardiaque. Elle n'a pas été tuée.
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