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Chapitre 16 : Planifié

Lanaya

J'acquiesce, le visage fermé.

— J'ai une idée pour le trouver, m'apprend Cameron. Mais avant tout de chose, acceptes-tu notre proposition ? Nous n'avons pas de temps à perdre si ce n'est pas le cas.

— Je ne signe pour rien du tout tant que je n'ai pas toutes les informations en main, répliqué-je.

Les trois Alementas se regardent du coin de l'œil, comme pour se concerter une dernière fois. Cameron hausse les épaules et recale son dos contre le mur, légèrement dans les ombres de celui-ci. Les braises au bout de sa nouvelle cigarette s'intensifient alors qu'il tire dessus. La fumée s'échappe de ses lèvres pour venir vers moi. Je la chasse d'un mouvement de main et le foudroie du regard. Son haussement de sourcil arrogant me défie. Qu'à cela ne tienne... Je plisse les yeux et me concentre sur l'énergie dégagée par la flamme de sa cigarette. Je l'amplifie et sa cloque se consume en quelques secondes. L'agacement qui succède à la surprise dans ses prunelles me fait sourire et j'arque un sourcil à mon tour, avant de tourner la tête vers Alex qui toussote pour attirer notre attention.

— Cela fait quelques temps que les événements étranges s'enchaînent dans le refuge, m'apprend-t-il, le visage plus sombre. Des morts avec des causes plus ou moins obscures, quelques suicides même. Des personnes en désaccord avec le Conseil qui le manifestaient avec plus ou moins de force. La population commence à avoir peur et c'est peut-être notre chance. Si on peut prouver que le Conseil commande ses meurtres...

Ils pourraient le déstabiliser. Soit.

— Vous voulez donc entrer dans le refuge pour chercher vos preuves ? Et vous comptez obtenir comment l'autorisation d'un membre du Comité ?

— J'ai une solution, m'affirme Alex.

— Qui est ?

Il se mord la lèvre, navré, avant de secouer la tête.

— Je préfère ne rien dire avant qu'elle ne soit en application.

Cameron souffle d'agacement et je devine sans mal qu'il a déjà dû poser la question plus d'une fois.

— Quant à moi, je peux créer une diversion pour laisser le temps aux autres de fouiller les lieux, intervient Lyanna avant que l'Alementa de l'Ombre ne renchérisse.

— Sans vouloir être pessimiste, c'est léger comme plan.

— C'est le meilleur qu'on ait avec le peu d'infos qu'on a.

— Pourquoi alors ? demandé-je, la voix plus sèche que je ne l'aurais voulue. Pourquoi risquez-vous vos vies au nom d'une quête probablement vaine ? Pourquoi perdre votre temps alors que des Alementas disparaissent régulièrement ? Toi, je peux comprendre, dis-je à Alex. Si le refuge tombe, tu es libre de toute menace, même si tu pourrais visiblement aisément partir. Mais vous ? Cameron, comme tu l'as si bien dit au téléphone, tu ne diriges pas d'association caritative. Lyanna, tu vis en marge du refuge donc pourquoi te préoccuper de ce qui se passe à l'intérieur ?

Durant une longue minute, personne ne dit mots. Puis Lyanna reprend la parole, la voix tremblotante.

— Le dernier tué avait quinze ans, Lana. Et personne depuis la mort de ses parents dans un combat. Si nous, on ne cherche pas son meurtrier... Dis-moi, qui le fera ?

C'est à mon tour de rester sans voix. Je pince les lèvres. Qui peut être insensible au point de s'en prendre à des enfants ?

— Personnellement, je me tape de leur âge, avance Cameron. Aucun Alementa n'a la vie facile et c'est mentir de dire que ça va en s'améliorant. C'est limite leur rendre service de leur tirer une balle dans la tête. Non, moi ce qui m'intéresse, est l'imminent responsable qu'ont peut-être mis en lumière nos recherches.

— Vous n'avez aucune preuve et vous allez risquer vos vies, insisté-je.

— On le sait bien. Mais on ne va pas rester les bras croiser à attendre.

Je me pince l'arête du nez en réfléchissant aux dernières révélations du trio infernal. Le pour et le contre se pèsent dans ma tête. Je ne sais pas s'ils réussiront à obtenir les informations qu'ils souhaitent car si j'étais le Comité, ce n'est pas le genre de paperasse que je laisserais traîner sur la table basse. Aussi égoïste que cela puisse paraître, je me fiche un peu que leur mission échoue. Ce qui m'intéresse en revanche, c'est si elle réussit.

— Et que comptez-vous faire ? Si vous avez vu juste, s'entend...

— Nous venger.

Inutile de préciser qui est l'auteur de ces deux mots, lancés d'un ton aussi tranchant que la lame de ses dagues. Je tourne la tête vers Cameron. Son regard est aussi froid que sa voix. Sa posture a beau être nonchalante, je le sens concerné par cette discussion. Son corps ne fait désormais plus qu'un avec les ombres de la pièce. Il veut sa vengeance. Cette mission est pour lui une affaire bien plus personnelle que je n'aurais pu le penser. J'ignore ce qu'il lui est arrivé, mais je n'aimerais pas être à la place du Conseil.

— Vous comptez tuer les Anciens ?

— Décidément tu as l'esprit vif, se moque Cameron.

— Zayne doit mourir, murmure Lyanna. On n'a pas le choix si on veut se libérer.

Je les fixe à tour de rôle. La détermination que je lis sur leur visage est grande et bien ancrée. Ils ne renonceront pas. Pourtant, j'ai l'impression qu'on ne me dit pas tout. Je ne vois pas pourquoi ils ont attendu ce prétexte pour se venger. Vu le regard hanté de chacun, leur passé pourrait amplement suffire. Mais à trois, ils ne pourront rien faire. La seule solution serait éventuellement que les refuges se retournent contre le Conseil. La population commence à avoir peur et c'est peut-être notre chance. C'est ça. Ils veulent une révolte.

— Très bien, lâché-je après un instant. Je vais vous aider pour votre mission, si vous m'aidez à venger ma mère et à sauver Dante. Mais il est hors de question que je participe à la révolution qui suivra.

Cameron ricane et je lance un regard équivoque à Lyanna.

— Et je veux également la confirmation que même si votre mission échoue, vous tiendrez vos engagements vis-à-vis de notre accord.

— Promis, croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer, récite Cameron, la voix débordante de sarcasme. Veux-tu que je crache au sol pour te prouver ma bonne foi ?

J'attends la confirmation de Lyanna. Étrangement, la promesse de l'Alementa de l'Ombre ne me convient guère.

— Une dernière chose... ajouté-je, après qu'elle ait hochée la tête. Si vous trouvez les Anciens, je veux être celle qui leur ôtera la vie. Je veux tuer Zayne.

Lyanna et Alex écarquillent les yeux. Cameron éclate de rire, comme si j'avais prononcé la blague la plus hilarante qu'il connaisse. Je croise les bras sur ma poitrine et le regarde avec tout le mépris du monde dans les yeux.

— Cameron... soupire l'Alementa du Vent.

— Excuse-moi, se reprend l'Alementa de l'Ombre, l'air pourtant très peu désolé. Mais avoue que c'est quand même le truc le plus comique que l'on ait entendu depuis longtemps.

— Je suis parfaitement sérieuse, précisé-je.

— Je sais. Justement.

Ne rien rétorquer... Ne rien rétorquer pour ne pas entrer dans son jeu. Je me retiens avec peine, dévisageant l'homme qui continue de rire. Je ne suis pas suicidaire au point de me confronter à lui.

— Vendu, acquiesce Lyanna après un regard à Alex.

Bien que surprise, j'esquisse un sourire alors que le rire de Cameron s'arrête aussitôt. Je lui rends un haussement de sourcils narquois. Ça lui fait les pieds. L'Alementa de l'Ombre se redresse de toute sa hauteur. Tout son corps s'est mis en alerte, ça se sent dans le tressaillement de ses muscles. Pourtant, il dégage un calme olympien. Lorsqu'il penche la tête sur le côté pour nous observer à tour de rôle. Un frisson me descend dans le dos. Ses yeux... Je me retiens de reculer par instinct de survie. Son œil droit est en train de perdre peu à peu le gris pâle qui encadre son iris pour se diriger vers un noir abyssal. À l'inverse, la couleur orage du gauche prend lentement le dessus sur l'obscurité. L'effet est saisissant. Et assez glauque, il faut se le dire. Conscient de la froideur de son regard, c'est d'une voix posée mais glaciale que Cameron lance un seul mot.

— Pardon ?

— Tu as bien entendu, rétorque la blonde, très peu impressionnée par son numéro.

— Oui, pour dire vrai, je te laissais simplement une chance de rectifier ta réponse, menace-t-il.

Une dague vient miraculeusement trouver place aux creux de sa main.

— Arrête, je sais que tu ne me feras rien.

— Serais-tu prête à risquer ta vie sur cette simple certitude ? l'interroge Cameron, tout en faisant tourner son arme dans sa main.

— Mais vous êtes ingérables ! s'interpose Alex. Laissez donc la haine aux Anciens et concentrez-vous sur la mission plutôt que de vous disputer pour des choses futiles !

— Ce n'est pas futile, réplique l'Alementa arrogant, la colère peinte sur le visage. Tu sais très bien ce que cette mission représente à mes yeux, Lyanna.

— Je croyais qu'elle n'était pas essentielle à ta vie ? lui rappelé-je en citant ses propres paroles.

Cameron tourne alors son étrange regard magnétique vers moi. Pour un peu, j'aurais presque un mouvement de recul. Ajoutez à sa froideur, la rage et la haine qui assombrissent ses prunelles et n'importe quelle personne saine d'esprit aurait paniqué rien qu'en croisant son regard. Mais il faut croire que nous sommes tous complètement timbrés car aucun de nous ne bouge.

— Et toi que tu ne voulais pas te mêler à quoi que ce soit nous touchant ? Je n'ai pas besoin de cette quête pour vivre, c'est vrai. Mais si nos hypothèses sont correctes et que le Zayne est bien derrière tout ça, cela me donne les moyens de me venger. Tu crois quoi ? Tu crois être la seule ici à ressentir ce besoin de le faire payer ? Et bien non, redescends chérie, tout le monde meurt d'envie de le voir inerte dans une mare de sang, alors tu es gentille, tu fais la queue et attends ton tour comme tout le monde.

La sombre détermination qui anime ses yeux suffit à me convaincre d'une chose, malgré son sarcasme provocateur. Entre Zayne et lui, il y a quelque chose de personnel, je vois dans ses yeux. L'Alementa qui se tient devant moi brûle d'une vengeance qui pourrit depuis bien trop longtemps.

Cela me suffit à lâcher l'affaire. De toute manière, mon objectif n'était absolument pas de lui voler sa vengeance. Je ne veux pas être mêlée à tout ça. En lançant cette condition, je voulais mesurer leurs blessures. S'ils sont prêts à laisser une inconnue leur prendre le fruit d'années d'attentes et de douleur, c'est que cette vengeance ne leur tient pas tant que ça. Et si c'est le cas, ils sont plus aptes à retourner leurs vestes en cas de problèmes majeurs. Et donc potentiellement à me dénoncer. Je suis une Double. Si je suis prise par le Conseil, je risque l'emprisonnement à vie, un empoisonnement à l'azalée et une mort en avance. Je suis donc rassurée sur un point. Tant que je lui serai utile, Cameron ne me trahira pas. Cette mission dépasse de très loin le simple intérêt qu'il ne lui montre. C'est une affaire personnelle, ancrée en lui, dans sa chair, son corps.

— Très bien, lâché-je. Mais je veux que le Conseil souffre ne serait-ce que le millième de ce qu'ils ont fait endurer à tous les Alementas, Doubles, Sentimentaux, isolés ou dans les refuges. Il faut qu'ils payent pour tout ce qu'ils ont fait.

Un sourire sadique se dessine sur son visage. On dirait un enfant ayant reçu son cadeau de Noël à l'avance. Après tout, qui suis-je pour lui voler sa vengeance ? Tant que le Conseil paye, peu importe qui tient le marteau ou la dague qui les condamnera.

Je tends alors la main pour serrer celle de Lyanna, scellant ainsi notre accord et implicitement le destin de Dante, voire même de celui de tous les Alementas. 

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