Chapitre 12: Invisible
Lanaya
— 'Chier, jure l'Alementa du vent, son expression se fermant.
Rapidement, elle se décoiffe les cheveux et se précipite vers l'étage. Je n'ai pas le temps de comprendre ce qu'elle fait qu'une forme noire apparaît devant moi. Je lève les yeux et croise un regard sombre. Cameron.
— Plus tard les questions, me coupe celui-ci en me poussant contre le mur le plus proche, dans l'ombre du frigo.
Je hoquette de surprise lorsque mon dos rencontre violemment la paroi dure. Je veux m'en décoller mais un poids contre moi m'en empêche. Des bras s'enroulent autour de mon corps et m'accule contre le mur.
— Tais-toi et ne bouge sous aucun prétexte, siffle-t-il.
Je tente de le repousser mais c'est peine perdue. Me dominant de presque quinze centimètres, mes yeux dépassent à peine de son épaule. C'est pourtant suffisant pour que je voie la porte s'ouvrir avec pertes et fracas.
Deux hommes font irruption dans la pièce. Je me fige. Le premier entré, un grand brun à l'air aussi avenant qu'un chien montrant les dents, s'avance et crie :
— Lyanna !
Quelques secondes passent. Sa colère envahit la pièce comme une vague dévastatrice. Le second, un roux au visage plus tranquille, rejoint son compagnon au centre de la salle-à-manger et lui murmure :
— Tu devrais te calmer... Ce...
— Lyanna ! hurle de nouveau le premier ignorant l'intervention.
Son regard vert hargneux se balade sur les murs comme s'il cherchait quelque chose. À aucun moment, il ne semble remarquer notre présence. Comme si nous étions invisibles... Ce moment où Cameron a disparu pour éviter les balles de la Aidia, tout à l'heure dans la forêt où aucun de mes coups ne l'atteignaient alors qu'il se tenait forcément juste derrière moi, là où personne ne nous voit... Mes yeux se posent sur nos pieds. Ceux de Cameron sont juste à la limite de l'obscurité créée par le frigo. Il est capable de devenir une ombre...
Je m'ouvre aux énergies pour avoir une idée d'à qui nous avons à faire. Je suis a nouveau déstabilisée par la puissance de ce radar qui avant ne me procurait que des picotements lorsqu'un Alementa usait de ses pouvoirs proches de moi. Quand je rouvre les yeux, mon coeur loupe un battement devant cette vision surréaliste. Je ne me contente plus de sentir, je vois les énergies.
Celle de Cameron nous enveloppe, fumée noire et opaque comme un puits dans fond. Je vois une légère brume grisâtre flotter dans l'air, certainement trace du don de Lyanna. Le patchwork que cela donne est incroyable. Je vois chaque effluve, chaque passage d'Alementa différencié par la texture et la couleur de leur énergie. Je me concentre alors sur celle des deux hommes. Une corde d'énergie rouge clair les enveloppe et les lie aussi sûrement que des menottes. Mais elle semble plus diffuse, plus douce.
— Pas la peine de hurler comme ça, je vous entends, répond soudain Lyanna, d'une voix légèrement ensommeillée, en descendant. Qu'est-ce que vous faites-là ?
Je relève la tête, perdant ma concentration. Les fumées s'évaporent. Je ne vois pas Lyanna mais je sens à son timbre de voix qu'elle est agacée. Si le pit-bull l'entend également, ça ne semble pas le décontenancer et encore moins le calmer.
— Où est-il ? s'exclame-t-il avec une agressivité non dissimulée.
De nouveau, ses petits yeux fouillent la pièce en quête de quelque chose. Il est plus près si bien que je discerne mieux son visage. Une longue cicatrice court sur son front pour s'arrêter à la naissance de sa paupière. Sa barbe de cinq-six jours fausse un peu mon estimation de son âge mais je lui donnerais une trentaine d'années. Le soupir fatigué de Lyanna me parvient.
— De qui tu parles ? demande-t-elle, étouffant un bâillement.
Pour la première fois, la blonde réussit à m'arracher un sourire. Ce qui n'est étrangement pas le cas du grand brun dont l'agressivité monte d'un cran devant sa provocation. J'essaie de me dégager un peu de l'emprise de Cameron pour mieux voir la scène mais ce dernier me tient fermement. Je suis si proche de lui que je sens son ventre monter et descendre au rythme de son souffle dans mon cou. Ses bras se resserrent autour de moi.
— Tu sais très bien pourquoi nous sommes ici ! s'énerve le brun.
— Excuses-moi, Yollan, soupire Lyanna. Mais il est cinq heures du matin, donc si tu pouvais m'indiquer la raison de votre venue rapidement pour que nous réglions ça et que je puisse finir ma nuit en paix, je t'avoue que ça m'arrangerait.
Le fameux Yollan ouvre la bouche pour rétorquer mais le rouquin pose une main sur son épaule. Ses cheveux sont légèrement en bataille. Une barbe entretenue lui dévore aussi les joues dans des arabesques stylisés. Sa musculature n'est pas mise en valeur par ses vêtements larges mais les mouvements assurés de ses bras ne me trompent pas. Il est puissant. Pourtant ses grands yeux ambre dégagent un calme qui contraste avec la colère bouillonnante de son compagnon. Cela dit, je m'en méfierais plus. Le calme avant la tempête. Les deux Alementas échangent un regard lourd de sens qui ne m'inspire rien de bon. Après un soupir excessif, le pit-bull accepte finalement de reculer pour lui céder la parole.
— Alex a vu quelqu'un traîner près de la frontière, déclare le roux, la fixant de ses yeux ambre inquisiteurs.
— En quoi ça me concerne ?
— Tout le monde sait que tu es ami avec lui ! crache le brun qui n'a visiblement pas tenu plus de deux minutes avant de l'ouvrir de nouveau.
Je sens les muscles de Cameron se contracter autour de moi. Vraisemblablement, l'insistance et le mépris avec lesquels ont été prononcés le lui ne lui ont pas plu. Pas du tout. Sa colère vibre autour de son corps.
— Et alors ? soupire Lyanna. Je ne m'en suis jamais cachée. Si tu viens me déranger juste...
— Donc tu avoues l'aider à attaquer le Refuge ? insiste Yollan avant que son compagnon ne l'oblige à se taire d'un regard.
Seul ce dernier semble avoir une quelconque influence sur l'agressivité débordante du brun.
— As-tu vu quelqu'un s'approcher de la barrière cette nuit ? l'interroge le roux.
— Non, répond l'Alementa du vent. Mais après, je vous avoue que je ne passe pas mon temps à surveiller votre précieuse frontière. C'est votre job, à vous les membre du Comité, pas le mien.
Je me crispe, ne cherchant plus du tout à me dégager de Cameron, au contraire. Je m'enfonce contre le mur, comme s'il pouvait m'avaler. Dois-je en déduire que ces deux énergumènes sont dans le Comité Septentrional ? Si c'est le cas, la situation est encore pire que ce que je craignais. Le Comité est le petit groupe qui fait respecter les lois du Conseil dans les refuges. Ils font clairement le culte de la personnalité des Anciens. Ils sont composés de généralement quatre personnes dont les trois quart sont désignés par les Anciens eux-mêmes. Deux pour représenter les Alementas Simples, un pour les Sentimentaux qui ont récemment gagné le droit d'avoir leur délégué. Et un ultime larbin qui est élu par les habitants pour ajouter une illusion de démocratie dans leur dictature. Illusion qui ne trompe que ceux qui peuplent les refuges.
— Pourquoi es-tu debout dans ce cas si tu n'as vu personne ? rétorque le plus calme.
— Pour des raisons qui ne regardent que moi et qu'en conséquent, je ne partagerai pas avec vous. Maintenant si vous avez fini votre inter...
— Répond à ma question Lyanna, s'il te plaît. Pourquoi es-tu levée ? répète le roux.
J'entends la jeune femme soupirer.
— J'ai eu mes règles, lâche-t-elle.
Yollan se redresse d'un bond, une lueur triomphante dans les yeux qui ne me dit rien qui vaille.
— Tu mens ! s'exclame-t-il, victorieux.
Le roux lève la tête et hausse un sourcil vers Lyanna que je ne vois toujours pas.
— La vérité, maintenant s'il te plaît.
Un silence lui répond. Mon sang se glace dans mes veines. On est dans la merde. Si ces hommes savent lorsqu'on ment, Lyanna sera forcée de dévoiler notre présence. Ce qui ne me semble pas être une bonne chose vu les personnages pleins de sympathie qui nous font face. Pourtant Cameron ne semble pas tendu plus que ça à cette idée. Comme si ça ne l'inquiétait même pas.
— On sait très bien pourquoi ! Elle veut aider Cameron à attaquer le Conseil et a libéré les Doubles ! Tout le monde sait qu'elle est de leur côté et elle n'hésite pas à l'affirmer. Elle seule peut entrer dans le refuge sans être inculpée. Tu es complètement inconsciente ! crache-t-il pour la jeune femme. Sois sûre que le Conseil sera informé de cet évènement.
— C'est bon ? T'as fini ? demande Lyanna, visiblement fatiguée. J'étais avec Cameron au sujet d'une nouvelle Alementa qu'il était chargé de retrouver. Je ne me rendrais en aucun cas complice de massacres qu'il peut perpétrer.
Les deux compagnons la fixent un instant. Yollan se renfrogne à vue d'œil. Apparemment, Lyanna dit la vérité à son grand damn.
— Cela reste un Double... marmonne-t-il. Tu n'es pas sans savoir que tout contact avec lui sont proscrits. Tu n'es peut-être pas sa complice mais le Conseil n'ignorera pas tes amitiés douteuses.
Après un dernier regard assassin en direction de Lyanna, le brun colérique se dirige vers la sortie. À aucun moment, il ne semble s'être douté de notre présence. Par contre, sa dernière phrase ne me rassure pas. Il est inconcevable que ses derniers ne tiennent pas au courant le Conseil sur la présence d'un Alementa hors refuge ici.
— On se taille d'ici, Tim, lance-t-il sans se retourner et encore moins dire au revoir.
Le roux acquiesce mais s'attarde un instant, attendant que son acolyte quitte la pièce.
— Fais attention à tes paroles, Lyanna. À jouer sur trop de tableaux, tu vas finir par commettre une erreur, l'avertit le dénommé Tim, d'un ton neutre, sans aucune animosité.
— Je ne vois pas de quoi tu parles, baille-t-elle. Maintenant si ça ne t'ennuie pas, j'aimerais vraiment finir ma nuit alors...
— Je ne pourrai pas toujours poser les bonnes questions et tu le sais, poursuit-il. Un jour viendra où tu ne trouveras pas d'échappatoire. La vérité éclatera alors que tu le veuilles ou non.
L'Alementa du vent ne répond rien. Prenant certainement son silence pour un aveu, Tim soupire et s'avance un peu. Ses yeux ambre n'expriment aucune haine, juste une réelle inquiétude à l'égard de la jeune femme.
— Tu n'obtiendras pas gain de cause. Cesse de t'acharner avant que ça ne soit trop tard, je t'en prie. Dans le meilleur des cas, tu seras simplement dénigrée. Je te laisse imaginer le pire. Souhaites-tu vraiment détruire tout le chemin que tu as parcouru ? Alors, je te le demande maintenant, en tant qu'ami. Arrête.
— Mais si je ne dis rien qui le fera ? rétorque Lyanna. Je comprends tout à fait que tu ne veuilles pas risquer ta place. Moi, je n'ai rien à perdre.
Son aveu semble ôter les mots à son interlocuteur car celui-ci se tait. Il ouvre la bouche puis la referme se passant une main dans les cheveux, nerveusement.
— Je ne devrais pas te le dire mais sache que le Conseil prévoit quelque chose contre Cameron. Zayne mijote quelque chose.
Ce dernier se redresse légèrement, soudain intéressé. Je suis si proche que je devine sans mal à sa respiration calme qu'il est à l'écoute.
— Quoi ? Comment ça ? demande Lyanna.
— Il semblerait que Zayne ait la rancune tenace. Jusque-là, il le tolérait car il devait asseoir son pouvoir mais maintenant... Je sens que quelque chose est en train de changer.
La poitrine de l'Alementa de l'Ombre se soulève légèrement contre moi, comme s'il étouffait un ricanement.
— Donc la prochaine fois que tu le verras, dis-lui de faire attention à lui, ajoute Tim en haussant la voix, parcourant la pièce d'un regard entendu. Je ne sais pas ce qui se prépare mais j'ai un mauvais pressentiment. Et malheureusement, ce n'est jamais synonyme de bonnes nouvelles.
Sur ces paroles débordantes d'optimisme, il quitte la pièce après avoir souhaité bonne nuit à Lyanna. Ok... Même si je n'ai pas saisi toute la conversation, je pense avoir compris l'essentiel. La situation n'a pas atteint son summum de médiocrité.
Toujours serrée entre Cameron et le mur, je ne bouge pas. Le souffle de ce dernier est régulier dans mon cou et soulève une mèche de mes cheveux feux qui s'en tortille sur elle-même. Lyanna patiente également, s'affairant dans sa cuisine, l'air de rien. Mais je ne suis pas idiote, je devine que cette mise en scène a pour seul but de s'assurer qu'aucun des deux zoziots ne décide de faire subitement demi-tour.
Une fois cinq bonnes minutes passées sans retour intempestif, Lyanna nous adresse un discret signe vers l'étage. Elle éteint alors la lumière et je l'entends gravir les marches. Je me raidis, dérangée par l'obscurité. Je déteste ça. Alors que je m'attends à ce que Cameron s'écarte pour que nous puissions la suivre, il n'en fait rien. J'hésite à le pousser. Je n'aurais pas la prétention de dire que je commence à le cerner, mais il n'a pas l'air d'être le genre de personne à laisser des choses au hasard. Après une éternité dans l'obscurité, il passe une main sous mes genoux et me soulève comme si je n'étais qu'un poids plume. Je pousse un petit cri de surprise, m'accrochant par réflexe à son cou.
La poitrine de Cameron se soulève comme s'il ricanait. Crétin. L'Alementa de l'Ombre grimpe les escaliers comme si de rien n'était et me transporte jusqu'au salon dans lequel je me suis réveillée. Lyanna nous y attend déjà, les volets et fenêtres closes. La seule lumière qui éclaire la pièce vient d'une pauvre ampoule pâle pendouillant dans un coin.
Cameron me lâche les jambes et je me retrouve sur mes pieds. Mon corps titube, engourdi d'être tant resté immobile.
— Cameron ! Je t'interdis de... s'exclame Lyanna.
J'ai le temps d'entendre un éclat de rire narquois avant qu'il ne disparaisse totalement. La main de la jeune femme qui allait atteindre son bras retombe alors dans le vide. Elle laisse échapper un cri d'énervement.
— Cameron ! l'appelle-t-elle, une nouvelle fois, la voix agacée et lasse comme si elle savait que c'était vain.
Et effectivement, aucune réponse ne lui parvient. Poussant un énième soupir, Lyanna se laisse tomber dans le canapé et d'un mouvement de main fatigué, m'invite à l'y rejoindre. Je suis très bien debout merci. Je croise les bras sur ma poitrine et campe mes pieds dans le sol pour camoufler leur vacillement. Mes yeux se plissent. J'ai conscience de me réfugier derrière une attitude de défi. Mais avancer sans regarder autour de soi est tellement plus facile que de s'arrêter pour contempler ce qu'on a perdu.
— J'imagine que je te dois des explications... souffle la blonde, se passant la main sur le front comme victime d'une migraine effroyable.
Je ne réponds pas, lui laissant la parole. De toute manière, son affirmation ne sonnait pas comme une question.
— Les deux hommes que tu as vus sont des émissaires du Conseil, commence-t-elle. Ce sont les Sentimentaux du Comité relayant les ordres des Anciens dans ce refuge. Ils sont au nombre de cinq ici. Leur rôle est de veiller à la sécurité, au maintien des protections et d'assurer que les lois votées sont bien appliquées dans l'enceinte de l'Illumarque.
L'Illumarque est la barrière protégeant le refuge, oui, je sais. Je me garde de la couper lorsque qu'elle me ressort la définition de peur de ne pas avoir de réponses à mes questions. Elle m'explique ensuite le principe du Comité que je pourrais réciter sur le bout des doigts également. Un mal de tête de plus en plus puissant me déchire le crâne. Je me force à me concentrer alors que la blonde embraye sur une histoire de meurtre. La colère brille dans ses yeux, mais les informations n'arrivent plus à mon cerveau. Des tâches noires dansent dans le décor qui se met à tourner comme pris dans un manège à sensation. Je sais que je vais m'évanouir lorsqu'un jet de bille me brûle la gorge et que mon corps rencontre le parquet de toutes ses forces.
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