Chapitre 11.1: Soignée
Lanaya
Des voix... Des voix inconnues tirent sur la couverture de sommeil qui me protège du monde. Mon esprit émerge lentement d'une léthargie que j'aurais voulu ne jamais quitter.
—... erci Alex... Tu ne peux pas savoir à quel point tu me sauves la vie... Désolée pour la nuit écourtée.
— Y a pas de soucis. Par contre, elle risque d'avoir un mal de crâne à relever un mort quand elle ouvrira les yeux.
— C'est noté. Et... enses-tu... ouble... a...
Les voix s'éteignent au fur et à mesure que leurs pas s'éloignent. À présent parfaitement réveillée, je ne bouge pas et attends de voir si aucun des deux ne fait pas subitement demi-tour. Rien. J'ouvre alors les yeux sur l'obscurité profonde de la pièce. Aussitôt un subit élancement m'oblige à prendre ma tête entre les mains, tout en étouffant un hurlement de douleur. Imprévisible, puissant, insoutenable. Je me recroqueville sur moi-même tentant de chasser cette épée qui me déchire le crâne, élargissant la plaie à chaque coup. J'ai si mal. Mon souffle est haletant et mes ongles s'enfoncent dans ma peau. J'ai si mal...
Je reste un moment, là, prostrée, subissant des attaques psychologiques plus violentes, les unes que les autres. Puis aussi vite qu'elle est apparue, la douleur s'évanouit comme chassée brusquement. J'attends un instant, tremblante, avant de me redresser doucement. Au moins maintenant je sais de qui parlaient les deux voix. « Un mal de crâne à relever un mort », tu m'en diras tant...
Le temps que mes yeux s'habituent à la sombre luminosité de la pièce, je roule des épaules, détendant mes muscles qui protestent vivement. Je me fige. Ma blessure... Je tâte mon épaule à la recherche du garrot que Cameron avait fait avant de quitter l'appartement d'Enzo. Rien. Plus de bandage, ni même de croûte ! Je me penche et dégage le plaid qui reposait sur mes genoux pour inspecter ma cuisse. J'avais également reçu un couteau, très près de l'artère fémorale. Mes doigts frôlent ma peau, lisse de toute blessure ou cicatrice. Serait-ce possible que... Je baisse les yeux vers ma cheville. Peut-on guérir surnaturellement une blessure aux causes surnaturelles ? Retenant mon souffle, je la remue doucement. Et elle obéit. Je ne ressens plus qu'une vague gêne. Pour un peu, j'en aurais hurlé de joie. Mais je me contiens, me rappelant où je suis. D'ailleurs, c'est une bonne question ça. Où suis-je précisément ?
Le stress au bord des lèvres, je me lève et marche doucement vers la seule fenêtre de ce que je pense être un salon au vue de la table basse et de l'armoire qui peuplent les vingt-cinq mètres-carré. C'est une pièce sobre. Pas de papier qui traîne, pas de décoration. Rien qui ne puisse donner d'indices sur l'identité du propriétaire ou sur la localisation. Une promesse faite à ma mère il y a bien longtemps s'impose à mon esprit encore brumeux.
Jure-moi que jamais, au grand jamais, tu ne t'approcheras d'un refuge.
Il existe des regroupements d'Alementas un peu partout, en France du moins. La plupart sont cachés dans des forêts, au milieu des arbres, dans des endroits peu fréquentés comme des entrepôts abandonnés ou des terrains en friches.
Quatre refuges sont particulièrement importants et stratégiques : le Septentrional au nord de Paris, l'Oriental en Alsace-Lorraine, le Méridional dans les Pyrénées et enfin, l'Occidental sur la côte Normande. Ce sont les principaux. Ils regroupent chacun plusieurs dizaines d'Alementas actifs et au total plus de deux cents personnes. Certains sont en possession de leur don, d'autres y vivent simplement avec leur famille pour éviter le FSG. C'est là-bas que seraient le mieux formés les jeunes et où l'on serait, apparemment, le plus « en sécurité ». Personne ne peut trouver le refuge sans y être conduit par quelqu'un de l'intérieur. De plus, le périmètre est entouré d'une barrière d'illusion qui le camoufle à la vue de tous. Alors certes, ce sont les plus sûrs, mais ce n'est pas pour rien que « protégé » rime avec « prisonnier ».
Ma mère est née dans le Septentrional. Elle y a grandi jusqu'à s'enfuir à ses vingt-cinq ans. C'est la seule chose qu'elle a accepté de me dire sur cette période de sa vie. Elle semblait avoir tiré un trait dessus pour toujours. Et lorsque j'avais le malheur d'amener la question dans une discussion, son visage se fermait. Ses yeux, verts grâce à ses lentilles de contact qu'elle portait en permanence, me fusillaient du regard. Pas un mot ne franchissait ses lèvres scellées par un vœu de silence éternel. La seule fois où j'ai osé insister un chouilla, une telle douleur s'est peinte sur sur son visage que j'en ai eu mal au cœur. Jamais je n'ai autant regretté des paroles. « Nous ne sommes pas en guerre » ce sont les seuls mots qu'elle a répétés en boucle comme une psalmodie. Il lui a fallu plus d'une heure pour se calmer. J'ignore ce qui lui est arrivé là-bas mais ça a été assez horrible pour qu'une simple question soulève trop de souvenirs douloureux. Je les déteste pour l'avoir brisée... Pour l'avoir rendue ainsi, amère, parano, méfiante...
Angoissée, je jette un œil par l'ouverture mais ne vois que des arbres à perte de vue. Mon cœur se soulève. Je me force à respirer, mes poumons semblant avoir oublié leur fonction principale. Je ne peux pas être dans un refuge. Si c'était le cas, je ne serais pas consciente. Les Anciens ne laissent aucune chance aux Doubles atterrissant entre leurs mains. De plus, Cameron ne peut pas les servir, s'il est comme moi et si j'en crois les paroles d'Enzo.
Je plisse les yeux pour discerner quelque chose dans l'obscurité de la forêt. Rien. Mais où suis-je exactement... Il faudrait attendre le propriétaire pour plus de précisions. J'hésite. M'enfuir, de nuit qui plus est, alors que je ne sais pas où aller n'est pas l'idée du siècle. De plus, partir sans un mot alors qu'on m'a soignée n'est pas non plus un grand gage de gratitude. Seulement, je sais mieux que personne que rien n'est jamais gratuit. Je doute que l'on m'ait aidée par simple bonté d'âme. Ils veulent forcément quelque chose en retour. Et je ne suis pas spécialement pressée de découvrir la contrepartie de cette guérison inopinée.
Mes dagues. Je porte mes mains à ma ceinture, mais ne trouve rien. Mon cœur loupe un battement. Je palpe mon corps, mais aucune de celles que je portais n'est à sa place. Je lève une main et invoque la chaleur. Rien ne se produit. Azalée. Je suis complètement sans défense. C'est cette constatation qui me décide. J'ouvre la fenêtre qui n'est pas verrouillée. À croire que l'idée que je puisse vouloir leur fausser compagnie ne leur a même pas effleuré l'esprit. J'en aurais presque des remords.
Je m'assois sur le rebord de la fenêtre. Trois mètres. C'est faisable. Je peux atterrir sans me blesser. Derrière moi j'entends la poignée de la porte s'abaisser. Ok, plus le temps d'hésiter. Je pousse sur mes mains et saute. La chute ne dure que quelques secondes puis mes pieds percutent avec violence le sol meuble. Je me laisse rouler tandis que l'onde de choc se répercute dans mes jambes et le haut de mon corps.
Des éclats de voix au-dessus de moi. Je ne perds pas de temps et me relève en dérapant, ignorant la douleur dans ma cheville droite. Je m'apprête à prendre mes jambes à mon cou quand une masse me tombe dessus me clouant au sol. Je me débats en criant jusqu'à ce que ce poids s'évanouisse aussi vite qu'il n'est apparu. En un clin d'œil, je suis debout, prête à me carapater mais deux bras puissants m'entravent et me collent contre quelque chose. Un torse d'un homme, à en juger l'odeur masculine qui m'emplit les narines. Je gesticule, essayant vainement de me libérer. La poigne est ferme alors que la silhouette semble constituée de vide. Mes coups de pieds ne frappent que l'air. Mon cœur s'accélère. Dans un dernier espoir, je bascule mon poids en avant, espérant déstabiliser mon agresseur. Mais c'est à peine si la personne vacille.
— Ne bouge plus, siffle une voix près de mon oreille.
Je me fige. Non pas par respect pour cet ordre mais parce qu'il me semble avoir reconnu la voix. Et je sens l'urgence de son ton. Doucement, il m'oblige à reculer. Je suis le mouvement du mieux que je peux, ne cherchant plus à résister. De toute manière, même si par je ne sais quel miracle, j'arrivais à me libérer, il aurait tôt fait de me rattraper. D'une, car il est en terrain connu. Et de deux, son pouvoir est en rapport avec les ombres donc je suppose que la nuit est son territoire de prédilection. Autant garder le peu de forces qu'il me reste pour des actions qui ne seront pas vaines.
Une fois dans la maison, Cameron me relâche et ferme la porte derrière nous. Quand il se tourne vers moi, je suis à nouveau frappée par son regard si particulier. Son œil droit est entièrement noir, pareil à une pierre d'onyx, et son gauche ressemble à un ciel d'orage. Le rendu est saisissant. Sa silhouette imposante me coupe toute retraite. Ses bras croisés contre sa poitrine font ressortir une musculature fine. Il n'est pas baraqué pour autant ce qui lui donne un avantage de rapidité et d'agilité indéniable. Son tee-shirt et jean noir corbeau font ressortir la blancheur de sa peau. Cameron représente parfaitement le paradoxe de son pouvoir. L'Ombre et la Lumière. Bien que pour le moment, l'obscurité domine ses traits.
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