Chapitre 9.2
Elle allume la machine à café, allume la radio et sort deux tasses qu'elle pose sur la table. Une fois le café prêt, elle le verse à l'intérieur : au même moment, Ange rentre dans la cuisine, un peu mal à l'aise. Il boîte imperceptiblement et ses mains tremblent un peu. Il n'a pas l'air de réellement savoir où se mettre. Il pose une main sur le dos d'une chaise, la retire à nouveau. En se mordant nerveusement la lèvre, il relève son regarde sur elle, comme pour chercher son approbation.
« Tu peux t'assoir, tu sais. », dit Joséphine. « Tu n'as pas besoin de me demander. Jamais. »
Il hoche faiblement la tête, toujours mal à l'aise. Maladroitement, il s'installe. Joséphine fait glisser sa tasse vers lui et sourit.
« Bois. »
Ange prend la tasse entre ses mains, précautionneusement, pour ne pas se brûler. Lentement, il la porte à ses lèvres et avale une gorgée. Il grimace un moment.
« Ça va ? », demande Joséphine, levant un sourcil. Il repose la tasse sur la table et se passe une main gênée sur le visage.
« Je me suis juste...brûlé. », marmonne-t-il, les yeux baissés. La jeune femme ne répond rien et tourne un peu la tête pour regarder l'heure. Il est déjà neuf heures passé et la jeune femme soupire. Elle regarde à nouveau Ange.
« Le rendez-vous est à dix heures, il va falloir qu'on parte dans quinze minutes. » Elle voit le jeune homme déglutir et impulsivement, se penche par-dessus la table et pose sa main sur celle d'Ange. « Ça te va ? On n'est pas obligé d'y aller aujourd'hui, sinon. C'est à toi de décider. », ajoute-t-elle gentiment. Ange ferme les yeux.
« Non. Je...Je dois y aller maintenant. Je ne veux pas te faire du mal, Joséphine. Je...J'en ai assez de n'être qu'un fardeau », rétorque-t-il, la voix rauque et amer.
« C'est comme tu veux. », répète Joséphine. Elle ne veut pas qu'Ange est l'impression qu'elle le force à aller voir Madame Michel : cependant, elle sait très bien qu'il doit y aller. Joséphine sait qu'elle ne peut pas gérer seule ses crises et le sang. Elle n'a pas de solution pour l'aider. Lorsqu'elle sent Ange relever ses yeux vers elle, elle s'oblige à sourire : mais son sourire n'atteint pas ses yeux fatigués.
Une fois les tasses vides et posées dans l'évier, Ange et Joséphine se préparent et montent dans la voiture pour aller voir Docteur Michel. La jeune femme sent la nervosité d'Ange vibrer autour d'elle tandis que ses yeux clairs regardent avec agitation ce qui l'entoure. Joséphine démarre : Ange s'agrippe à son siège. Ses doigts s'enfoncent dans le tissu, il serre les dents et pâlit un peu plus. La jeune femme se passe sa langue sur les lèvres, anxieuse qu'il fasse une crise de panique alors qu'elle conduit, et tend un doigt fébrile. Elle allume la radio et immédiatement, un air de piano reposant résonne dans la petite voiture.
Ange ne semble pas se calmer.
« Est-ce que...Est-ce que tu vas venir avec moi ? », souffle-t-il sans la regarder, ses yeux torturés fixant la route devant eux. Joséphine sent la peur transpirer à travers chaque mot, la panique d'être laissé seul dans un endroit inconnu avec une personne inconnue. La peur d'être abandonnée. Elle tend rapidement une main et la pose sur la cuisse du jeune homme.
« Comme tu veux, Ange. Je peux rester, je peux partir, je peux t'attendre. C'est toi qui décide. »
Il agrippe la main de Joséphine dans les siennes et hoche imperceptiblement la tête. Bientôt, ils arrivent devant le petit cabinet de psychologie. C'est une jolie maison en pierre, ancienne et distinguée. La jeune femme se gare et sort ensuite du véhicule, suivit du jeune homme. Aussitôt à l'extérieur, il reprend sa main dans la sienne et s'agrippe à elle presque douloureusement. Joséphine ne dit rien et le laisse faire, consciente qu'Ange a besoin de ce contact. A deux, ils montent les marches menant à l'entrée et une fois devant la porte, Joséphine sonne.
Quelques secondes plus tard, la porte en bois s'ouvre et Docteur Michel se trouve devant eux. « Entrez. », dit-elle et sourit doucement. Elle est petite, délicate, la peau foncée illuminée par son regard rassurant. Joséphine sent Ange se cramponner un peu plus à sa main, terrifié. Ils entrent dans la maison. Les pas du jeune homme ralentissent de plus en plus, elle sent sa respiration devenir de plus en plus erratique et son pouls accélérer sous ses doigts. Joséphine inspire et expire calmement avant de se tourner vers Ange. Elle tente de le pousser vers la petite pièce où la psychologue s'est déjà engouffrée, mais il ne bouge pas. La tête basse, il serre les dents.
« Je ne peux pas-je ne peux... »
Joséphine ne le laisse pas finir, sentant la panique du jeune homme monter. Elle serre sa main un peu plus fort avant de le prendre dans les bras, son front contre le sien.
«Tu peux le faire, Ange. Je suis là. Je ne vais laisser personne te faire du mal. Personne ne va te forcer à faire quoi que ce soit. On va juste rentrer, discuter un peu et si c'est trop pour toi, on part. D'accord ? »
Ange hoche péniblement la tête et laisse la jeune femme l'entraîner dans la pièce. Les murs sont joliment peints en crème et gris, une peinture élégante est accrochée au mur, différentes décorations ornent la salle et entourent les fauteuils bleus installés au centre. Docteur Michel est déjà assise.
« Installez-vous. », dit-elle, gentiment. Elle lance un regard interrogateur à Joséphine lorsqu'Ange ne lâche pas sa main. « Je pensais que le rendez-vous était pour le jeune homme ? »
Joséphine hoche la tête.
« Il voudrait que je sois là. »
Sans un mot, Ange hoche seulement la tête et la psychologue ne commente rien de plus. Ils s'assoient, chacun sur un fauteuil. Le manque de contact semble rendre le jeune homme nerveux mais il ne dit rien. Docteur Michel lui offre un sourire radiant.
« Bien. Je me présente, je m'appelle Madame Michel. Pouvez-vous me dire comment vous vous appelez ? »
Comme Ange ne répond d'abord pas, Joséphine se passe une main rapide dans les cheveux et se présente en première. Le jeune homme relève alors la tête et finit par grommeler, après quelques secondes:
« Ange. »
Le visage de la psychologue s'adoucit.
« C'est un joli nom. »
Il hoche simplement la tête et à la lumière tamisée de la pièce, Joséphine voit la rougeur mal à l'aise monter dans ses joues. Ange n'aime pas les compliments. Madame Michel ne se laisse pas impressionner.
« Est-ce qu'il y a quelque chose en particulier dont vous aimerez me parler ? »
Le rouge quitte immédiatement les joues du jeune homme et Joséphine le voit nerveusement déglutir. Il cligne plusieurs fois des yeux, comme s'il ne savait pas comment commencer.
« Je-je... », bégaie-t-il, avant de rougir à nouveau, frustré de soi-même. Il lance un regard en coin à Joséphine et le baisse aussitôt, honteux. « Je fais toujours ces rêves. », finit-il par dire. Sa voix est un murmure silencieux que la psychologue n'interrompt pas : elle gribouille des mots sur une feuille de papier et écoute ce que le jeune homme a à dire.
« Ce ne sont pas vraiment des rêves, d'ailleurs. Plutôt... Plutôt des cauchemars. Des-des souvenirs. » Sur le dernier mot, Ange s'étouffe et une quinte de toux violente le secoue. Il se passe une main dans les cheveux, une fois, deux fois. « Je-je... Je n'ai pas le droit d'en parler. Je-je n'ai pas... » Son anxiété double et sa respiration accélère. Docteur Michel continue de doucement sourire.
« Tout va bien. Ne me dites que ce que vous voulez. Qui a dit que vous n'avez pas le droit d'en parler ? »
Un filet de sueur se met à luire sur le front du jeune homme. Ses doigts s'enroulent nerveusement entre eux. Joséphine inspire profondément. Elle n'ose pas bouger, ne veut pas interrompre le flux de pensées du jeune homme.
« Je-je ne sais pas qui il est. Je ne l'ai vu qu'une fois. Je ne connais pas son nom et-et... » Ange se passe une main rapide dans les cheveux tandis que son regard se baisse. « J'ai fait des choses horribles dans ma vie. Bordel, des choses que je ne peux même pas nommés devant – devant qui que ce soit. J'ai...J'ai été envoyé en prison. » Un tremblement parcourt le corps du jeune homme tandis que ses doigts s'agrippent fermement à son fauteuil. « Il m'a cherché là-bas. Je...Je me suis réveillé et...et j'étais enfermé. »
La psychologue se fige un instant et lance un regard en coin rapide à Joséphine.
« Enfermé ? »
Ange inspire bruyamment.
« Il faisait noir. Il faisait toujours noir. »
« Est-ce qu'il vous a fait mal ? »
Le jeune homme sert les dents, si fort que son visage se met à trembler. Ses yeux rougissent et son regard brisé brise le cœur de Joséphine. Incapable de s'en empêcher, elle tend une main et prend un de ses poings dans sa main. Un bruit douloureux échappe au jeune homme, une larme roule de son œil, dégouline jusqu'à son menton. Il secoue la tête, frénétiquement.
« Je...Je... »
Il se passe une main enragée sur le visage.
« Je ne veux pas en parler. », dit-il le plus fermement possible, les lèvres frémissantes. Ses ongles s'enfoncent dans la paume de ses mains tandis qu'il ferme les yeux. Dans la petite pièce, un silence étouffant s'abat. La psychologue note quelque chose tandis que Joséphine sent son cœur accélérer. Un mauvais pressentiment lui retourne l'estomac. Qu'avait fait cet homme à Ange pour qu'il ne soit même pas en état d'en parler ? Qu'avait-
La psychologue interrompt ses pensées. Le sourire qu'elle lance cette fois à Ange semble plus forcé.
« Alors parlez-moi d'autres choses. »
Lentement, Ange relève la tête. Ses yeux sauvages fixent la femme calme en face de lui. Il se passe une main instable sur le visage et semble réfléchir un instant. Au bout de quelques minutes, la larme a séché sur sa joue : son visage a pâli et dans ses pupilles la nervosité est remplacée par une froideur glaciale. Il regarde la psychologue droit dans les yeux.
« J'aime la douleur. », le ton est provocateur, étrangement arrogant.
Docteur Michel ne bronche pas, son sourire calme reste en place. Joséphine, elle, sent ses mains devenir moites. La réaction du jeune homme n'est pas naturelle, étrangement violente. L'image de ses mains autour de sa gorge la fait pâlir. Lentement, elle repose sa main sur sa cuisse et sans même regarder Ange, elle sent qu'il se referme un peu plus.
« La vôtre ou celle des autres ? », demande la psychologue.
Ange attend quelques secondes avant de répondre.
« La mienne. » Cette fois, sa voix n'est qu'un murmure honteux, dégoûté. « J'ai besoin d'avoir mal. Mais des fois...des fois je fais mal aux autres. J'ai fait mal à Joséphine. »
« Que s'est-il passé ? »
Il grimace imperceptiblement.
« Il était dans ma tête. Encore une fois, comme toujours. Un peu plus présent que d'habitude. J'ai dormi et...et quand je me suis réveillé, il était encore là. Enfin-enfin du moins c'est ce que je pensais. J'ai... » Ange inspire profondément, une main tremblante bougeant nerveusement contre sa cuisse. « Je l'ai confondu avec Joséphine et je l'ai étranglé en pensant que c'était lui. »
« Est-ce que vous pouvez me raconter ce rêve ? »
Sans même réfléchir, Ange secoue violemment la tête, ses doigts se tordant un peu plus. Docteur Michel sourit gentiment avant de jeter un regard aux poignées du jeune homme.
« Est-ce qu'il vous arrive de vous faire mal volontairement ? » Sa voix est calme. Ange pâlit, il ferme les yeux à nouveau.
« Oui. »
« Est-ce que vous souhaitez m'en parler ? »
Il hausse les épaules.
« Il n'y a rien à dire. Je voudrais... Je voudrais seulement ne plus avoir ce besoin. »
Lentement, Docteur Michel se penche en avant et pose ses feuilles sur la petite table basse. Elle se redresse et replie calmement ses mains contre ses jambes.
« Bien. Je ne vais pas vous forcer à parler plus : cela serait inutile. Cependant, j'ai un devoir pour vous, Ange. Ce qui vous ait arrivé ne semble pas exprimable en mots : alors dans les semaines à venir, je voudrais que vous utilisiez d'autres moyens pour vous exprimer. Ecrivez, dessinez : libérer ces souvenirs par tout autres moyens que les mots. » Ange hoche maladroitement la tête.
Peu de temps après, lui et Joséphine se lèvent pour partir et donnent la main à Docteur Michel. Avant qu'ils ne s'engouffrent par la sortie, Docteur Michel offre un regard chaleureux à la jeune femme.
« Je suis ravie que vous allez mieux, Joséphine. S'il y a quoique ce soit, n'hésitez pas à appeler. » Elle semble réfléchir quelques instants avant d'ajouter : « La semaine prochaine, serait-ce possible de parler seul avec Ange ? »
Joséphine se passe une main dans les cheveux rouges.
« Je vais lui demander. Bonne journée. »
Docteur Michel hoche la tête et après quelques minutes silencieuses, Ange et Joséphine sont à nouveau calmement assis dans la petite voiture. La jeune femme presse sa tête contre son siège et ferme les yeux quelques instants. Un début de migraine se fait sentir et Joséphine ne souhaite que rentrer, pour prendre un cachet et se reposer. A côté d'elle, Ange exhale bruyamment. Elle sent ses yeux posés sur elle.
« Jo ? Ça...va ? », demande-t-il maladroitement. Joséphine entrouvre un œil pour le regarder. Il est replié sur lui-même, pâle comme un linceul, l'air incertain. Elle sourit et pose une main sur sa cuisse.
« Oui. Je suis juste un peu fatiguée. »
Ange lui rend son sourire avant d'hocher la tête sans avoir l'air persuadé. La jeune femme soupire et finit par démarrer.
« Docteur Michel aimerait bien te parler la semaine prochaine. A toi tout seul. Je lui ai dit que je te demanderai. »
Il se passe une main sur le visage.
« Je...Pourquoi ? »
Joséphine hausse les épaules et le jeune homme laisse retomber sa tête en arrière.
« Peut-être. Je ne sais pas encore. »
Elle sourit.
« D'accord. »
Ils finissent par arriver à l'appartement et avant d'entrer, Joséphine vide rapidement sa boîte aux lettres. Un tas de lettres l'attend, des factures, des publicités –
Sur une des enveloppes, Ange semble avoir été tapé à la machine à écrire, en lettres capitales.
Joséphine fronce les sourcils. Qui pouvait bien lui envoyer une lettre ? Qui pouvait bien savoir qu'il habitait ici ? Mis à part la psychologue et le concierge, personne ne savait qu'Ange était ici. Elle ne l'avait même pas raconté à son père et Gaspard. Joséphine déglutit. Rapidement, elle ouvre la porte. Ange entre derrière elle et après avoir inspiré profondément et refermé la porte, Joséphine lui tend l'enveloppe.
« Tu as reçu une lettre ? »
C'est au tour du jeune homme de froncer les sourcils tandis qu'un éclair surpris traverse ses pupilles.
« Une lettre ? »
Joséphine hoche la tête et Ange prend l'objet tendu. Ses yeux fixent un instant son prénom tapé sur le papier avant d'ouvrir rapidement l'enveloppe. Il en sort une feuille pliée. Il l'ouvre elle aussi.
Brusquement, ses mains se mettent à trembler.
Une expression d'horreur déforme son visage et Joséphine sent son cœur accélérer.
Avant même qu'elle ne puisse demander ce qu'il y a écrit, les doigts du jeune homme lâche la lettre qui virevolte jusqu'aux pieds de Joséphine. Lentement, elle lit les mots, eux aussi tapés en lettres capitales.
INUTILE DE TE CACHER.
TU NE PEUX PAS M'ÉCHAPPER.
Bonjour, bonsoir les cocos!
J'ai enfin réussi à terminer mon chapitre (après deux semaines de gribouillage et de désespoir). Je n'ai en réalité pas réussi d'écrire exactement ce que je voulais, mais j'espère que ça vous plaît quand même - je m'excuse si l'entretien avec la psychologue semble un peu étrange, je pense que je vais devoir retravailler tout ça par la suite. En tout cas, j'ai lu pas mal de truc à propos des moyens pour traiter des victimes de torture (et croyez-moi, certaines histoires qu'on entend quant à celles-ci font froid dans le dos, j'ai lu des passages entiers qui m'ont fait perdre foi en l'humanité).
Je m'excuse aussi pour ceux qui trouve l'histoire un peu répétitive, mais Ange et Joséphine ne vont pas changer du jour au lendemain et j'essaie de vous les rendre le plus humain et proche possible.
+ LA LETTRE: qui est-ce, qui est-ce? Un personnage déjà rencontré? Un personnage inconnu? Nous verrons bien.
Bref, j'espère que ce chapitre (que j'ai dû couper en deux et un peu raccourcir parce qu'il était bien trop long) vous a plu!
Des bisous ♥
Blondie
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