Semaine 15
10 avril, un SMS de Rita.
Finalement, c'est bon pour l'annif':DD
Ta mère fait un gâteau ?
Of course:D
Bon, hé bien. Je vais appeler Louna, elle aura une réponse à mon problème.
— Allô, Louna ?
— Bordel de merde Mathis, tu veux vraiment les réponses au DM d'Anglais ?
— Charmante, comme toujours, la raillé-je. Je veux être éclairé par tes lumières.
— Tu sais parler aux femmes, toi. Bon, tu veux quoi ?
— Comment peut-on planquer du maquillage ou n'importe quoi de girly dans un cahier ?
— Tu te remets au racket de jeunes filles, espèce de taré ? s'écrie-t-elle à moitié hilare.
— ... En quelque sorte.
Elle soupire.
— Suis à la lettre mes instructions. Compris ?
11 avril, j'ai acheté avec mon propre argent un carnet de dessin, et des trucs en plus.
Je ne sais pas, il me semble que ça pourrait lui faire plaisir.
— Ne t'inquiète pas, Arthur, je prends le bus. Oui oui, le tudip. Oui.
— Si t'es en retard, je te ramène par la peau du cul, me menace-t-il inquiet.
Je raccroche. Qu'est-ce que je m'en fiche.
Je passe avenue Foch. Je me souviens que Gabriel vit dans les environs... Comme dirait une personne de ma connaissance, whatever.
12 avril, je suis remonté sur mon fidèle vélo. Après les centaines de recommandations de Jeanne et Arthur, je me suis élancé dans la descente à cent kilomètres par heure.
J'aime bien faire du vélo. J'ai toujours voulu m'inscrire dans le club d'UNSS de vélo, au collège, mais j'ai trouvé inutile le fait de m'investir dans une activité qui ne m'apporterait en définitive que peu de choses.
Je suis allé jusqu'à un hameau de la commune, Marnhac. C'est là que je crève.
Et merde.
Qui vit dans le coin ? Je ne me gratte pas le cerveau bien longtemps ; un chien surgit d'entre deux maisons, et Enzo à sa suite.
Il me semble que Clémence est d'ici aussi... Clémence ? Clémence Ollier, la fille métisse à l'appareil dentaire, du privé ? Je crois, mais je ne suis pas sûr.
— Hé ben ça alors. Hey, Mathis !
— Bonjour, Enzo.
Je hais les chiens.
Je les hais viscéralement.
Pas seulement parce que Blandine sent le chien mouillé.
— J'ai crevé, expliqué-je pitoyablement.
— Je vois, dit-il en tâtant ma roue. S'tu veux, je t'aide pour te retaper tout ça.
— Ouais, s'il-te-plaît.
Je n'aurais jamais espéré mieux. Enzo est décidément toujours la même bonne poire. Trop gentil.
Il soulève mon vélo de son bras n'étant pas dans le plâtre.
— Attends, je t'aide !
— Parce que t'as de la force, moucheron ?
Je t'emmerde, le moucheron t'emmerde. Mes bras sont certes des brindilles, mais quand je frappe, je fais mal. Si je pouvais, si je pouvais...
Je le soulage d'un poids non-négligeable.
Heureusement, il ne vit qu'à une vingtaine mètres.
— M'man, j'ai ramené un copain, il a crevé sur la route ! crie-t-il en rentrant.
Enzo vit seul avec sa mère divorcée. Son père habite du côté d'Yssingeaux. Son chien baveux me fixe d'un œil torve.
La mère d'Enzo est une femme brune de petite taille, ronde et souriante. Elle est d'âge moyen, une mère tout ce qu'il y a de plus normal. Elle s'appelle Catherine, Catherine Grenier.
— Bonjour madame, la salué-je pendant que je pose mon véhicule au sol avec l'aide d'Enzo.
— Bonjour... Mathieu, c'est ça ?
— Mathis, la corrigé-je.
Les adultes ne se souviennent pas souvent de moi, exception faite des Wagner parce qu'ils me voient régulièrement.
Catherine Grenier embrasse son fils sur le front, et annonce qu'elle va faire un bon gâteau. Je vais devoir prendre la poudre d'escampette avant que cette tragédie n'arrive : la mère d'Enzo est la pire pâtissière que le monde n'ait jamais connu, et toute la commune est au courant depuis le jour où elle a fait un gâteau pour son fils... Le jour de son anniversaire... Gâteau qu'il a amené à l'école. Le bilan ? 4 intoxications alimentaires. Même le kougloff de Marcus est plus sain que ses gâteaux, pour dire.
— Réflexe, Mathis ! braille-t-il en me jetant en pleine tête la pompe à vélo.
Je n'étais pas prêt. Je me suis pris l'outil au visage.
— Merci...
Je saigne du nez, et commence à bricoler ma roue. Surtout, ne m'aide pas Enzo. Ne m'aide pas.
13 avril, il fait très beau, et je suis chez les parents d'Arthur. Marie-Rose a fait des pommes de terre frites, c'est très bon. François s'est occupé de la viande. Moi ? Ils m'ont dit de faire mes devoirs.
Les parents d'Arthur sont très à cheval sur l'école, après tout n'étaient-ils pas instituteurs à une certaine époque ?
14 avril, Jeanne m'a récupéré ce matin.
« Alors, comment c'était chez tes grands-parents ?
— Ce ne sont pas mes grands-parents, Jeanne, soupiré-je. Et arrête d'agir comme si tu étais ma mère.
— Tu es dur, Mathis. Tu pourrais être plus agréable, de temps en temps...
— Pour que vous vous attachiez alors que je vais mourir ? Je ne suis pas si cruel.
— Quelle bonté d'âme, ironise-t-elle. »
La route est calme, pourtant Jeanne ne roule pas vite.
« Arthur n'est pas là.
— En effet, nous serons tous les deux aujourd'hui, Mathis. Cache ta joie. »
Jeanne est très banale. Rousse, avec des lunettes très épaisses et un nez en trompette. Un visage calme, un air en permanence fatigué. Comment un homme comme Arthur et une femme comme Jeanne ont-ils pu s'entendre ? Arthur n'est pas plus extraordinaire, mais il exulte de lui quelque chose d'attractif. Je n'arrive pas à mettre le doigt dessus...
Disons plutôt que Jeanne est très effacée, et Arthur pas tant que cela. Elle devait être la première de la classe coincée, et lui le trublion populaire.
Sauf que Jeanne est capable de me piquer, quand les mots d'Arthur me glissent sur la peau.
« Tu t'attends à ce que je parle, donc je vais parler, dis-je. Je vois toujours le verre à moitié vide, et j'ai l'impression que je suis en train de perdre le contrôle ; que le tissu de cette vie est en train de filer. Vois-tu ce que je veux dire ?
— Je comprends. Continue.
— Je ne suis pas heureux.
— Tu ne l'as jamais été, Mathis. Tu n'es pas dépressif, mais tu es incapable d'être heureux.
— Tu mens, j'ai déjà été heureux. Plusieurs fois.
— Si c'est pour me ressortir la fois où tu as tué tes parents, non. Et pareil pour ces fillettes innocentes, espèce de tordu, réplique-t-elle.
— Je vivais déjà chez vous, commencé-je sans me démonter. Célia me voyait encore toutes les semaines. C'était l'été, et François voulait m'emmener à la piscine. La piscine était fermée, donc nous sommes rentrés. Il m'a fait un chocolat chaud, en disant qu'on combattait le chaud par le chaud. J'ai dit que sa logique était défaillante. Ça l'a fait rire, et il m'a sorti un gros livre sur la civilisation arabo-musulmane. Il m'a pris sur ses genoux, a ouvert le livre puis m'a dit « On buvait bien du thé brûlant en plein désert, regarde ». Je ne sais pas, j'étais heureux sur le moment.
— Pourquoi ? Tu le sais ?
— Hmmm... En rétrospective ? Parce que j'ai toujours voulu que quelqu'un me prenne sur ses genoux pour m'apprendre des choses, je crois.
— Je ne te pensais pas comme ça, sourit-elle.
— Et toi, Jeanne ? Parle-moi de toi. »
Elle soupire, puis étire les coins de ses lèvres.
« Aucun de mes parents ni de mes grands-parents ne m'a jamais prise sur ses genoux. Ils préféraient tous Marie, dit-elle. J'ai toujours été l'ombre de ma sœur, parce que j'étais plus timide, plus réservée, plus effacée. J'ai toujours été « la sœur de Marie ». Puis Arthur est arrivé, et il m'a donné plus d'importance que quiconque.
— C'est niais.
— Très, je sais, mais le monde est très niais, Mathis. Toi aussi, tu es niais quelque part, rit-elle.
— Penses-tu que ça fera plaisir à Rita ? lancé-je, passant du coq à l'âne.
— Quoi doit faire plaisir à Rita ?
— J'ai acheté un carnet de dessins à papier brun, des Posca et des boucles d'oreilles.
— T'y as laissé tes deux bras, non ? Je te trouve bien soucieux de faire plaisir, pour quelqu'un qui ne veut pas s'impliquer.
— Jeanne. Tais-toi. »
15 avril, Célia a appelé en catastrophe.
« Il faut que tu viennes à Paris, annonce-t-elle.
— Pour quelle occasion ? Veux-tu que je fasse encore une fois la bête de foire pour tes colloques ?
— C'est sérieux. La puce a des dysfonctionnements. »
Je blanchis.
« Quand ?
— Maintenant. »
Elle raccroche. Jeanne et Arthur comprennent bien vite. En un rien de temps, je me retrouve dans le train.
16 avril. Pas de panique.
« La puce a un fonctionnement erratique, m'annonce Célia en prenant ma tension. J'espère qu'il ne s'agit que d'une fausse alerte, mais il me semble qu'il faudra la reconfigurer. Tu as eu des problèmes récemment ?
— Oui, j'ai réussi à faire trois crises d'épilepsie alors que je n'avais rien fait. Dis-moi, à quoi cela te sert-il de prendre toutes ces mesures ?
— Ta tension est anormalement basse. »
Elle me laisse avec un autre membre de son équipe, qui se charge de m'inoculer un anesthésique très puissant. Il m'assomme.
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