chapitre onze
À mon réveil, la première chose qui me vint à l'esprit furent les paroles de Christian, plus tôt dans la journée, lorsqu'on parlait de mon manque d'attention ces deniers temps : "promets-moi au moins de faire attention à ce que tu fais. Ça pourrait être dangereux tu sais."
La deuxième fut alors mon accident. Et je me dis que Christian, qui s'inquiétait toujours un peu trop pour moi, avait peut-être eu raison sur ce point-là.
J'ouvrais les yeux, et inspectais la pièce où je me trouvais. Une chambre, plongée dans la pénombre. Le temps que mes yeux s'habituaient à l'obscurité, je repensais aux événements qui s'étaient passés. La rencontre avec Nicolas, la dispute avec Luca, l'accident, la jeune femme. J'étais sûrement chez elle. Pourquoi m'avait-elle amenée ici, et pas aux urgences ? C'était ce que toute personne normale ferait, si elle avait devant elle quelqu'un de blessé, appeler une ambulance, laisser faire les choses et revenir prendre des nouvelles, pour ensuite disparaître à tout jamais.
"Tu es Marquée". Voilà pourquoi elle n'avait pas appelé les urgences.
La porte de la chambre s'ouvrit, et la jeune femme apparut à l'entrebâillement de la porte. Alors elle vit que je m'étais réveillée, et entra dans la chambre.
- Tu vas mieux ? me demanda-t-elle en allant ouvrir les volets de la fenêtre.
La lumière du jour fit alors son entrée dans la pièce, et je ne pus qu'admirer la beauté de la femme qui se trouvait devant moi. Elle était grande et mince, avait une peau de pêche parfaite, un nez fin et droit, une bouche aux lèvres pulpeuses, de grands yeux noisettes et de longs cheveux châtains, retenus en une queue de cheval haute. Elle portait un t-shirt moulant avec par-dessus un sweat-shirt à capuche ouvert, ainsi qu'un leggins de sport et des baskets aux pieds.
- Je suis partie courir pendant que tu te reposais, me sourit-elle en voyant bien que je l'observais. Tu n'as plus mal à ta Marque ?
Mon regard se figea, et je lançais, affolée :
- Mais vous, vous êtes qui ? Co-comment savez vous que, que...
Elle me coupa avec un sourire rassurant :
- Ne t'inquiète pas, je n'en dirais rien au Conseil. Je m'appelle Érine, je suis un Démon. Et toi ?
Je clignais des yeux, et son sourire me démontra qu'elle était honnête. Elle s'assit sur le bout du lit, ne me quittant pas de ses yeux magnifiques. Je soufflais, et décidais que je pouvais lui faire confiance.
- Alexis, je suis un Sang Neuf.
Elle fronça ses sourcils parfaitement dessinés et fit une moue dubitative.
- Comment se fait-il qu'un Sang Neuf soit déjà Marqué ?
Je baissais la tête, ne sachant pas s'il était bon de tout lui raconter.
- A vrai dire... c'est mon tuteur Démon qui m'a embrassée, mais avant qu'il ne sache que j'étais la personne dont il devait s'occuper...
Je levais les yeux vers elle. Elle hochait lentement la tête, son regard perdu dans le vague.
- Et tu es du Fluide...?
- Clair, répondis-je.
- Je vois.
Elle tourna la tête vers moi et me regarda longuement. Érine devait avoir un peu moins de trente ans, et elle était vraiment magnifique. Alors je pensais à Luca, ainsi qu'à Adrian. Ils étaient tous les trois très beaux, je me demandais si la beauté était un critère pour être Élu. Si c'était le cas, j'aurais du me sentir flattée. Pourtant, j'en étais mal à l'aise, je ne devais certainement pas être aussi belle qu'Érine.
- Dis moi... fit Érine au bout d'un long moment. Tu pourrais me dire qui est ton tuteur ?
Après avoir sûrement constaté que je ne répondrais pas, elle sourit en ramenant ses jambes vers elle, afin de s'asseoir en tailleur sur le lit.
- Tu sais, je ne suis pas une cafteuse. Je ne dirais pas que tu es Marquée, ni ton Démon tuteur... Mais c'est toi qui choisit. J'ai une question à te poser.
- Je t'écoute.
- Tu penses que Luca est amoureux de toi ?
Mon cœur rata un battement. Comment savait-elle... Je n'avais rien dit ! Je n'avais tout de même pas pensé à voix haute ? Et si elle lisait dans mes pensées ? Non, c'était impossible...
- Tu... commençai-je.
- Luca est un ami, il m'avait dit qu'il s'occupait d'une Alexis, ne t'inquiète pas, rit-elle.
Je soupirais, rassurée.
- Cependant je lis quand même dans les pensées, alors ne pense pas si fort, je suis sûre que d'autres Elus auraient pu t'entendre en bas de la rue.
Je me renfrognais. Elle ne fit que rire de plus belle.
- Sinon, tu pourrais répondre à ma question ?
- Luca est beaucoup trop jeune pour toi.
- Oui, merci, je le savais, explosa-t-elle de rire. Suzanne, sa sœur, était ma meilleure amie, je lui ai promis de veiller sur lui comme sur mon propre frère, c'est comme ça que j'ai connu Luca, ne vas pas t'imaginer autre chose.
J'hochai la tête.
- Enfin, il ne doit pas le savoir, alors ne lui dis rien, ajouta-t-elle avec un clin d'œil.
Je lui souris. Bien sûr que je ne le lui dirais pas, je ne lui dirais plus rien de toute façon.
- Je ne pense pas qu'il soit amoureux de moi, en tout cas, soufflai-je.
- Tu en es sûre ?
- Oui, sûre et certaine. De toute manière, il n'aimera jamais personne, lâchai-je sans réfléchir.
Une larme coula sur ma joue, et je n'y fis même pas attention.
- Alexis ?
Je levai la tête vers Érine, qui semblait inquiète.
- Vous vous êtes disputés, c'est ça ?
Je ne répondis rien.
- Alexis, c'est une question importante que je te pose.
- Non, il ne m'aime pas ! Il ne m'a jamais aimée de toute façon.
- Et toi ?
- Je le déteste.
Une deuxième larme. Puis une troisième.
- Tu en es sûre ?
Je secouais la tête. Je me forçais à le détester, voilà la vraie réponse. Si je l'aimais ? Je n'en savais plus rien, j'étais perdue. Je ne l'aimais plus. Ou peut-être que si. En tout cas, je l'avais aimé, j'en étais certaine. Je lui avais fait aveuglement confiance, mais lui ? M'avait-il aimé ? Avait-il, comme moi, ce sentiment de perte de contrôle quand il me voyait ? Avait-il simplement été attiré par moi ? Ou alors m'avait-il embrassé pour semer la pagaille dans ma vie ?
- Tu sais, je connais Luca. Jamais il ne t'aurait embrassée pour rien.
- Pourquoi, alors ?
Elle me sourit faiblement, puis pencha la tête.
- Je pense qu'il est amoureux de toi.
- C'est faux, niais-je.
- Pourquoi tu dis ça ? Il y a bien quelque chose qui s'est passé pour que tu sois dans cet état-là.
- Il...
Il avait tout simplement passé trois jours sans moi. Sans rien me dire. Comme c'était puéril ! Et dire que je lui en voulais pour ça. Mais au fond de moi, je savais qu'il y avait autre chose. Et je n'en savais strictement rien.
- Il me cache quelque chose, soufflai-je.
- Quelque chose ? répéta Érine.
- Oui, il... Il me cache quelque chose, qu'il ne veut pas me dire.
- Je ne comprends pas, qu'est-ce qui te fait dire ça ?
Qu'est-ce qui me faisait dire ça ?
- Il ne veut pas que je devienne un Démon ! m'exclamai-je, comme si je venais de résoudre une énigme digne de Sherlock Holmes. Il ne veut pas non plus trouver une solution pour qu'il garde ses Ailes, il ne fait pas ce qu'il devrait faire !
Érine resta silencieuse, l'air grave.
- Oui, il n'arrête pas de me dire qu'il n'y a aucun moyen qu'il garde ses Ailes, que tout est perdu d'avance. Et il ne souhaite qu'une seule chose, c'est que je devienne un Ange ! Pourquoi il fait ça ?
- Je n'en sais rien, dit Érine.
Or sa voix, qui avait paru comme un murmure, laissait sous-entendre des tonnes de choses.
- Érine, tu le sais pourquoi ? demandai-je, bien que dans ma tête, c'était plus une affirmation qu'une question.
- Non, non je... balbutia-t-elle.
Pour un Démon, elle mentait très mal. Je me redressais et allai juste en face d'elle.
- Érine, tu sais ce qu'il arrive, dis-le moi, la suppliai-je.
Elle tripota nerveusement sa queue de cheval.
- Non, non je n'en ai aucune idée...
- Érine, s'il te plait, murmurai-je aux bords des larmes.
Elle ferma ses yeux, et soupira longuement. Puis, elle secoua la tête et m'annonça d'un air décidé.
- Je ne peux pas te le dire. Luca non plus.
- Quoi ?
- Mais c'est pour ton bien comme pour le nôtre, continua-t-elle en ouvrant ses yeux et en les plantant dans les miens. Tout simplement parce qu'on n'en a pas le droit. Et je pense que Luca a assez franchi de règles pour en rajouter et, de plus, te mettre en danger.
Je me laissais tomber en arrière. Alors je n'allais jamais savoir ce que me cachait Luca.
- Mais sache que, si c'est bien ce que j'ai compris, c'est qu'il fait tout ça uniquement parce qu'il t'aime.
Je secouais lentement la tête. Je sentais alors mes paupières se fermer d'elles-mêmes.
- Je peux te le jurer.
Mes yeux ne voulant plus s'ouvrir, je sentais cependant Érine se pencher sur moi, et, posant sa main sur mon front, elle murmura :
- Dors maintenant.
+ + +
- Alexis ?
On me tirait lentement de mon sommeil, tout en me secouant légèrement. On répéta mon prénom, et je décidais enfin d'ouvrir les yeux, la force invisible qui les retenait fermés jusque-là ayant disparu.
- Comment tu te sens ?
Ma vision devint plus nette, et je vis enfin les yeux noirs d'Adrian qui me fixaient avec inquiétude.
- Molle, grognai-je.
- Molle, répéta-t-il en riant. C'est normal, Érine a le don d'amnésie, cela engendre qu'elle peut aussi endormir simplement les personnes.
- Tu connais Érine ? lui demandai-je en me redressant.
- C'est elle qui t'a ramenée ici. Elle m'a expliqué que tu avais eu un accident, mais que tu n'avais rien de grave.
Nous étions dans ma chambre. Adrian était assis sur mon lit, à côté de moi. Il me regardait en souriant.
Est-ce qu'Érine lui avait dit, pour la Marque ? Pour Luca ? Je ne l'espérais pas. Mais si Érine était vraiment une amie de Luca, elle n'aurait pas parlé à Adrian.
- Comment as-tu fait pour atterrir au beau milieu de la route ? me demanda-t-il.
Je fis la moue, sachant éperdument sa réaction à la suite de ma réponse.
- J'étais dans les nuages.
- Alex, tu sais que ça devient dangereux, ton problème ?
Je soupirais, et m'adossais à la tête de mon lit.
- Mais que veux-tu que j'y fasse ? Je suis bien obligée de penser, je ne vais pas rester la tête vide tout le temps. Je ne peux pas, personne ne peut de toute maniere.
Il baissa la tête et se gratta l'arrière de la nuque, signe qu'il réfléchissait.
- Dis, est-ce que, quand tu... penses, dit-il, tu y vois quelque chose ?
- C'est-à-dire ?
- Ta vision ne se trouble pas ?
Je fronçais les sourcils, prête à dire qu'il était fou. Mais je me tus. Il avait on ne peut plus raison. Je ne m'en rendais simplement pas compte, mais mes pensées se matérialisaient en images dans ma tête, empêchant toutes images venant de l'extérieur d'apparaître dans mon champ de vision et de s'imprimer sur ma rétine.
- C'est grave ? me contentai-je de répondre.
Il sourit en secouant la tête, et posa l'une de ses mains sur mon épaule.
- Pas du tout, me rassura-t-il. C'est même plutôt bien, dans un sens.
Je fronçais les sourcils. Plutôt bien ? Se fichait-il de moi ? Un accident pareil, j'aurais pu mourir, et c'était plutôt bien ?
Voyant mon indécision, il s'expliqua :
- C'est un signe, une sorte de symptôme d'un pouvoir que tu pourrais par conséquent détenir. C'est... une sorte de prévention, pour te faire comprendre que tes pouvoirs se manifesteront dans un temps partiel.
Je clignais des yeux, abasourdie.
- Tu veux dire que, si je suis tellement dans mes pensées et que je ne fais plus attention à ce que je fais, c'est à cause de l'un de mes pouvoirs ?
Il acquiesça. Je regardais en face de moi, réfléchissant à tout ça. Alors, à chaque fois que j'étais dans les nuages, c'était un signe de mes pouvoirs ?
- Mais c'est super dangereux ! m'exclamai-je en me rendant compte que mes "pouvoirs" avaient failli me coûter la vie - ou du moins une jambe.
Il rit légèrement, avant de reprendre :
- C'est le risque à prendre si tu veux devenir un Ange.
- Et si je veux devenir un Démon ? lâchai-je sans vraiment réfléchir.
J'avais peut-être parler un peu trop vite, sous l'effet de l'énervement. Adrian parut surpris, puis en colère.
- Pardon ? se contenta-t-il de dire.
- Excuse-moi, soufflai-je. Je suis énervée, c'est tout. Je ne pensais pas ce que j'ai dit.
Ce qui était en partie la vérité, car je n'avais aucune idée de ce que je voulais exactement devenir.
- Mais enfin, ça a failli me tuer ! Tu t'en rends compte ?
L'expression de son visage s'adoucit, mais je vis de l'inquiétude comme de la rage dans son regard.
- Oui, oui, je comprends...
Il se leva, et mit la capuche d'un sweat-shirt dissimulé en-dessous de son éternel veste en cuir sur sa tête. Il ressemblait à un cambrioleur ainsi, tout habillé de noir et la capuche plongeant le haut de son crâne dans l'ombre. Mais je vis tout de même le sourire qu'il arbora en me souhaitant de me reposer.
- J'ai prévenu Christian de ton accident, ajouta-t-il. Il va fermer le café plus tôt pour te voir ce soir.
- D'accord. À demain alors.
Son sourire ne fit que s'élargir, et il se pencha vers moi, tapotant du doigt le haut de mon crâne.
- Tu oublies que demain mes contrôleurs viennent.
Je riais de son expression, et hochais la tête. Puis je m'arrêtais, me rendant compte alors que son visage n'avait jamais été aussi proche du mien.
- À jeudi alors, murmura-t-il.
- À jeudi.
Il m'embrassa sur la joue, et ferma la porte de ma chambre après m'avoir fait signe. Je sentais les battements de mon cœur résonner dans ma poitrine. Je clignais des yeux, et secouais vivement la tête, chassant l'idée avant même qu'elle ne m'effleure l'esprit.
+ + +
- Christian ?
Il tourna la tête vers moi, et me sourit. Christian avait passé la nuit à la maison, et comme à chaque fois qu'il dormait chez moi, portait simplement un t-shirt et un boxer. Je l'avais interrompu alors qu'il écrivait un message, étendu sur mon lit.
- On ne devrait pas aller au café, par hasard ?
Il était presque dix heures ; et ce n'était pas le genre de Christian de ne pas aller travailler.
- Ne t'en fais pas, j'ai demandé hier soir à Amir de faire l'ouverture aujourd'hui, il n'y a jamais grand monde le mercredi matin.
- Ton père revient bientôt, non ?
Il acquiesça.
- Ce samedi, normalement. Peut-être dimanche matin.
Il tapa la fin de son message, et me regarda longuement.
- Oui ?
- Tu es sûre de vouloir reprendre aujourd'hui ?
Je soupirais pour toute réponse, et enfouis ma tête dans mon oreiller.
- Tu as eu un accident hier, je te rappelle, me signala sérieusement Christian.
- Je suis en pleine forme, marmonnai-je.
Ce qui était difficile à croire, surtout quand mes paroles étaient étouffés par l'oreiller, que j'étais encore en pyjama à neuf heures quarante-deux et qu'à peine avais-je pris mon petit déjeuner que je m'étais replongée dans mon lit.
Je sentis le main de Christian me taper gentiment l'arrière du crâne et se lever. J'entendis quelques secondes après la porte coulissante de la salle de bain. Je me redressais, respirant à nouveau, et m'allongeais sur le dos. Le regard errant sur le plafond, je pensais à la veille, ainsi qu'à Luca. Et à Adrian.
Surtout à Adrian, en fait.
Pourquoi ce simple baiser sur ma joue me torturait tant l'esprit ? C'était normal, amical, rien de plus. Pourquoi en cherchais-je un autre sens ? Pourquoi, au fond de moi, je souhaitais qu'il y ait cet autre sens ?
Je fermais les yeux et poussais un long soupir. Je me faisais des films, rien de plus que ça. Adrian et moi étions amis, seulement et simplement des amis.
Après avoir pris une rapide douche, Christian et moi nous rendîmes à l'Authentique. Quand nous étions arrivés, on avait pu constater qu'il y avait plus de monde que d'habitude, sur la terrasse. Alors nous étions rentrés, et dans la salle il n'y avait que deux personnes : Amir et Luca.
Ils étaient tous les deux derrières le comptoir, l'un essuyait des verres, l'autre qui ne m'avait, dès mon entrée, pas lâché du regard.
- Ah, le grand patron est de retour ! sourit Amir.
Christian le salua à son tour, ainsi que Luca, qui détourna alors les yeux de moi.
- Tu vas bien ? lui demanda-t-il.
Luca hocha la tête, mais je sentais qu'il y avait autre chose. L'expression de son visage contredisait beaucoup trop ce qu'il entendait par son hochement de tête.
- Je suis venu aider Amir, j'ai su que tu n'étais pas là, ce matin, dit-il en retournant aux verres.
- Oui, mais ne t'en fais pas, tout va bien maintenant.
- Y a pas l'air.
En les écoutant, je jurais qu'ils parlaient de moi, derrière ces sous-entendus. Mais je restais plantée sur le seuil du café, immobile. Je ne savais pas quoi faire, pas après ce qu'il s'était passé la veille, pas après la discussion que lui et moi avions eu. Je lui en voulais encore, mais pour une toute autre chose : il me cachait quelque chose, quelque chose de très important qui le mettait en danger, apparemment, selon Érine. Qui nous mettait en danger.
Je décidais de m'avancer vers le comptoir, essayant de ne plus penser à Luca. Peine perdue, et ce n'était pas parce qu'il était à quelques mètres de moi.
- Tu peux rentrer chez toi, maintenant que nous sommes là, proposa Christian à Luca.
- Non, ça me fait plaisir de vous aider.
- On n'a plus vraiment besoin d'aide, tu sais, sourit Amir.
- Luca est têtu, s'il veut rester il restera, lançais-je.
Ce dernier me fusilla du regard, mais ne lâcha pas un mot. Ce n'était pas normal, je le connaissais, il aurait répliqué à la seconde près. Peut-être agissait-il comme ça à cause de Christian ? Ou d'Amir ? Notre dispute de la veille avait-elle un rôle dans son silence ?
- Alex, souffla Christian.
- Quoi ? Ce n'est pas faux, il déteste avoir tort.
- Je suis là, tu sais, marmonna-t-il.
- Je n'ai pas raison ? répliquai-je un peu trop brusquement.
- Alex, calme-toi s'il te plait, me demanda Christian, bien que ce n'était pas une question.
Je soupirais et allais sur la terrasse, prétendant avoir vu un client arriver. Je m'asseyais à une table libre, m'y accoudait et pris ma tête dans mes mains. Je fermais les yeux, et soufflais longuement. Je n'avais pas envie de le voir, pas aujourd'hui. Pourquoi devait-il toujours montrer le bout de son nez dans les pires moments ?
Un bruit de ferraille traînant sur la terrasse m'indiqua que quelqu'un s'asseyait en face de moi.
- Vas-t'en, lâchai-je sans lever la tête.
- Waw, je m'attendais à un meilleur accueil de ta part.
Je levais les yeux vers le regard brun de mon amie.
- Ah, Louane, je suis désolée, je pensais que c'était quelqu'un d'autre...
- Il n'y a pas de mal, me sourit-elle.
Puis elle pencha la tête, approchant son visage du mien.
- Qu'est-ce qui ne va pas ?
- Oh, rien, des histoires sans importance... Ton pied va mieux ?
Elle plissa les yeux, et les leva au ciel.
- Alex, Alex... Mais que va-t-on faire de toi ? Oui, je vais mieux, mais ce n'est pas Christian qui me laissera reprendre le travail que tu m'as volé.
Je riais, et m'excusais encore une fois.
- Tu arrives à tout gérer ?
- Ça va, il y a juste à la cuisine que je ne me débrouille pas du tout.
Elle sourit, puis baissa la tête.
- J'ai appris pour ton accident hier... murmura-t-elle. Tout va bien ?
- Ne t'inquiète pas, ce n'est rien. Juste quelques égratignures.
- Ah oui ?
- Promis, lui souris-je.
- D'accord. Mon frère a terminé ? Je suis venue le chercher.
- Il est à l'intérieur, lui indiquais-je. Je t'accompagne, je dois parler à Christian.
On se leva toutes les deux, Louane ramassa ses béquilles et on rentra à l'intérieur. Les verres étaient essuyés et Amir prêt à partir avec sa sœur. Christian lui parlait, et Luca avait disparu. Encore.
Louane et Amir partirent, et Christian se tourna vers moi, ayant sûrement deviné que je voulais lui parler.
- Toi, ça ne va pas avec Luca.
Je ne pus m'empêcher de sourire. Ce garçon lisait en moi comme dans un livre ouvert.
- Pas du tout, renchéris-je.
- Que s'est-il passé ?
On s'assit à une table.
- Je ne sais pas trop... en fait, il me cache quelque chose.
- Ah oui ?
- J'en suis certaine. Toi, tu ne serais pas ce que c'est ?
Il haussa les épaules. Je fronçais les sourcils.
- Christian, tu dois certainement savoir quelque chose. Vous vous entendez bien avec Luca, très bien même.
- Qu'est-ce que tu racontes ? Luca est juste mon employé, je suis son employeur, point barre.
- Tu n'espérais quand même pas réussir à me faire gober cette histoire ?
Il soupira, se laissant tomber sur le dossier de son siège, jusqu'alors accoudé à la table.
- Christian ? renchéris-je alors qu'il ne me donnait pas de réponse.
- Oui, Luca est sympa, mais ça s'arrête là. Il me parle beaucoup de toi, mais je ne suis pas son meilleur ami, il ne se confie pas à moi.
- Pourquoi j'ai l'impression que tu me mens, alors ?
- Tu as de très mauvaises impressions, sans doute, répondit-il.
- Tu mens encore.
Je secouais la tête, puis la baissais vers la table. Je n'en croyais pas mes oreilles, il me mentait, lui. Christian, mon meilleur ami. Alors à qui pouvais-je bien faire confiance, maintenant ? À Adrian ?
- Alex, s'il y avait quelque chose de grave, je te le dirais.
- Mais qu'est-ce que tu estimes étant grave ? Je te demande simplement s'il y a des choses qu'il ne m'aurait pas dites, je...
- Je t'aime vraiment beaucoup, me coupa-t-il. Tu le sais, ça ?
- Chris...
- Réponds.
Je soupirais, et hochai la tête.
- Tu sais par ailleurs aussi que, si j'estimais que tu devrais savoir telle ou telle chose, je te le dirais, pas vrai ?
- Oui, soufflai-je, honteuse.
- Alors arrête de douter de moi, ou encore de Luca.
Je levai les yeux vers lui. Il était en colère, bien sûr. Il me demandait de lui faire confiance. Mais il ne serait pas en colère s'il n'y avait rien de grave. Alors j'allais devoir tout trouver toute seule.
- Tu peux la convaincre de te faire confiance, mais pas à moi.
Je me tournais vers Luca, qui sortait de la cuisine, téléphone en main. Il le rangea dans sa poche tout en s'approchant de nous, son regard ne quittant pas le mien.
- Elle ne me fera jamais vraiment confiance, de toute manière.
- Très perspicace, lâchai-je.
- Je te retournerais bien le compliment.
Je le regardais encore et alors, je remarquais ce qu'il y avait de changé en lui. C'était son sourire. Son sourire avait disparu. Son si beau sourire charmeur, l'étincelle dans ses yeux. Tout ça était parti, et il n'y avait plus que méfiance dans son regard, mêlée à de l'inquiétude, de la tristesse et de la colère.
Tout ça, je le savais parce que je le connaissais et que, contrairement à ce qu'il avançait, j'avais confiance en lui. Plus qu'en n'importe qui d'autre, une confiance aveugle et justifiée à la fois, par ce sentiment douloureux qui me tordait violemment l'estomac et serrait mon cœur dès que je le voyais. Et je l'avais laissé partir, lui, et son sourire.
Je le quittais du regard, trop honteuse de ce que j'avais fait, prise de regrets.
- Je vais y aller, mes parents m'attendent, dit-il à Christian.
- Tes parents ? répétai-je automatiquement.
Je levai la tête vers lui. Près de la porte qui amenait la lumière aveuglante du soleil dans le café, je ne distinguais que son ombre, découpée par les rayons.
- Oui, ils viennent me chercher, le copain de ma sœur a eu un accident de voiture il y a quelques jours, et aujourd'hui...
- Quelques jours ? répétai-je, ne faisant pas attention à la fin de sa phrase.
Il soupira, et s'approcha de la table. J'aperçus le sac de voyage qu'il avait dans la main.
- Dans la nuit de samedi à dimanche. C'est ma sœur qui a appelé, j'ai du la rejoindre le matin-même.
- En Australie ?
- J'y suis resté quelques jours seulement. Tu vois, j'ai des choses faire ici. Je n'ai eu le temps de prévenir personne, et j'en suis désolé, j'étais revenu seulement pour vous dire que j'assiste à l'enterrement demain, et que je reviens lundi.
- Lundi ? répétai-je.
- Alex, mes parents m'attendent, je suis désolé mais je dois partir.
- Je suis désolée aussi.
- Je n'en doute pas.
Puis il tourna les talons et sortit du café.
J'étais misérable.
- Je pense que tu as des excuses à lui faire, souffla Christian.
- Tu étais au courant ? lui demandai-je.
- Sa sœur l'avait appelé à la fin de son service samedi.
- Et tu ne pouvais pas me le dire ?
- Je pensais que tu étais au courant... Puis ce n'est pas à moi de dire ça.
Je me levais en trombe et courus hors du café. Cherchant du regard Luca, je ne voyais que des personnes qui bavardaient autour d'un café. Une autre m'appelait pour que je prenne sa commande. Je criais juste « Christian » et partis à droite, vers la maison de madame Bougoin, celle qu'occupait Luca pendant qu'il avait "des choses à faire".
Je le voyais juste fermer le coffre d'une voiture à la plaque d'immatriculation jaune.
- Luca !
Il se tourna vers moi, et fronça les sourcils en me voyant courir vers lui. Je m'arrêtais à quelques mètres de lui et repris mon souffle.
- Alex ?
Je levai la tête vers ses yeux bleus et les regardais intensément. Ils me fixaient avec tristesse et amusement à la fois.
Quelqu'un dans la voiture frappa trois petits coups à la vitre, signe que Luca devait monter.
- Je dois vraiment partir, j'ai un avion à prendre. Alors dis-moi ce que tu veux.
J'hochai la tête et me précipitai dans ses bras. Je sentis les siens entourer mes épaules et sa main agripper ma nuque. Je fermais les yeux et laissais glisser ma tête dans le creux de son cou, ses lèvres effleuraient alors mon front. Je n'avais qu'une envie, c'était de m'emparer de leur douceur et de les souder aux miennes.
- Bon voyage, murmurai-je.
- Je reviens vite, dit-il dans une une promesse.
Ses mains descendirent sur mes hanches et m'obligèrent à décoller mon corps du sien.
- Et ne m'oublie pas, termina-t-il.
- Comment pourrais-je ?
Son sourire refit irruption sur son visage, et fut la seule image de lui que je gardais en tête quand la voiture démarra et disparut au coin d'une rue.
NDA
10 000 LECTURES OH MON DIEU JE VOUS AIME
Eh oui, notre bébé a atteint les 10K de lectures, c'est énorme, je vous remercie tous, c'est uniquement grâce à vous alors dix mille fois merci, du fond du cœur ♡
J'espère vraiment que l'histoire vous plait autant que la première fois où vous avez posé les yeux dessus, alors s'il y a quoi que ce soit, surtout n'hésitez pas !
Aussi dans ce chapitre, un nouveau personnage, celui d'Érine. Je sais qu'il y en a parmi vous qui aurez aimé en apprendre plus sur Adrian, mais il faudra attendre le prochain chapitre ;)
Je vous aime, encore merci et excusez-moi pour le petit mois d'absence,
Axelle
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