Remercier la foule
"Bonjour
En ce jour un peu - beaucoup - spécial, je tenais à vous remercier. Oui, vous. Alors bien sûr, il y a quelques personnes importantes que je souhaite remercier de manière plus spécifique, mais il y a aussi vous; j'y reviens dans un instant.
Tout d'abord je tiens à remercier Nicolas pour son soutient inconditionnel, qu'il s'agisse de me fournir non-stop en café pendant huit heures d'affilées pour respecter les délais ou pour m'emmener faire un break dans notre montagne adorée.
Ensuite, je voulais également dire merci aux deux lumières de ma vie, mes phares, mes espoirs. Quand il fait sombre, Gabin, Ella, je sais que je peux suivre aveuglément votre lueur, si lointaine et diffuse soit-elle à présent.
Elena, Agathe, je ne vous oublie pas. Ces années passées à remuer les nargoles et les noiraudes m'ont forgé·e et c'est en grande partie grâce à vous que je suis cellui que je suis aujourd'hui. En un sens, si je suis - pour citer ce cher Anatole - "la plume déviante qui transperce l'abat-jour du citoyen perdu dans la routine", vous êtes la main qui tient cette plume.
Loué, si elles sont la main qui me soutient, tu es sans doute aucun l'encrier dans lequel je puise ma force, mes vers, ma prose, mon bonheur, mes larmes et mon sang. Tu es le commencement, la fleur du soir qui pleure et l'aube grandiose qui succède aux nuits sans lune.
Elzerrha, sache que l'éclipse est finie. Elle est loin derrière, perdue dans la mémoire ancestrale des racines les plus profondes du séquoia géant et dans les plume les plus légère du rouge-gorge qui pourchasse l'hirondelle.
Xavier, merci de m'avoir toujours écouté·e, de m'avoir connu·e, de m'avoir vu·e et reconnu·e. Merci de m'avoir poussé·é à vivre pleinement. Tu es l'incarnation même de cette citation que j'aime tant et que le public s'est amusé à rechercher dispersée dans ma vie comme un tas de feuilles orangées dans lequel on aurait sauté: "Plus sombre est le chaos, plus belle sera l'étoile."
Nathéon, tu es également visé·e par ce remerciement. Merci d'avoir été ma bougie dans la nuit, l'étoile Polaire qui manquait à ma vie. Merci d'avoir interrompu ta course pour t'intégrer à notre constellation en la rendant plus belle, plus puissante et plus brillante que jamais.
Maeve, chère Maeve, n'abandonne pas. Souviens-toi de toujours viser la lune et d'apprendre de chacun de tes asterrissages, de prendre des notes, s'entraîner, s'échauffer, s'étirer et puis repartir à la charge comme le Lion de Gialinéx - petite pensée à Constantin qui m'a, un jour que je lui avait déclaré que les yeux d'un être vivant contiennent des univers entiers, répliqué que "faire des références à son propre travail est a minima prétentieux et a maxima carrément égocentrique".
"Le sel déposé par les vagues sur le sable poli les pierres et révèle leurs beautés intérieures", la phrase censurée autour de laquelle il y a eu tant de débats. Que de souvenirs! Permettez-moi de vous révéler son secret: il n'y en a pas. Le secret, c'était l'envie de buzz de ma chère co-tout, Rosie.
Rosie.... Je devrais être soulagé·e de te voir si énergique, si habile et si bruyante malgré les barrières d'astéroïdes que tu as dû traverser. Tu le sais mais permet-moi de te le répéter: "Un poignard acéré ne fait pas le poids contre une fiente de pigeon bien placée - seconde petite pensée à mon petit Constantin.
Le dernier remerciement spécifique que je voudrais adresser concerne ma soeur. Sylvène - ou Erthellane, de son vrai nom -, tu ne peux possiblement imaginer ma peine et ma surprise quant à ta dernière décision. Mais je me dois de te remercier car c'est la chute de ta course dans le ciel qui a guidé la direction dans laquelle j'ai toujours dérivé depuis. Malgré l'immensité autour, malgré les pierres et les bâtons, malgré la boue et la brume, une étoile invisible me guidait - et pour cause, elle était éteinte.
À présent, je voudrais remercier la foule. Que ce soit l'adolescente frêle agrippée à son livre dédicacé qui m' supplié·e du sentir l'écharpe originale d'Ernellarte ou ce rockeur tatoué qui m'a avoué avoir LouLou LaLa comme péché mignon - ou tout autre profil, car chacun·e est unique et nécessaire à la marche de ce monde - je vous remercie. Vous avez fait vivre mes vers et ma prose, transmit mes notes, suivi mes airs - j'ai quelquefois eu l'impression d'être ce joueur de flûte, d'emmener tout le monde à la mort, mais à part quelque ratés je crois m'en être plutôt bien sorti·e au demeurant.
Papa, Maman.... j'aurais aimé moi aussi. Le truc, c'est que vous n'avez jamais voulu connaître Charlie. Vous avez toujours voulu et voudrez toujours - bien que j'espère me tromper, je ne peux m'en assurer et c'est ce qui m'attriste peut-être le plus - connaître Luciella.
Enfin, terminons sur ce qu'on ne dira jamais: toujours, toujours remercier la foule. Qu'elle soit de deux, vingt, trois cent, cinq mille ou sept millions de personnes. Remerciez la foule.
Certes elle vous jette en pâture aux cannibales mais c'est aussi elle qui vous porte et vous rattrape - au final, rien qu'une représentation grande échelle de quantités de nos relations proches.
Sincèrement. Remerciez votre foule, remerciez vos Judas, remerciez cette foule immense car au fond nous ne sommes qu'une grande constellation.
Charlie"
Le dernier mot résonne dans l'immensité limitée qui pèsent au dessus des invités. La voix mouillée de Rosie suspend le temps un instant sur un sanglot à moitié étouffé - tentative vaine de correspondre à ce qu'on attend d'elle, pour une fois. Les feuilles se froissent dans sa main diaphane et se perdent dans les volants trop légers pour leur couleur trop lourde et trop bruyante. Elle tente de reproduire ce que son adelphe lui montrait, sans succès.
Seule devant cette audience petite et gigantesque à la fois, elle retient tant bien que mal le bruit de ses pleurs qui mouillent son visage et ruinent ce visage de poupée artificielle qu'elle s'est fait peindre - pour la bienséance, a dit sa mère. Rosie retient une petite de monter frotter ses yeux. elle doit respecter la minute de silence, ne pas toucher son visage, rester bien droite dans ces chaussures trop étroites et trop hautes qui lui donne un air de mini-miss.
Elle haït cette atmosphère de tout son être, sa robe trop légère sur ces collants trop fins. Elle sent les coulées chaudes d'eau salée et de substances gluantes mêlées sur son visage qui la gratte. Elle combat tant bien que mal toutes ses 'déviances'.
Puis, au son de le première goutte symbolique, la foule se disperse. La fillette s'agrippe à ces feuilles chiffonnées autrefois si lisses et soignées, le dernier souvenir qu'elle a de son adelphe. Évidemment, avant qu'elle n'y touche, la lettre était un feuillet organisé sur papier libellule, les différentes feuilles élégamment maintenues par une agrafe d'un argent terni par ses nombreuses relectures - seul signe d'usage sur le feuillet par ailleurs parfaitement immaculé et protégé de la moindre tache pas une chemise en plastique tout aussi parfaite. Mais Rosie détruit tout ce qu'elle touche - enfin, c'est ce que Maman dit. Charlie, ellui, avait plutôt tendance à parler de 'touché particulier qui marque à jamais ce qui passe entre ses mains'.
'-Regarde, Rosie! Une chatte écaille de tortue. On va l'appeler Agathe.
-Ça veut dire quoi "Agathe"?
-C'est quelque chose de rare et précieux. Un peu comme toi. Tu es ma petite Agathe. tu me portes chance et tu a la fougue de l'orage sur la ville polluée.'
Rosie repousse ce souvenir obscur. Ses doigts froissent encore plus la lettre. Elle s'y raccroche comme à sa dernière bouée. En voulant vérifier qu'elle n'a perdu aucune feuille, ses grands yeux tombent sur une phrase qui capte son attention.
'Rosie [..] si énergique, si habile et si bruyante'
Ce fragment de texte, embryon d'idée aussi volubile qu'un atome d'oxygène dans du carbone, tournoie dans sa tête entre ses deux nattes bien trop serrées pour la quantité de pression que peut supporter la crâne d'une petite fille.
Soudain, c'est le déclic. Elle est différente. Charlie était différente. Ce chemin de vie tracé, cette lettre écrite bien trop jeune, ces trésors d'imaginations que la Terre a porté - le destin les a placés dans le cerveau de Charlie mais Charlie a eu le temps de lui en transmettre une partie. Mieux encore: la cachette idéale si un jour Papa s'énerve trop.
Ça y est. Elle sait où sont les idées de Charlie. Bien au chaud, enroulées de cellophane comme seule protection contre ce monde trop violent - mais une personne sait toujours comment s'y rendre et c'est elle.
Elle serre la lettre dans son poing et subitement, au milieux de la foule sombre et vrombissante, elle tire sur les volants de couleur trop rugueuse et d'apparence trop féérique. Elle sort de son cocon et, indifférente aux cris affolés qui résonnent dans l'édifice imposant, elle court, enfonce la chatière du concierge - le pauvre passera trois jours de corvée dîner - et débarque dans un champ de pâquerettes.
Le feuillet serré dans son point, ses vêtements trop bruyants, colorés, trop étranges bien visibles, ses tresses défaites par sa course, ses chaussure tombées dans son empressement, enfin libre, enfin elle-même, elle pousse un cri, poings serrés levés vers le soleil aveuglant de ce paysage paisible et pas préparé aux bouleversement que Rosie vient apporter.
Elle va tout chambouler. Et après, ivre de sa victoire et de son combat, la respiration folle et les cheveux capricieux, elle n'oubliera surtout pas. Elle remerciera la foule.
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