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- A G N E S -


Agnès a 35 ans. 35 ans à peine : elle a son bac, une licence en histoire-géo. Elle a un appartement, assez grand, pas trop petit. Agnès aime les spaghettis bolo' : elle en fait tous les dimanches, quand la sauce est en promotion au supermarché. Elle enfile un tablier, met de la musique – du jazz de préférence, c'est sa musique du dimanche. Agnès aime regarder la télé – un policier le mardi soir, un film d'amour le vendredi. Elle aime bien quand le soleil se lève, quand le soleil se couche. Elle donne un euro au SDF quand elle les croise, parce qu'elle se sent mal – elle aimerait bien tous les emmener avec elle, mais son appartement et trop petit et puis de toute façon, elle n'a pas assez d'argent. De temps en temps, elle boit un verre d'alcool, de temps en temps, elle sort, elle met des talons, enlève son pantalon. Agnès aimerait bien se marier – en robe blanche, colombes qui s'envolent et gâteau à trois étages. Quand elle est assise dans son fauteuil le vendredi soir, qu'à la télé Dylan machin embrasse Barbie blonde dans leur villa en Californie dans une image de perfection et d'amour éternel, Agnès baisse toujours la tête. C'est un geste discret, presque invisible : pendant quelques secondes, elle regarde ses cuisses – trop grosse un peu poilues parce qu'elle n'avait pas envie de se raser le matin, le bourrelet de son ventre qu'elle n'arrive pas à perdre –sûrement les spaghettis. Elle voit son verre de vin dans sa main droite, se passe une main sur son visage pas maquillé et pas bronzé. Quand elle regarde rapidement son portable, elle voit d'autres Barbie, elle voit que sa voisine est sortie en boîte, que son ex a maintenant un chien et un nouvel appartement en plus d'une nouvelle copine – celle avec qui il l'avait trompé.

Alors Agnès pose son portable et éteint la télé. Elle ne regarde plus le générique et finit son verre de vin. Elle renifle un peu et se relève de son fauteuil : elle rallume la grande lumière, tâtonne jusqu'à la petite salle de bain où l'accueil son grand miroir. Elle l'a acheté il y a deux ans, quand elle a commencé son premier régime parce que son copain lui a dit que des kilos en trop, ce n'est pas sain. Ça affecte le cœur. Elle est allé voir la diététicienne, elle lui a dit que ce n'était rien, peut-être deux, trois kilos en trop, il suffit de manger sainement et de faire un peu de sport. Agnès s'est inscrite à la salle : trois fois par semaine, gestes répétitifs et sueur. Elle a perdu dix kilos et son copain l'a quitté. Elle a gardé son miroir et repris du poids.

Agnès a un peu envie de pleurer : elle est seule, elle se sent seule, elle se sent moche. Elle n'a pas des yeux bleus, pas des cheveux lisses. Elle n'a pas une voix de chanteuse, pas de talents cachés, pas de carrière internationale. Elle a l'impression que par rapport à toutes ces personnes qui postent des images demi-nues, couchés de soleil, baisers romantiques, elle est un raté. Elle ne parle pas le mandarin comme Chloé, la fille qui de temps va boire un verre au bar du coin : elle ne sait pas danser le tango, elle n'a pas d'amis en Nouvelle-Zélande.

Agnès n'a même plus de parents.

Accident de voiture, elle avait 16 ans. Ils étaient partis pour les Pays-Bas avec la Citroën de papa. C'était l'été : le soleil brillait haut dans le ciel, Agnès faisait la gueule. Elle aurait préféré partir en Italie, en Espagne – au soleil, pas à la mer du nord, avec ses méduses et son ciel gris. Maman avait essayé de lui faire plaisir quand même : elle avait acheté un paquet de chocolat lait-caramel, un nouveau maillot de bain et tenté de maintenir une conversation amusante. Et puis il y avait eu ce nuage dans le ciel. Un peu gris, un peu noir, un peu blanc – il avait caché le soleil, une minute, puis deux. Agnès avait tourné la tête : à côté de la Citroën, il y avait eu un énorme camion, avec des images de fruits et légumes énormes. Elle les avait trouvé laid – quelle mauvaise publicité.

Et puis le camion avait un peu titubé.

Le conducteur s'était endormi un instant – deux nuits sans sommeil, deux pauses seulement, il n'avait pas tenu, et la tête sur le volant il avait tourné sans le vouloir. Papa n'avait même pas eu le temps de le voir que déjà la Citroën avait été projeté sur le côté, s'embrochant avec force dans la voiture d'à côté. Comme des dominos, Agnès avait pensé, avant que sa tête ne heurte la vitre. Et puis ça avait été le trou noir. Une semaine, deux semaines. Ensuite elle s'était réveillée : maman et papa avait déjà été enterrés, il pleuvait et elle avait emménagé chez mémé qui n'entendait plus rien. Agnès avait des énormes cicatrices et une vie en morceau. La maison de maman et papa avait été vendue, elle avait récupéré deux trois meubles et les photos. Quelques semaines plus tard, c'étaient d'autres enfants qui se balançaient sur sa balançoire et un autre nom sur la sonnette.

Le 1 rue de Bordeaux n'était plus sa maison.

Lorsqu' Agnès avait eu 20 ans, mémé était morte à son tour. Comme ça, tout d'un coup, en regardant une émission quelconque dans son fauteuil violet.

Agnès n'a en fait même plus de famille. Personne pour lui dire que t'es jolie ma fille, pour la prendre dans les bras quand ça va pas, personne pour s'engueuler, personne tout court.

T'as pas de chance, Agnès, elle se dit en se regardant dans son miroir.

En plus, avec un nom pareil.

La grand-mère de son ex s'appelait Agnès aussi. Il avait rigolé, t'as un prénom de vieille. Elle n'avait rien dit – on s'était déjà moqué d'elle à l'école. A cause de son nom, à cause de ses cheveux qui faisaient des frisottis dans tous les sens, à cause de ses dents – Agnès dent-de-travers puis Agnès dents-de-fer quand elle avait eu son appareil. Elle n'avait pas osé le raconter à la maison, elle l'avait raconté à l'infirmière qui lui avait demandé pourquoi elle ne voulait pas aller en cours : elle lui avait dit que ce n'était rien, des plaisanteries de gamin. Alors Agnès était allée en cours. Même quand on lui lançait des bouts de gomme et qu'on se moquait quand elle bégayait pour un exposé.

Des plaisanteries : ce n'était que ça, des chamailleries d'enfants.

Devant son miroir, Agnès a les mains qui tremblent. Elle ne comprend pas pourquoi elle est comme ça – pourquoi elle n'est pas assez belle, trop timide, trop ceci, pas assez cela, pourquoi elle a perdu sa famille, pourquoi elle est seule. Pourquoi ce n'est pas elle dans la villa en Californie, pourquoi ce n'est pas elle qui a un chien et une maison et un copain avec des dents Colgate qui lui propose d'aller au restaurant. Agnès sert les poings : la première larme roule. Ça pourrait être pire, elle essaie de se dire, arrête de dramatiser. Il y en a qui meurt, il y en a qui ont rien a mangé, rien à boire, pas de maison, et toi tu pleures parce que tu n'as plus de parents et un bourrelet. T'es con, Agnès.

Mais elle ne peut pas s'empêcher d'être triste : elle ne peut pas s'empêcher de s'enfoncer dans ses pensées. Dans un film, elle se ressaisirait : elle relèverait la tête – aller, un bain moussant, un verre de vin à la Bridget Jones et miracle trois jours plus tard, rencontre surprise à l'arrêt de métro avec l'amour de sa vie. Mais Agnès n'est pas dans un film : elle n'a même pas de baignoire, seulement une douche minuscule où elle n'a pas la place de s'assoir et un lavabo. Il n'y a pas de métro dans sa ville et elle n'a plus de vin.

Elle décide d'aller se coucher.

Elle laisse la lumière allumée dans toute l'appartement – Agnès a peur du noir. Ça lui rappelle un samedi d'octobre où elle rentrait de la fac. Elle habitait en résidence étudiante: il n'y avait personne, tout le monde était rentré chez papa et maman. Les douches étaient en commun et elle avait décidé d'en prendre une. Elle s'était déshabillée, avait accroché ses habits au crochet, posé son gel douche sur le petit rebord. Elle avait décidé de rapidement sortir en peignoir – trois mètres à peine jusqu'à sa chambre, et puis la résidence était presque vide. Elle avait ouvert la porte : les lumières automatiques ne s'étaient pas allumées, sûrement encore un truc de cassé, et puis brusquement, il y avait eu des mains sur ses seins, des mains partout, un souffle rauque, une pénétration. Elle ne l'avait pas vu, il n'avait rien dit et elle n'avait même pas eu le temps de réagir. Il était reparti, elle s'était écroulée au sol : le peignoir ouvert, inerte, jusqu'à ce que le matin d'après, le concierge la trouve. Il s'était mis en colère, elle n'avait pas à être nue en public, il avait cru qu'elle était ivre et lui avait dit qu'elle devait arrêter de trop boire. Agnès n'avait pas osé répondre, pas osé parler : elle était allée dans sa chambre, elle s'était enfermée à double tour. Elle n'avait pas pleuré. Elle n'était pas allée parler à la police. Les mains tremblantes, elle s'était habillée, elle était sortie de la résidence comme en trance, les clés de la maison de mémé dans la poche. Elle avait pris la voiture, elle y était allée, elle était allée dans la douche.

Pendant trois heures, Agnès s'était lavée. Jusqu'à ce que sa peau soit brûlante et rouge. Ensuite elle était sortie de la salle de bain et s'était couchée dans le lit qu'elle avait occupée trois ans. Elle n'avait pas réussi à dormir. Elle n'arrivait pas non plus à comprendre.

En rentrant dans sa chambre, Agnès ne comprend toujours pas. Elle ne lui avait rien fait à cet homme, rien demandé. Elle n'avait même pas vu qui il était : elle avait seulement aperçu le reflet de ses yeux à la lumière qui sortait de la salle de bain. Des yeux verts. Son ex a les yeux verts. Son voisin d'en bas à les yeux verts. Maintenant c'est trop tard, elle ne saura jamais. Peut-être qu'elle le connaissait : peut-être qu'elle l'a recroisé sans le savoir. Le boucher aux yeux verts, l'homme qui a acheté un ticket de bus avant elle mardi dernier. Quelque part un homme aux yeux verts se baladent en sachant qu'il a violé Agnès sans peut être même savoir qu'elle s'appelle Agnès. Des fois, Agnès se demande comment ça serait si elle se retrouvait face à lui dans un commissariat ou au tribunal. Ce qu'elle pourrait bien lui dire.

J'ai peur du noir à cause de toi.

J'ai peur des hommes à cause de toi.

Est-ce que j'ai été la seule ?

Pourquoi ?

Pourquoi ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?

Agnès ne saura jamais. Au fond, elle n'est même pas sûre de vouloir savoir. Elle se sent quand même coupable : peut-être qu'à cause d'elle, cet homme continue ses méfaits : peut-être qu'à cause d'elle, parce qu'elle n'a pas pu le dénoncer, parce qu'elle n'a pas pu parler, d'autres femmes ont aussi souffert. Agnès regarde à l'extérieur et en regardant le ciel, elle s'excuse silencieusement. Elle espère que quelqu'un d'autre a eu plus de courage qu'elle. Elle se dit que dans une autre vie, elle serait plus forte. Elle serait une de ces femmes qui aident, qui ont la force de se sauver elle-même et d'autres : elle accueillerait les SDF, accepterait ses trois kilos en trop, se défendrait dans le noir, serait l'infirmière qui prend la petite fille dans les bras et lui dit qu'elle va engueuler ces gamins idiots qui l'insulte, que tout va s'arranger.

Dans une autre vie, tout irait bien.

Agnès met son pyjama, se fait une natte. Elle a un verre d'eau à côté de son lit, un livre. Ça aide à s'endormir. Il y a aussi des photos : maman, papa, en été devant la Citroën. Mémé dans son jardin, entourée de tulipes. Agnès, maman, papa et mémé à Noël. Il manque deux dents à Agnès, sa mère lui avait choisi des habits hideux – un gros nœud dans les cheveux, un pull à rayures multicolore, une jupe affreuse et des collants qui grattent – mais un air heureux illumine son visage. Agnès essuie une autre larme. Ça avait été son meilleur Noël : maman avait acheté de la bûche glacée, elle avait eu une énorme maison de poupée et maman et papa ne s'était même pas disputés pour savoir comment mettre les boules sur le sapin.

Lentement, Agnès s'allonge dans son lit.

Lorsqu'elle éteint finalement la lumière, le verre d'eau est vide : la boîte de cachets blancs, qui était posée à côté, aussi.

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