Chapitre 3
J'arrivai dans le couloir 2 pour mon cours de Sciences Sociales et Psychologie. Je remarquai que la porte était encore ouverte, signe que le cours n'avait pas commencé alors je ralentis un peu le pas.
- Diane ! m'appela-t-on.
Je m'arrêtai et je regardai derrière moi. C'était Charlie et Morgan qui trottinaient pour me rejoindre plus rapidement. Ils avaient une mine enjouée et semblaient avoir quelque chose d'important à me dire. Comme notre matinée s'était composée de demi-groupes, je ne les avais pas revu depuis hier où ils étaient censés rattraper leur contrôle de mise en situation.
- Merci beaucoup d'avoir parlé à Rand, commença Morgan.
- Tu devrais faire carrière dans le droit, d'habitude cette femme ne revient jamais sur ses positions, poursuivit Charlie.
Je laissai échapper un ricanement.
- Elle a changé d'avis toute seule, je ne lui ai rien dit, avouai-je.
Ils furent surpris de ma confession.
- Tu l'as ensorcelé en fait.
-Ça se pourrait...
Des talons résonnèrent dans le grand couloir vide. Je vis la professeure arriver dans un magnifique costume crème qui lui allait à merveille. Ses cheveux bruns étaient attachés en chignon bas dont quelques mèches rebelles flottaient autour de son visage mate. Elle me regarda de ses yeux sombres et chauds et m'offrit un clin d'œil.
J'aurai pu rester plantée là encore longtemps si Charlie ne m'avait pas violemment tiré par le bras pour me faire rentrer dans la salle.
- Ne pense même pas à te taper cette femme, c'est un venin ambulant ! me modéra-t-elle, à voix basse.
- Je ne suis pas lesbienne, Charlie.
- Elle serait capable de te le faire devenir, cette sorcière !
Je ricanai suite à sa réaction.
Je pris place au fond de la salle où j'étais le premier jour. Mes deux amis étaient à l'autre bout de la pièce et tant mieux, sinon on aurait parlé durant toute l'heure et j'avais bien compris que ce n'était pas une bonne chose avec Rand.
Elle arriva dans la classe et claqua la porte derrière elle, en en faisant sursauter quelques-uns. Elle posa son sac à main sur le bureau et resta face à nous pendant quelques minutes, sans parler, nous scrutant chacun notre tour. Visiblement, personne ne comprenait ce qu'il lui prenait de faire ça. Mais personne non plus n'irait contester.
- Bien, fit-elle, finalement. Aujourd'hui on va finaliser le chapitre. Et qui dit fin de chapitre, dit interrogation. Sauf que cette fois-ci ce sera différent.
Elle fit une pause de quelques secondes avant de reprendre :
- J'ai été appelée pour retourner sur le terrain dès que la nouvelle année sonnera.
Un silence pesant planait dans la salle. Ce n'était probablement pas la réaction qu'elle attendait, mais les élèves anglais avaient l'air dépourvus de toutes émotions. Je vis Charlie faire des gestes pour capter mon attention. Elle me montra une feuille avec écrit "SNIF :'(" dessus au feutre noir. Je réprimandai un rire.
- Heureuse de savoir que mon départ vous affecte autant, Hadfield.
- Je vais sûrement en faire une dépression, répondit mon amie.
- Ne vous inquiétez pas, vous quitterez la maison en même temps que moi.
J'entendis Morgan glousser.
J'avais oublié qu'avant les fêtes se déroulait le Conseil des Élèves. Les places dans le domaine de l'espionnage étant réservées à l'élite, les élèves aux résultats les plus faibles se faisaient virer pour ne garder que les meilleurs et les mettre en compétition. C'était une ambiance très toxique, mais ça forgeait. Et Charlie m'avait raconté qu'elle était loin d'être dans les premiers de cette classe. Cinq élèves allaient quitter le navire dans deux mois, et je ferais tout pour ne pas en faire partie.
- Cependant, j'ai une autre nouvelle qui pourrait en intéresser certains.
Son regard chocolat se posa sur deux personnes au premier rang que je ne connaissais pas. Elle reprit :
- Le meilleur élève de cette classe aura la chance, que dis-je, l'honneur ! d'être mon agent secondaire pendant au moins six mois.
Je fronçai les sourcils. Qu'est-ce qu'elle entendait par "agent secondaire" ?
Morgan posa la question pour moi.
- Mon stagiaire, si cette appellation vous parle plus.
- Ah cool, tu vas lui servir son café, blagua Charlie.
Je ricanai discrètement. Rand prit cette réflexion à la légère et se contenta d'ignorer mon amie.
- Ce sera l'occasion pour vous d'être au cœur de l'action, et surtout d'en apprendre encore plus avec les meilleurs.
Je croisai les bras en me laissant tomber au fond de ma chaise. Je considérai sérieusement sa proposition. Il était vrai que j'avais un avantage en étant arrivée au milieu du trimestre, et n'ayant qu'eu une excellente note. Mais peut-être que c'était à moi, d'être l'agent secondaire de Rand ?
Je me fixai donc l'objectif de finir première de la classe pour le Conseil des Élèves.
Deux semaines plus tard, je m'étais enfin habituée à mon nouveau rythme de vie. Ma vie française n'était plus qu'un lointain souvenir, et j'étais pleinement heureuse d'être dans ce campus. Charlie et Morgan sont devenus des amis très proches avec qui j'avais désormais un lien solide. On passait notre temps ensemble, même si souvent je les laissais pour le travail.
D'ailleurs, en parlant de travail, j'ai conservé une belle avance. Mes résultats sont globalement bons, voir même excellents, et je pensais être en bonne voie. Je n'avais pas encore fait part de mon projet à mes amis, ne sachant pas comment ils allaient réagir. Et puis, je n'étais pas quelqu'un qui parlait de mes objectifs à tout va, j'aimais agir dans mon coin et épater tout le monde. J'avais aussi repéré mes potentiels ennemis et je les surveillais de loin pour savoir où je pouvais me placer.
Aujourd'hui j'avais cours de sport avec Rand, et on était sur les arts martiaux. Elle nous apprenait à optimiser nos chances de prévoir les coups que l'adversaire pourrait nous porter, tout en gardant une position de défense constante. C'était à la fois physique et mental, ce qui rendait la chose encore plus complexe.
- Pour ce cours, vous allez mettre en action tout ce qu'on a vu. Pour chaque tapis il y aura trois personnes ; deux qui combattent et un arbitre. Je vous donnerai les feuilles pour chaque terrain, vous les remplirez avec les noms des deux adversaires, le nom de l'arbitre, et le score final. Maintenir au sol une personne pendant plus de cinq secondes donne un point, le double si cette action est réalisée rapidement. Les combats durent cinq minutes, à chaque coups de sifflet vous faites une tournante, OK ?
Elle nous laissa nous placer sur les tapis avec le groupe qu'on voulait pour commencer. Naturellement, j'allai avec Charlie et Morgan. Ils s'affrontèrent pendant que j'arbitrais. Une fois que tout le monde fut prêt, Rand siffla le début du combat. Elle se décida à venir observer chaque groupe pendant quelques minutes. Elle vint voir mon trio pendant que je comptais les points.
- Hadfield et Asting, je vous ai demandé de vous battre comme des adversaires, pas comme des frères et sœurs ! Utilisez ce qui reste de votre cerveau, pas seulement vos mains !
Charlie lança, sûrement sans faire exprès, un coup de pied dans les parties intimes de Morgan qui se tordit de douleur. Rand jura, agacée.
- Vous êtes irrattrapables.
Elle regarda son chronomètre puis apporta le sifflet métallique à ses lèvres rosées qu'elle coinça entre celles-ci. Quelques secondes après, le bruit strident retentit, et les élèves s'affairaient pour changer de groupe en fonction de leurs résultats. Charlie présenta ses excuses à son ami qui se tordait de douleur, des larmes de rires dévalant ses joues rougies par l'effort.
Je m'avançai sur le tapis, prête à affronter Morgan qui avait perdu le premier combat. Rand siffla, et c'était partit pour nous deux. Il n'était pas à fond dans la partie, et je ne lui en voulais pas puisque je récoltais des points.
Après quatre autres matchs que je remportai haut la main, Rand nous demanda de nous rassembler autour d'un tapis et appela Tessa Jurgens et Will Faraday, mes deux fameux ennemis, à s'affronter. Une ligue se créa pour chaque camp, les filles soutenaient Tessa et les garçons Will. Je ne pris pas parti, concentrée à observer leurs potentielles fautes qui les feraient chuter. Rand faisait l'arbitrage mais ne faisait aucun commentaire supplémentaire sur la prestation de ses élèves qui pourtant, de mon point de vue, étaient loin d'être les meilleurs.
À la fin des cinq minutes accordées, elle siffla et les garçons acclamèrent leur champion. Rand leur demanda de retourner s'asseoir parmi nous.
- Je vais être très claire avec vous : si vous vous battez comme ça le jour J, vous êtes morts.
L'ambiance changea radicalement.
- Ne faites pas les surpris. Ce n'est pas normal qu'autant de points soient comptés. Le match parfait doit se compter à 1-0, parce que vous n'aurez jamais de seconde chance.
Elle laissa un silence planer volontairement avant de balancer :
- Miss Pruel, rejoignez-moi.
Tous mes camarades me regardèrent. Je me levai légèrement réticente, ne sachant pas trop quel sort m'était réservé. Elle appela aussi Ashley pour gérer le temps, et elle ajouta qu'elle voulait dix minutes. Je jetai un regard à mes amis.
- Défonce-la, m'encouragea Charlie.
- Fermez-la Hadfield ou c'est moi qui vous défonce, l'engueula Rand.
Elle se posta face à moi et demanda à Ashley de démarrer le chrono. Le temps que je réalise que j'allais me battre contre elle, elle me saisit le bras et s'apprêtait à me faire basculer en arrière en me balayant les chevilles, sauf je bloquai son pied et tournai sur moi-même pour la mettre dans une position qui la gênerait. Elle me stoppa dans mon action en me faisant basculer en avant, prête à me faire tomber en fauchant mes jambes, mais je sautai par-dessus son pied et la soulevai sur mon dos avant de m'écraser sur elle. Ses jambes nous rattrapèrent et elle enroula ses bras autour de mon cou pour ne pas tomber.
Notre combat semblait ne jamais se finir et, petit à petit, j'oubliai même quel était le but principal de ce que nous faisions. Elle était devenue dans ma tête un ennemi à neutraliser, et je lui tenais tête jusqu'au bout. À de nombreuses reprises nous manquions de nous blesser ou de chuter, mais aucune de nous n'arrivait à marquer un point. Ce n'est qu'après une longue lutte acharnée qu'elle finit par me faucher et me plaquer au sol. Juste après, Ashley annonça la fin du temps.
J'entendais son souffle saccadé. Tout son corps s'appuyait sur le mien pour m'empêcher d'effectuer un quelconque mouvement. Haletante, je tentai de me redresser pour reprendre ma respiration. C'est alors que je sentis son visage à quelques centimètres du mien. Je tournai la tête et je la vis, le teint rougi par l'effort, les cheveux maintenant en bataille, mais toujours aussi sublime.
- J'ai gagné, me rappela-t-elle en se relevant.
- Je ne voulais pas vous blesser..., me rattrapai-je.
Elle me tendit sa main en guise d'aide que j'acceptai.
Elle se tourna vers la classe.
- Vous avez vu ce qu'on attend de vous ? Vous devez gagner chacune de vos luttes. Aucune, même minime, ne doit être négligée. Maintenant, on va revoir les mouvements basiques d'attaque et d'esquive, parce que je crois que certains les ont oubliés !
Elle demanda à ce qu'on forme des duos, puis qu'on se répartisse sur les tapis. Elle m'ordonna de rester avec elle, de toute façon je n'avais pas de binôme. Elle se servit de moi pour rappeler les basiques, me donnant des coups à volonté, tous plus forts les uns que les autres.
- Vous n'êtes pas obligée de frapper aussi fort, m'agaçai-je.
- Ça ne vous tuera pas.
Elle s'apprêta à démontrer à dernier coup, celui-ci porté au ventre, mais je refusai qu'elle me fasse encore mal. Je bloquai donc son poing qui arrivait vers moi avec la paume de ma main et je lui assénai un coup de coude dans le nez. Je plaçai mes mains au niveau de sa taille et je la balançai au sol.
- Voilà comment on contre un coup dans le ventre, fis-je, à l'intention de mes camarades. Des questions ?
- Miss Pruel ! gueula Rand.
Je me tournai vers elle qui se massait le poignet.
- Je peux savoir ce qu'il vous a pris de me jeter comme ça ?
- Pourquoi ? Vous avez mal ?
J'entendais les rires de mes amis.
Les sourcils de Rand étaient froncés, ses lèvres pincées. Elle était clairement entrain de bouillir.
- Je veux vous voir ce soir au stand de tir, à vingt heures.
Les rires cessèrent immédiatement. Un silence s'installa dans le gymnase. Puis la professeure se tourna vers les élèves et leur aboya de se mettre au travail au lieu d'attendre que les choses se fassent.
Charlie et Morgan s'avancèrent vers moi.
- Meuf, t'es dans la merde, commença Charlie.
- Pas plus que je ne l'étais déjà, répliquai-je.
- Il y a une rumeur qui court sur cette dame, poursuivit Morgan. Quand on te dit que c'est le diable, on ne ment pas.
Je ricanai.
- Elle m'a seulement donné un rendez-vous, pas de quoi vous affoler.
- Elle a dit la même chose au premier de la promotion de l'année dernière. Le lendemain on l'a retrouvé pendu dans son appartement.
Mon cœur loupa un battement. Comment ça pendu ?
Je regardais derrière moi la belle brune qui arbitrait un duo qui se battait. J'observais son dos large, ses bras musclés, ses fesses rebondies et ses belles jambes camouflés sous des vêtements de sport noirs.
- Je ne suis pas lui.
Je me retournai vers Charlie qui était inquiète.
- Justement. Tu pourrais encore plus mal finir.
- Mais non ! Regarde-la, qu'est-ce que tu veux qu'elle me fasse ?
- Qu'elle te tue, abrutie !
- Ce n'est pas une criminelle.
- Elle ne tue pas avec les mains, ajouta Morgan. Elle tue avec ses mots. Elle te rabaissera jusqu'à ce que tu t'éteignes toute seule. Elle va te détruire comme elle a détruit Levasseur et je ne sais combien d'autres personnes.
Ils parlaient avec un sérieux que je ne leur connaissais pas.
- N'y vas pas.
- Eh les trois là-bas ! Si vous voulez pas bosser vous partez !
On se regarda.
- Tout ira bien, elle va seulement me défier pour alimenter son ego que je viens de salir en l'envoyant valser contre le sol.
- OK, jette-toi dans la gueule du loup. Tu penseras à nous quand tu seras entrain de t'ouvrir les veines dans la baignoire.
Ils allèrent s'entraîner, comme Rand avait demandé.
Charlie avait dit que c'était une rumeur, était-il vraiment décédé ? Si c'était le cas, une enquête aurait dû être ouverte et Rand incriminée. Pourquoi était-elle encore entrain d'enseigner, alors ?
Cette histoire était louche, mais ne m'empêchera pas d'aller au stand de tir ce soir.
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