Chapitre 13
- Tu veux intégrer la politique américaine, premier degré ? s'étonna Volca dont la voix émanait de mon téléphone que j'avais mis en haut-parleur, Rand étant partie faire des courses.
- Je ne sais pas encore. Ça pourrait faciliter les missions d'infiltrations politiques, et surtout je pourrais encore clouer le bec à Rand en terminant son enquête avant elle puisque j'aurai un meilleur accès aux informations.
J'entendais le bruit des touches de son clavier sur lesquelles elle tapait à mille à l'heure.
- Je croyais que tu l'aimais ?
- Franchement, elle est canon, sexy, tout ce que tu veux, mais on a plus de dix ans d'écart !
Je posai la pomme de terre que je venais de terminer d'éplucher dans le saladier et j'en pris une seconde.
- Dix ans ? Tu n'as pas dix-huit ans !
- Elle m'a dit qu'elle était plus proche de la retraite que de ses débuts, j'en ai conclu qu'elle avait un bon âge ! me défendis-je, me souvenant des paroles de ma coéquipière durant la soirée mondaine.
Jolene gloussa.
- Rand est populaire pour son palmarès parce qu'elle est l'une des plus jeunes du métier à avoir autant d'enquêtes résolues à son actif ! Elle a fêté ses vingt-sept ans l'été dernier, et je ne pense pas être rentrée dans une faille temporelle depuis.
- Donc elle m'a encore menti ? m'agaçai-je.
- Visiblement.
Je soupirai. Qu'est-ce que ça lui apportait de me donner de fausses informations ? Fallait-il également que je fasse des enquêtes sur elle pour vérifier la véracité de chacune des choses qu'elle me dit ?
- Eh, estime-toi heureuse qu'elle te parle d'elle. Les quelques collègues qui ont collaboré avec elle ont dit qu'elle était muette comme une carpe, ajouta Jolene.
- Rand ? Muette ? Tu me fais rire !
Je lançai la patate épluchée dans le saladier et j'en pris une troisième.
- C'est pour ça, elle à l'air de t'apprécier plus qu'elle ne te le montre. Profites-en pour en apprendre davantage et non pour t'échapper avec le premier beau mec que tu croises.
- C'est le vice-président, Jolene ! The man !
- Ouais, the man aux multiples ex qui le ruinent chaque jour un peu plus !
Je ricanai.
- Je ne sortirai pas avec lui, c'est juste un CDI.
- Tu as déjà tout ce que tu souhaites, pourquoi t'emmerder avec un travail passif ? J'ai bien compris que tu en voulais à Rand de t'avoir laissé de côté pour Félicie, mais lui faire payer avec Gallen n'est pas plus mature de ta part !
J'entendis la clé dans la serrure se tourner, indiquant que mon ancienne professeure revenait avec les courses.
- La Range-Rover arrive dans le parking, annonçai-je à Volca.
C'était notre nom de code avec mon ancienne coéquipière pour annoncer le retour de Rand. On avait trouvé ce nom le premier jour de ma mission avec la brune, quand je lui avais raconté l'histoire de la soirée mondaine où elle m'avait empêchée de danser avec Connor.
La porte s'ouvrit et Rand apparut avec deux sacs de courses dans les mains. Elle claqua la porte d'entrée à l'aide de son pied. Elle s'avança ensuite vers la table sur laquelle j'étais installée pour éplucher mes pommes de terre et y posa les sacs avant de souffler.
- Oh, t'as regardé le match de basket hier ? s'enquiert mon amie, essayant de reprendre une conversation comme si de rien n'était.
- Non, j'étais chez le vice-président.
Rand retourna dans l'entrée en faisant claquer ses talons. Je jetai la dernière patate que j'avais épluché dans le saladier pendant que Jolene discutait avec un de ses collègues.
- Lucy, je dois te laisser, on a une réunion de crise.
- Bye !
Elle raccrocha pendant que je me levai pour laver les pommes de terre dans l'évier. Rand revint déchaussée et s'attela au rangement de la nourriture.
- Comment va Jolene ? me demanda-t-elle, rangeant du beurre.
- Elle va bien. Elle traque les méchants en pixel, elle m'a dit qu'elle s'en sortait pas trop mal.
Je coupai l'eau, jetai les épluchures à la poubelle et pris la planche à découper ainsi qu'un couteau, et je tranchai les patates en rondelles.
- Vous en êtes où avec les fraudes ?
- Au point mort. ¯Ça n'avance pas et ça commence très sincèrement à me taper sur le système. J'ai l'impression de courir après rien, ça me dépasse.
- Mais ce que je ne comprends pas c'est pourquoi il utiliserait de l'argent blanchi pour les fonds électoraux ? Ce n'est qu'un simple sénateur et il ne soutient même pas White !
- C'est là, tout mon problème. Cet homme est un bon gendre, père d'une bonne famille. Il a même refusé mes avances, c'est pour dire...
Je sortis une poêle que je posai sur la plaque de cuisson, attendant qu'elle chauffe.
- C'est un psychopathe, blaguai-je.
- J'avoue que j'y ai pensé aussi.
On échangea un sourire complice.
- Passez-moi le beurre, s'il vous plaît.
Elle s'exécuta, je la remerciai. Je coupai un bout de beurre que je fis fondre dans la poêle pendant que Rand terminait de ranger les courses restantes dans la salle de bain. Je mis ensuite les patates à cuire. La belle brune revint avec le sac vide qu'elle rangea dans l'entrée.
- Et vous, vous en êtes où avec votre cher ami le vice-président ? questionna-t-elle, une pointe de colère dans la voix.
- Nulle part, pour l'instant.
Elle revint dans la cuisine.
- "Pour l'instant" ? Vous avez vraiment prévu de lui donner une réponse ?
- Je ne vois pas où est le problème...
- Je pensais qu'il ne faisait que ça pour vous avoir dans son lit ! Vous avez donc déjà craqué ? s'indigna-t-elle.
Ses yeux noirs me lançaient des éclairs, accentuant la colère déjà présente sur son visage bronzé. J'esquissai un petit sourire, voyant à quel point ce petit numéro faisait effet.
- Je peux savoir ce qui vous fait sourire comme ça ? m'agressa-t-elle.
J'attrapai une cuillère en bois dans le tiroir à ustensiles et je remuai les pommes de terre. Elle appuya sa main gauche sur le comptoir et posa sa main droite sur sa hanche. C'était une attitude qu'elle adoptait généralement quand elle se retenait de cracher sa haine sur quelqu'un. Après, restait à savoir si ce quelqu'un était moi ou bien Connor.
- Vous êtes tendue, Votre Majesté. Vous devriez vous relaxer. Pourquoi n'iriez-vous pas vous installer tranquillement sur la terrasse pendant que je termine de préparer le repas ?
Elle s'apprêtait à se jeter sur moi pour m'étrangler, mais elle se raviva et afficha un sourire espiègle.
- Vous savez ce qui m'aiderait à me détendre ?
Son sourire s'agrandit au fur et à mesure qu'elle approchait ses lèvres de mon oreille. Je me laissai faire, même si je me raidis légèrement, ne sachant pas trop à quoi m'attendre avec elle.
- La tête de ce connard de Gallen dans mon assiette.
Puis elle se dirigea vers la terrasse.
- Je peux savoir pourquoi vous êtes jalouse de ce type alors qu'il n'a strictement rien fait ?
- Je ne suis pas jalouse de lui, Miss Sharp. C'est simplement quelqu'un envers qui j'ai un très mauvais pressentiment, me répondit la belle brune sans se retourner.
- Moi aussi, j'en ai un. Et c'est pour ça que je veux savoir ce qu'il mijote.
Elle s'arrêta sur la marche de la terrasse juste avant de passer la grande baie-vitrée, puis se tourna lentement vers moi.
- Et vous pensez qu'en vous jetant droit dans la gueule du loup vous allez réussir à trouver ce que c'est et vous en sortir indemne ?
- Vous avez une meilleure idée, peut-être ? Il n'aura aucune raison de vous faire confiance et de vous livrer ses idées, rétorquai-je.
- Lui, non. Mais il est bien loin de bosser tout seul.
Je fis le tour de mon esprit pour ressortir toutes les informations que je connaissais sur lui et sur qui il fréquentait. Je n'avais pas beaucoup de choses, mais une personne me revint rapidement en tête.
- Vous voulez parler de Heather ?
Rand hocha la tête.
- Ils auraient une liaison ? tentai-je.
- Je ne pense pas.
Elle rentra à l'intérieur de l'appartement et se chargea de mettre la table sur la terrasse pendant que je terminai de m'occuper des patates qui doraient. On finit par se retrouver à table, l'une en face de l'autre. On était toutes les deux perdues dans nos pensées en mangeant, chacune testant ses théories dans sa tête jusqu'à trouver l'hypothèse parfaite.
- S'ils n'ont pas de liaisons, quelles sont leurs motivations alors ? repris-je, n'arrivant pas à avancer seule.
- Il n'y a pas que l'amour qui lie les gens dans une quête commune. Il y a la haine. Et c'est même plus fort que l'amour.
- Mais après qui ? Qui est leur ennemi commun ?
- Bonne question.
Je piquai une patate avec ma fourchette et je l'apportai à ma bouche avant de la mastiquer lentement. Le fait qu'ils aient un but commun, une personne qui les dérange, expliquait pourquoi ils étaient si proches sans pour autant l'être énormément et pourquoi Heather n'avait pas réagi lorsque Gallen m'avait fait des avances.
- Mais si je deviens une associée de Gallen, je pourrais peut-être en savoir un peu plus, relançai-je.
Elle soupira. J'esquissai un sourire innocent.
- Il n'y a pas d'autres alternatives, de toute façon.
- Si. Je pourrai appeler un de mes collègues du continent européen pour qu'il ait accès à l'emploi du temps de Heather, et on se charge de faire copine-copine avec elle. C'est beaucoup moins risqué, réfuta-t-elle.
Je ricanai en entendant sa dernière phrase.
C'était certes beaucoup moins risqué pour nous, mais son contact courait clairement à sa perte, l'obtention de secret d'Etat tel que les agendas non officiels du Président et de ses proches étant parfaitement illégal et fortement sanctionnable. Et même si cet agent était l'un des meilleurs, les chances qu'il s'en sorte indemne étaient minimes.
- Je ne pense pas que votre contact accepte de prendre le risque de perdre son job pour des preuves voulues sur une intuition.
- Il me doit un service. Il serait peut-être temps qu'il me le rende.
Elle piqua une patate avec sa fourchette et l'apporta à sa bouche.
- Heather est peut-être une poupée plastique à taille humaine, je ne pense pas qu'elle s'amuserait à divulguer ses objectifs peu conformes à la loi à deux inconnues qui ne sont là que pour quelques temps, arguai-je.
- Connor ne ferait qu'une bouchée de vous !
- Parce que Heather sera plus sage ? Ils travaillent ensemble alors si l'un veut me tuer, l'autre l'aidera, et nous ne serons pas plus avancées. Ce qu'il faut c'est que j'aille sur le terrain, que je me laisse embobiner par Gallen et que je mène mon enquête discrètement. Et une fois ça fait, on pourra les coincer.
Elle inspira fortement, ne voulant pas se résigner au fait que j'avais le meilleur plan. Je terminai mon assiette silencieusement pendant qu'elle semblait réfléchir, son regard étant caché par ses lunettes de soleil.
- OK, lâcha-t-elle, dans un soupir.
- Relax ! J'ai survécu à un cartel mexicain réputé pour être plus que dangereux, c'est pas deux bouffons riches à souhait qui vont réussir à m'arrêter !
Elle m'adressa un petit sourire.
- Faites attention à vous quand même.
- Vous vous inquiétez pour moi ? Comme c'est adorable...
- Ratez cette mission et je vous tue, railla-t-elle.
- Je me disais bien aussi...
On termina de manger dans une ambiance plus détendue. À la fin du repas, Rand s'attela à la vaisselle pendant que je débarrassai le couvert.
- Vous avez l'intégralité de votre plan ? me demanda la brune.
Je fermai la porte du frigo et je me tournai vers elle.
- Je vais lui demander à ce qu'on se voit pour qu'il m'explique un peu plus ce qu'il attend de moi, après je verrai en fonction de la situation si j'accepte le poste ou non.
- Et ?
Elle rinça le dernier plat qu'elle posa sur l'étendoir puis elle coupa l'eau avant de me regarder.
- C'est tout.
Elle secoua ses mains mouillées, amenant alors de l'eau sur mon visage. Je grognai.
- On ne part jamais en mission sans avoir fait toutes les issues possibles, Miss Sharp ! Combien de fois l'ai-je répété ? Vous devez être prête à toutes éventualités, même les moins probables ! Vous devez avoir le contrôle sur chaque chose, avoir réfléchi préalablement à chaque possibilité et aux réponses que vous devrez apporter !
- Je dois faire quoi ? Un arbre pondéré avec toutes ses possibles réactions ? C'est une perte de temps !
- Si je vous racontais toutes les fois où ça m'a sauvé la vie, vous ne tiendrez pas le même discours ! argumenta-t-elle.
Je soufflai en lui jetant le torchon pour qu'elle s'essuie les mains.
- Donc, on reprend.
On passa alors un bon moment à élaborer le plan qui nous paraissait le plus sûr et le plus intéressant à réaliser. Rand utilisait un carnet pour faire des schémas, un arbre de conséquences, surpassant en vert les chemins qu'on jugeait les plus probables.
On arriva finalement à une belle production qui, je devais l'admettre, me mettait en confiance.
Connor et Heather n'auront bientôt plus de secrets pour personne...
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