Chapitre 29
L'univers à portée de larmes
J'ajuste ma robe, tirant dessus pour la baisser le plus possible — elle a rétrécit ou j'ai pris des seins ? La seule chose acceptable que j'ai trouvé est une vieille robe beige à fines paillettes qui m'arrive presque aux fesses. Elle est assez discrète, passant partout, tout en étant pailletée. Je prends le temps de mettre des baskets jaunes pour être un peu confortable tellement la robe me met mal à l'aise.
À bat les talons !
Quand j'arrive dans le salon, attachant ma dernière boucle d'oreille en or, Gareth et ma mère sont en pleine conversation houleuse sur le tourisme en ville, il me semble. La concernée se plaint plus que jamais à mon petit ami de l'ennui qu'elle a ressenti toute la journée, ne sachant que faire sans venir m'embêter. Gareth commence une phrase pour répondre mais déjà ma mère est ailleurs, me regardant fixement.
Lui aussi tourne la tête pour comprendre l'objet du je m'en foutisme de ma mère, et je crois voir de vraies étoiles dans ses yeux quand il me découvre.
- Je ne savais pas vraiment quoi mettre comme je ne sais pas où on va donc... je commence en étant mal à l'aise.
Il se lève du canapé directement, venant dans ma direction. À mon plus grand étonnement, et celui de ma mère — vu son gloussement d'hyène —, il se met à genou pour prendre ma main et l'embrasser.
J'explose de rire devant le ridicule qu'il s'inflige pendant que ma mère fait semblant de s'évanouir, comme tombée sous son charme. Punaise on dirait un mauvais film de comédie française !
- Qu'est-ce qui t'arrives Gareth ? C'est ridicule, j'essaye d'articuler en retenant mon hilarité.
- Je ne sais pas moi-même, mais tout ce dont je suis sûre, c'est que tu es magnifique.
Je sens directement mes joues rougir, trahissant ma gêne. Pas que ça ne me plaise pas, mais c'est surtout très inhabituel qu'on me dise ça naturellement. Surtout de cette façon. Certes il est très sexy à genoux devant moi, mais on pourrait surtout penser qu'il va me demander en mariage. Désolée maman mais ce n'est pas encore dans mes projets !
Je finis de rire et reprends mes affaires pour que nous y allions, abandonnant Gareth qui a le genou à terre. Seulement, ma mère fait tout ce qu'elle peut pour nous retenir, gémissant sur le canapé pour qu'on l'emmène avec nous. On dirait une enfant qui se roule par terre au supermarché parce qu'on lui a refusé un bonbon ! Mais s'il y a une chose que je sais, c'est que pour rien au monde je souhaite qu'elle nous accompagne.
***
Gareth me tend son casque que je fixe sur ma tête sans mettre la visière. Encore une fois, toujours pas de casque pour lui ; je vais finir par écrire sur un post-it de lui en trouver un autre.
Je vais peut-être en chercher un avec des oreilles de Pikachu.
- Pourquoi tu es si dure avec ta mère ? Il me demande le plus tendrement possible.
- Tu l'as vu, ce n'est pas elle qui m'a éduquée. Je n'ai aucun compte à lui rendre.
- Ne lui en veux pas trop. Je sais que je n'ai pas tous les éléments de votre vie mais je pense que tu risques de le regretter un jour. Elle essaye de faire des efforts, il m'affirme en s'installant sur la moto.
J'hausse les épaules en montant à mon tour, me calant contre son dos.
- Je m'en fiche, elle n'avait pas le droit de débarquer dans ma vie sans me demander. Ce n'est pas pour rien que j'ai quitté la France, je veux vivre.
- Alors allons-y, Agapi Mou.
***
Nous roulons une bonne demi-heure dans la nuit noire avant d'arriver devant des grandes résidences en bord de mer. Cette fois, les maisons font encore le double de celle où la dernière soirée a eu lieu : je ne pensais même pas que c'était possible. Nous conduisons quelques temps au milieu de ces géants, avant d'atteindre un parking de terre, bondé par des voitures toutes plus grosses les unes que les autres. Décidément, les gens ont de l'argent dans ce coin, je ne parierai pas du contraire.
Gareth se gare et je descends en hâte pour enlever ce casque qui me comprime le cerveau. Ce lieu n'a rien d'apaisant. Dans la nuit, les ombres qui le parcourt le rendent inquiétant.
- Tu peux te dépêcher ? Je demande à Gareth. J'ai l'impression qu'une orde de zombis va me sauter dessus d'un moment à l'autre.
- Des zombis ? Il répond en me prenant le casque des mains pour le ranger.
- Bah oui, tu n'as jamais regardé The Walking Dead ou The Last Of Us ? Quand tout est trop calme, c'est là qu'ils frappent ! Et honnêtement, je préfère ceux d'une série plutôt que l'autre, je te laisse deviner.
Gareth explose de rire et me prend la main pour me rassurer. Je la serre un peu plus fort pour sentir encore plus sa peau contre la mienne.
- Ne t'inquiète pas, je te ferai barrière de mon corps, me dit-il en embrassant ma tempe.
Puis il m'entraîne vers un sentier un peu plus grand que celui qui nous avons déjà eu l'occasion d'emprunter.
- La ville est très touristique, surtout l'été. Mais elle veut de plus en plus changer cette image en l'étant toute l'année. Alors comme tu le sais, elle aménage beaucoup d'endroits plutôt sympathiques. Il en reste encore pas mal alors je voulais continuer la liste ce soir.
Le chemin n'est pas très long mais tout aussi enraciné. Je fais attention de ne pas trébucher : ça serait dommage de tomber sur Gareth. Celui-ci mène lui aussi à une plage mais cette fois, elle est un peu plus grande. Ce qui me frappe surtout, c'est le nombre de gens qui s'y trouvent. Il n'y a presque que des couples de tout âge, s'enlaçant et s'embrassant dans tous les sens. Gareth m'aide à descendre les quelques marches bancales pour atteindre le sable puis m'entraîne vers une cabane au fond de la plage.
Les gens rient ensemble, s'éclairant de quelques feux pour y voir quelque chose ou pique niquant sur une serviette. Certains audacieux surfent sur les vagues qui s'écrasent sur le sable. Je ne sais même pas comment ils font pour ne pas avoir peur de l'océan plus noir que jamais, qui reflète seulement la lune.
En plus, si j'avais su que nous irions à la plage, jamais je n'aurais mis cette robe mais plutôt quelque chose de très ample.
- Gareth, tu aurais pu me dire que nous allions encore à la plage ! Franchement j'ai l'air d'une quiche dans cette robe, je râle vers lui.
Il rit en continuant de nous faire avancer dans le sable vers la petite cabane, pas du tout inquiet de mon accoutrement.
- Ce n'est pas pour maintenant la robe, me confie-t-il. Donc sois patiente et tu comprendras.
Au niveau du cabanon, il loue une serviette de plage qui semble immense et on lui confie une torche à allumer. Il me tend la serviette et s'empare du dernier objet, une sorte de cercle en papier.
Je tiens ma langue jusqu'à que nous nous installions dans un endroit sans trop de personnes.
- Qu'est-ce que c'est ton bout de papier ? Je demande en tentant de l'attraper mais il est plus rapide que moi.
- Ça te brûlait la langue hein ? Me dit-il en riant. Assis-toi d'abord, Agapi mou.
On s'assoit tout les deux sur la grande serviette de plage beige dépliée et il s'empresse de batailler avec le cercle bizarre. Quand il trouve enfin le moyen de déplier la chose de papier blanc, il poursuit sa construction en installant une tige en fer et une sorte de petite bougie qu'il avait glissé dans sa poche de pantalon discrètement.
Quand je comprends ce que c'est, je me retiens de bondir dans tous les sens.
- C'est une lanterne ! Je lui dis avec un enthousiasme qui le fait sourire.
- C'est ça, il me confirme en me tendant la torche que nous avions planté dans le sable.
- Mais ça risque de polluer un peu, je rajoute, sans vouloir faire ma rabat-joie.
- Avec le petit vent qu'il y a, les équipes qui ont organisés ça savent où vont retomber les lanternes. Ils leur suffira de compter et de les ramasser. Allume-la, ça va bientôt commencer. On a loupé la première partie de la soirée, je ne veux pas que tu loupes la deuxième.
Intriguée par ce qu'il dit, je m'exécute tant bien que mal et la bougie se met à flamber, gonflant un peu plus la lanterne. Autour de nous, les dizaines de personnes font de même, éclairant la plage de tous les côtés.
L'ambiance est incroyable, les lanternes illuminent la plage mais laissent quand même une part d'obscurité à la lune. Les surfeurs ont rejoint leurs amis ou copine, les enfants leurs parents.
Un homme dans la cabane commence à préparer le lancement, démarrant un compte à rebours que tout le monde suit avec intérêt. Dans son haut-parleur, il se met à hurler les premières secondes.
« 3 » crient les gens, et mon excitation est à son comble en tenant avec Gareth la lanterne. « 2 » je crie avec eux, nos voix raisonnantes avec les vagues. « 1 » dis-je en regardant Gareth qui n'a pas cessé de m'observer de ses yeux bleus comme le fond de l'océan.
Personne ne prend la peine de dire zéro, et tout le monde lance sa lanterne dans la nuit. C'est comme si une pluie d'étoile envahissait le ciel, plus proche de nous que jamais.
Les dizaines de lanternes flottent lentement au-dessus de nos têtes, nous laissant les admirer. Quand je prends le temps de remettre mes yeux sur terre, Gareth a lui les yeux rivés vers le ciel. Les lumières se reflètent dans ses yeux ébahit. Comme moi, je pense qu'il trouve ça merveilleux.
Il est merveilleux.
À cet instant, j'ai l'impression d'être hors du temps, auprès d'un homme qui n'a jamais été aussi beau que maintenant, entourés de milliers d'étoiles.
Je sens une goutte d'eau couler sur ma joue, pile au moment où Gareth redescend sur terre lui-aussi. Il semble d'un coup affolé.
- Mince pourquoi tu pleures ! Ne t'en fais pas on va s'en aller si tu veux. S'il te plait, ne sois pas triste, il me supplie en prenant ma main. Je te promets qu'ils vont tout ramasser après ! Ça ne tuera pas de petites tortues et phoques.
Je ris tout en pleurant légèrement.
- Désolé, je ne suis pas triste bien, au contraire, je lui dis en essayant ma joue du revers de la main.
Sans répondre, il se rapproche et me prend dans ses grands bras, m'encerclant jusqu'à ce que j'étouffe. Je ris en le lui faisant remarquer mais il me fait basculer pour nous faire allonger l'un près de l'autre. Je me blottis contre lui, me sentant en sécurité dans ses bras.
De cette vue, le spectacle est encore plus à couper le souffle ; parce qu'il n'y a que lui, moi et les lanternes. Le monde entier autour de nous pourrait se mettre à flamber que nous ne serions même pas atteints.
Nous.
- Tu sais, l'histoire que je t'avais raconté sur la lune, je commence doucement en posant ma tête dans le creux de son épaule.
- Je ne me souviens pas d'avoir été sur la lune avec toi pour de vrai mais c'est tout comme en ta compagnie.
Je souris comme une adolescente avant de reprendre.
- Tu sais, avec Buzz Aldrin. Et tu ne comprenais pas ce que je disais.
Je sens qu'il hoche la tête mais ne dit rien pour me laisser continuer.
- Eh bien, il a laissé Armstrong marcher sur la Lune. Ce n'est que le deuxième à avoir eu cette chance, et pourtant ils étaient tous en même temps avec Collins. Collins lui reste carrément dans la fusée. Mais quand on parle de cet exploit, on ne parle jamais de Aldrin et Collins, tout le mérite va à Armstrong. Je trouve ça dommage.
- C'est comme ça, il en faut des gens comme eux.
- Oui, je sais. Mais je me sens comme eux. Tu sais, je ne déteste pas vraiment ma mère. Mais moi je suis Collins et elle, Armstrong. Je suis dans son ombre, elle est tellement... elle.
Gareth ne dit rien et je le sens prendre ma main dans la sienne, m'indiquer silencieusement de vider mon sac.
- Tu sais, j'ai vu des choses que je n'aurais pas dû voir avec elle, je dis dans un souffle.
Il sert un peu plus fort ma main, me disant doucement dans l'oreille qu'il sait.
- Aller de famille en famille parce que ta mère ne se décide pas à rester avec un homme, ce n'est déjà pas évident. Mais le problème tu vois, c'est l'acceptation. On déménageait constamment pour rejoindre son nouveau mari. Le harcèlement avec les enfants de la famille, la pression de ses membres, c'était déjà dur à vivre mais ma mère s'en foutait. Tu sais, quand tu es amoureux, c'est comme si l'univers cessait de tourner pendant un temps et que ton univers est cette personne. Mais avec ma mère, il n'y avait que son univers à elle qui cessait de tourner, pas celui de sa fille, et jusqu'aux divorces elle n'était plus elle. Je me souviens que Guillaume était gentil avec moi. Mais je me souviens aussi de Thierry, Antoine ou même Philippe. Eux, ils n'aimaient pas que ma mère.
Je m'arrête un instant, consciente que c'est la première fois que je partage ça, mes craintes et ma vie en tant que « fille de Steph », la bimbo aux gros seins.
- Ma mère n'a jamais voulu me croire.
- Je suis désolé, Eden, répond Gareth en lâchant ma main pour placer ses bras de nouveau autour de moi.
Son étreinte me fait du bien mais je suis étonnée de pas pleurer, de dire cela si naturellement. J'ai compris trop tard que les traitements qu'on m'a offerts n'étaient pas normaux. Mais la petite fille que j'étais les a normalisés.
- Est-ce que je suis bizarre Gareth ? J'ai vu des centaines de témoignages de femmes ou d'hommes qui ont vécu la même chose que moi mais tous pleuraient ou semblaient profondément atteints. Moi je ne ressens pas ça, je n'arrive pas à le ressentir. Je suis juste dégoûtée de moi-même. Je me sens lâche d'avoir fuis. Mais en même temps je n'ai aucune autre réaction.
- Non agapi mou, me dit doucement Gareth. Tout le monde réagit différemment et moi je te trouve incroyablement forte. Tu ne dois pas penser à ce que tu devrais ressentir mais à ce que tu ressens. Tu n'as pas fui, tu es juste incroyablement courageuse d'avoir mis fin à ça, en venant seule jusqu'ici, dans un autre pays. Je suis incroyablement fière de toi, de ce que tu es et que tu aies le courage de m'en parler. Tu n'es pas quelqu'un de sale ou je ne sais quoi. Sois fière de toi comme moi je suis fier de toi.
Je n'ai pas le courage de lui répondre. Ses mots m'ont touché plus profondément que je n'aurai pu le croire car je sens mon cœur se serrer doucement dans ma poitrine. Comme si l'entendre de la bouche de quelqu'un d'autre de cette façon, me permettait d'extérioriser.
- Si un jour je retrouve ces hommes, reprend Gareth en me serrant plus fort, je te promets que je les tue de mes mains.
Et au ton qu'il emploie, je devine que c'est sa pure vérité.
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