Le Soldier Field.

Ils y étaient enfin arrivés.

Wes déglutit avec peine, sentant un nœud se former au fond de sa gorge.

Eh bien, ça va être pratique pour ce soir...

De nouveau, il jeta un coup d'œil à Lilith. Mais celle-ci était occupée à se tordre la nuque, la tête en arrière, pour tenter d'apercevoir le haut du bâtiment. Elle ouvrait de grands yeux émerveillés. Et il ne put s'empêcher de sourire en la voyant faire.

Il aimait apercevoir l'enfant qu'elle avait été sous son masque d'adulte.

— C'est énorme ! s'exclama-t-elle. On va vraiment entrer là-dedans ?

Il acquiesça, amusé.

A la minute où il s'engagea dans le parking du stade, il réalisa que son inquiétude s'estompait peu à peu.

Les dés sont jetés, pensa-t-il.

Il commençait à ressentir une sorte de soulagement. Il se sentait vaguement libéré. Il allait enfin lui dire la vérité.

Lui révéler qui il était vraiment.

Ou plutôt lui montrer une autre partie de moi... Elle sait déjà qui je suis. Elle me connaît. Celui qu'elle va rencontrer ce soir, c'est juste une autre facette... Elle comprendra.

Il savait depuis le début que tout cela aurait une fin. Il ne pouvait pas la maintenir dans l'ignorance éternellement.

Il avança jusqu'à l'extrémité du parking et s'arrêta devant un homme qui bloquait l'accès. Wes baissa la vitre de son van et salua le quinquagénaire :

— Tout va comme tu veux, Phil ?

L'homme releva le rebord de son chapeau et agita son talkie-walkie sous son nez.

— Wes ! Te voilà enfin ! Pete m'a demandé de l'avertir à la minute où tu te pointerais. Je crois qu'il avait la trouille que tu les laisses en plan pour ce soir...

— J'aurais jamais fait ça, tu me connais !

— Je sais, c'est ce que je lui ai dit... Mais il était nerveux quand même. Quant à Al... Enfin, tu verras par toi-même !

Il s'écarta pour le laisser passer. Après l'avoir dépassé, Wes l'observa dans le rétroviseur. Comme il s'en doutait, il le vit murmurer quelque chose dans son talkie.

Bien, se dit-il. Pete est au courant que je suis là.

Néanmoins, il était préférable qu'il croise Pete avant de tomber sur Al. Après tout, ce dernier était le plus nerveux d'entre eux et il ne savait pas trop comment il allait réagir. Autant épargner Lilith encore un peu...

— Tu es roadie, c'est ça ? lui demanda-t-elle à brûle-pourpoint. J'ai vu des affiches là-bas. On dirait qu'il va y avoir un concert au stade ce soir.

— Non, je n'en suis pas un.

Il gara son véhicule et coupa le contact, tandis que Lilith le scrutait, perplexe.

— Si tu veux en savoir plus, continua-t-il, tu n'as qu'à me suivre.

Il descendit du van et attendit qu'elle le rejoigne pour s'approcher de l'entrée du stade. Pas la principale. Une petite porte dérobée, cachée sur le côté.

Il serra la main de Lilith et elle emmêla ses doigts aux siens.

Wes pensa avec amertume qu'elle n'aurait peut-être plus envie de lui tenir la main quand elle saurait la vérité.

Quand elle comprendrait qu'il lui avait menti pendant des semaines.

Pourrait-il vivre si elle lui lâchait la main ?

Il chassa ces idées noires et frappa trois coups sur le métal de la porte. Et comme il s'y attendait, ce fut Pete en personne qui lui ouvrit :

— On manque de roadies pour que tu fasses le portier ? tenta-t-il de plaisanter.

Mais son ami ne sembla pas apprécier son trait d'humour.

— Tu es en retard, attaqua-t-il.

— Le concert a commencé ? demanda Wes, railleur.

Il connaissait déjà la réponse. Il était encore bien trop tôt. Lilith s'était éloignée de quelques mètres et elle lisait l'affiche collée au mur devant elle.

Celle qui annonçait le concert de Mookie Blaylock au Soldier Field. Celle du show de ce soir.

— Hé Wes ! lui lança-t-elle. T'as vu ? Il y a le groupe dont tu me parlais l'autre jour qui va jouer. Tu sais ? Celui qui a composé la chanson que j'aime bien... Black. Tu te rends compte ! Si on avait traîné en route, on les aurait ratés !

Pete écarquilla les yeux en entendant les paroles de Lilith. Puis, il jeta un regard atterré à Wes, tout en secouant la tête.

— Si vous aviez trainé, ajouta-t-il à l'intention de la jeune femme, vous n'auriez pas été les seuls à manquer le groupe. Cela aurait été le cas de toutes les personnes qui ont acheté un ticket pour le show de ce soir. Parce que je ne vois pas bien comment on aurait pu jouer sans notre chanteur, si Wes ne s'était pas pointé.

Ce fut au tour de Lilith d'arborer une expression hébétée. Ses yeux faisaient des aller-retours entre Pete et Wes, attendant sans doute que l'un d'entre eux lui dise qu'il plaisantait.

Quel con ! J'aurais dû tout lui avouer avant de venir... J'en ai eu l'occasion des dizaines de fois. C'était sûr que les autres ne feraient pas dans la délicatesse !

Il attrapa le bras de Lilith pour l'entraîner à l'écart des oreilles indiscrètes de Pete. Mais à peine furent-ils éloignés de quelques pas qu'elle se dégagea de son étreinte, se contentant de le fixer.

Il pouvait lire de l'incompréhension sur son beau visage. Et un peu de tristesse aussi.

Non, je ne veux pas qu'elle soit triste par ma faute. Je n'ai jamais voulu ça.

Il la prit dans ses bras avant qu'elle ne s'enfuie. Il la prit dans ses bras, priant qu'elle ne le repousse pas.

— Ecoute-moi, s'il te plait...

— Tu es vraiment le chanteur de Mookie Blaylock ? le coupa-t-elle.

Elle le dévisageait, les sourcils froncés. Comme si elle le voyait pour la première fois.

Comme s'il était devenu un inconnu pour elle.

Wes s'en rendit compte et cela lui donna l'impression d'étouffer.

Ce qu'il craignait le plus était en train de se produire. Elle allait lui tourner le dos. Il le sentait. Elle lui échappait déjà un peu.

— Lilith, murmura-t-il à son oreille. Je suis désolé. Je ne voulais pas que tu l'apprennes comme ça... Je te promets, je vais tout t'expliquer.

Il caressa sa joue et fit glisser ses doigts dans son abondante chevelure. Elle se laissa faire... Pourtant, il était évident qu'elle avait de nouveau dressé un rempart entre eux.

Les murailles, dont il pensait être venu à bout, étaient réapparues. Et Lilith s'était barricadée dans sa forteresse invisible. Celle qui la coupait du monde. Celle qui la protégeait, tout en l'éloignant de lui.

— Lilith... C'est moi, Wes. Tu...

Mais il ne parvint pas à achever cette phrase. Il fut interrompu par l'arrivée de Dave.

Essoufflé d'avoir couru sa guitare à la main, ce dernier interpela Pete :

— Ah ! T'es là, Pete ! On te cherche partout.

— Ouais, désolé d'avoir disparu. Je suis venu accueillir notre chanteur, déclara ce dernier d'un ton sarcastique.

Pete fit alors un signe de tête en direction de Wes. Quand il l'aperçut, un large sourire éclaira le visage de Dave. Il sauta sur son ami, l'arrachant aux bras de Lilith. Après une longue accolade, il lui donna un coup de poing sur l'épaule :

— J'étais sûr que tu ne nous laisserais pas tomber !

— Moi non, lâcha Pete. Mais bon, il faut croire que passer du temps incognito avec une fille était plus intéressant que répéter avec nous...

— Une fille ? bafouilla Dave, sans comprendre.

Ce fut à ce moment-là qu'il remarqua la présence de Lilith. Wes se passa la main dans les cheveux, embarrassé, quand il réalisa qu'il n'avait toujours pas présenté la jeune femme à ses camarades.

— Dave, Pete, voici Lilith. Lilith, ce sont mes amis et aussi les mecs de mon groupe, lui précisa-t-il.

Dave lui tendit la main :

— Enchanté, Lilith. Ravi de faire ta connaissance. Bon, c'est pas tout, ajouta-t-il à l'intention des deux autres, mais Al est un peu énervé... donc ce serait bien d'aller finir les balances.

— Oui, c'est ce que j'essayais de te dire tout à l'heure, lança Pete à Wes. Tu es en retard pour les balances. On a commencé sans toi. Tiens, Shelli !

Pete apostropha une femme d'une quarantaine d'années. Une jolie brune qui parlait dans son talkie.

— Oui, Pete ? je peux faire quelque chose pour toi ?

— Tu veux bien t'occuper de... l'amie de Wes, pendant qu'on termine les balances ?

Wes tiqua sur la façon dont Pete parlait de Lilith. Mais il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. Il n'avait pas été assez clair sur la place qu'elle prenait dans sa vie.

Un peu difficile de leur expliquer qu'elle est mon Orage, songea-t-il.

Pourtant, il ne voulait pas qu'il y ait d'ambiguïté sur la nature de leur relation. Il allait clarifier les choses, mais Shelli ne lui en laissa pas le temps.

— Pas de souci, répondit-elle.

Elle prit la jeune femme par les épaules et l'entraîna aussitôt à sa suite :

— Shelli ! Trouve-lui un truc à manger, s'il te plaît ! hurla Wes alors qu'elles s'éloignaient déjà.

Il regarda la silhouette de Lilith disparaître à l'autre bout du couloir.

Elle fut vite hors de sa vue et Wes eut la désagréable impression que c'était de sa vie qu'elle sortait.

Un sentiment de panique le submergea alors et il lui fallut toute la force de son caractère pour ne pas lui courir après.

La rattraper et s'enfuir avec elle.

Et oublier ces dernières minutes.

Retourner au bord de l'océan et surfer jusqu'à en être ivres.

Ivres de vagues et de soleil.

Ivres d'amour.

— Allez, viens ! lâcha Pete d'un ton adouci.

Il avait perçu son désarroi. Wes le comprit en levant les yeux sur lui. Malgré la froideur de son accueil, Pete était un mec bien. C'était le genre de gars qui restait silencieux, mais venait vérifier que vous alliez bien quand vous traversiez une sale période. Quelqu'un de prévenant.

Un grand cœur sous un vernis de sarcasme.

— Ouais, ne trainons pas plus longtemps, renchérit Dave. Joe et Al nous attendent !

Les deux musiciens l'entrainèrent dans le labyrinthe de couloirs qui menait jusqu'à la scène.

Et Wes les suivit à contre-cœur. Presque à contre-courant.

Loin d'elle, il perdait son souffle.

Loin de sa tempête, il ne savait plus comment respirer.

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Et voilà le chapitre tant attendu de la révélation ! ;-) (ouais, je sais, c'est pas une grosse surprise non plus... sauf pour Lilith ! LOL).

Sinon, j'ai écrit ce chapitre sur Release de Pearl Jam... Et si vous regardez le tout début de la vidéo mise en lien, quelque chose pourrait attirer votre attention. ;-)

La réaction de Lilith ne sera pas pour tout de suite : au chapitre suivant on retrouvera Wes en train de faire les balances et on rencontrera enfin le fameux Al ! ha ha