L'Alliance
Jack retrouva Alana dans le couloir qui menait à la cellule de Will. Il n'avait pas demandé à la jeune femme la raison de son soudain revirement et ne comptait pas le faire. Pourquoi questionner la chance lorsqu'elle lui souriait ? A présent que le procès de Will avait pris fin et que toutes les pistes refroidissaient, Alana demeurait sa seule chance de susciter chez Will une perturbation, une réaction, qui pourrait lui permettre d'anticiper le comportement de Lecter...
La psychiatre le salua d'une poignée de main sèche. Jack la trouva nerveuse, mais lui-même l'était et il n'y avait rien d'étonnant à cela. Elle tenait une chemise cartonnée fermement serrée contre sa poitrine :
- Ce sont les dossiers que vous m'avez transmis sur Hannibal et Will, dit-elle face à son air interrogateur. J'ai pensé que nous obtiendrions peut-être quelque chose de lui en lui proposant de le lire.
- Vous croyez qu'il voudrait lire son propre dossier ?
- C'est comme ça qu'il a toujours travaillé, pas vrai ? En plus... C'est tout ce qui lui reste d'Hannibal.
Jack ne commenta pas cet argument. Il prit les devants et remonta le couloir, ignorant la dizaine de cellules qui précédait celle de Will : la dernière, l'ombre des barreaux projetée sur le sol gris...
En intégrant l'asile de Baltimore pour la seconde fois, Will n'avait pas bénéficié des mêmes privilèges que ceux dont s'était vu gratifier le docteur Lecter durant son propre séjour. Rien de surprenant, puisqu'il n'avait passé aucun accord avec Alana. Jack pourrait peut-être lui proposer de remédier à cette situation, mais quelque chose lui disait que Will ne serait pas spécialement sensible à son confort matériel...
En attendant, Jack voulait réserver l'entrée du docteur Bloom jusqu'au bout. Il voulait voir la surprise dans les yeux de Will lorsqu'il reconnaitrait Alana derrière lui, et exploiter au maximum la moindre faiblesse que cet instant voudrait bien lui livrer...
Il s'avança donc d'un pas décidé jusqu'à la cellule de trois mètres sur trois, meublée simplement d'une couchette, d'un lavabo, d'un sanitaire et d'un bureau surmonté d'une étagère. Will avait déjà rempli de livres ce petit espace personnel. Assis sur la chaise branlante du bureau, il avait de toute évidence entendu sa venue mais ne réagit pas lorsqu'il se présenta devant lui :
- Bonjour, Will, dit Jack en étudiant immédiatement tout ce qu'il voyait.
- Bonjour, Jack, répondit distraitement Will sans lever les yeux de son ouvrage.
Jack reconnut le son caractéristique du crayon sur le papier. Alana lui avait dit que Will passait pas mal de temps à dessiner, mais c'était la première fois que Jack avait véritablement l'occasion d'admirer son œuvre... Accrochés au mur, il reconnut essentiellement des paysages. Des silhouettes hasardeuses d'arbres tordus dans la lande plate néerlandaise, de rivières aux environs d'Amsterdam et de levers de Soleil en nuances de gris.
Hannibal Lecter dessinait des œuvres d'art. Will, lui, avait clairement choisi un autre style. Son coup de crayon était moins précis et analytique que celui du docteur. Là où Lecter reproduisait la réalité avec un soin quasi chirurgical, Will, lui, laissait planer dans ses traits un hasard nébuleux, une impression vivace telle l'image d'un souvenir qui se soustrairait à la mémoire, un instant vécu et toutes les sensations fugitives qu'il avait laissées... Il y avait quelque chose d'irrésistiblement organique dans ces paysages esquissés avec le talent d'un élève encore en formation : maladroit mais bouillonnant, rempli d'expression.
- Je ne savais pas que vous dessiniez, lança Jack en guise d'introduction.
- Hannibal m'a initié, répondit Will, parfaitement conscient d'énoncer là un fait que Jack connaissait déjà. Mais je suis loin d'être aussi doué que lui, bien sûr.
Reposant son crayon, il plongea pour la première fois ses yeux bleus dans les siens :
- Je n'ai pas encore sa méthode, ni sa rigueur.
- Je vous ai amené une visiteuse.
Alana se détacha de l'ombre. Aucune expression ne marqua le visage de Will lorsqu'il la vit. Ce fut comme s'il s'était attendu à la voir, depuis longtemps déjà, comme s'il savait que cet instant finirait immanquablement par venir.
- Jack a enfin réussi à te convaincre, Alana ? dit-il pour la saluer.
- Bonjour, Will.
Alana avait les traits fermés, la mâchoire crispée. Jack la vit faire tourner son alliance trop grande de manière compulsive, attirant immédiatement l'attention de Will sur le dossier qu'elle tenait :
- Vous venez me demander de l'aide, comme au bon vieux temps ? releva-t-il non sans une certaine ironie.
Néanmoins, Jack vit la lueur d'intérêt dans son regard. Elle n'avait pas pu lui échapper : Will venait soudain de se focaliser sur Alana, avec une intensité presque féroce, sauvage, qu'il tentait maintenant de cacher sous le vernis de l'homme qu'il avait toujours été lorsqu'il enquêtait au FBI :
- Oui et non, répondit Jack en tentant de s'emparer de la conversation. C'est votre dossier, Will. Le vôtre et celui d'Hannibal. Nous nous sommes dit que vous auriez peut-être envie de le lire.
La lueur se fit méfiance dans les yeux de Will. L'alliance se mit à tourner de plus en plus vite entre les doigts d'Alana, et c'est de la main gauche qu'elle finit par lui tendre le dossier à travers les barreaux. Will mit longtemps à s'en saisir, observant la jeune femme et la main qu'elle lui tendait. Il posa enfin le dossier sur son bureau et débarrassa quelques dessins pour faire de la place. A la faveur crue des lampes électriques, Jack aperçut alors, entre les esquisses de paysages, des silhouettes masculines nues enlacées, au profil bien trop familier...
- C'est comme ça que vous espérez me faire dire quelque chose ? demanda Will en ouvrant le dossier à la première page. Vous observez mes dessins, vous me mettez Alana sous le nez, et vous me laissez reconstituer mes propres crimes ? Le procès ne vous a pas suffi ?
- J'ai pensé que cela vous aiderait peut-être à retrouver un certain état d'esprit. Une équipe.
Will se fendit d'un rictus :
- Il manque un sérieux membre à notre équipe, vous en conviendrez.
- Ça, ça ne dépend que de vous.
Will secoua la tête. Il lut la première page sans pouvoir masquer son avidité, puis, très lentement, referma la chemise cartonnée :
- Donnez-moi un peu de temps pour le lire, vous voulez bien ?
Jack repoussa le dégoût que cela lui inspirait. En l'espace d'une seconde, les silhouettes érotiques des dessins venaient de se superposer aux visions des meurtres qu'il avait gardées en mémoire, et il ne pouvait s'empêcher de penser que Will voulait savourer ce dossier comme on chérirait le souvenir d'un être aimé.
- Une heure, dit-il de ce ton qui ne supportait aucune réplique.
Pourtant, Will répliqua :
- Un jour.
La consternation prit corps dans l'esprit de Jack et le mordit au cœur :
- C'est hors de question, dit-il.
- Un jour, Jack. Et vous ne le regretterez pas, je vous le promets.
Quelque chose, dans la voix et les traits de Will, fit naitre la sirène du danger dans l'instinct de Jack. Il se jeta néanmoins sur cette requête comme sur la meilleure des proies. C'était la première fois depuis des mois que Will s'adressait à lui ainsi : avec la promesse de quelque chose, bon ou mauvais, peu importe, mais quelque chose qui le trahirait, qu'il ne pourrait s'empêcher de révéler, quelque chose qui déborderait par tous les pores de son être...
- Très bien, finit par répondre Jack, attisé par cette convoitise. Un jour. Alana et moi reviendrons demain.
- Parfait. Merci, Jack. Au revoir, Alana.
Jack jeta un coup d'œil à la jeune femme. Elle n'avait pas dit grand-chose, mais Jack était sûr que sa présence avait à voir avec ce tournant majeur qui venait de s'opérer dans l'attitude de l'ancien profileur... Peu importait ce qu'il ressortirait du dossier : Jack aurait à nouveau Alana avec lui demain soir, et il comptait bien exploiter au mieux cette faille qu'il venait de déceler.
Pas un instant, il ne remarqua le regard appuyé que la psychiatre adressa au prisonnier tandis qu'il tournait le dos à la cellule pour faire demi-tour. Pas un instant, il ne releva le fait que l'alliance d'Alana était décidément trop grande pour être la sienne. Et, lorsque Will se retrouva enfin à nouveau seul avec le dossier dans sa chemise cartonnée, Jack ne vit pas la feuille couverte d'une écriture noire qu'il contenait, ni le petit sachet, habilement dissimulé entre les pages.
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Bonjour amis lecteurs,
Je ne sais pas encore combien de chapitres je vais faire, mais je pense qu'on se rapproche doucement de la fin.
Pour info, la scène où Will dessine Hannibal de mémoire devant Jack et Alana m'a été inspirée par ce fameux rêve qui m'a poussée à me lancer dans cette fic.
Voilà voilà ^^
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