Chapitre 20 - partie 3
Les cliquetis des gouttes d'eau et des échos de voix le ranimèrent, petit à petit. Sa tête était douloureuse et ses bras engourdis par le froid et la douleur. Immobile, ses poignets étaient encerclés de fers accrochés au mur. Quelques gouttes de sang tachaient le sol. Sa respiration était de plus en plus sifflante. À chaque inspiration, ses côtes nues couvertes d'hématomes violettes et fraichement lacérées lui faisaient mal. Certaines de ses côtes étaient fêlées.
Une lumière vive l'aveugla, lui arrachant une faible grimace.
« Laissez-nous, maintenant. » ordonna une voix rêche au géôlier. Ce dernier referma la petite fente le laissant dans l'obscurité.
Où était-il ? Tout était si lointain, si confus. Cette voix. Le détenu la reconnaissait. De Lenclos. Une haine sourde s'éveilla en lui. Soudainement, il entendit le bruit des clés qui s'entrechoquaient pendant que les verrous lâchèrent des sons sourds. Comme une longue plainte, la porte grinça sur le sol de pierre. Un puis deux puis trois coups de talons frappèrent le sol. Le captif tenta de soulever sa tête lourde. Trop lourde.
« Quelle bonne fortune ! »
Fier, De Lenclos pénétra le premier dans la petite cellule humide et obscure. Le vent siffla à travers les petites parois entre les pierres.
« Il semblerait que notre ami daigne enfin se réveiller. » s'exclama-t-il avec un rictus carnassier.
Pour réponse, le captif émit un grognement. Ses yeux ne percevaient qu'une danse de flammes. Avant que sa tête retombât lourdement, il devinait trois ombres grandissantes sur le sol.
« Voyons, où sont, donc, mes manières ? s'amusa De Lenclos en approchant un bougeoir. Avec un plaisir malsain, il en profita pour étudier le visage ecchymosé du détenu puis déposa son bougeoir sur une table plongeant la geôle dans une pénombre.
Les deux hommes, tout encapuchonnés, derrière De Lenclos s'échangèrent un regard alarmant et déglutirent péniblement.
« Puis-je te rappeler combien cette idée est des plus mauvaises et des plus saugrenues que tu n'aies jamais eues jusqu'à là, Nicolas, chuchota Théophile d'un air méfiant. Dieu seul sait combien elles étaient nombreuses. Regarde l'état de ce pauvre homme... »
De la sueur perlait le long du visage tuméfié du détenu. Nicolas détaillait son torse mouillé et entaillé.
« ...Si nous pouvons encore le qualifier d'homme, poursuivit Théophile en couinant. Est-il seulement vivant ?
– C'est ce que nous allons vérifier. Je ne suis pas friand des manières de De Lenclos, néanmoins, c'est le seul moyen d'obtenir nos réponses, Théophile. » déclara sèchement Nicolas.
« Bien le bonsoir, le Robin des bois parisien, continua De Lenclos, amusé, en soulevant le menton du captif à l'aide de sa canne.
– Besoin de renforts, Lenclos, rit le captif d'une voix hachée ... Ce sont vos amies ?...Les faucheuses ?... Vous n'aurez rien de moi....
Paul racla sa gorge et tenta dans un geste de désespoir de cracher. Cette tentative désespérée de crachat manqua de quelques centimètres le visage de De Lenclos. La tête du captif dodelinait arrachant un second grognement.
« Eh bien, quel accueil ! articula le prévôt de Paris en faisant mine de s'essuyer le visage avec un mouchoir. Conservez vos forces. Messieurs, voici le plus célèbre des hors-la-loi.»
À l'évocation du titre, le détenu tenta d'ouvrir un œil. De Lenclos descendit sa canne et appuya sur une entaille doucereusement.
« Cela suffit, Monsieur De Lenclos. Vous pouvez nous laisser. » ordonna le premier homme qui retira son capuchon laissant découvrir ses cheveux bruns.
De Lenclos s'inclina et se permit d'ajouter.
« Je vous attendrai devant la geôle. Néanmoins, si le détenu se montre peu coopératif, je saurai trouver des moyens de les délier.
–Cher De Lenclos, ce n'est pas ma première tentative de torture, le coupa froidement Nicolas. Si par délier, vous entendez couper la langue, cela me semble très fâcheux pour obtenir ce que je veux.
–Bien, cher prince, il est tout à vous. » se retira De Lenclos en claudicant.
« Théophile, prépare-lui un verre d'eau. »
Pendant que Théophile s'empressa de verser de l'eau dans un verre en bois, Nicolas retira sa veste, non sans difficulté et la jeta près de la chaise. Il retroussa les manches tout en détaillant de la tête au pied le captif. Il était blond avec un visage plutôt juvénile. Il devait être à peine plus jeune que sa demi-sœur, Marie-Anne. Malgré ses blessures vives, on devinait que ce garçon avait une belle gueule malgré son nez boursoufflé. Il ne fallait guère s'étonner de la renommée de jeune fripon.
Le seul œil ouvert dévoilait le brun de son iris. Nicolas pouvait y lire une certaine détermination. Son adversaire était coriace et peu enclin à parler.
« Que me vaut la visite d'un prince, hacha le prisonnier. N'avez-vous pas d'autres préoccupations plus ...
En prenant délicatement un mouchoir, Nicolas examina les taches de sang. Le mouchoir se colora en rouge.
–Importantes que de m'occuper d'un vulgaire bandit ? compléta Théophile en tentant le verre à Nicolas qui se relevait.
–Comme réchauffer la couche d'une Mademoiselle, répondit Nicolas avec amusement. J'hésite entre la délicate et fragile Mlle de BeauPaire ou bien la jeune et hargneuse Mme De Louviac.
–Quel choix cornélien ? s'interrogea Théophile d'un air soucieux. La candeur de la jeunesse ou bien l'expérience d'une femme mariée. Toutefois, je pencherai pour Mlle de BeauPaire. Elle aurait des atouts remarquables.
– Ou mais Mme De Louviac sait user plus aisément de ses charmes...
Incrédule, le détenu fixa les deux hommes se disputer. La joute verbale bourdonna à ses oreilles et envahit son esprit. Le sang cognait de plus en plus contre ses tempes. Quelle était cette nouvelle forme de torture ? Tout devint flou autour de lui. Il n'avait qu'une envie... que cela cessât.
–Baste...., parvint-il à supplier avant qu'une quinte de toux le coupèrent.
Nicolas et Théophile s'échangèrent un regard complice.
– Et vous, se tourna Théophile en s'adressant au bandit de Paris, laquelle préférez-vous ? Vous devez être un fin connaisseur d'après les rumeurs parisiennes. Laquelle a les plus beaux bijoux ?
–Crois-tu que c'est le moment de l'importuner avec ce genre de question ! Tu es un véritable malotru. Un peu d'eau mon cher, proposa Nicolas en tentant le verre qu'il avait récupéré de Théophile.
Le prince de sang s'avança vers le jeune détenu à moitié conscient.
–Fais attention, il pourrait te faire du mal, l'informa discrètement Théophile. Tu es déjà blessé.
Le visage fermé, Nicolas avait conscience des risques mais le jeune garçon devant lui était complétement sonné.
–Que pourrait-il bien entreprendre comme action ? Il est à peine vivant. Promis, je saurai me montrer prudent, Théophile.
En croisant les bras, Théophile arqua un sourcil et pencha la tête en signe d'approbation. La force de ce jeune homme était édifiante. Il avait résisté à la flagellation, des coups violents, à la cure l'eau et à des doigts sectionnés. Les hommes de De Lenclos l'avaient torturé savamment afin qu'il reste en vie suffisamment longtemps. Le prince de sang porta le verre aux lèvres du détenu. Doucement, le détenu le but.
« Alors... que voulez-vous ... Vous...n'êtes pas là... pour faire causette....
–En effet, j'ai plusieurs interrogations à vos propos ...
–Que...gagnerais-je à t'y répondre, Monsieur le prince....
–Ta liberté.
Le captif siffla.
–Ma liberté ?! Es-tu idiot ou me prends-tu pour un simplet ? Qu'apprenez-vous, donc, dans vos palais ? Regarde mon état... De Lenclos ne me laissera pas... sortir...
–Ici, vivant, termina Nicolas en se dirigeant vers la table pour y poser le verre. Après quelques secondes de silence, le prince reprit. Je sais que tu ne crains pas pour toi. As-tu peur pour ta mère et tes sœurs Isabeau, Marie, Anne ? se retourna-t-il vers le prisonnier.
–Ne touchez pas à ma famille ! gronda Paul avec un sursaut de force, en grinçant les chaînes.
Théophile approcha sa main près de son épée, près à la décocher.
–Oh, tout doux mon beau. Les toucher ? arqua d'un sourcil Nicolas avec un sourire. Qu'imagines-tu ? Je n'ai pas l'intention de faire du mal à ta famille. Et, si je propose de mettre ta famille à l'abri des besoins.
Le vrombissement de Paul s'entrechoqua avec d'une chaise trainée par le prince.
–Comment survivront-elles sans toi, surtout depuis la mort accidentelle de ton père ? Crois-tu que je fusse bien instruit, Paul, dans mes palais ?
Pour réponse, Paul gémit de douleur. Il pesa le pour et le contre.
–B...je te parlerai mais avant je veux des... garanties.
–Des garanties ! s'exclama Nicolas avec un grand sourire. Il pivota vers Théophile et tendit une main. Les garanties, mon ami.
Le comte de Riaux posa un rouleau de parchemin dans la main tendue que le prince s'empressa de dérouler et éclaircit sa voix.
« Cette missive avec le seau royal est une lettre d'anoblissement. Permets-moi de la lire. Paul geignit ce que Nicolas prit pour une invitation à poursuivre. Dame Louyze de Fabry, ta mère, veuve du feu baron de Fabry est dorénavant propriétaire d'une jolie bâtisse au village d'Auteuil. En qualité de veuve, Dame Louyze aura une pension de 250 Louis d'or par an. Son fils ainé, Paul de Fabry, donc toi, obtient la charge d'écuyer. À cet effet, sa charge annuelle est de 100 Louis d'or. Quant à ses filles, Isabeau Marie et Anne de Fabry, elles peuvent prétendre à une charge de femme de compagnie. Enfin, chacune a une dot de 500 Louis d'or. C'est une offre plus que généreuse, n'est-ce pas Paul ?
–M..Montre, haleta le jeune prisonnier.
–Maintenant que j'ai toute ton attention, es-tu prêt à me répondre en toute franchise ?
L'orage grondait dehors. Les gouttes d'eau ruisselaient le long des pierres grisâtres de la petite prison. Nicolas songea du regard l'œil semi-ouvert du captif. Ce dernier semblait en plein débats intérieurs. S'il mourait en cellule, sa famille n'aurait plus rien mais trahir ceux qui lui ont tendu la main après l'assassin de son père était une pensée insoutenable. Que devait-il faire ? Se sacrifier, sacrifier sa famille pour l'honneur ? Mettre à l'abri ses sœurs et sa mère. Il prit une longue inspiration et finit par hocher la tête.
–Bien, continua Nicolas en remontant les manches de sa chemise. Que te veut De Lenclos ?
–La même chose que toi... Connaitre l'identité de notre héros.
–Héros ?! C'est plus un hors-la-loi. Sais-tu ce qu'il risque ? ce que tu risques ?
–Ce que je risque ?! répéta Paul avec ce qui pouvait s'apparenter d'un rire moqueur. Sais-tu ce que nous risquons tous les jours à Paris, Monsieur le Prince ? Non, vous êtes tous les deux là-haut en train de festoyer sur nos cadavres. C'est un héros pour nous, les gens d'en bas. Nous risquons chaque jour les foudres De Lenclos, les nouveaux impôts, la misère, la faim, le froid. Si les impôts ne sont pas payés, nos petites maisons sont pillées, extorquées et brulées. Pour quoi au juste ? Permettre de construire des châteaux. Alors, Robin nous aide...
–En pillant les nobles ? Ce n'est pas de l'aide.
–C'est avant tout le fruit de nos travaux. Que faites-vous, vous, les nobles ? Vous êtes indifférents à notre sort. Nous ne valons pas plus qu'un animal. Paris est un coupe-gorge. Et vous, les nobles, vous défendez des hommes sans foi ni loi comme De Lenclos. Au moins, Robin se sacrifie pour nous. Il nous aide à reconstruire. Il rétablit la justice en ne tuant personne. Il veille sur nous. Nous sommes nombreux à l'admirer, à vouloir être comme lui dans la Capitale. Je ne suis pas le seul à l'imiter...
Un accès violent de toux coupa le récit de Paul. Le captif était blanc et tremblant.
–Le seul à l'imiter ? De l'eau, toute de suite, se tourna Nicolas vers Théophile.
–Nicolas, je crois qu'il est trop tard.
En effet, Paul commença à tourner de l'œil.
–Non, non, non ! Paul, Paul réveille-toi, tiens encore le coup. Est-ce que Robin s'en prendrait à la famille royale ? A-t-il envie de se venger du Roi ?
Paul secoua la tête en signe de négation.
–Qu...Que... Paris. Dans... Lenclos...
Pendant que le tonnerre éclata dans l'air, Paul toussa en laissant une trainée de sang autour de sa bouche. Nicolas sortit un pendentif en forme de soleil de sa poche.
–Paul, reconnais-tu cet objet ? interrogea Nicolas en montrant une étrange chaîne où une ombre dorée dansait sous les yeux du captif. Paul, sais-tu à qui cela appartient ?
–Nicolas ! Nicolas !
Théophile s'avança vers Nicolas et lui tenta d'arrêter le prince de secouer le captif.
–Nicolas ! Arrête. Tout de suite. Tu n'obtiendras rien. Paul a perdu trop de sang...
Du tranchant du coup de poing, le prince de sang frappa le mur.
« Morbleu ! »
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