5 - Que la Chasse commence
Quelques mois plus tard - Septembre 1681 :
Dans un cabinet du Grand Châtelet, une dizaine d'hommes à moitié endormis, alignés au mur, chapeau à la main, se jetait des furtifs coups d'œil, inquiets dans une atmosphère lourde. Aucun n'ignorait la cause de cette convocation extraordinaire.
Certains regardaient le bureau en bois sculpté et doré en tripotant nerveusement leurs mains, d'autres respiraient comme des buffles en se gesticulant pour être présentable, certains scrutaient les tapisseries au sol avec une attention particulière alors que d'autres encore essuyaient avec un mouchoir la transpiration qui perlait sur le haut de leurs fronts.
Tous se raidirent et cessèrent leur activité au bruit régulier et familier de la canne qui tapait contre le parquet.
Un maigre homme vêtu de noir dont le visage anguleux était marqué par l'âge, au col rabattu avec une haute perruque blanche, traversa la pièce canne à la main pour se diriger vers son cabinet tout en inspectant ses hommes le visage fermé, clos.
Le dos tourné vers les officiers, les mains dans le dos, Messire de Lenclos fixa la nuit noire par la fenêtre. Il appréciait ce moment de calme avant que le jour ne se lève, ce moment où l'obscurité et la noirceur envahissent la ville.
Dans quelques instants, la ville allait s'éveiller balayant le calme pour un tourbillon infernal de sons et cris caractérisant la frénésie parisienne.
Un silence lourd régna dans le cabinet, les hommes les yeux baissés n'osaient interrompre le prévôt de Paris. En silence, ce dernier finit par s'asseoir en soulevant sa cape noire dans son fauteuil surmonté d'un dossier élevé finement sculpté qui répondait au rang du Prévôt de Paris.
De Lenclos frappa la table d'un violent coup de poing.
« Bandes d'incapables ! »
Le bruit sourd du poing résonna dans la pièce froide ce qui fit sursauter et réveilla la plupart des hommes. Les papiers du secrétaire virevoltèrent et la fine plume ainsi que l'encrier tremblaient tout comme les hommes de Lenclos.
« Ce vil individu me nargue, m'humilie et que font mes hommes ? Que font-ils ? »
Il frappa de nouveau sur le secrétaire.
Seule la respiration sifflante de Lenclos, rouge de colère, brisait le silence dans laquelle la pièce était plongée.
De Lenclos regarda avec froideur ses officiers qui se tenaient en rang devant lui tout en se frottant le pouce contre l'index, comme s'il attendait une réponse de leur part.
« Rien ! Ils n'ont rien fait ! Et ils NE font toujours rien du tout ! Ce truand Robin
— Dorian Blaise, Monsieur, corrigea un garde.
— Robin ou Dorian que cela m'importe peu ! Ce vaurien a volé 5 000 écus l'autre soir. Ce bandit me dépouille mon argent, terrorise ma ville, ose narguer mes hommes, les humilier, leur donner des leçons et défie mon autorité -Moi, le Grand de Lenclos. Et vous, vous dites, accentua-t-il d'une voix acide, que vous ne fai-...
— L-La veille, monsieur et nous avons bien tenté, osa s'aventurer un des hommes plutôt trapu au bout de la rangée.
— Regardez cet ignorant m'interrompre. »
De Lenclos éclata d'un rire glaçant que seul, les hommes cyniques et froids savent maîtriser. Les pas de l'impitoyable prévôt résonnaient dans toute la pièce qui semblait si exiguë pour les officiers. Il se fit demi-tour pour rejoindre l'inconscient officier. Il s'en approcha doucement.
« Tenté, Valbert, siffla de Lenclos doucereusement à l'oreille du garde. Ai-je bien ouï, Valbert ? Vous avez tenté. »
Légèrement hébété par sa sottise, Valbert hocha la tête. S'en suivit le bruit d'un soufflet qui percuta l'air et la tête de ce dernier partit violemment vers gauche.
« De la Reynie fait trembler et embastiller la moitié de Paris dans l'Affaire des Poisons mais vous ... »
De Lenclos s'arrêta soudainement en toisant Valbert tremblant puis reprit en arquant un sourcil
« Vous tentez ! »
La lèvre meurtrie, Valbert cracha du sang au sol puis s'essuya d'un revers de la main le long filet qui dégoulinait du coin de sa bouche tandis que de Lenclos se détourna de lui.
« Mes hommes sont la risée d'un seul homme ! Que croyez- vous que le Roi ou Versailles pensent de moi, mon bon Henri ! poursuivit l'administrateur de Paris massacrant au passage l'épaule d'Henri tétanisé, le voisin de Valbert. Alors? Vous semblez avoir perdu votre langue ou tout bon sens. »
Devant le mutisme de ses hommes, il reprit exaspéré.
« Je vais donc répondre à votre place. Vous me faites passer pour un sot, un débutant, un incompétent ! Et vous savez ce que je n'aime pas, Henri ? s'enquit-il avec un sourire narquois en craquant son cou comme un serpent.
― Quonvousprennepourundébutant, murmura inintelligemment Henri.
― Comment ? »
Et, tel un comédien, de Lenclos se tourna les bras grands ouverts en se courbant devant les autres officiers. Il avait un air mauvais de ses mauvais jours.
« Suis-je devenu sourd en plus ?
— Qu'on vous prenne... »
De Lenclos fit signe à Henri de parler plus fort.
« Pour un débutant », termina clairement Henri en jetant un coup d'œil inquiet au prévôt.
— Est-ce si compliqué, mon brave Henri, félicita l'homme en tapotant la ronde joue d'Henri qui manquait d'air. Alors maintenant, que dois-je faire pour que mes hommes se montrent compétents ? Dois-je leur trancher la tête et les empailler une par une en signe d'exemple ?, menaça-t-il en regardant Valbert. Ou dois-je supprimer leurs privilèges ? »
Le cliquetis de la canne résonnait à nouveau sur le revêtement en bois parfaitement lustré, plongeant les officiers dans une peur qui les tétanisait.
Marchant le regard baissé, les lèvres pincées, le sinistre individu secoua la tête en signe dénégation puis s'arrêta au niveau d'un bel homme et robuste dont la moustache aurait fait pâlir les plus grands gentilshommes du début de ce siècle.
« Votre fils, Léandre si je m'abuse, doit rentrer cette année chez les Jésuites. »
Puis l'administrateur marqua une pause, fixant dubitativement l'officier.
« Ce serait dommage que par un accident ou disons par une malencontreuse lettre, celui-ci perde sa place ou soit ainsi refusé à cause de son sot de père et de ses camarades, non ? »
Il fronça les sourcils et fit une moue faussement peinée alors que l'homme acquiesça hâtivement.
« Alors vous allez vous conduire en bon officier. Vous allez me récupérer MON argent. ordonna-t-il en reposant l'épaule du père de Léandre. Utilisez n'importe quel moyen. Dépouillez ces paysans, retournez leurs maisons ... Que sais-je ! Retrouvez-moi MON argent! Je me chargerai personnellement de ce Dorian Blaise, bande d'incompétents! »
— Que faites-vous encore ici ? », gronda-t-il en lâchant au passage quelques postillons à la gueule de l'officier.
Tandis que ses hommes quittèrent la pièce à pas quasi militaire, de Lenclos se dirigea vers son cabinet puis souffla mécontent.
« Quelle bande d'empotés ! »
Il fallait absolument qu'il gagne la confiance du Roi, bien méfiant, et brille afin de surpasser ce loyal et gênant de la Reynie. Pensif, il se rassit dans son fauteuil en regardant la cendre froide de la cheminée puis se frotta l'index contre son pouce.
Après tout, peut-être que cette fripouille était du pain béni envoyé par Dieu, un signe du feu Cardinal. Le lieutenant de police de la Reynie est bien trop pris par l'Affaire des Poisons et par la Chambre Ardente pour se rendre compte du nouvel perturbateur public de Paris.
Et, si la rumeur courrait que le lieutenant était de mèche avec ce dernier, ce serait la fin de ce bon vieux de la Reynie. Que cela serait dommage !
Il éclata d'un rire sonore satisfait de son génie puis détourna son regard des cendres.
Il devait bien admettre que l'argent versé à la Filastre après la question puis à MonVoisin pour accuser la favorite du Roi, Madame de Montespan avait été une stratégie hasardeuse, mais qui s'était avéré extrêmement fructueuse.
Un sourire en coin, De Lenclos s'affala satisfait dans son fauteuil. Il se délecta de la torpeur qui se lisait sur le visage du lieutenant de police Reynie lorsque la Filastre se rétracta sur le bûcher.
Oui, Versailles tremblait comme autrefois.
Il ouvrit le premier tiroir de son cabinet puis fouilla dans le tas de papiers cachetés par différents sceaux. Il y trouva une petite clef cachée puis s'empressa d'ouvrir la boîte qui se trouver devant lui. Dans le double fond, il prit une enveloppe.
A l'aide de la bougie, il décacheta délicatement la lettre. Il lut avidement ladite missive puis s'affala sur son siège, un sourire malsain se dessina sur son visage en lisant la signature de la lettre signée D.Buck.
« Le Borgne ! apostropha de Lenclos en redressant. Va me trouver I'Inconnu avec ton compère! Nous avons une affaire urgente à régler.
Les lèvres fines du prévôt s'étirèrent pour dessiner un sourire carnassier.
« Que la chasse commence.», murmura-t-il avec les yeux pétillants avant de rire.
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Merci d'avoir lu ce chapitre <3
En média : Messire De Lenclos, alias le Prévôt de Paris ou Administrateur de Paris et Le Grand Châtelet de Paris
N'hésitez pas de m'indigner les fautes
La suite au prochain chapitre ~
NdA: Comment trouver Monsieur de Lenclos? En effet Nicolas avait raison il est très agréable ;)
A votre avis , quelles sont ces véritables motivations ?
Vous aimez les chapitres plus courts ? ou plus longs ? A l'origine celui-ci faisait 3 000 mots x)
Je ne sais pas encore où toute cette aventure nous mènera ( j'ai une petite idée) alors si vous voulez que je développe des points , supprime d'autres n'hésitez pas à me le dire !
Je vous remercie pour toutes vos lectures ~
Ps: Eh oui ! L'amour sera bel et bien au rendez-vous, mais construire un amour naissant prend du temps ! ~
Le second acte arrive bientôt !
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