Chapitre 39
Quelqu'un me ramène à la réalité. Et ce n'est d'autre que Victoria, qui affiche une mine angoissée. Normal, vu que je ne bouge pas depuis tout à l'heure, le regardant.
Mon regard plonge dans celui de la belle blonde, que l'on pourrait apparenter à du châtain clair. Mais madame refuse que nous disions ça, elle est blonde foncée selon elle.
Ses petits yeux verts me rassurent, et je trouve que cette couleur est vraiment apaisante quand l'on est dans une situation aussi traumatisante.
- Nayeli, on n'a pas le temps de s'occuper de lui, tu risques d'y passer à ton tour.
N'écoutant pas ses dires, je reste accroché au bras d'Aedan, qui ne dit rien, mais écoute attentivement la discussion. Son ventre perd du sang, et je ne sais pas si c'est quelque chose de grave ou non, rendant le tour paniquant.
Victoria, comprenant que je ne bougerais pas de là où je suis, décide de regarder rapidement la blessure de mon petit ami. Son air soulagé se répand dans mon âme, et j'ai le sentiment de respirer à nouveau.
Je prends une grande bouffée d'air, et elle m'explique vaguement qu'il va bien, que le couteau n'a pas touché de zone sensible, et qu'il ne se videra pas de tout son sang.
Elle déchire une longue partie de son tee-shirt, dans le but de faire le tour du ventre d'Aedan, et de faire une sorte de bandage. Cela demande donc la coopération de celui-ci, qui n'a pas l'air de très bonne humeur.
Pendant ce temps, je me reconnecte à la réalité. Le jardin. Felipe. La balle de Cristina dans son avant-bras, les deux autres mousquetaires, les alliés. Où en sommes-nous dans le combat ?
Mon regard divague vers Hadès et Adriel, qui viennent de terminer d'abattre leurs ennemis. J'avoue ne jamais avoir vu une telle fureur et une telle animosité dans les yeux d'Adriel. Il n'est pas comme d'habitude.
Hadès, lui, semble normal, comme tous les jours. Bien que je ressente une pointe de satisfaction sur son sourire, il le perd vite, en remarquant l'état de son ami.
Les deux se précipitent vers nous tandis que les hommes d'Aedan s'occupent du reste. Adriel aide Victoria à mettre le bandage, alors qu'Hadès m'attire vers lui, afin de m'enlacer.
- Que c'est touchant ! On dirait presque une petite famille qui se réunit après un drame. Malheureusement, pour vous, j'ai loin d'en avoir terminé avec les vermines que vous êtes.
La voix de Felipe me scelle les veines, et Hadès se relève, pour lui faire face. Je décide de me mettre à ses côtés, malgré mon regard bouffi par les larmes.
Cet enfoiré a attendu sagement que nous finissons notre petit numéro. Il n'a pas bronché pour faire durer le supplice. Un vrai tortionnaire.
Avec son sourire de sociopathe, il s'approche de plus en plus de là où nous nous trouvons tous, me déclarant une chair de poule sur les bras.
Hadès se place légèrement devant moi, comme s'il voulait être un minimum protecteur et que cela soit lui qui prenne tout au cas où il décide de partir à l'attaque.
Je respire, ayant du mal à trouver la respiration, comme si c'était lui qui pomper tout l'air à l'extérieur. Le fait de savoir qu'ils sont tous occupés, m'inquiète également.
- Ma petite Nayeli, déclare-t-il, à mon égard. Je dois avouer que j'ai beaucoup de choses à apprendre sur toi, et tu m'as beaucoup étonné tout au long de cette soirée. Ça en dit long sur pourquoi ce morveux t'apprécie.
Je ne réponds pas à sa remarque cinglante, ne voulant pas rentrer dans son jeu. Mais Hadès n'est pas du même avis, et rétorque :
- Si tu savais, même moi, je ne la connais pas encore totalement. C'est une vraie bombe cette nana, et je suis sûr qu'elle pourrait encore te surprendre.
- Je n'attends que ça, sourit-il.
Mon ami ne s'attendait certainement pas à cette réaction, ce qui est un peu illogique, et j'entends Aedan qui lève son torse subitement, lui arrachant un râle de douleur.
- Ne t'approche pas d'elle, bégaye-t-il, encore sous le choc de s'être fait poignarder.
- Et qu'est-ce que tu vas faire pour m'en empêcher ? Tu es au sol, telle la merde que tu es. Tu ne pourras pas la sauver si mes hommes décident de s'amuser avec. Je pourrais moi-même en profiter.
- Même pas en rêve, cinglé-je.
- Oh, tu as de nouveau retrouvé la parole ! Tu m'en vois ravi, ta voix me manquait beaucoup.
- Pourquoi tu lui fais ça ? protesté-je, ne pouvant m'en empêcher. C'est son père qui t'a causé autant de mal, pas lui. Il n'était certainement pas au courant de tout ce qu'il te faisait. Alors pourquoi vouloir mettre fin à sa vie ?
- Décidément, rit-il. Il n'a pas dû tout te raconter. Étonnant quand on sait que vous êtes un mignon petit couple. Mais je t'en fais pas, je me ferais un plaisir de tout te raconter.
- Ferme-là, espèce de fils de pute, crache Hadès.
- Tu sais, Aedan était déjà destiné à reprendre le cartel de son père, même si ce n'était pas prévu qu'il meurt. Alors si, il était au courant de toutes les mascarades que préparait le chef. Figure-toi que c'est lui, qui a ordonné à son père d'attaquer mon cartel, il y a dix ans. Pour cause ? Je gagnais plus d'argent que lui, donc ce petit con l'a rapporté à son père en faisant quelques recherches, et celui-ci est devenu fou de rage en l'apprenant.
- Nayeli, ne l'écoute pas, dit Aedan, faiblement.
Hadès tente de me boucher les oreilles, pour réaliser le souhait d'Aedan, mais je m'en dégage aussitôt. Je veux savoir la vérité. Même si cela ne va peut-être pas changer grand-chose, ce personnage a des choses à me dire.
Même si je ne dois pas lui faire confiance, et qu'il peut raconter des bobards à tout instant, mon instinct me dit que les garçons ne m'ont sûrement pas tout racontés, et qu'il est temps d'y remédier.
- Deux mois avant que je tue sa famille, son putain de cartel a débarqué chez moi, tuant la plupart de mes hommes et ma femme. J'avais alors vingt-neuf ans.
Ces événements n'excusent en rien son comportement de détraqué, mais mon cœur essaie de le comprendre. Cet homme a perdu sa femme alors qu'il n'avait rien fait contre le cartel de Caya.
- Je n'avais jamais attaqué le cartel. Loin de moi l'idée d'aller jusqu'en Bolivie pour trouver ce taré, surtout que je ne le connaissais pas à l'époque, et que le cartel n'était pas aussi connu que maintenant. Mais en enlevant ma moitié, ils m'ont arraché l'âme, et ils sont partis avec, emportant ma joie, mes émotions et mon amour.
Ce récit me brise, puisque j'ai tendance à me mettre à la place des gens. Un jour tout à fait ordinaire qui se déforme en fiasco, tuant l'amour de ma vie. Je n'aurais pas supporté, même si je ne serais pas allé jusqu'à la vengeance.
- Alors, je suis passé à l'acte. J'ai retracé son cartel, puis sa maison. Et j'ai décidé de faire comme il m'a fait. Et encore, je me trouve gentil, car j'ai tué sa famille, mais il n'a pas eu le temps de souffrir, comme moi, j'ai souffert.
Celui qui souffre n'est pas le père d'Aedan, mais mon copain lui-même. C'est lui qui souffre de l'absence de sa famille, du manque d'amour qu'il n'a pas pu avoir.
- Quand je suis arrivé, le premier à qui je voulais rendre des comptes était bien sûr Aedan. C'est à cause de lui que ma femme a disparue, et je lui en veux toujours.
- Bordel, Felipe, tousse Aedan. Je n'avais absolument pas prévu que mon père tue ta femme !
Sa réflexion me perd encore plus loin que je ne l'étais déjà. Que se passe-t-il ? Aedan n'était-il pas présent lors de l'assaut ? Cela ne m'étonnerait pas, il n'avait que quatorze ans.
- Souviens-toi. J'ai parlé à mon père de ton cartel puisqu'il générait plus de revenus que le nôtre. Mon père m'a écouté attentivement et a été d'accord avec moi. Mais à un aucun moment, ta femme devait mourir. Je ne suis pas allé avec eux à ce moment-là, mon père a jugé ça trop dangereux.
- Tu mens ! hurle Felipe. Tu n'étais peut-être pas présent, mais si tu as fait des recherches aussi précises, tu as dû remarquer que j'étais marié !
- Absolument pas, rétorque Aedan. Nulle part cette information était marquée, puisque tu as dû faire un mariage privé ! Et à la base, cela ne devait être qu'un petit assaut, où les cargaisons de drogue devaient être brûlés. Ce n'était même pas convenu que des hommes meurent, et encore moins elle.
- Tu vas le payer, grince-t-il.
Aedan commence à se relever petit a petit, essayant de reprendre une position de force dans le but de tenir tête à Felipe. Ma tête tourne dans tous les sens, et j'ai beaucoup de mal à réfléchir.
- Je peux potentiellement, réfléchir à te laisser en vie. Mais à une seule condition.
Je retiens mon souffle, ne le sentant pas bon du tout. Je sens qu'il va lui demander une chose exorbitante, et j'ai très peur de la tournure des événements.
- Ton père m'a enlevé la chose la plus précieuse de ma vie. Même mon cartel et mes hommes ne sont rien à côté. Tu m'as enlevé ma femme.
Aedan gronde un « non », car il connaît déjà ce qu'il va lui demander. Et je le sais parfaitement aussi, produisant en moi des frissons incontrôlables.
- Alors laisse-moi prendre Nayeli.
La phrase tombe comme un lourd caillou au fond d'un puits. Cristina et Victoria ont des réactions inquiétantes, Hadès et Adriel commencent à arriver vers moi, me protégeant à la place de mon homme.
Quant à lui, il y va franco, en se relevant d'un coup. Il titube un peu, mais nous rejoint, l'air furieux.
- Tu peux toujours rêver, déclare-t-il, en arrivant devant moi.
Je ne suis donc qu'une petite chose fragile et insignifiante ? Je ne sers qu'à faire du chantage à Aedan ? Quel rôle misérable.
- Tu ne peux pas m'en empêcher.
- Bien sûr que si, misérable. Jamais ne te laisserait prendre Nayeli. Si tu comptes la torturer pour obtenir des informations, bonne chance. J'ai déjà essayé et crois-moi, elle est trop fidèle à ses amis et sa famille.
Felipe part dans un fou rire incontrôlable, et je suis inlassablement mal à l'aise. Pourquoi est-ce qu'il a sorti cette connerie ? Que lui a dicté son esprit ?
- Ses amis ? vocifère-t-il. Mais enfin, tu penses qu'elle est heureuse d'être là ? Réfléchis deux secondes. Elle n'a jamais demandé à vivre tout ça, et à être ici. Oh, c'est mignon, elle s'est fait des amis et a même réussit à conquérir ton cœur. En attendant, dès qu'une occasion se présentera pour qu'elle se casse, elle se cassera.
J'essaye de paraître la plus neutre possible. Il y a du vrai et du faux à l'intérieur. Certes, je veux partir de ce monde semblable à l'enfer, mais je ne joue pas avec les sentiments de tout le monde, pour juste attendre que le temps passe.
Aedan se retourne vers moi, la respiration toujours saccadée, pour chercher une réponse dans mon regard. En vain, je n'arrive pas à soutenir notre échange et fuit cette interaction.
- Tu vois, continue Felipe. Elle s'en fiche de toi. Elle est là soit pour ton argent, soit pour faire passer le temps, soit pour frimer avec ses amis.
- Tu ne sais rien d'elle, intervient Adriel, l'air calme.
Déjà que j'admirais énormément ce personnage, voilà qu'il démontre une nouvelle facette. Alors que ses deux amis perdent rapidement la boule, lui, reste lucide et crédule pour ce genre de situation.
Au fond, cela est triste. Cela veut dire que ce n'est pas la première fois qu'ils sont face à ce genre de choses, et ça ne sera certainement pas la dernière.
- Que penses-tu savoir d'elle ? Tout ce que tu essayes de faire, c'est d'embobiner le cerveau d'Aedan, pour le convaincre de te laisser Nayeli. Tu le sous-estimes beaucoup.
Felipe ne répond rien à ses accusations et se contente de secouer la tête à droite, puis à gauche. Je regarde Adriel se placer devant nous tous, les bras croisés et le menton relevé.
- Alors quoi, toi qui passais ton temps à parler, te voilà muet ? Je suis fort déçu. Ou alors, peut-être que je te fais peur ?
- Va en enfer, Adriel.
- Hum, non, réfléchit celui-ci. Je suis plutôt pur contrairement à certaines personnes. Et je n'ai rien à me reprocher.
Des hommes se rapprochent en vitesse d'Adriel, dans l'unique but de le faire taire, mais il les arrête d'une main. Incrédule, je regarde la scène se dérouler sous mes yeux. Les hommes viennent de s'arrêter à sa demande.
- Tu ne sais pas tenir une conversation sans envoyer tes hommes, Felipe. C'est à croire que tu ne peux pas te passer d'eux.
- Tuez-les tous, sauf Aedan et Nayeli.
La demande est si directe, que je n'ai pas le temps de réagir. Des hommes nous sautent dessus, emprisonnant mon compagnon, qui n'est pas en posture de se battre.
Il le jette douloureusement par terre, sans s'en préoccuper, et se dirige vers moi, le sourire jusqu'aux lèvres. Je tente de reculer de quelques pas, mais je suis interceptée par un homme dans mon dos.
Je vois le regard d'Aedan, horrifié, qui fait tout pour se mettre debout et pour me rejoindre. Les garçons sont emprisonnés et se font tabasser. Cette vue me donne la nausée.
Cristina est également à terre, bougeant ses membres de partout afin de se sauver de là où elle est. Impossible, les gars font trois fois notre poids.
Seule Victoria arrive à se défendre correctement, sous l'œil aiguisé de Felipe. Il a l'air très intéressé par elle, et cela me fait peur. Je ne veux pas que quelqu'un la touche.
J'esquive le mec derrière moi qui allait me donner un coup, et cours de toute ma puissance vers Victoria, pour qu'elle puisse m'aider.
Mes yeux doivent être rouges tellement je pleure. Je n'arrive jamais à m'arrêter. Les événements me surpassent et je préférerai dormir, plutôt que d'avoir à vivre ces moments.
Victoria tue le dernier avec qui elle était occupée, et me réceptionne dans ses bras. Il n'y a plus rien à faire, nous avons perdu. Elle finira par être épuisée et lâcher les armes.
Elle me murmure des propos que je n'écoute même pas. La fin arrive, je le sens venir gros comme une maison. La vue de tous ces gens que j'apprends à chérir, qui sont à terre, impuissants, me détruit. Est-ce que je vais seulement en ressortir indemne psychologiquement ?
J'entends les hommes arriver, vu le bruit qu'ils font tous. À mesure qu'ils s'approchent, Victoria me serre un peu plus fort, comme si elle tentait de sauver la dernière personne qu'elle peut. Mais c'est trop tard.
La dernière chose que j'ai vue est la vision d'Aedan, meurtri par ce qu'il se passe. Il a les larmes aux yeux, et cela suffit à me tuer toujours plus profondément.
Je ferme les yeux, alors qu'une masse nous engloutit, Victoria et moi. C'est la seule chose auquel je peux me raccrocher, et c'est ce que je fais.
Après tant d'acharnement, après de batailles en si peu de temps, nous voilà vaincus. Moi qui ne croyais pas cela possible, la réalité me rattrape en pleine face.
Nous allons mourir sous les yeux de Felipe, de nos amis, de mon amoureux, avec qui je n'ai même pas pu profiter d'un seul instant.
J'entends trois mots qui sortent de la bouche de Victoria, mais je ne suis pas sûre d'avoir bien entendu. À vrai dire, j'ai l'impression de perdre tous mes sens petit à petit.
Mais ce qu'elle a prononcé commence à être une évidence, et à résonner dans ma tête. Je suis touchée, mais je n'ai pas la force de répondre, perdant déjà connaissance.
« Je t'aime ».
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