Chapitre 27
Aedan
Vingt heures. J'ai dormi toute l'après-midi. Faut dire que ces missions m'ont pris le cul toute la nuit dernière.
Je suis sur le dos, et je ressasse les évènements passés. Bordel, quel enfoiré ce Lucas. Pourquoi il a fallu qu'il ouvre sa gueule ? Ce n'était clairement pas le moment.
Si cela amène des émeutes, je jure qu'il finira dans les cachots, et je viendrai moi-même le torturer.
J'entends alors bouger à ma droite, et je me fige. Il se passe quoi ? Ne me dites pas que c'est Esther à côté de moi, parce que je vais la frapper.
Je prends mon oreiller et me mets sur les genoux en direction de l'intrus, avec mon oreiller en l'air. Mais quand je la vois, j'arrête instantanément. Sans comprendre pourquoi, je lâche l'oreiller.
Je m'effondre sur mon côté de lit, et je ne peux m'empêcher de me prendre la tête dans mes bras. Putain, mais pourquoi elle me fait penser à elle ?
— Ça me rend fou.
Je me lève, et je vais dans la salle de bain. J'ai besoin de me défouler, mais je ne peux pas la réveiller. Qu'est-ce qu'on a fait putain ? Je veux pas de ça moi.
J'hésite fortement à la réveiller et à la dégager de ma piaule. Pourtant, je n'y arrive pas. Une force irrésistible m'en empêche. C'est quoi ce foutoir ?
Ma salle de bain est assez petite, mais franchement, ça me va parfaitement. Pour le peu que je passe à l'intérieur.
Le carrelage est d'un marbre lisse, les murs sont simplement beiges. Je n'avais pas envie de trop de complexité.
Je ne possède qu'une douche à l'italienne, ayant horreur des bains. Mais qui peut rester deux heures dans ce truc de merde ?
Je prends appui sur mon lavabo, qui contient deux éviers, avec plein de trucs qui me sont complètement inutiles. J'ai même encore des choses à Esther. Putain, mais faut que je les jette.
Dans un élan de rage, je prends ce qui lui appartient et je l'éclate au sol. Des milliers de morceaux de verre se faufilent dans la pièce.
Mais ça ne me suffit pas. Si je pouvais, j'irais lui faire la peau à cette salope. En plus de ça, elle ose me défendre et encore essayer de me draguer ? C'est peine perdue, j'aimerais la voir morte.
J'entends quelqu'un se lever rapidement, et Nayeli passe le pas de la porte apeurée. Elle s'arrête juste avant de se faire écorcher par les bouts de verre qui abritaient le parfum de mon ex.
— Qu'est-ce qu'il se passe ?
Son regard noisette me fait perdre la tête. Elle ressemble tellement à Selena. Je ne peux plus la regarder, je vais péter un câble.
— Sors Nayeli.
— Non mais attends, je peux t'aider à ranger, tu vas peut-être te blesser.
— Qu'est-ce que j'en ai à foutre de me blesser, hurlé-je.
Je regrette instantanément d'avoir haussé la voix. Avec elle, j'ai l'impression que toutes mes actions sont jugées, et que je n'ai pas le droit à une marge d'erreur.
Son visage abrite de l'inquiétude mais surtout de la peur. Elle a peur de moi. Car elle sait que je peux vriller à tout moment. Mais je ne lui ferai pas du mal.
Non, parce qu'elle ressemble trop à Selena, et que je ne peux pas faire ça.
Elle n'avait que onze ans. Onze ans, mais j'ai l'impression qu'elle se tient devant moi, avec ses allures de princesse, et qu'elle vient me demander comment c'est passé ma journée.
Elle n'avait que onze ans. Mais elle ressemble à cette jeune femme qui en a désormais vingt-deux. Comment c'est possible qu'il y ait autant de ressemblance avec onze ans d'écart ?
Elle ne méritait pas ça à onze ans. Elle avait encore toute la vie devant elle. Et je n'ai rien pu faire. Je suis arrivé après le massacre. Ses visages me hantent jour et nuit.
Je jure de détruire celui qu'ils leur ont fait ça. Il ne s'en sortira jamais vivant. Il paiera pour ce qu'il a fait, et moi, je pourrai crever en paix sans avoir à me plaindre.
Nayeli se rapproche, et moi je recule. Je ne veux pas qu'elle me touche, je ne veux pas qu'elle soit là. Je veux qu'elle disparaisse complètement de ma vue. Car la voir me fait souffrir.
— Arrête de reculer, tu vas te prendre un bout de verre ! s'écrit-elle.
Aussi loin que ça puisse paraître, je m'arrête. Mon regard balaye toute la pièce, essayant de ne pas la regarder. Mais ce traitre de cerveau n'y arrive pas.
Soudain, je tombe sur un collier, qui est posé sur le lavabo à ma droite. Il me fait parcourir des frissons, et je ne peux m'empêcher d'avoir des souvenirs rien qu'en le regardant.
C'était son collier. Il était encore sur elle lorsque tout cela est arrivé, et je l'ai pris car c'était la seule chose qui m'était venue à l'esprit. Et je sens qu'elle est toujours avec moi depuis.
Ça fait maintenant dix ans. Je n'arrive pas à m'enlever ces événements de la tête. Ils resteront à jamais gravés dans ma mémoire.
Je sens mes jambes qui commencent à trembler, et je m'assois sur les petites marches qui amènent à la douche. Je ne vais pas faire une putain de crise d'angoisse maintenant quand même.
Et surtout pas devant elle !
Il faut qu'elle aille chercher Adriel et Hadès. Parce que sinon, je risque de vraiment vriller, et je ne veux pas la toucher.
— Hadès, dis-je faiblement.
— Hadès, répète-t-elle anxieuse avant de courir de nouveau dans la chambre.
Elle a compris si vite, et ça me rassure. Ils seront là bientôt Aedan, calme-toi. Putain, si certains de mes hommes me voyait comme ça, je ne serais déjà plus dans le cartel.
Je ne dois pas être une pauvre merde. Mais est-ce ma faute d'avoir des traumatismes ? Le plus important, c'est qu'aucun ne me voit comme ça. Ils pourraient essayer d'en profiter.
Après ce qui me semble une éternité, Hadès et Adriel débarquent comme des furies dans la chambre, suivie de Nayeli qui se contente de rester devant la porte.
— Adriel, pars chercher le balai avant que quelqu'un soit tranché.
À la place, c'est Nayeli qui y court, parce qu'elle est plus proche. Hadès se fraie un chemin pour me rejoindre. Quant à moi, mes jambes tremblent comme jamais, et si j'étais resté debout, je serais tombé.
— Aedan, calme-toi, ça va, on est là.
Adriel arrive avec son collier, et il s'empresse de me l'attacher. Je prends la petite boule en cristal, qui l'aidait à se calmer, dans ma main.
Nayeli revient, et nettoie sans que personne ne lui ordonne. Elle se dépêche, pour que nous puissions aller prendre l'air. Enfin, c'est ce que j'espère.
— Aedan, regarde-moi.
Je fixe Hadès dans les yeux. Ce gaillard qui ne fait même pas un mètre quatre-vingts, arrive à me rassurer même dans les pires moments.
Quant à Adriel, il se contente de me faire des papouilles dans les cheveux. Il sait aussi très bien que cela me rassure comme jamais.
Adriel est arrivé après Hadès. Il avait seulement treize putains de balais quand nous l'avons rencontré, et nous en avions seize. J'étais déjà dans le cartel de mon père, dirigé par un ancien mec, dont je ne me souviens même plus le nom.
Avec Hadès, nous nous sommes rencontrés à douze ans, soit deux ans avant le drame. Il a été là pour moi comme personne. Et sa famille m'a accueilli le temps de mon adolescence.
Je leur dois la vie. Ils m'ont sauvé à tellement de moments, que je les considère comme mes vrais frères. Et sur les seuls sur qui je peux compter.
— Hé Aedan, tu te rappelles il y a cinq ans ? entame Adriel. Tu avais acheté ta moto, mais tu n'étais jamais monté sur ce genre d'engin avant ça. Je me rappellerais toujours la boîte que tu t'es prise. Hilarant.
Je ne peux m'empêcher de rire, et Hadès le fait également. Ça fait maintenant six ans que je dirige ce cartel, et c'est vrai qu'à dix-neuf ans, je m'étais fait un petit cadeau.
— Ça va, j'avais pas eu trop de mal, répondis-je, non sans difficulté.
— Juste l'hôpital pendant deux semaines mon pote. Je tiens à te rappeler que c'est moi qui te nourrissais ! Quelle vision d'horreur, je préfère oublier.
Je tente de le frapper, mais il esquive rapidement en rigolant. Voilà leur manière de me rassurer, et ça a toujours marché.
Je sais que Nayeli écoute soigneusement notre discussion. Je sais qu'elle fait la fouine auprès de ses amies pour tenter d'en apprendre plus sur moi. Mais il ne vaut mieux pas qu'elle sache.
— Tu peux parler Hadès. Quand tu t'es fait charcuter par l'autre type il y a deux ans, tu faisais moins le fier, et tu étais bien content qu'on soit là.
— C'est même moi qui t'aidais à te doucher, rigolé-je doucement.
— Non mais c'est n'importe quoi ! s'indigne Hadès.
Ils restent encore quelques instants, pour que je puisse me calmer. Une fois fait, je renvoie gentiment Nayeli dans ses appartements, et j'emmène les deux frangins dans mon bureau.
Il y a affaire à parler. Car ses souvenirs ont fait remonter en moi une haine profonde, et désireuse de retrouver cet enculé. Je l'aurai. Et il mourra dans mes mains.
— Elle te fait penser à elle n'est-ce pas ?
Je referme violemment la porte de mon bureau. Évidemment qu'il savent, qu'est-ce que je suis con. Ils me connaissent plus que moi-même.
— Je veux qu'elle sorte de ma tête. Avant ça ne se caractérisait pas autant. Je veux dire, je passais outre et parfois même je ne le remarquais pas. Mais là, en pyjama avec ses cheveux en désordre, tous mes souvenirs sont remontés.
— Tu n'as rien fait avec elle ? s'ensuit Adriel.
— Non pas du tout, soufflé-je en passant la main dans mes cheveux.
— C'est déjà une bonne chose, conclut Hadès. Mais en attendant Aedan, tu ne peux pas foutre des moments précieux de ta vie, à cause de ces crises.
Je me gratte la tête, indécis. Pourquoi est-ce qu'il dit ça bordel ? Comme si je faisais exprès.
— Ce que je veux dire, c'est que tu ne peux pas profiter de moments avec Nayeli sans qu'elle remonte dans ta tête. Elle lui ressemble peut-être, mais tu as déjà fait ton deuil depuis longtemps.
— Mais je crois que c'est en train de remonter, dis-je péniblement, en sentant les larmes revenir.
Je suis faible. Je suis un énorme connard qui est faible. Je ne mérite rien de ce qu'il m'arrive, et je ne mérite même pas d'être celui dont tout le monde devrait avoir peur.
Parce que j'ai plus peur de moi-même que personne d'autre.
— Si tu cherches à t'en débarrasser c'est déjà trop tard Aedan. Parce que tu n'y arriveras pas. Tu es lié à elle.
Je croise le regard d'Adriel, qui se veut le plus bienveillant possible. Il se rapproche de moi, et pose sa main sur ma nuque pour me soulager, en faisant des petits cercles.
— C'est-à-dire ?
Hadès me regarde, comme si ce que je venais de prononcer était complètement stupide.
— Tu es attaché à elle. Regarde comment tu te comportes avec elle. Tu as déjà refusé de frapper quelqu'un ? Tu as déjà eu la peur de ta vie, en voyant qu'elle s'était fait piéger par sa soeur et qu'elle pouvait mourir ? Ouvre les yeux mon pote.
Je ne réponds rien et pars m'asseoir sur mon fauteuil en cuir. Je m'affale à l'intérieur et ferme brièvement les yeux. Je dois me reconcentrer sur le sujet principal.
— Parlons plutôt de ces enculés qui m'ont flingués mes hommes.
Adriel et Hadès se rapprochent de mon bureau, et tirent deux chaises sur les côtés. Ils m'écoutent attentivement, et ils savent que je ne vais pas rire du tout.
— Je les retrouverai tous un par un, et je leur ferai mordre la poussière. Mais pour cela, il faut que nous soyons préparés. Je ne veux aucun mort durant cela.
— Emmenons les secrètes avec nous, suggère Adriel. Elles pourraient tirer de loin ou utiliser leurs compétences pour nous aider.
— Non ! crié-je.
Hadès roule des yeux en frappant du poing la table, et je ne peux m'empêcher de me triturer les doigts. Je ne veux pas qu'elle vienne. Elle pourrait crever à tout moment.
— Tu ne peux pas l'empêcher de faire son travail Aedan. Elle fait partie des secrètes, et si elle doit mourir, elle mourra.
— Non mais tu t'entends ? le frappe Adriel. Il s'inquiète juste pour elle. Nayeli n'a jamais choisi de faire ça, et forcément il ne veut pas qu'elle crève dans des situations aussi dramatiques.
— Pourquoi nos discussions tournent toujours autour d'elle ? s'énerve Hadès. On ne peut pas se concentrer sur la mission que nous sommes en train de planifier plutôt ?
Je me secoue la tête. Hadès a évidemment raison. Il faut que je me la sorte de la tête. Et puis, les autres secrètes seront là pour la protéger s'il arrive quelque chose.
— J'ai prévu quelque chose. J'y ai réfléchi un moment avant le discours.
Les gars tendent l'oreille, et j'inspire un bon coup pour remettre toutes les idées que j'ai eues en place.
— Le cartel des enfoirés qui nous ont attaqués se trouve à Arequipa. C'est une ville plutôt connue au Pérou. Ils se situent dans une forêt à proximité, et il n'est pas difficile à trouver. En tout cas, pour nous.
Je marque une pause pour recenser mes idées. Je vois Adriel qui note quelques informations, et Hadès m'écouter de ses deux oreilles.
— On atterrit là-bas, on se fait discret, et dans la nuit on attaque. Et on brûle leur baraque. Bidons d'essence, grenades, tout ce que vous voulez. Ils seront à l'intérieur normalement.
— Ça me semble pas mal, s'exprime Adriel en se grattant le menton. Comme ça, on ne prend pas forcément de risques.
— Et puis même si l'un d'eux se réveille, il suffit de le tuer, et ensuite on enclenche tout avant que les mecs ne se rendent compte de ce qu'il se passe.
J'acquiesce leurs pistes de réflexion, et regarde Adriel qui me montre quelques trucs sur sa feuille. Quant à Hadès, il est sûrement en train de se demander qui emmener.
— Il faudrait que quelqu'un reste ici pour surveiller le cartel en notre absence, explique Hadès.
— Je reste ici. Ça ne me tente pas d'aller au Pérou, rigole Adriel.
— Tu es sûr ? demandé-je.
— Bien sûr. Je ne suis pas très en forme en ce moment, et je préfère ne pas être encombrant pour vous.
— Tu ne le seras jamais mais on accepte ta proposition. Avec nous on peut prendre les secrètes, et quelques hommes de mains. À une dizaine d'hommes, on devrait réussir, termine Hadès.
Je hoche la tête, et continue d'étudier le plan avec eux. C'est toujours simple. Ils sont souvent d'accord avec ce que je fais, et toujours partants pour se venger.
En sortant de mon bureau, je ne peux m'empêcher de me diriger vers la chambre de Nayeli. Je dois la prévenir de tout ce qui va se passer.
En arrivant devant la porte, je l'ouvre comme un bourrin, et j'entends le cri de Cristina qui m'arrache un acouphène.
— Mais tu peux pas frapper bordel. Tu m'as fichue la trouille.
Nayeli rigole à côté, et mon coeur se réchauffe. Sans prévenir, je l'attrape par l'avant-bras et la sort de la chambre, sous les approbations de Cristina.
Je l'emmène dans un lieu où personne ne pourra nous entendre. Son regard montre tous les sentiments que je peux détester : l'inquiétude, la peur, l'incompréhension.
— Nayeli, nous allons partir au Pérou pour une mission dans pas longtemps. Je ne vais pas t'expliquer tous les détails, Hadès s'en chargera. Sache juste que nous allons dans un endroit où nous sommes détestés, et qu'ils n'hésiteront pas à nous descendre.
À mesure que je parle, son regard s'intensifie dans le mien. Arrête Nayeli. Ne fais pas ca, où je vais recommencer.
— Nous allons faire sauter le cartel. La seule chose que je te demande, c'est d'être prudente. Je n'ai aucune envie de recevoir la nouvelle comme quoi tu t'es pris une balle dans la tête, d'accord ?
— Pourquoi tu t'inquiètes ?
Elle ne parle pas depuis le début de mon monologue, mais cette phrase m'atteint en plein coeur. Si seulement elle savait.
— Je m'inquiète pour mes hommes c'est tout.
— Alors pourquoi tu ne l'as pas dit à Cristina ce que tu viens de me dire ?
Tu peux arrêter de trouver des répliques pour me contredire. Je suis juste dans le déni, et j'essaye de faire ce que je peux.
Je la lâche, et elle manque de tomber. Je fais semblant de m'en ficher, et je pars vers mon bureau où je m'y enferme. Qu'importe qu'elle me prenne pour un cinglé.
Je ne peux pas lui dire comment mon coeur bat.
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