23.

Dans le silence de la nuit, Willow parvient à entendre son propre cœur. Le dos contre le siège conducteur de sa voiture, les yeux dans le ciel, il compte. Un. Deux. Trois. Comme ça, l'illusion qu'il dompte le flot de ses pensées lui offre un semblant de répit. Il compte chaque battement, un à un, sur une durée qu'il ne parvient pas à déterminer.

À côté, Nils ne dit rien. Et peut-être qu'il dort. Mais le temps passe et peu à peu, il lui semble presque apercevoir le mouvement de l'univers. Quand la voûte céleste tournoie d'un point à un autre, pour lui rappeler que, même s'il s'immobilise, se recroqueville contre sa propre carcasse de peur d'avancer, le monde ne cessera jamais de tourner.

Ça le fait rire, tous les questionnements qui fusent en lui, alors qu'à quelques centimètres, un autre homme se contente de suivre le flot imprévisible de la vie.

— Un monde nous sépare et t'as pas l'air de le voir, murmure-t-il.

— Je le vois depuis qu'on est gosses, Fitzgerald. J'ai juste décidé de m'en foutre et de regarder dans la même direction que toi.

Alors Nils ne dormait absolument pas.

— Bien tenté, contrecarre Willow. Mais je regardais nulle part, pour commencer.

— Oh que si, et ça date pas de cette nuit où tu t'es barré, Will. T'as toujours eu un pied hors des sentiers battus, ceux que les autres s'imaginaient même pas emprunter.

— On dirait que tu m'observes depuis longtemps.

Il peut voir les lèvres de Nils s'étirer dans la mince clarté, dévoilant un sourire.

— Je t'observais sans te comprendre, et je te trouvais idiot.

— Comment ça ?

— Tout ce qu'on voulait, nous autres, c'était trouver une bonne université ou décrocher un boulot aussitôt sorti du lycée. On marchait dans les pas de tous ceux qui étaient passés avant nous, comme si c'était la seule sortie. Toi, ça se voyait que rien de tout ça t'emballait. Tu regardais ailleurs. Tu regardais plus loin.

Leurs yeux se cherchent un instant.

— Et je pensais que tu prenais le mauvais chemin, continue Nils. Mais un jour, j'ai regardé au même endroit.

— Je ne sais pas ce que je regardais, répète Willow, comme un disque rayé.

— Pourtant, même sans savoir t'y as plongé.

— Je ne sais pas pourquoi.

— Moi je sais.

Il se tourne vers lui comme pour lui faire une confidence.

— C'était la liberté, Will. On se jetait tous dans ce qui était déjà écrit. Toi, t'as toujours choisi d'être libre, quitte à pas savoir où tu allais.