lettre 07
⠀⠀⠀⠀Dorothée,
Je me sens toujours assez écœurée, mais j'ai lu un recueil de Paul Éluard, et les couleurs me reviennent un peu. Tu te souviens de ce poète ? C'est celui que je préfère entre tous ; il parle d'amour comme la vie chante la mort, comme un interdit attirant au possible. Je ne sais si cela est vraiment ce qu'un autre pourrait ressentir, mais j'aime sa plume, ses mots, ses images. Il est tout simplement remarquable. Tiens, je te cite un de ses poèmes qui me fait penser à toi :
Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s'engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.
Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s'évaporer les soleils,
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire.
C'est fort beau, n'est-ce pas ? Le titre est le suivant : L'amoureuse. On ne peut plus éloquent. Tiens, voilà un bout de son poème Les petits justes (c'est particulièrement beau, prends garde pour ton âme) :
Avec tes yeux je change comme avec les lunes
Et je suis tour à tour et de plomb et de plume,
Une eau mystérieuse et noire qui t'enserre
Ou bien dans tes cheveux ta légère victoire.
Je viens de tourner encore quelques pages, c'est une autre partie du même poème. Cette fois, pense à moi :
Elle se refuse toujours à comprendre, à entendre,
Elle rit pour cacher sa terreur d'elle-même,
Elle a toujours marché sous les arches des nuits
Et partout où elle a passé
Elle a laissé
L'empreinte des choses brisées.
En réalité, je crois que ce poème me fait penser à toi, à moi, à nous deux. C'est pis encore : chaque poème que je lis, chaque texte, chaque image, tous ces mots me font penser à toi ! Je te revois dans ma tête, même si les vers ne s'y prêtent pas. Il m'est impossible de te sortir de mon esprit ; tu es en moi et je suis en toi, tu es moi, je suis toi. C'est tout le problème : je traîne ce poids de souvenirs — merveilleux —, cet amour étouffant qui me prennent à la gorge plus souvent qu'ils ne me laissent un temps de repos.
Eh bien, est-ce cela le processus ? Le chagrin, la colère, le désespoir,... Je ne sais plus l'ordre, je ne sais même pas s'il y en a réellement un ou s'il ne varie pas d'une personne à une autre.
Oh, Dorothée. Je m'excuse, sois-en sûre, d'être tant désagréable avec toi. C'est juste que je t'en veux un peu de n'être plus là avec moi, même si ce n'est pas de ta faute. J'aimerais que tu sois là, que rien n'ait changé, que nous soyons encore nous. L'envie m'est tant pressante de te voir devant mes yeux, de chair et de beauté ! de t'embrasser encore, jusqu'à manquer de souffle ! d'explorer ton corps et ses courbes douces, ta peau parfumée qui manque à la mienne ! Dorothée, tu me manques tant que je crois m'en rendre malade parfois ; j'en perds la raison.
J'ai l'impression de sentir à nouveau ton odeur flotter près de moi, tes lèvres sur mon cou, tes mains sur mes hanches, dans mes cheveux, sous ma chemise. Je ferme les yeux, et je te vois, toi et ton sourire énigmatique, toi et ta peau dorée, toi et tes yeux noirs. Et le monde s'arrête, il n'y a plus que toi et moi. Je pourrais vivre comme ça, tu sais, juste nous deux. Je ferais n'importe quoi si je pouvais te retrouver, te revoir, te parler encore. Mais ce n'est pas possible, pas vrai ?
Enfin, je me disperse, comme toujours. Je crois que je pourrais discourir sur tes traits tout le jour et toute la nuit durant. C'est parce que j'aime tout en toi, et que... cela était bien dangereux. Tu me faisais perdre la tête, ou alors est-ce simplement ce que l'amour procure : un certain étourdissement de la raison ?
Je suppose qu'il est temps que je mette un terme à cette lettre qui dégouline de sentiments et de ridicule. Permets-moi tout de même un dernier poème de Paul Éluard — il n'a pas de nom :
Ta bouche aux lèvres d'or n'est pas en moi pour rire
Et tes mots d'auréole ont un sens si parfait
Que dans mes nuits d'années, de jeunesse et de mort
J'entends vibrer ta voix dans tous les bruits du monde.
Dans cette aube de soie végète le froid
La luxure en péril regrette le sommeil,
Dans les mains du soleil tous les corps qui s'éveillent
Grelottent à l'idée de retrouver leur cœur.
Souvenirs de bois vert, brouillard où je m'enfonce
J'ai refermé les yeux sur moi, je suis à toi,
Toute ma vie t'écoute et je ne peux détruire
Les terribles loisirs que ton amour me crée.
⠀⠀⠀⠀Je suis à toi,
⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀⠀Violette.
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