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Chapitre 21

[Léandre, pour la petite illu]

Léandre s'était fait à l'idée qu'il devrait ménager ses efforts pour espérer tenir la durée de la randonnée. Il avait ralenti le pas, quitte à se retrouver à une vingtaine de mètres du petit groupe qui s'était formé en tête de cortège.

Il avait fait du dos de Raphaël un point à fixer. Quitte à trébucher, quitte à glisser dans le vide qui s'ouvrait parfois juste à côté du sentier. Quitte à revenir sur tous les conseils que Casimir lui avait donnés.

Son cerveau tournait et retournait en boucle les mêmes pensées. Lorsque sa jambe libérait une salve de douleur, il entendait la voix de sa mère, les rires tonitruants de son père. Sinon, il se remémorait les gestes, ses propres audaces, jusqu'à les tourner au ridicule. Jusqu'à ne voir dans ses initiatives que le résultat balbutiant de son inexpérience. De quoi avait-il l'air ? Plutôt que de blâmer Raphaël et son comportement qui niait en bloc cette nuit-là, Léandre se dressait en fautif.

Passe à autre chose. Oublie.

Oublier ? Au contraire, il avait promis de ne rien oublier, quitte à prendre toute la responsabilité d'une erreur commune.

Léandre faillit trébucher sur une irrégularité du sol. Son regard retomba sur ses pieds et il se rappela les conseils avertis de Casimir. C'était une canette abandonnée à ses pieds et son cœur se serra. Plus loin, il y avait une bouteille d'eau et un mégot de cigarette. Ce que Léandre avait de plus sentimental s'éteignit pour laisser place à des données qu'il connaissait par cœur.

Un mégot de cigarette met un à deux ans à se dégrader et pollue, au passage, cinq cents litres d'eau.

La canette en aluminium demande deux cents ans pour disparaître.

Pour la bouteille en plastique, il faut compter quatre cents ans.

Léandre n'entendit pas la protestation de ses genoux lorsqu'il s'agenouilla. Il décrocha son sac de son dos et y enfourna ce que les randonneurs avaient laissé sur leur sillage. À croire qu'ils n'avaient pas conscience de la gravité de leur geste.

À croire qu'ils se fichaient de défigurer la nature telle qu'ils l'avaient trouvé.

Léandre avait seize ans lorsqu'il s'était tourné vers des associations de protection de l'environnement. Il avait converti son inquiétude en un pouvoir d'action et avait aussitôt cessé de compter les instants de désespoir. Les nouvelles qu'ils diffusaient au sein de l'association étaient rarement bonnes.

Encore une espèce classée en voie d'extinction. Le jour de dépassement, celui qui notait la période à laquelle l'homme avait consommé toutes les ressources que la planète produisait, qui se présentait chaque année plus tôt. Les décisions gouvernementales trop ténues, voire climaticides, qui servaient une société capitaliste pour laquelle le profit immédiat importait plus que la survie collective.

La lutte était faite de beaucoup de défaites, de compromis dont la planète ne pourrait pas se contenter. Léandre avait compris peu à peu que tout le monde n'agissait pas pour le mieux. Qu'on pouvait s'armer de toutes les preuves scientifiques au monde, montrer que la lutte climatique était doublée d'un engagement social, car l'un ne proposerait pas un avenir viable sans l'autre, il y en aurait toujours pour refuser net. Pour se voiler la face et se moquer d'un pseudo alarmisme du côté des militants.

Il n'y avait pas urgence, si ? On n'a qu'une vie, autant en profiter.

La gorge de Léandre s'était serrée. Il avait ramassé des tonnes de déchets en cinq ans, sans compter les petits gestes qu'il avait égrenés plus jeunes. Chaque fois, il avait la même émotion coincée au bord des lèvres. Le dégoût de devoir porter sur son dos les responsabilités des autres, leurs rebus jetés avec l'égoïsme de l'inconscience.

— Tu sais que tu ne peux pas ramasser tout ce qu'il y a par terre, fit remarquer Anton.

Il s'était arrêté aussi. Son corps svelte, longiligne, endurait mieux l'effort que celui de Léandre. Ce dernier se redressa. Ses épaules s'étaient tendues et un voile de sueur recouvrait son front. Un coup de fatigue et de découragement avaient affaibli ses défenses, comme lorsqu'il se tenait face à sa mère.

Sauf que cette fois, il n'y avait personne pour le museler, personne pour le faire taire. Il était au milieu de nulle part et pas enchaîné à la maison de son enfance.

Une colère vive, inattendue, le gifla.

— Non, je ne peux pas, articula-t-il, avec un calme vacillant. Je ne peux pas, parce qu'il y a des connards sur Terre qui s'imaginent qu'ils peuvent vivre en pourrissant l'avenir des autres. Je ne peux pas, parce qu'il y en a d'autres qui regardent les autres faire en se disant que, de toute façon, on ne peut pas tout sauver.

Anton n'avait pas sourcillé. Il faisait montre d'une force que Léandre ne lui aurait pas soupçonné. Il se tenait à un mètre et plutôt que de laisser éclater sa colère d'avoir été injustement accusé, il ne ploya pas. Peut-être sentait-il que Léandre n'en avait pas terminé. Ce dernier se vida de son souffle :

— C'est facile de dire ça. De rester planter là, de ne pas lever le petit doigt et de rigoler quand les autres se salissent les mains.

Anton n'eut pas le temps de rétorquer qu'il ne se moquait pas. Léandre ne l'écoutait plus. Ses cheveux blonds collaient à son front et à sa nuque.

Tu es pathétique. Personne ne t'écoutera.

— Les gens n'écoutent jamais, cingla Léandre dans un halètement douloureux, en réponse à la voix qui était la sienne sans être la sienne. Ils voient ce qu'ils veulent voir et ils se contentent d'attaquer ceux qui font de leur mieux sur tout ce qu'ils peuvent. Dites, vous n'avez pas l'impression que c'est votre impuissance qui parle ?

— Et toi, tu n'as pas l'impression que c'est la frustration qui parle ?

Anton n'avait pas élevé le ton. La boucle d'oreille en croix avait à peine bougé. Comme à son habitude, il conservait sa retenue, son ton mesuré de garçon observateur. Léandre n'aurait pas dû voir en lui le maillon faible du groupe et s'il n'était pas furieux, il s'en serait voulu de l'avoir sous-estimé. N'importe qui aurait été contaminé par sa colère et si le silence d'Anton avait envenimé les choses, sa réponse nette et cinglante tua cette rage sourde dans l'œuf.

Calme-toi, tu es misérable. Tu veux être écouté ? Arrête déjà d'agir comme un gamin capricieux.

Ce n'était pas les babillages d'un gamin gâté. Léandre n'avait jamais eu de caprices et sa seule idée fixe avait toujours été d'agir à son échelle. De faire de son mieux, quitte à exacerber son anxiété en ingurgitant des informations jusqu'à en être malade.

Toutes les deux secondes, le monde perd l'équivalent d'un terrain de football en surface forestière.

En 2013, 93 millions de tonnes de poissons ont été capturés dans le monde.

27 % des mammifères sont menacés. Pour les amphibiens, ce chiffre s'élève à 41%.

Les yeux exorbités, le teint livide, Léandre sentit la nausée lui tordre l'estomac. Il allait être malade, vraiment malade. Anton le crucifiait du regard sans frémir. Il décréta, d'une voix étonnamment forte :

— Pause !

Léandre ouvrit la bouche, mais aucun mot ne s'en extirpa. Wendy avait cessé de trottiner en tête pour se figer. Casimir s'était arrêté net et Raphaël jetait derrière son épaule un drôle de regard. Anton leur défendit d'approcher d'un geste de la main. Il sembla à Léandre que le regard de Raphaël n'était plus si indifférent.

Tu te donnes en spectacle. Tu avais peur qu'il se lasse, qu'il te rejette comme les déchets que tu viens de ramasser ? Tu as gagné le gros lot, félicitation ! Ça va de soi que tu aies une telle empathie pour les déchets. Ils doivent te rappeler quelqu'un, non ?

La respiration de Léandre se bloqua dans sa poitrine. Un rouage de plus qui venait de se bloquer. Celui-ci était plus vital qu'une jambe ou qu'un esprit malade. Il articula, dans un couinement étranglé :

— Je... suis... vraiment désolé.

— Respire, ordonna la voix inflexible d'Anton.

La main de Léandre s'approchait de sa gorge d'un geste impuissant. Il n'y arrivait pas. Les doigts d'Anton s'enroulèrent autour de son poignet et le piégèrent. Léandre ne distinguait plus son visage, comme si de la buée s'était agglutinée à la surface de ses yeux.

— Respire, répéta Anton. Tu vas faire une crise de panique.

Léandre ne savait pas comment il avait pu passer à côté de cette évidence. L'angoisse serrait sa gorge, une sueur froide dévalait le long de sa colonne vertébrale. Son cœur martelait à grands coups sa cage thoracique. Des battements furieux. Douloureux.

Tu vas mourir.

Léandre secoua frénétiquement la tête. Déloger cette idée. Chasser toutes les autres. Faire le vide.

Tu vas mourir.

Il sentit à peine qu'Anton le faisait asseoir sur une souche d'arbre. Ses jambes s'agitaient toujours, mais il réussit à prendre une profonde inspiration ponctuée par une série d'halètement.

Tu vas mourir.

Le vertige s'était éloigné, mais il fallut à Léandre de longues minutes avant de réussir à calmer sa respiration. Les battements de son cœur étaient toujours violents. C'était au moins aussi douloureux que sa jambe qui pulsait, étendue devant lui. Anton avait pris son poignet et surveillait son pouls, les sourcils froncés par la concentration.

— Ce n'était pas... ce que je voulais dire, murmura Léandre, faiblement.

Anton attendit que l'angoisse recule pour de bon pour répondre :

— Si, c'était exactement ce que tu voulais dire. En fait, je pense que tu en avais envie depuis un bout de temps.

— Tu fais des études de psycho ? souleva Léandre, avec un sourire à demi-esquissé.

La commissure des lèvres d'Anton s'incurva. Ils ne savaient pas grand-chose l'un de l'autre, alors il acquiesça.

— Tu ne peux pas ramasser tout ce qu'il y a par terre, répéta-t-il alors, avec une douceur qui jurait avec le visage inflexible qu'il lui avait montré.

Le cœur de Léandre se serra. Il baissa son regard sur ses jambes. L'angoisse lui avait ôté toute sa force.

— Je sais. C'est...

Il se désenroua la gorge et chassa de son mieux l'humidité de ses yeux. Il s'efforça aussi de ne pas trop jeter de regard en biais dans la direction de Raphaël.

— C'était la frustration qui parlait.

— Tu fais de ton mieux, c'est déjà plus que ce que la plupart des gens font.

Léandre acquiesça une nouvelle fois. C'était plus, oui, mais parfois, c'était aussi trop. Trop de responsabilité, trop de peur face à cette entreprise qui ne semblait être, du point de vue global, qu'un vaste échec. La crise climatique avait toujours été la plus grande de toutes ces angoisses.

Léandre aussi était tenté de se demander : à quoi bon ? Cette vive réaction était une réponse à cela. Il n'était pas épargné contre le doute, contre l'envie de baisser les bras. Chaque fois qu'on prononçait les mots qu'avait eu Anton ou un quelconque dérivé, la détermination de Léandre était entamée. Il était facile de baisser les bras, de décréter que la planète était vouée à la perte et tout ce qui l'habitait avec elle. Lutter pour offrir un avenir à un pourcentage trop important d'indolents qui attendaient sagement la fin, c'était épuisant.

C'était la frustration qui avait parlé. La frustration et l'impuissance de naître sur Terre au milieu de la dernière génération capable d'inverser le cours inéluctable des choses. Avec l'impression de vivre à crédit et que l'avenir qui les attendait ne leur appartiendrait jamais vraiment.

Cela le rendait malade.

— Rien ne me garantit que ça soit assez.

— Lève-toi, trancha Anton.

Léandre hésita. Ses jambes incertaines peinèrent à le porter, mais il parvint à trouver un semblant d'équilibre.

— Je peux marcher, affirma-t-il, de façon sans doute prématurée.

Pour preuve, il esquissa quelques pas maladroits et vit, du coin de l'œil, Anton ramasser un emballage plastique qu'il fourra à son tour dans son sac.

Raphaël eut un sourire étrangement maladroit lorsque Léandre arriva à sa hauteur. Ce n'était pas l'un de ces rictus qui se ressemblaient tous. En fait, il semblait mal à l'aise. Comme s'il s'estimait responsable de ce qui venait de se produire. Léandre secoua la tête pour lui signaler qu'il préférait se passer d'explication pour le moment.

Le sentier se réduisit alors, gagné par les rochers glissants. Ils longeaient une falaise et le terrain, plus accidenté que jamais, réclama à Léandre toute sa concentration. Raphaël le suivait de près et surveillait à sa place où il mettait les pieds.

— Léandre ! appela Wendy, en se retournant à demi.

Elle était arrivée au bout d'une montée raide que son ami jaugeait avec suspicion.

— Le cirque de gens est de l'autre côté.

Il ne restait plus que cet obstacle à franchir et si les jambes de Léandre lui laissaient craindre le retour, il se laissa galvaniser par cette promesse. Raphaël passa devant lui et grimpa avec une agilité que Léandre lui jalousa. En haut d'un imposant rocher, il tendit la main en décochant un sourire en coin. L'un de ses inimitables sourires.

Le cœur de Léandre connut un sursaut. Il agrippa les doigts de Raphaël et se hissa à son tour sur le rocher. Un peu plus loin, leur destination se dévoilait à la manière d'un trésor caché de la nature.

La main de Raphaël n'avait pas lâché la sienne.

— Tu vois, chuchota-t-il. Tu n'avais pas de raison d'avoir peur.

Ils épousèrent du regard l'eau, les rochers, les falaises qui escortaient le tout comme des sentinelles. Léandre n'aurait jamais cru. La voix dans sa tête s'était tue.

Léandre ferma les yeux et laissa un sourire fendre ses lèvres.

J'ai adoré écrire ce chapitre et en le relisant, il m'émeut beaucoup. C'est très personnel et j'ai conscience qu'il y a de fortes chances pour que ce qu'il se passe, et en particulier ce que défend Léandre et qui se traduit dans son angoisse, ne vous touche pas ou bien moins que moi.

Je m'identifie beaucoup aux deux protagonistes, pour des raisons différentes. Ce chapitre rassemble un peu près toutes les raisons qui explique pourquoi je m'identifie autant à Léandre. On est très semblable au niveau des convictions, de l'engagement (même si je ne suis pas aussi active sur le terrain, malheureusement). C'est la première fois que c'est aussi personnel, je crois, que je me livre de manière aussi direct (en général, c'est moins évident). C'est très impressionnant et assez terrifiant.

J'espère avec ce roman parler d'écologie, de conscience climatique, d'autant de sujets qui me tiennent à coeur. Les remarques que Léandre se prend, je les connais. Je les reçois régulièrement, même de la part de mes ami.e.s, de mes proches, de parfaits inconnus et ça peut être plus ou moins violents. J'espère aussi alerté au sujet des remarques qu'on peut émettre sans penser à quel point c'est dur à entendre, notamment pour ma génération ou celle de Léandre. Et bien sûr, si je peux vous informer, vous amener à changer les choses à notre échelle, j'aurais tout gagné.

Je vous souhaite une belle semaine à tout.e.s !

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