Le sergent buvait une bière confortablement assis sur l'estrade d'un bar. La brasserie, située rue piétonne, avait la réputation de proposer le mailleur spritz de la région ! Landel adorait cet apéritif italien, comprenant, la moitié de glaçons, demi-rondelle d'orange, un tiers d'Apérol, deux tiers de Prosecco, un trait d'eau gazeuse. C'était son ami Marcello Espenza qui lui avait fait découvrir ce breuvage divin. Le soldat se remémora la rencontre furtive à son appartement. Les deux hommes connaissaient son identité, son adresse. Ils avaient avoué le meurtre de William, un autre maître-chien de Pau. Mais qui étaient-ils venus chercher, le véritable Landel ou lui ? Il avait subtilisé son identité douze ans plus tôt lorsque le jeune engagé s'était rendu au camp national de Mourmelon à proximité du camp de Suippes. Il devait être formé comme maître-chien au 132e régiment d'infanterie cynotechnique. Landel avait péri dans un accident de voiture en montagne quarante-huit heures plus tôt.

Son remplaçant, Pavlo Aleksandr de nationalité ukrainienne, avait été contraint de quitté son pays. L'adjudant Aleksandr était de service à l'académie militaire d'Odessa. Il officiait aussi comme assassin dans un contingent exterminant exclusivement des Russes. Un groupuscule secret klonuvaty, que l'on pourrait traduire par « clone » avait falsifié le dossier médical de Landel pour le remplacer par le sien. Il avait subi une opération plastique afin de lui ressembler. Personne ne pourrait soupçonner le remplacement. Mis à part la famille, si Landel en avait possédé une. Pavlo était plus âgé de huit ans, mais son apparence ne le démontrait pas. L'ukrainien parlait parfaitement six langues. Il avait simplement dû s'habituer à maintenir l'accent normand de Landel.

Pavlo patientait apaisé, rien ne pourrait lui arriver dans une rue piétonne remplie de monde. Le fuyard ne tarderait pas à revenir pour continuer la discussion, le sermonner sur le meurtre de son allié ! Ses hommes semblaient détenir énormément de moyens, ils l'auraient déjà fait éliminer si cela avait été leur volonté !

Pavlo était un expert dans son art, il était véritablement devenu Landel. Il avait les capacités d'évoluer dans la hiérarchie militaire, mais ne devait pas attirer l'attention. Le SVR, Service central de renseignement de l'URSS était ancré partout dans le monde via des branches d'espions, il devait éviter de se faire remarquer.

Le maître-chien aperçut un comportement suspect à une vingtaine de mètres sur sa gauche. Un couple distribuant des tracts se concentrait plus sur lui que leurs flyers. Il avait remarqué dans son dos, deux tables en arrière, un homme à casquette pianotant sur son pc portable. Malgré la sonnerie d'alerte de fin de batterie, la coupure subite d'alimentation, il continuait de l'utiliser. Une femme en chemise hawaïenne dans le bar d'à côté ne cessait de remuer la cuillère dans son café sans pour autant le boire.

Deux hommes obliquèrent dans sa direction, un grand trapu, un second aux allures efféminées.

— Je vous en prie, annonça-t-il en proposant de prendre place à sa table.

Les arrivants se dévisagèrent d'étonnement, puis acceptèrent.

— Sans rancune, j'espère ?

— Vous avez tué Marc, s'exclama furibond l'homme aux mouvements efféminés.

— Il avait fait irruption à mon domicile. Bon, parlons franchement, ne tournons pas autour du pot.

Le second plus âgé, aux omoplates musclées, prit la parole.

— Il n'avait été nullement question de vous tuer, confirma-t-il.

— Oui, bien sûr, dis le loup au mouton.

Son interlocuteur toucha son menton pensif.

— Pourquoi avoir dit que vous n'étiez pas le sergent Landel ?

— Une question, une réponse, OK ?

— Bien, c'est à nous, alors.

Pavlo esquissa un sourire, il avait été piégé.

— J'ai pris la place de Landel juste avant son arrivée au 132e régiment d'infanterie cynotechnique.

— Pourquoi avoir subtilisé son identité ?

— Besoin de changer de vie. Qui servez vous ?

— Une organisation internationale dont je ne peux divulguer le nom. Quelle est votre véritable identité ?

— Je suis Européen de l'Est. Quel est votre but ?

— La discussion devient trop importante. Je ne peux rien avouer à découvert.

— Avez-vous un rapport avec tous ses accidents de transport ?

— Pourquoi cette question ?

— J'ai fait des recherches moi aussi. Alors ?

Le compagnon de l'interlocuteur ne parvint pas à camoufler les tremblements de nervosité de ses doigts.

— Votre apprenti semble dépasser par les événements, remarqua-t-il.

— Tout s'apprend.

— Alors, oui ou non ?

Il se pencha au-dessus de la table pour murmurer à l'oreille du soldat.

— Je ne peux répondre ici.

— L'extinction de masse qu'a avouée votre sbire m'a mis sur la piste. Je n'ai pas véritablement besoin de réponse. Vous êtes des terroristes !

— Terrorisme : Gouvernement par la terreur. Emploi systématique de la violence pour atteindre un but politique. Vous vous trompez, Pavlo, nous sommes les sauveurs de l'humanité !

Le sergent sursauta à l'annonce de son prénom véritable.

— De qui ?

— Partons à l'écart, je vous en dirais plus.

— Ai-je véritablement le choix ?

— Non, mais nous avons besoin de vous, vivant.