𝚌𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚟𝚒𝚗𝚐𝚝-𝚜𝚎𝚙𝚝
Bonne lecture !
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Quand Oikawa referma la porte du bureau derrière lui, la voix du roi gronda presque immédiatement.
- Je n'ai accepté que parce que je suis incapable de te dire non. Mais tu es malade, et tu devrais rester dans ta chambre.
Tooru leva les yeux au ciel et s'avança dans la pièce.
- Pour que tu viennes me rendre visite ? Je trouvais que tu tardais un peu, alors j'ai pris les devants.
Il se laissa tomber dans le canapé, et attrapa la légère couverture qui trônait sur un accoudoir. Il essaya de ne pas s'imaginer Ushijima la placer là en apprenant sa venue, mais cette pensée le fit sourire.
Il l'enroula autour de ses épaules, et posa le petit sac en toile qu'il avait apporté juste à côté de lui.
- Tu es vraiment venu pour ça ? Car ma présence te manquait ?
Oikawa haussa les sourcils, et utilisa tout le maintien qu'il pouvait sur son corps pour ne rien laisser paraître. Apparemment, Ushijima commençait à être assez à l'aise pour se moquer gentiment, comme avant.
Alors plutôt qu'un rougissement, il laissa échapper un petit rire.
- Tu n'imagines même pas à quel point, dit-il.
Et en un sens, ce n'était pas un mensonge : tout était simplement plus simple dit ainsi. Quand leurs regards se croisèrent, Wakatoshi resta immobile un instant sous le sérieux de ses yeux. Il finit par se lever, lentement, et marcha d'un pas raide jusqu'à finalement venir s'asseoir dans le canapé, face à lui.
Il attendit sagement.
- Dis-moi. Tu es là pour une raison, cette fois. Non ?
Il savait lire ses expressions, apparemment. Assez bien pour l'impressionner. Tooru hocha la tête. Il baissa les yeux sur ses mains, et tordit un peu ses doigts.
- J'ai fait un pari risqué. Et je ne le regrette pas.
Ushijima fronça les sourcils.
- Un pari ?
Le feu craqua. Oikawa resserra la couverture autour de lui.
- Une passation de pouvoir, c'est toujours très risqué. Un monarque annonce ce qui sera son règne dès le début, c'est presque toujours ainsi. Mon père n'était pas un bon roi. Mais son successeur ? Qui aurait pu le savoir ?
Il entendit la question avant même qu'Ushijima la pose.
- Successeur ? Mais tu es...
- Je n'étais qu'un prince. L'héritier, c'était mon frère et il est mort. Le jour même, mon père m'a dit que je ne serais jamais roi, et je sais que contre ça je ne pouvais rien faire. Il voulait choisir un de ses bâtards, un gamin qui avait grandi dans les bras d'une prostituée et qui ne connaissait rien à rien : j'ai exploré chaque possibilité, retrouvé chaque garçon né les mois suivants une visite de mon père. Il a aimé ma mère, et pour l'oublier il s'est retrouvé dans les bras d'un nombre incroyable de femmes. Alors j'ai retrouvé chaque garçon, un à un : aucun d'eux n'aurait pu être roi. Aucun n'en avait l'étoffe ni les qualités.
Ushijima l'écoutait attentivement. Son visage était concentré, buvant chacune de ses paroles. Il ne savait pas où Oikawa voulait en venir, ce dernier le comprenait bien.
- Ce royaume, aussi pourri soit-il, c'était le mien. Mon peuple me détestait ? Bien, il n'était de toute façon pas le seul. Je n'ai jamais réclamé l'amour de qui que ce soit, et je ne comptais pas commencer. Les grands changements demandent des sacrifices. J'étais prêt à prendre ce risque.
Quand il releva les yeux, il vit que Wakatoshi commençait enfin à comprendre. Son visage s'était décomposé, et il bégaya :
- Tu... tu n'as pas...
- Il y avait deux choix possibles. Soit je survivais à ton attaque, soit je mourrais. J'étais prêt à affronter ces deux possibilités, même si l'une d'elles se basait fortement sur...
Il grimaça.
- Je n'ai jamais fait de choix uniquement basés sur mes émotions. Une juste gouvernance par l'ennemi est un meilleur parti qu'un mauvais souverain. Il y aurait eu des morts dans les deux cas, et je déteste les révolutions. J'ai fait mon choix.
Ses longs doigts tremblaient un peu : avoir tout en tête était une chose. Tout déballer devant la personne qui tenait sa vie au creux de sa paume en était une autre.
- C'est moi qui ai créé les défenses de cette ville. Moi qui ai mis au point la plupart des plans pour les batailles. Le général n'était pas malin pour un sou, mais au moins il possédait le respect que moi je n'avais pas. Donc, quand j'ai pris ma décision, laisser une faille dans la défense a été bien trop simple. Et contrairement à ce que j'ai cru, tes hommes ne m'ont pas tué.
- J'avais donné l'ordre...
Ushijima reprit sa respiration. Il regardait le sol, devant la table basse.
- J'avais donné l'ordre de te ramener en vie. Toi, et ce chevalier dont tu me parlais tant à l'époque. Tu l'avais appelé ton meilleur ami dans tes lettres, alors je me suis dit que pour espérer avoir au moins l'occasion de discuter avec toi, je devrais faire en sorte de ne pas....
Oikawa le fixa. L'atmosphère de la pièce était lourde, et l'air sur le visage du roi était exactement comme il s'y était attendu.
- Je suis le pire salaud qui soit, dit-il comme si ce n'était rien. Je ne ressens pas de culpabilité, je ne m'en veux pas de t'avoir livré mon pays. La plupart sont encore en vie, je l'ai appris dans les sous-sols de ta ville. Le royaume est encore debout, les seigneurs que tu as mis au pouvoir ne sont pas trop mauvais. Tu étais mon choix, et je ne le regrette pas.
Quand il releva les yeux, leurs regards s'accrochèrent et Oikawa fut incapable de le détourner. L'intensité de ce qu'il y voyait lui coupa le souffle. Il se mordit la lèvre.
Il n'avait pas terminé, il fallait qu'il continue....
Une inspiration, et il se reprit en main.
- Tu as fait le choix de me laisser en vie, toi aussi. Je ne sais pas si tu as fait le bon, mais en attendant voilà.
Il fourra sa main dans le sac en toile, et en tira des dizaines de parchemins noircis d'encre. En les posant sur la table, et eut l'impression de se mettre lui même en échec. La guillotine frôla sa nuque, et il déglutit, la mine sombre.
- Je me suis plusieurs fois enfui de ton palais. Tes gardes se sont relâchés, et j'ai noté là dedans tous les domestiques qui espionnent chaque conversation de tes couloirs. En vérité, j'ai tout noté, tout y est. Une révolution gronde dans tes rues, et même si elle n'est pas très impressionnante, ce n'est pas une raison pour la laisser éclater. Là-dedans, il y a leurs plans, leurs noms, leurs repaires. Tout ce qui pourrait t'être utile.
Ushijima hésita. Il fixa tous ces papiers comme s'il n'y croyait pas vraiment, et articula :
- Qu'est-ce... qu'est-ce que tu veux en échange de tout ça ?
Oikawa sentit sa gorge se serrer. Il se crispa légèrement, et son esprit murmura : échec et mat. Tu as perdu.
- Rien. J'ai placé mes espoirs en toi, alors ça serait bête que tout s'arrête maintenant.
Il n'avait plus de carte en mains. Il avait donné ce qu'il avait.
- Je pourrais te demander de me promettre une vie tranquille, mais je ne crois pas aux belles paroles. J'ai appris que le sang ou les promesses ne servent à rien. Je t'ai dit que je ne prenais jamais mes décisions en me basant sur mes émotions, mais...
Quand il se taisait, son esprit bouillait. Il sentait le regard du roi sur lui, attendant son prochain mot. À sa grande surprise, ce fut lui qui l'interrompit :
- Je pourrais faire de toi le roi d'Aoba. Tu pourrais me le demander.
- Ça serait ridicule, siffla-t-il. Ton peuple ne comprendrait pas ta décision, et ton armée non plus. Les hommes n'aiment pas se battre pour rien : ils aiment gagner. À ton avis, que se passerait-il si tu leur enlevais cette victoire pour me la donner, simplement pour mes beaux yeux ? Rien de bon, je peux te le garantir.
Il inspira. La couverture tombait un peu sur le côté, à présent.
- En plus, je ne veux pas être roi. Ou plutôt, je ne le veux plus. Ce n'est pas mon rôle, je ne suis pas fait pour ça.
Il haussa les épaules.
- Je ne suis bon que pour un seul domaine, et je t'offre cette qualité-là. Utilise-moi comme tu le souhaites. Garde-moi dans l'ombre, jette-moi en pâture à ta cour, sers-toi de moi comme stratège ou comme amant, je m'en fiche. Je veux juste...
Il se força à le dire. Car c'était l'un des seuls moments où il serait complètement honnête, il le savait. Ushijima l'était toujours, et ses sentiments à lui ne faisaient aucun doute.
- Garde-moi à tes côtés. Tant que tu ressens au moins une petite chose pour moi, alors garde-moi avec toi. Je me fiche de rester dans l'ombre, d'être empoisonné tous les quatre matins ou qu'on me montre du doigt. Je veux juste savoir qu'à la fin, c'est vers moi que tu te tournes.
Il posa ses mains sur son visage dans un soupir. Oikawa avait l'impression d'être nu et ridicule, il avait l'impression de supplier.
- Si un jour tes sentiments changent, alors dis-le-moi. Je partirais quelque part à la campagne, je me ferais discret jusqu'à la fin, et tu n'auras rien à regretter. Mais tant que tu.....
Il ne put prononcer un mot de plus. Sa langue se refusa à former un nouveau son, et ses mains tremblantes cachèrent son visage plein de honte. Dans le silence, il entendit Ushijima se lever, et se rapprocher.
Ses largement doigts s'enroulèrent autour de ses poignets, et il les dégagea pour pouvoir le regarder en face. Il s'était assis à côté de lui.
- J'ai sûrement tous les défauts du monde, murmura-t-il. Je suis beau, certes, mais c'est suffisant pour séduire un tiers le temps d'un instant, pas pour renouveler des sentiments éternellement. Je suis égoïste, et même si je me crois intelligent je suis incapable de me détourner de toi....
Des lèvres chaudes se posèrent sur les siennes. Un contact rapide, qui le fit taire. Les yeux ronds, il regarda Ushijima qui se reculait.
- Marché conclut, répondit-il, et Oikawa ne se souvenait même plus de la question à la laquelle il venait de répondre.
Il trembla à nouveau.
- Tu....
- Je ne t'aurais pas laissé partir. Même si tu m'avais demandé de devenir roi d'Aoba, j'aurais eu envie de te faire plaisir, mais je n'aurais sûrement pas pu te laisser partir. Tu dis que tu es égoïste, mais tu as sacrifié tes soldats pour offrir une vie meilleure à ton peuple. Tu es beau, ça c'est certain, mais ce n'est pas ça qui a nourri mes sentiments toutes ces années.
Il lui frôla la joue, et Oikawa le trouva si proche... un petit geste en avant, et il pourrait lui aussi l'embrasser.
— J'accepte toutes tes conditions, n'importe lesquelles. Ce que tu veux, tant que tu restes ici. Avec moi.
Le corps glacé de Tooru se figea, comme s'il ne s'y était pas attendu. Il eut envie de se moquer un peu, de reprendre le contrôle, de lui dire qu'il parlait comme une donzelle. Mais il n'y arriva pas.
Il lui offrit une expression sincère et peureuse, miroir de ce qu'il ressentait à l'intérieur de sa poitrine. Leur proximité était aussi effrayante que nécessaire, et Oikawa inspira son odeur. Il fit cela lentement, comme pour profiter de l'instant.
— Je suis plus égoïste que toi, sois-en certain, murmura le roi. Et pour rien au monde je ne voudrais me retrouver contre toi dans une bataille : je la perdrais certainement.
Il ne répondit rien. Il ne pensait pas qu'il y avait quelque chose à répondre. Tooru prit la main qui se trouvait sur sa joue et la tira pour la poser sur sa chemise, sur son cœur qui battait à toute vitesse. Les gestes étaient plus difficiles que les mots, en tout cas pour lui. Sauf quand il fallait être honnête : là, les deux lui paraissaient insurmontables.
La fatigue et l'adrénaline qu'il ressentait manquèrent de le clouer sur place. Il se laissa aller, tombant presque contre l'étreinte que lui offrit Ushijima en le tirant vers lui pour qu'ils s'allongent dans le canapé.
Il savait qu'un jour le roi qu'il tenait du bout des doigts devrait donner un héritier. Qu'il se marierait et devrait honorer sa part du contrat. Qu'il s'habituerait peut-être à sa présence, et s'en lasserait. Mais même avec ça, il n'arriva pas à regretter.
Son choix, même s'il l'avait conduit en échec et mat, même s'il l'avait emprisonné dans une situation où il était tout aussi dépendant de quelqu'un (quitter un roi pour retrouver un roi, n'était-ce pas risible), même en sachant tout cela : il n'arriva pas à le regretter.
Un soupir franchit ses lèvres, et il ferma les yeux. Sous ses doigts, le cœur d'un souverain battait avec force.
Oikawa combattrait à nouveau. Il avait des moyens à sa disposition, de la force et de l'esprit, et il n'était ni un gamin impressionnable ni une demoiselle en détresse. Il n'était pas tant retenu prisonnier que son esprit n'était enfermé, et il n'avait plus qu'un objectif désormais : s'assurer que ce monarque reste aussi droit et juste qu'il lui était possible de l'être.
Aussi fort, aussi puissant, et aussi honnête.
Longtemps, et bien plus encore : peut-être même ad vitam æternam.
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