𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝟷𝟸
Allongé dans l'eau chaude, les yeux levés vers le plafond, Helio essayait de se calmer. Ses mèches humides tombaient parfois sur son front, réduisant son champ de vision. Il n'avait pas la force de lever le bras pour les dégager.
Il restait là, épuisé, profitant de l'eau fumante qui lui picotait la peau.
En revenant dans sa chambre, tandis qu'il avait lâchement tenté de semer le garde royal qui avait attendu là le temps de son entrevue, Helio avait immédiatement fait appeler une servante pour qu'elle lui prépare un bain. Le plus chaud possible. Il s'était laissé tomber sur son lit, avait renvoyé Théo dans sa propre chambre sans explication, puis était resté là sans bouger jusqu'à ce qu'une femme vienne lui dire que tout était prêt.
Il s'était déshabillé sans attendre, et avait plongé tout entier en retenant sa respiration le plus longtemps possible. Oublier, reprendre son calme, ne pas se laisser avoir.
Faire comme si de rien n'était était difficile, même pour lui. Les images et les sensations s'imposaient, alors même qu'il tentait de reprendre le dessus, et les souvenirs se faufilaient dans les failles qu'il n'avait pas rebouchées à temps.
Il s'énervait. Il s'énervait de réagir ainsi, après toutes ces années, d'être aussi sensible à quelques souffles et des paroles sans grand sens. Il le voulait, bien sûr qu'il n'était pas idiot au point de se mentir ainsi, mais il voulait contrôler, maîtriser, c'était lui qui devait mener la danse, et non l'inverse.
Lentement, il sortit ses doigts et les observa, les lèvres serrées. Ils tremblaient.
En vérité, il tremblait tout entier.
— Je suis... vraiment ridicule.
Il prit une grande inspiration, au moment même où quelqu'un toquait deux coups à la porte. La personne n'attendit pas de réponse. Helio tourna la tête vers la servante qui venait d'entrer, le visage lisse et le corps détendu.
Il l'étudia quelques secondes. Et la première chose qu'il conclut fut qu'elle n'était certainement pas une espionne du roi.
Elle referma derrière elle, et fit le tour de la baignoire pour déposer des vêtements propres pour la nuit. De dos, elle dit :
— On dit que vous êtes doué pour cerner les gens.
Sa voix était douce, jeune, mais bien trop mesurée. Elle portait une natte repliée en chignon à l'arrière de la tête, et des vêtements presque neufs. Un tissu noir sans taches, et un tablier blanc éclatant.
Helio soupira.
— Oh, c'est ce qu'on dit ?
Elle se retourna, et ses yeux sombres parlèrent à sa place. Le prince ne montra rien, mais il aurait bien aimé que cela arrive un autre soir. Tout de suite, il se sentait encore agité et mourrait d'envie d'avoir la paix.
Mais malheureusement, le monde ne s'arrêtait pas de tourner à son bon vouloir. C'était bien dommage.
— On dit beaucoup de choses sur vous. Surtout en ce moment. Vous vous êtes fait remarquer aujourd'hui.
Lentement, il posa son coude sur le rebord de la baignoire et détourna son regard jusqu'à la fenêtre. Il fut étonné de voir autant d'étoiles. Aucun nuage.
— Je pense qu'on a toujours dit beaucoup de choses sur moi, ma jolie. Maintenant je ne voudrais pas me montrer grossier, mais je suis nu et vous êtes dans ma salle de bain.
— C'est le seul endroit où nous ne prenons pas le risque d'être écoutés.
— J'en conviens. Et ce n'est pas ce que je voulais dire. Dépêchez-vous simplement, passez outre la causette voulez-vous ?
Elle ne montra rien, mais Helio nota son étonnement. Son léger haussement de sourcils. Elle se racla la gorge.
— Vous avez reçu le message, il me semble.
— Si vous parlez de ce mot extrêmement mal caché que l'on m'a fait parvenir avec très peu de discrétion en plein milieu du jardin, alors oui je l'ai reçu.
Il retint un ricanement.
— Pour finalement venir en personne une fois la nuit tombée. Excusez-moi, mais c'était une action bien inutile.
La femme se tendit légèrement, et son masque se fissura : Helio aperçut un flamboiement de colère, un caractère bien plus enflammé que ce qu'elle laissait passer. C'était une bonne actrice, une bonne espionne, mais elle se faisait facilement avoir.
Étrangement, cela lui fit du bien. Ce contrôle, il l'avait encore.
— Nous voulions simplement voir votre réaction. Si le roi n'est pas encore au courant, alors je peux prendre ça comme une preuve de votre volonté ?
— Ma volonté ?
À travers l'eau claire, il pouvait voir sa peau rouge et ses longues jambes. Les quelques bulles lui arrivaient juste en dessous des épaules, exactement comme il aimait.
Il était fatigué.
— Vous n'êtes pas avec eux, conclut-elle.
Il ne répondit pas.
— Alors vous pouvez être avec nous.
— Et qui êtes-vous, au juste ? De belles paroles, pour l'instant.
Elle fit une pause. Son regard était on ne peut plus sérieux.
— La révolution.
Bien évidemment. Il se força à garder une expression lisse, mais ses lèvres tremblèrent un peu. Tout cela était passionnant.
— Le reste de votre peuple nous a rejoints. Ce royaume a conquis beaucoup de terres ces dernières années, et les bas quartiers sont en train de rassembler des forces. Nous avons des espions un peu partout, mais aucun qui ait une relation directe avec le roi. Aucun qui ait votre position.
— Vous avez besoin de moi, répéta-t-il simplement. Je vois.
Elle parut frustrée de sa réponse. S'était-elle attendue à plus de conviction ? À un prince déchu prêt à tout pour se venger, pour venger son peuple ?
— Êtes-vous avec nous ?
C'était une question simple, dont la réponse entraînerait des actions. Elle lui avait exposé beaucoup de choses, et bien trop facilement. Un couteau se cachait-il sous sa robe ? Que ferait-elle en cas de refus ? Helio pouvait presque aisément deviner la suite.
Il répondit :
— Pourquoi ne le serais-je pas ?
Elle le fixa avec insistance, avant de finalement soupirer. Son corps se détendit légèrement, et elle afficha soudain une expression plus jeune.
— Vous êtes très intimidant, souffla-t-elle en clignant des yeux.
— Je suis un prince.
Il lui offrit un rictus. Une brume s'était installée dans la salle de bain. Pendant une seconde, il crut qu'elle allait simplement partir ainsi : mais la jeune femme s'appuya contre le mur, et prit une inspiration légère.
Quand elle rouvrit la bouche à nouveau, ce fut pour lui dire l'essentiel.
Elle lui parla d'un passage pour sortir du palais, non loin de sa chambre. D'une personne de confiance parmi les domestiques qui pourraient l'aider en toute discrétion. D'un rendez-vous dans les bas quartiers, une énième réunion avec les acteurs de la révolution. Les dirigeants. Elle lui donna l'heure et la date, le chemin à suivre et l'adresse souterraine.
Quand la fausse servante eut terminé, elle releva la tête vers Helio qui ne fit rien de particulier. Il la fixa, et hocha la tête.
— D'accord.
Elle voulut dire autre chose, mais le prince la coupa :
— Il est tard et ma peau ne va plus ressembler à grand-chose si je ne sors pas bientôt. Vous êtes restée ici trop longtemps.
— Mais...
— J'irai. Maintenant, partez.
Il détourna les yeux vers la fenêtre, et ignora le soupir qu'il entendit. Quand la porte s'ouvrit et se referma enfin, ce fut lui qui laissa un grognement passer ses lèvres.
Helio posa ses doigts sur ses yeux, et attendit un peu moins d'une minute avant de sortir de l'eau. Sa peau frissonna.
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