Partie 4
— Reste bien derrière moi et ne dis rien, Jungkook.
Je savais que Namjoon connaissait Jungkook.
Je ne savais pas si Jungkook connaissait Namjoon, cependant.
Mais Jungkook connaissait Jimin et c'était, à l'heure actuelle, tout ce qui comptait.
Je me tenais actuellement face à l'épaisse silhouette de Namjoon qui semblait être en compétition avec celle de Jungkook, dans mon dos.
J'étais le seul barrage qui les empêchait de se fixer dans les yeux, qui les empêchait de s'entretuer si l'envie leur venait.
— Je n'avais pas prévu de te voir aujourd'hui, Taehyung, quel bon vent t'amène ? dit Namjoon en s'adressant à moi sans être le moins du monde surpris par la présence d'une tierce personne. Si c'était le cas, il n'en montrait absolument rien.
— Effectivement, fis-je ironiquement.
Namjoon s'était retourné et, comme à son habitude, se prépara sa tasse de thé — ou de tisane, je n'avais jamais tenté de le savoir — comme si tout ce qui se passait faisait partie de sa routine.
Je l'observais.
Il détestait être interrompu lors de la préparation de sa boisson, j'en avais déjà fait les frais.
— Vas-tu enfin nous dire ce que tu sais sur Jimin, s'impatienta Jungkook derrière moi.
Je n'eus pas le temps de me retourner pour lui dire qu'il n'avait pas à agir ainsi. Namjoon le fit avant moi.
— Que veux-tu Jeon ?
Ils se lançaient la balle de sorte à ce que je ne puisse jamais être en mesure de l'attraper.
J'avais l'impression d'être un gamin au milieu d'une discussion d'adultes.
Ils n'avaient pas besoin de mots pour maintenir la tension autour de nous.
— Où est Jimin ? répéta Jungkook légèrement agacé.
Namjoon s'assit sur le fauteuil, je me permis de rester debout afin que Jungkook prenne place sur le deuxième siège.
Les deux ne se lâchaient pas du regard. Ils se fusillaient ainsi. Jouant à celui qui clignerait des yeux en premier.
— Namjoon, prononçais-je pour casser ce silence que je n'étais plus capable de supporter, arrête ça.
Si j'avais espéré que je parviendrais à me sortir de cette situation en agissant ainsi, j'eus tort. Ses mitraillettes avaient été dirigées vers moi. Ce fut mon tour de supporter le poids de sa fureur.
— Tu sais aussi bien que moi que c'est pas en me regardant ainsi que je pourrais prendre mon frère dans mes bras, Namjoon.
Jungkook ne connaissait pas cette information. Mais Namjoon, si. Et il arborait sur son visage la même que celle que je percevais dans les yeux du plus jeune.
— Pourquoi as-tu agi ainsi ? Pourquoi ne m'as-tu pas écouté, Jungkook ? le réprimandais-je en passant le pas de la porte de ma chambre.
Jungkook était derrière moi, il était resté fidèle à lui-même, durant toute l'entrevue avec Namjoon. Il avait en sa possession tout ce qui avait été dit dans la pièce dans laquelle la confidentialité était maîtresse.
Je me déchaussais.
Jungkook reproduisait chacun de mes gestes.
— Réponds-moi.
Il n'avait daigné prononcer le moindre mot depuis mon intervention.
— Ton frère ?
Je le fixais mais il fuyait mon regard.
— Regarde-moi dans les yeux quand tu me parles, putain. Cesse de regarder tes pieds.
Oui, nos positions avaient changé. J'avais l'impression que nous nous battrions régulièrement ainsi. A savoir lequel de nous parviendrait en premier à mordre la queue de l'autre.
— Jeon. Jungkook. Sache que je déteste qu'on m'ignore.
Parle.
Je me déplaçais pour me retrouver en face de lui. Je passais mes deux doigts sous son menton après m'être accroupi à sa hauteur.
— Regarde moi.
Il leva faiblement son visage, en partie à cause de la pression que mon index et mon majeur y exerçaient.
— Parle.
Des sillons de larmes sur ses joues, ses yeux rougis.
— Tu m'as pas dit que Jimin était ton frère. Putain. Je m'en veux.
— Tu pouvais pas le savoir, je te l'ai caché.
— Taehyung, tu comprends pas.
Taehyung.
— Tu peux pas comprendre.
Explique moi, alors.
Pourquoi n'arrivais-je pas à garder ce masque levé en sa présence ?
— Je... j'ai participé à son enlèvement.
Quoi ?
— C'est... c'est grâce à moi que Minjae l'a enlevé.
A nouveau.
A nouveau, tout se brouilla en moi.
— Q... quoi ?
Je ne savais pas quoi penser de cela.
Il avait tout déballé après son aveu.
Tout.
Je ne l'en avais même pas empêché.
J'en étais totalement incapable.
Il m'avait tout raconté.
Chaque détail.
Il se souvenait de chaque détail.
Et il m'en avait fait part.
Selon lui, c'était la pire chose qu'il ait faite dans sa vie.
Quand je commençais enfin à m'autoriser à l'aimer, il y avait une chose qui envoyait valser toutes mes certitudes, brouillant mes valeurs.
Minjae avait tenté d'enlever Jimin une première fois. Mais n'y était pas parvenu. Jimin refusait de partir avec un inconnu.
Si Jungkook n'avait pas proposé à notre plus grand ennemi de lui laisser s'infiltrer dans son école en tant que nouvel élève, mon frère serait encore parmi nous.
Jungkook lui avait seulement proposé de faire ses devoirs chez lui après les cours, parce qu'il avait soi-disant besoin d'aide.
Foutaises, avais-je dit.
Et Jimin n'était plus jamais rentré à la maison.
Actuellement, j'étais dans la cuisine. Assis sur le siège face au mur, je tentais d'intérioriser mes pulsions.
Si je les laissais s'échapper, plus rien ne tiendrait debout.
Jimin.
Mon pauvre Jimin.
Un petit rictus s'afficha sur mon visage quand j'entendis Jungkook arriver dans mon périmètre.
— Tu n'aurais jamais dû rentrer dans cette putain de cuisine, Jeon Jungkook. Pas si peu de temps après ce que tu m'as dit.
Je me tournai juste assez pour me retrouver face à lui.
— Tu as trois secondes pour quitter cette cuisine, avant que je ne décide de me défouler sur toi.
Il n'avait même pas déposé son deuxième pied dans la pièce dans laquelle j'étais.
— Deux, annonçai-je en décollant mon postérieur.
Je le regardais l'air de lui demander s'il était sûr de ne pas vouloir bouger, de vouloir me défier.
— Un, achevai-je sur un ton qui lui disait qu'il avait fait un très mauvais choix.
Un pas après l'autre, je me mouvais avec la grâce d'un félin. Je m'approchais de lui sans le moindre doute quant à son immobilité.
Il n'oserait sans doute pas me désobéir une nouvelle fois.
Je le dépassais simplement, me dirigeant vers ma chambre. J'avais réuni tout le self-contrôle que j'avais à portée de corps pour ne pas laisser mon épiderme toucher la sienne.
— C'est tout ce dont tu es capable ? entendis-je derrière moi alors que je sentais mon corps se faire prendre au piège contre le mur.
Volontairement, je ne bougeais pas, savourant le contact de son souffle contre ma nuque.
— Taehyung, j'aimerais te dire que je suis désolé. Mais toi, tu aimerais m'entendre dire que je suis désolé ?
— Fais gaffe à ce que tu dis, Jungkook, on parle de Jimin là.
— Foutaises. Je parle de toi, là. Que veux-tu, Kim Taehyung ?
Que tu me prennes contre ce mur.
Sa prise autour de mes bras s'était relâchée. Ce leste me permit de prendre le dessus, de me retourner pour échanger nos places.
— On t'a déjà dit que tu parlais trop Jeon ? Moins de parole et plus de geste.
Nous nous regardions dans les yeux. Je le surplombais légèrement même si nous faisions la même taille.
C'était l'aura qui parlait en ce moment, il nous faisait dire ce qu'il voulait.
C'était ce que j'avais appris de lui au fil du temps. Je n'étais plus celui qui dominait lorsqu'il prenait le contrôle.
Mes yeux n'arrivaient à se concentrer sur aucun point fixe si ce n'était cette paire de lèvres devant eux.
Pleine de vie, j'avais envie de leur arracher leur vitalité de mes dents.
De leur faire regretter d'exister.
De les maltraiter jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que l'histoire de mes victimes sur cette peau vierge de tout antécédent quel qu'il était.
De ma main droite, je saisis la sienne qui pendait mollement dans le vide. Je ne voulais laisser aucune partie de son corps hors de mon contrôle.
Je greffais mes doigts aux siens et plaquais durement ses phalanges contre le mur, juste à côté de sa tête.
J'en avais eu envie si longtemps.
Regoûter ses lèvres aux saveurs indescriptibles.
Sans avoir à lui demander une quelconque autorisation.
— Supplie moi, grognais-je, explorant ses traits sans qu'il n'y ait le moindre contact entre nos lèvres. Extériorise la prière de tes yeux, Jungkook.
Il me fixait, le regard fiévreux.
Je le fixais, avide de plus.
— Supplie-moi et je t'accorderais ce que tu veux, si tu es gentil.
Sa main gauche était déjà privée de sa liberté, entravée dans la mienne.
Ma main gauche maintenait son bassin collé au mien.
— Dis-moi tout.
Chacun son tour.
Il refusait. Je le voyais dans ses yeux. Son refus catégorique.
Il ne voulait pas s'avouer vaincu.
Mais je ne lui accorderais pas ce qu'il voulait s'il ne faisait pas cette concession.
— Pour la dernière fois, parle moi, finis-je par dire en emprisonnant sa lèvre inférieure entre mes dents. Parle-moi ou je vais me doucher à l'eau froide.
Il gardait le silence, espérait-il que je craque le premier ?
— Bien, fis-je simplement en lâchant sa main.
Je m'éloignais progressivement de son corps tout en le surveillant attentivement.
Et je tournai des talons.
Sans regarder derrière moi.
Juste devant moi.
Je savais son regard posé sur mon dos, comme s'il souhaitait qu'il s'y enracine. Alors, je décidais de lui dégager la vue en retirant mon t-shirt.
— Profite de la vue. C'est tout ce que tu auras.
Je n'avais pas menti.
J'étais allé me doucher à l'eau froide. Très froide. Bien trop froide pour que mon épiderme ne puisse le supporter.
Mais au moins, ce traitement avait eu l'effet escompté.
Ce petit morveux savait y faire.
Pourquoi n'avais-je qu'une envie, c'était de lui appartenir tout entier, ou au moins que lui soit à moi, quand je m'approchais de lui.
La tension inexplicable qui se trouvait chaque fois collée à ses trousses, ce besoin irrémédiable de le savoir en sécurité, cette attention que je suis incapable de ne pas lui accorder qu'importait le mal qu'il pouvait faire.
Pourquoi ne l'avais-je pas secoué comme un prunier ?
Pourquoi ne m'étais-je pas secoué comme un prunier ?
Pourquoi ne parvins-je pas à extraire les mécanismes que mon cœur m'imposait pour que la raison entre en jeu ?
Je savais bien qu'il existait ce diction « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point », mais ne pouvais-je pas simplement outrepasser cette règle qui m'empêchait d'avancer pour faire fonctionner ces quelques neurones qui me restaient ?
Jeon Jungkook, que vais-je faire de toi ?
Quand je sortis de la salle de bain, Jungkook n'avait pas bougé d'un pouce. Son dos était toujours collé, plaqué contre le mur, sa tête aussi.
Ses yeux, fermés. Sa carotide, exposée. Mes yeux ne purent s'empêcher de tracer la ligne droite que formait sa jugulaire.
Je pense que j'ai besoin d'une seconde douche...
— Jungkook ?
Il souleva ses paupières et planta ses iris dans les miens. Il y avait une lueur que je ne saurais définir.
Elles disaient à la fois d'aller me faire foutre mais que je n'avais le droit de voir personne si ce n'était lui.
— Tout va bien ?
Il avait toujours son t-shirt sur lui, seul son pantalon laissait une ouverture minimale pour faire son affaire. Moi, je m'étais correctement revêtu. Je n'avais pas envie de reprendre là où nous en étions tout à l'heure. Ses points risqueraient de sauter bien que presque guéris et je n'avais pas pour projet de revoir cette souffrance dans son regard.
Je passais à côté de lui. Nos peaux ne s'étaient pas touchées mais nos âmes s'étaient frôlées, me causant des frissons en raz de marée.
Je croisai Yoongi sur le chemin de ma chambre.
— Namjoon veut te voir, avec Jungkook.
— Ah oui ?
— Il a dit que c'est urgent. Il est dans son bureau.
— Mais on l'a vu y'a quelques heures à peine.
— Je t'ai déjà dit de ne pas poser de questions. Vas-y. Une voiture t'attend déjà dehors.
Bien.
M'asseoir juste à côté de Jungkook pendant une demi-heure n'allait certainement pas aider mon état à s'améliorer.
Je regardais par la fenêtre.
Je tentais de faire abstraction de la cuisse de Jungkook qui était collée à la mienne.
Yoongi, t'aurais pas pu choisir un véhicule avec deux banquettes ?
Je tentais d'en faire abstraction mais tout ce que je voyais à l'extérieur était des terres désolées, terrassées par la guerre. Je m'imaginais un joli paysage mais chaque fois que je tentais de le faire, j'échouais.
Pas un champignon ne poussait.
Il n'y avait aucune chance qu'une forme de vie aussi infime soit-elle ne survive en ces lieux.
Aux moyens d'armes et de sang versé, l'humain avait créé un nouveau Tchernobyl.
Désolant.
Parce que cette œuvre ne serait jamais accomplie qu'une seule fois.
Cette œuvre apocalyptique.
Dans laquelle la démence avait pris possession des hommes, les rendant soudain d'une certaine manière cannibale. Ivre de sang et avide de cris de douleur. A la recherche de la vie que seule la mort pourrait leur offrir.
Ces terres nous avaient permis de créer la vie. La nature nous avait tout offert, nous lui devions tout. Absolument tout ce que nous avions. C'était blasphématoire de la souiller. De la souiller et de réduire son œuvre à néant.
J'étais désolé.
Si désolé de lui tenir tête.
De laisser mes pairs agir si injustement sans prendre en compte ce qu'elle leur avait apporté.
Désolé de participer à ces barbaries.
De ruiner ce qui nous offrait tout ce qu'on avait.
Paysages macabres, brûlés, éteints.
Nous ne faisions que récolter les graines putréfiées que nous semions.
Alors il ne fallait s'étonner des retours peu encourageants que nous offrirons les générations futures.
— Taehyung ? m'apostropha-t-on en secouant ma cuisse avec énergie. Je crois que nous y sommes, m'informa timidement Jungkook.
Effectivement, le véhicule s'était arrêté.
La porte d'entrée n'était pas verrouillée ce qui signifiait que Namjoon était bel et bien présent à l'intérieur, de plus la lumière qui passait au ras du sol le confirmait.
J'actionnai la poignée et entrai précautionneusement avec Jungkook à mes trousses.
— Bonsoir Namjoon, pourquoi nous avoir fait venir si tard ? le saluai-je en faisant référence au soleil qui s'était déjà couché.
— Hoseok ? s'esclaffa Jungkook derrière moi.
En effet, derrière Namjoon se tenait un autre jeune homme.
Jeune homme qui s'empressa de venir serrer Jungkook dans ses bras.
Des amis de longues dates.
— Kookie, je suis là, moi aussi, se plaignit le vis-à-vis du dénommé Hoseok.
— Jimin ! Bien sûr que tu es là, ne dit-on pas que le meilleur est pour la fin ?
Je le savais.
Putain je le savais.
Je regardais Namjoon dans les yeux en l'interrogeant par le biais de mes pupilles. Celui-ci haussa simplement des épaules comme si je ne venais pas tout juste de retrouver mon frère que je pensais perdu depuis plusieurs années.
— Bien, vous pouvez disposer. Je vous ai fait revenir pour vérifier l'identité de ces hommes, nous éclaira Namjoon d'une voix fatiguée. Taehyung ? Il y a un autre véhicule près de l'entrée. Prenez-le et soyez vigilants en rentrant, nous ne sommes jamais trop prudents.
— Oui monsieur, bonne nuit.
— Bonne nuit Taehyung. J'espère que tu mesures la chance que tu as, prononça-t-il avec une pointe de douleur dans son intonation.
Il s'en alla, laissant la porte légèrement ouverte derrière lui. Après son départ, aucun bruit ne se fit entendre comme s'il était toujours à nos côtés recouvrant nos êtres de son manteau d'autorité.
— Et si nous y allions aussi, proposai-je d'un coup, désireux de rompre ce silence pensant.
Un à un nous sortîmes de la pièce, moi le dernier afin de refermer derrière nous.
Je jetais un dernier coup d'œil derrière moi, comme si, inconsciemment, je savais que plus rien ne sera jamais plus pareil. Et qu'il fallait que je grave un fragment de ma routine dans la cervelle afin de ne pas être trop ébranlé par ces changements.
Je détestais les changements, comme tout humain, pourtant j'étais à l'origine d'un des bousculements majeurs de mon existence.
— Jungkook, tu monteras avec Hoseok. Partez après nous.
Je me tournais vers Jimin, ne pouvant m'empêcher d'observer ce profil. Il riait avec Jungkook et Hoseok alors que je me tenais en retrait.
— Jungkook ! Tu m'as entendu ? le hélai-je pour le sortir de sa conversation.
Tous se turent.
— Oui ?
— Prends le véhicule le plus proche de toi et monte avec Hoseok. Je serai avec Jimin pas loin derrière vous.
Il me regarda et je me demandais depuis quand est-ce que je lui faisais autant confiance.
Il sembla se faire la même remarque.
— Bien, me répondit-il en l'attrapant Hoseok par la main pour le conduire au dit véhicule.
Je ne connaissais pas la nature de la relation qu'entretenait Jungkook avec Hoseok, mais Dieu savait à quel point cette chaleur dans mon sein me brûlait de telle sorte à me forcer à récupérer Jungkook alors même qu'il ne m'appartenait presque pas.
Quelque part, mon cœur avait décrété qu'à partir du moment où nous avions vécu tant de choses ensemble, il était à moi.
Avec violence, je fis taire cette jalousie maladive qui ne rêvait seulement de se propager au reste de mes membres et j'indiquai à Jimin de rentrer dans le second véhicule avant de l'y suivre.
Nous nous mîmes enfin en route vers la maison.
Je n'arrivais pas à m'empêcher de laisser mes yeux traîner sur le profil de Jimin. Mon cerveau faisait le reste du travail en comparant ses traits à ceux qu'il portait alors qu'il n'était qu'un enfant.
— Tout va bien, Taehyung ? me demanda ledit Jimin en sentant mon regard sur lui.
Son visage se peignit d'une incompréhension nouvelle. Il n'y avait aucune animosité, seulement de la curiosité.
Il se demandait probablement si je n'étais pas devenu fou.
L'étais-je ? D'une certaine manière, ce n'était pas faux.
Réalisant que j'avais omis de lui répondre, je ne pus m'empêcher de laisser échapper une remarque.
— Jimin, tu n'as pas changé d'un poil. C'est incroyable.
J'avais presque les larmes aux yeux qui menaçaient de perforer la barrière que formaient mes paupières.
Je n'eus qu'à tendre les bras pour l'enlacer mais j'arrêtais de suivre lorsque je sentis son corps se tendre.
— Jimin... murmurai-je sans savoir quoi dire de plus.
S'il te plaît... aurais-je voulu ajouter.
S'il vous plaît...
Permettez-moi de rattraper toutes ces années.
Ce temps perdu à cause de Minjae.
Ce temps que jamais nous ne retrouverions plus...
Pourquoi m'entêtais-je à me focaliser sur le passé alors que seul l'instant présent existe ? Pourquoi étions-nous dotés d'une conscience qui nous ramenait sans cesse en arrière alors que d'un autre côté on nous rabâchait que ni ce qui s'était déjà déroulé ni l'avenir existaient ?
— Jimin, fais attention ! criai-je quand je vis du coin de l'œil un projectile se diriger en direction de l'ouverture du véhicule.
Pour l'heure, cette distraction me permit bel et bien de me concentrer sur le présent, sur nul autre que la sécurité de Jimin.
Quand je fus à peu près certain que Jimin ne bougerait pas de là, je me redressai légèrement afin de connaître l'identité de ces assaillants.
Ils étaient au nombre de trois, si j'avais été n'importe qui d'autres, ils auraient eu une chance de s'en sortir.
Mais malheureusement pour eux, j'étais connu comme étant celui qui ressortait victorieux, même seul face à quatre adversaires.
J'espérai simplement que Jungkook et Hoseok soient suffisamment loin devant nous.
Surtout que Jungkook soit en sécurité.
Le temps que je passais perdu dans mes pensées, Jimin avait saisi l'occasion pour sortir du fiacre pour se retrouver face aux bandits.
— On ne bouge plus, déclarai-je en posant un pied sur la terre souillée.
J'avais revêtu mon masque d'impassibilité et tentais d'enfouir cette inquiétude que je ressentais tout au fond de mon cœur.
Il n'était pas question que je laisse ma sensibilité me faire perdre quelque combat qui soit.
— Je vous ai demandé de ne pas bouger, répétai-je.
Ils s'arrêtèrent instantanément, j'étais le seul à encore être en mouvement et je m'avançais vers Jimin.
Je faisais en sorte de ne pas faire de geste brusque afin de pas causer de violence inutile.
— Qui êtes-vous ? demandais-je en m'adressant aux intrus.
Ceux-ci n'osaient pas bouger d'un centimètre, je voyais leur corps trembler de tout leur long.
Ils m'avaient reconnu.
— Je ne vais pas m'amuser à me répéter.
Je gardais Jimin dans mon champ de vision, analysant tout ce qui pourrait m'aider à tirer un avantage dans cette situation.
L'un des assaillants faisait de même alors que les deux autres dardaient leur regard venimeux sur ma figure.
Enfin, l'un d'eux prit la parole quand je m'approchais d'eux.
Enfin de Jimin.
Mon arme pendait toujours à ma ceinture, à proximité de ma main. Je n'avais qu'à tendre les doigts pour m'en saisir et les abattre à tour de rôle.
Et ils m'en savaient capable.
— On vous veut pas de mal, sergent, on veut seulement Jimin, déclara celui qui semblait être à la tête du groupe. Donnez-le nous et nous nous en irons.
Je venais de comprendre quelque chose que j'allais pouvoir tourner à mon avantage.
— Minjae vous envoie, vous trois, en pensant que vous serez à la hauteur ?
Beurk, je détestais parler ainsi.
— Non, non, vous vous trompez. Nous ne travaillons pas pour lui, mais Jimin pourrait nous permettre de nous mettre quelque chose sous la dent si nous le lui remettions.
Je les dévisageais un à un. Ils étaient tous vêtus de haillons, probablement trouvés dans des bennes. Leurs armes, ou ce qui s'en apparentaient, n'étaient que de vulgaires branches. Ils ne pourraient pas aller loin ainsi.
— Prenez ce sac et en échange, je veux que vous lui passiez un message.
Je balançais un pochon rempli de quelques lingots d'or qui sauraient leur apporter plus qu'à moi.
— Dites à Minjae que j'ai Jimin, et que s'il espère le revoir sain et sauf, il devra signer un armistice. Chez moi, précisai-je en tirant Jimin par le poignet pour le faire remonter dans le fiacre.
Le chemin du retour fut silencieux.
Dans ma tête, ce fut cependant tout autre.
Comme pour faire défier le roi qui faisait régner son silence, mon cerveau produisait un boucan infernal.
Un boucan de questions.
Un boucan de peur.
Un boucan nocif.
Mais deux mots en sortirent. Deux mots en surbrillance volaient dans mon esprit d'une manière si ostentatoire que même un aveugle les verrait.
Espoirs illusoires.
Parce que l'espoir n'était qu'une cloison qui une fois détruite révélait au monde que le mur porteur n'était en fait fait que d'illusions, de mensonges.
Parce que rêver n'était donné qu'aux meilleurs.
Espoirs illusoires.
A leurs risques et périls.
Cher journal,
J'ai enfin une bonne nouvelle pour toi.
J'ai enfin compris la portée du pouvoir que j'avais entre les mains. Que mon statut me donnait. Et je m'en suis servi.
Je suis si content de te l'annoncer.
Aussi, j'ai retrouvé Jimin. C'est grâce à lui que le crépuscule de ces actes barbares pointe enfin le bout de son nez.
C'est mal, je le sais. Mais je l'ai utilisé pour parvenir à ma fin. Mais tel que l'énonce Machiavel dans le Prince, « la fin justifie les moyens ». Même si je n'ai pas accompli la noble action de Robin des bois qui est de voler aux riches pour les plus pauvres, j'estime avoir fait ce qui était en mon pouvoir pour garantir l'enterrement des armes de guerre.
Cet adage aux sens multiples pouvait ne pas avoir sa place dans de nombreuses circonstances, ici, elle y était totalement glorifiée.
Merci de m'avoir accompagné si longtemps.
Je ne sais si l'avenir nous réunira de nouveau, quoiqu'il arrive, merci de m'avoir permis de rédiger ce journal de guerre.
Taehyung.
Nous étions arrivés depuis à peine quelques dizaines de minutes. Tous sains et saufs, heureusement.
Personne n'avait osé prononcer le moindre mot, comme si même le plus insignifiant des sons avait le pouvoir de briser cette bulle qui nous entourait.
Parce que là où il y avait de l'espoir, il y avait des rêves. Et qui pouvait mieux savoir qu'un ancien petit garçon rêveur que les rêves étaient bourrés d'illusions. Qu'ils pouvaient aussi bien servir de carburant qu'être des boulets.
Nous en revenions toujours à cette expression d'espoir illusoire.
J'avais pris ma douche et m'étais posé pour écrire. Mais je ne pouvais pas repousser l'irrémédiable infiniment.
Parce que dans ce monde injuste, la plus grande injustice était l'inexorabilité du destin. Son caractère intransigeant et intangible élevait une entité que nul ne pouvait voir au rang de divinité. Presque arbitraire, l'absence de loi qui régissait ses règles donnait carte blanche à cet être suprême, lui permettant d'un coup de dé, de décider de rayer notre existence de l'histoire ou au contraire, de l'y inscrire à jamais.
En pyjama, je n'avais désormais plus rien à faire si ce n'était dormir. Or, je savais que le sommeil ne viendrait pas tant que je n'aurais pas discuté avec mes invités.
Je me rendis alors dans ce qui s'apparentait au salon, la pièce dans laquelle j'avais découvert ma vulnérabilité à Jungkook. Celle qui porterait en son sein, le secret de nouvelles retrouvailles.
— Jimin... comment nous avez-vous trouvé ?
S'en suivit une longue discussion. Discussion durant laquelle aucun détail ne fut omis. Chronologiquement. J'avais commencé, en ma qualité d'aîné, puis Jimin donna sa version que Jungkook et Hoseok purent préciser.
Dire que j'en étais ressorti ébranlé était un euphémisme.
J'étais passé par tant d'émotions. J'avais revécu ces événements traumatisants. Je n'avais aucune envie d'en parler, c'était difficile, mais j'y fus contraint.
Et savoir que ma version n'était qu'une miette de pain face à la brioche qu'étaient leurs versions me vidait de ce qu'il me restait en force.
Je fis preuve de gratitude envers Hoseok et remerciais quiconque voulait l'entendre pour le retour de Jimin.
Je leur souhaitais une bonne nuit avant d'aller me coucher aux côtés de Jungkook, comme si c'était ce que nous faisions depuis toujours. En espérant que le retour de mon frère ne soit pas que le fruit de mon imagination.
J'avais agi comme cela d'un naturel presque désarmant. Freud, s'il m'avait analysé, m'aurait sûrement accusé d'être l'auteur d'un acte manqué, ou d'un lapsus révélateur. De laisser mon subconscient prendre possession de mon corps, le laisser exprimer sans aucune pudeur mes désirs les plus profondément enfouis.
— Bonne nuit, avais-je ultimement déclaré avant de me diriger vers ma chambre.
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