
Chapitre 4 (18) : Weaponized
« On va reprendre dans l'ordre, » commence Junko après mon exposition.
Elle ferme les yeux, avant de les baisser sur son Monopad, posé sur sa tribune.
« Akihito est mort il y a trois heures, presque immédiatement. Donc, le meurtrier devrait se trouver dans son labo il y a trois heures, avant de prendre un temps non négligeable pour cacher les preuves. Non seulement l'arme, mais aussi tout ce que le sang d'Akihito a touché. Vu l'état de la salle, c'est presque impossible qu'il ne s'en soit pas mis au moins un peu dessus. Donc, on peut davantage se concentrer sur les gens qui n'ont vu personne pendant la matinée. On est bien d'accord ? »
Tout le monde hoche la tête, et je prends mon menton entre mes mains. Quelles preuves devrait cacher un assassin à coup sûr après l'étendue de son meurtre ?
L'arme du crime, ça, c'est sûr. Ses vêtements, sans doute. De même que ses chaussures, puisque si j'en crois l'empreinte de pas sur le sol, quelqu'un a forcément marché dans le sang, tueur ou témoin. Peut-être de quoi prouver le mobile, aussi. Mais tout cela est bien trop flou.
« Je sais pas trop ce que vous en pensez, intervient Soma, mais moi, je peux garantir l'innocence de Saki et Reina. Je suis presque sûr qu'elles étaient avec moi au moment du crime, impossible que l'une des deux puisse aller le tuer... »
Saki, toujours muette, incapable même de toucher à sa tablette, hoche la tête, et je décide d'appuyer.
« Pour ce qui est de Soma, non seulement il était effectivement avec nous, mais en plus, Daisuke lui tenait compagnie avant qu'on arrive. Si je l'en crois, sur une fenêtre trop courte pour qu'il puisse aller tuer Akihito, dissimuler les preuves et revenir dans le réfectoire après. On est d'accord, Daisuke ? »
Daisuke grommelle. Je prends ça pour un assentiment.
« Enfin, Saki a dit lui apporter son repas juste avant qu'on ne croise Soma, je conclus en désignant Saki. Il était encore vivant à ce moment-là. Donc, Soma est, à coup sûr, innocent.
— Pas si vite, coupe Junko, sourcils froncés. Ça ne se tient que si Tamura dit la vérité. »
Je lève les yeux au ciel.
« Il y avait un plateau sur le bureau d'Akihito, vide mais vraisemblablement ayant contenu quelque chose. Dans cette situation, si Saki a menti, c'est qu'elle l'a tué. Elle n'a aucune raison de couvrir Soma au risque de mourir ou de tous nous tuer. Donc dans tous les cas, on peut écarter cette piste. »
Soma déglutit, mais je vois sur son visage une étincelle de soulagement. Je m'y intéresserai plus tard. On a pas encore fait le tour des suspects.
« Et... Pour l'alarme ? Intervient Yuuki. C'est la règle, non, les trois innocents ? C'est comme ça que le jeu se joue. Vous y êtes rentrés à trois non ? Est-ce que ça ne devrait pas suffire à prouver votre innocence ? »
Saki et Soma hochent la tête, mais malheureusement, je dois y apporter une objection.
« Ça le serait si on était effectivement les trois premiers à avoir vu le corps. Or, ce n'est pas le cas. Shizuka l'a vu, un peu avant le repas de midi, et n'a pu informer personne. Comme Soma et moi sommes rentrés en même temps, aucun moyen de savoir qui est le troisième. »
Saki grimace, mais celui qui réagit le plus, c'est Daisuke, qui se penche sur sa tribune.
« T'as vu le corps, Mizutani ? »
Tout le monde se tourne vers Shizuka. Dont le sourire est indéchiffrable.
« En effet, j'ai vu le corps. En fin de matinée, même si je serais bien incapable de vous dire quand.
— Et t'as averti personne ? Parce que je dis ça je dis rien, grommelle Junko, mais nous, on l'a vu après le repas. Ce n'était pas si compliqué de venir nous voir au repas ? »
Le sourire de Shizuka disparaît.
« Je ne crois pas avoir à dévoiler mon historique médical à tout le monde, mais s'il le faut. Pendant que vous étiez en train de manger, j'ai été forcé.e de refaire les bandages au niveau de mes bras. De vieilles blessures pas complètement refermées qui nécessitent énormément d'entretien. »
Junko fronce les sourcils, mais ne répond rien de plus. Je choisis ce moment pour intervenir.
« En termes de présence brute en compagnie des autres, ce sont les seuls alibis dont vous disposez. Au moment du crime, tout les autres étaient seuls et donc parfaitement en mesure de fabriquer quelque chose. Avec la taille du donjon et le faible nombre de personnes, difficile de prouver quoi que ce soit en solo, désormais.
— Il n'y a rien d'autre qui peut nous orienter... Dans telle ou telle direction ? Intervient Soma. Parce que bon, cinq personnes accusées, c'est beaucoup... »
Il a raison, à notre échelle c'est énorme. Mais du temps où nous étions seize...
Je secoue la tête. Pas le moment d'y repenser.
« Plusieurs éléments peuvent être des pistes à creuser, ou de quoi disculper. Pour commencer, la manière dont est mort Akihito est preuve d'une grande violence. Qu'elle soit post-mortem ou pas, et je suis quasiment sûre qu'elle ne l'était pas, le mettre dans l'état où il était nécessite une force physique respectable. Après, cela ne prouve pas grand-chose sans autres pistes, mais cela peut déjà être une piste de recherche. »
Ça ne réduit pas énormément les suspects, cependant. Daisuke est évidemment en tête, suivi par Michi ; ensuite, je suppose que Junko et Shizuka ont quand même pas mal de force. Saki vient ensuite, et n'est pas à négliger non plus ; quant à Yuuki, elle est beaucoup trop frêle pour ça.
« Ensuite, il y a les mobiles, je continue. Il y avait le mot « menteur » écrit sur le mur. À partir de là, on peut en déduire que soit Akihito n'a pas tenu une de ses promesses ou manipulé quelqu'un, ce qui, on ne va pas se mentir, est impossible à prouver, soit ça concerne ses chroniques. Il y en avait trois dans son laboratoire, que le sang a brouillé mais qui restent identifiables : Une sur l'Omnisciente, une qui mentionnait l'Ultime de Saki et son travail au gouvernement, et une sur Kazumi Mizutani. En suivant cette piste, Junko, Saki et Shizuka ont tous.tes un mobile. »
Je vois Junko grimacer. Saki, elle, serre les poings. Seul.e Shizuka reste imperturbable.
De son côté, Soma grimace.
« ... Putain. Et on a aucune preuve que ce soit pas fabriqué.
— Si ça l'est pas, c'est un sacré crime passionnel, je soupire. Les deux options sont possibles. Mais au bout d'un moment, on arrive à court de pistes. »
Et pour ne pas prendre le risque de partir trop loin, comme au procès précédent, tout ce que je peux faire, c'est établir les faits.
« Et puis pour finir, il y a quelque chose qui disculpera certains plus que d'autres, j'achève en jetant un œil à Michi. Enfin plutôt une combinaison de quelques choses. Le mot sur le mur étant écrit en anglais, il faut pouvoir parler cette langue au moins un peu pour comprendre. Vous en conviendrez, c'est rare pour des japonais, j'ajoute devant les regards des autres, mais ici, nous sommes six à être de la promotion 2017. Moi, Saki, Soma, Daisuke, Yuuki et Shizuka. Hope's Peak étant internationale, on a au moins appris un peu d'anglais.
— ça... disculpe qui, alors ? demande Yuuki, perdue. Si on parle tous anglais...
— Justement non, pas tous. Les deux restants, c'est Junko et Michi, j'explique à la Gamer. Junko a vécu en Amérique donc parle forcément anglais, mais ce n'est pas le cas de Michi. Ça, ajoutée à son état mental des derniers jours, en font une coupable très peu probable. »
Michi grimace. Moi aussi, d'ailleurs. Ce n'est pas vraiment un sujet que j'aimerais ramener sur la table, mais malheureusement, pour le procès, on ne peut pas dire que j'ai vraiment le choix. Tout est preuve, piste ou mobile dans un monde où nous n'avons pas accès à une véritable enquête policière.
« C'est vrai que de ce point de vue, cela fait d'elle une coupable impossible, intervient Shizuka avec calme. Mais nous devons réfléchir à la possibilité que son état mental l'ait justement fait craquer. Le mot « menteur » pourrait très bien venir d'ailleurs. De quelqu'un d'autre qui aurait modifié la scène de crime, par exemple.
— ça commence à faire beaucoup là, tu crois pas, Mizutani ? Grommelle Daisuke. Toi, un inconnu, plus le trio de traumatisés juste là ? Y'aurait forcément eu une couille avec l'alarme.
— J'aurais dit ça plus joliment mais je n'ai pas changé cette règle, ricane Monokuma de sa tribune. J'ai un cahier des charges à respecter, moi, c'est dans le contrat, upupupu ! »
... Tiens, mais c'est qu'elle insiste. Trouvez le contrat et je trouverai le bonhomme, hein... Je vais sérieusement devoir y réfléchir après ce procès.
Une fois qu'on aura perdu quelqu'un de plus.
Shizuka cligne des yeux.
« Peut-être Tamura ou Nishijima auraient pu altérer la scène de crime ?
— Le scénario dans ce cas-là, je grommelle, il est simple. Michi tue Akihito. Okay. Déjà ce n'est pas possible, car elle était avec moi juste avant que je ne rejoigne Saki, et selon Saki, Akihito était encore vivant à ce moment-là.
— Imaginons que Tamura ait menti et altéré la scène de crime, me coupe Shizuka. Sasaki aurait très bien pu tuer Kanda avant que tu ne la rejoignes.
— Mais si Michi avait tué Akihito avant que je ne la rejoigne, pourquoi Saki altérerait la scène de crime et mentirait ? Même pour une quelconque vengeance pour laquelle elle aurait utilisé Michi, ce n'est pas elle, la coupable, je réplique, agacée. Elle aurait au contraire tout intérêt à ce que les preuves pointent vers Michi, pour se sortir du crime sans être inquiétée. »
Et très franchement, je trouve ça assez idiot de sa part. J'ai rejoint Michi juste après l'ouverture des portes. Elle était dans sa chambre, et surtout elle ne dispose pas d'un déverrouilleur. Et même avec notre notion du temps profondément altérée par Monokuma ces deux derniers mois, les heures du crime ne correspondent pas.
Shizuka se prend le menton entre les mains, pensive. Puis, iel hoche la tête.
« Ce sont de bons arguments contre, en effet. Je vois. »
Merci, Shizuka. Au moins un.e qui m'écoute avant de monter sur ses grands chevaux.
« Ça ne résout pas vraiment la question, grommelle Junko. Michi aurait très bien pu aller la tuer après le passage de Saki, et écrire un mot qu'elle a appris pour cette occasion afin de se disculper. Ou même, elle pourrait juste savoir parler anglais sans qu'on le sache, et dans ce cas même l'argument de la santé mentale ne tient plus. Il faut se rappeler qu'on ne sait presque rien les uns des autres, même après cinq mois dans cet enfer. On ne sait presque rien parce que tout le monde se méfie.
— Oh putain toi ma grande, t'es mal placée pour parler !!! »
Tout le monde sursaute. Avant de se retourner vers Michi. Michi qui est penchée vers sa tribune, les traits tordus par une rage indicible.
« Niveau méfiance tu décroches la palme, Matsuoka, au cas où t'aurais pas remarqué ! La palme avec bonus médaille de l'insistance et de l'hypocrisie, mademoiselle l'Espionne qui en sait beaucoup trop et ne veut pas nous le dire ! Alors je te trouve vachement gonflée de nous faire la morale sur la méfiance alors qu'on sait tous beaucoup trop bien ce que c'est, de douter des autres ! »
Sa voix résonne dans le silence, le silence que nous créons alors que la colère de Michi éclate dans tout le tribunal. Rebondissant sur chacun d'entre nous, sans exception, l'équivalent de cinq mois de colère, de deuil et de souffrance.
« Depuis le foutu début, crache Michi, on ne nous répète que ça. Il y a un instigateur parmi nous, celui qui a provoqué cette merde, l'un d'entre nous a tué son camarade, l'un d'entre nous cache des secrets graves, et encore, et encore, et encore, et encore ! Tout le monde nous sert ce discours à toutes les sauces, tout le monde doute de tout un chacun, parce que Monogatari, parce que Monokuma, parce que le Désespoir, parce que je sais pas et j'en ai rien à foutre ! Et j'en ai marre, de ça, putain, j'en ai marre ! »
Un mot, hurlé plus que les autres, qui résonne autant dans la salle que dans nos cœurs. Un mot qui résume le ras-le-bol que personne ne veut exprimer. Un mot qui ne guette qu'une seule chose, la fin de cette Tuerie qui use tout le monde jusqu'à la corde au lieu d'accomplir le but sur lequel se reposent les Monokuma, derrière leurs ricanements sadiques et leur ennui de comptoir.
« Je sais pas si vous vous rendez compte mais la méfiance a changé QUE DALLE à ce qu'on a perdu ! J'ai perdu mes deux frères, crache Michi, j'ai perdu un ami, j'ai perdu une meuf que je respectais énormément avant d'apprendre ses secrets, qui avait vraiment promis de tous nous sauver, j'ai aussi perdu des gens que j'aimais pas et que je croyais louches sans distinction, méfiance ou pas j'ai quand même perdu ! Alors si vous croyez que se méfier de tout le monde va y changer quelque foutue chose, vous vous fourrez le doigt dans l'œil jusqu'au trognon ! quoi qu'il se passe, on aura quand même mal, on devra quand même chercher le coupable, et surtout ça va continuer encore, et encore, et encore tout ça parce qu'on est même pas capable de fonder un groupe uni ! Alors vraiment, Junko, tes leçons de morale, et toi aussi, Nakano, tout ça, fourrez-les-vous dans votre fion et j'espère que ça fera mal !!! »
Silence.
Michi, au bord des larmes, est en train de reprendre son souffle, perdu dans la longueur de sa tirade.
Junko est silencieuse.
Daisuke fixe le sol.
Plus personne ne dit rien.
Que dire, de toute façon ?
Elle a raison.
La méfiance nous a divisés, et même maintenant on se méfie de tout le monde, pour des bonnes raisons ou pas, perpétuant ainsi un cercle vicieux monumental qui plutôt que de mettre fin à la Tuerie, nous achèvera tous jusqu'à ce qu'il ne reste plus que le maître de jeu, protégé par un jeu de règles.
...
Si je dois le retourner contre lui, je vais devoir faire mieux que tout ce qui a jamais été fait pour unir le groupe.
« Est-ce qu'on peut revenir aux faits, s'il vous plaît. »
Cette voix calme, robotique, automatisée, brise le silence qui s'était installé. Les regards se détournent de Michi pour se poser sur Saki, sa tablette en main, les yeux rouges et les yeux plein de rage. Qui, pourtant, ne tremble pas d'une once.
« Les faits sont que quelqu'un a tué mon ami il y a trois heures. Qu'on ne sait pas comment ni pourquoi. Et qu'avant d'accuser, il faudrait peut-être s'intéresser non pas sur le pourquoi, mais sur le comment. »
Shizuka plisse les yeux.
« Quelque chose te préoccupe à ce sujet, n'est-ce pas ? »
Saki hoche la tête.
« Oui. Aucune mention nulle part, dans tout votre argumentaire, de l'arme du crime. Pourtant, vu la violence de ce meurtre, je crois que c'est un minimum important.
— Le meurtrier a dû la planquer, grommelle Junko. Je veux dire, c'est le premier truc que tu planques, d'habitude, à moins que ce soit un truc à la con, comme une chaise.
— Si je puis me permettre, Junko, c'est plus compliqué que ça. »
Saki a raison. Moi aussi, quelque chose me préoccupe.
« Je sais déjà que la chaise d'Akihito n'a pas pu être utilisée pour tuer. Une chaise de bureau basique en plastique ne suffit pas pour provoquer des dégâts pareils. En fait, à moins de disposer d'une force herculéenne, il faut au moins avoir une arme contondante très particulière, de la puissance d'une tronçonneuse. Un couteau ne provoque pas ce type de blessures. Pas plus qu'un pistolet.
— ... Une... Une tronçonneuse, carrément ?!? S'exclame Soma, blême. Le coupable lui en voulait à ce point ? »
Je ferme les yeux.
« Déjà oui, c'est une sacrée violence, et je crois qu'elle n'avait rien de méthodique puisque les organes vitaux sont à peine touchés. Mais là où je veux en venir, c'est qu'il faut une arme très particulière. Le genre d'arme que je ne m'attends pas à retrouver tous les jours. En fait, je crois que le seul endroit où on pourrait trouver quoi que ce soit de correspondant, c'est le laboratoire d'Haruko. »
Je rouvre les yeux. Balaie l'assistance du regard.
« Or, aucune arme ne manque à l'appel. Aucune. Pas même les fusils, les gros calibres ou les armes blanches. Elles sont même toutes d'une propreté et d'une tenure impeccable, sans la moindre trace de coups. La question est donc, sachant ceci, d'où vient l'arme du crime ?!? »
De nouveau, le silence.
Et cette fois, je vois sur les visages exactement la même stupéfaction.
Et la même question.
Capitale.
D'où vient l'arme du crime ?
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