— Qu'est-ce qu'on fait dans cette cabane, Orviétan ? C'est flippant.

— C'est bon, c'est cool : la Colonie n'est pas loin.

— Ce n'est pas une réponse.

— C'est une table de OUIJA, mec, il nous fallait donc l'endroit et l'ambiance qui vont avec.

— Ce n'est pas une bonne idée.

— Abstème le couard : le retour.

— T'es fatigant : Finissons-en.

— Bougies allumées ?

— Check.

— Rideaux fermés ?

— Check.

— Pointeur ?

— Check. 

— Ambiance glauque au possible ?

— Double check.

— J'en suis tout émoustillé.

— Ferme-la.

— T'es prêt ?

— À encaisser ton énorme déception lorsqu'aucun événement paranormal ne se présentera ? Ouais.

— Ton pessimisme empoisonne l'atmosphère et fait fuir les esprits, ingrat.

— Très bien, très bien, je suis prêt.

— ...

— ... Bon, t'accouches ?

— Esprit, es-tu là ?      

— ...

— Esprit, es-tu là ? Si tu es là, manifeste-toi.

— C'est bidon, Orvi.

— T'es chiant, Abstème. Qu'est-ce que t'attends pour faire mieux que ça ?

— D'accord !

— D'accord !

— ...

— ...

— Esprit, esprit, es-tu là ?    

— Oh, la vache !

— C'est bon, c'est juste le hululement d'une chouette, trouillard.

— Non ! J'ai entendu un bruit bizarre qui venait de l'extérieur, j'en suis sûr. Ce n'était pas une chouette.

— OK, je roule voir ça, ne bouge pas.   

— Ça tombe bien, je comptais m'enfuir en courant.     

— (s'approche d'une fenêtre très sale en levant les yeux au ciel)

— Abstème ?

— (plisse les yeux)

— Abstème...

— (observe le chemin sinueux par lequel il est arrivé jusqu'ici)

— Silas !

— Quoi, enc... oh, putain ! C'est une blague, hein ? Tu te moques de moi.

— Je te jure que je n'ai pas bougé ce pointeur de malheur !

— Alors qu'est-ce qu'il fait sur « oui » ?  

— Je ne sais pas ! Je n'avais même pas le doigt dessus !

— Je vais m'évanouir.

— Je vais vomir.

— Je vais hurler.

— Je vais faire du tricot.

— Quoi ?

— Quoi ?

—  Bon, on se casse d'ici ?

— « Évidemment, Orviétan, je suis prêt à encaisser ton énorme déception lorsqu'aucun événement paranormal ne se présentera gna gna gna. »

— Je te hais. 

— Tant mieux car je ne compte pas quitter cet endroit ! Esprit, quel est ton nom ?  

— F.O.R.C.E.U.R. 

— Très drôle, ça, très spirituel.

— Quelle avalanche de compliments, très cher.

— T'es vraim... BORDEL !

— (hurle)

— (hurle) 

— C'ÉTAIT QUOI, ÇA ?  

— UN OISEAU ?

— Il s'est explosé contre la vitre ! Mon cœur a failli lâcher.

— C'était terrifiant et ce n'était même pas Jack. Hé, Abstème, t'as fait tomber un truc de ta veste en sursautant

— Ah, euh, merci.

— Est-ce que ce sont des... des antidépresseurs ? 

— C'est bon, c'est rien.

— T'as des antidépresseurs dans ta poche et ce n'est rien ? Tu penses me rassurer comme ça, sérieusement ?

— Non, je n'ai pas de discours préconçu destiné à apaiser les gens lorsqu'ils apprennent que je suis... dépressif. Mon accident est récent. J'ai besoin de temps, d'énormément de temps.

— T'as pas besoin de ces pilules magiques, Silas. T'as besoin d'être compris, entouré, aimé. T'as besoin de rire, hurler, pleurer. T'as le droit d'exprimer ta colère, d'être mauvais et envahi par la rancœur. Tu peux réapprendre à vivre, et je peux t'aider. Être paraplégique, ce n'est pas une fatalité. Je ne pensais pas que tu étais si affecté, tu as toujours l'air si avenant, avec moi. Si prompt à sourire, à plaisanter.

— Tu m'as aidé.  

— C'est bientôt terminé, Silas.

— Terminé ?

— Tu sais très bien. Au plus profond de toi, tu le sais, mais tu ne l'acceptes pas. C'est un mal pour un bien, Abstème, et c'est bientôt terminé.