IX. 31 JUILLET. ÉPILOGUE.
L'air était chaud et humide en cette journée d'été peu ensoleillée. Les rayons dorés, fracturés par d'épais nuages grisâtres, faisaient miroiter la surface du lac de reflets irisés tandis que sur un ponton érodé par les intempéries, un adolescent humait l'air du matin. Affaissé sur son fauteuil roulant en une position incongrue, Silas était étonnement serein, son visage taillé à la serpe cinglé par un vent tiède, ses prunelles d'un bleu éclatant toisant la structure en bois abîmée sur laquelle il avait discuté seul un mois durant.
Dix mois plus tôt, Silas perdait l'usage de ses jambes dans un violent accident de voiture – ainsi que son père, Aimée, un homme à la bonté sidérante, au calme olympien et à l'humour douteux ; cet homme à la chevelure poivre et sel et à l'odeur citronnée qu'il avait toujours profondément admiré, chéri, aimé. À seize ans, Silas n'était plus que l'ombre de lui-même, son esprit ravagé par une foule de sentiments contradictoires : colère, peur, tristesse, désespoir, haine, amertume. Silas s'était alors noyé dans les ténèbres cruelles et indomptables de la dépression.
Sa mère, Sarah, était un véritable roc : anéantie par la mort de son mari, elle ne s'était néanmoins jamais laissé happer par les sinistres profondeurs du désespoir. Les épaules droites et le menton résolument dressé, Sarah s'était vouée corps et âme à son fils, dans l'espoir qu'un jour son insolent sourire fleurisse à nouveau sur ses lèvres. Deux mois auparavant, elle était tombée sur le site de la Colonie, qui proposait aux enfants en situation de handicap des activités adaptées, ludiques ou amusantes. Durée du séjour : un mois. C'était un peu cher mais après de longues, très longues négociations, plusieurs disputes cinglantes, discussions acides et sanglots déchirants, Silas avait accepté de quitter sa chambre – où il était cloîtré à longueur de journée, recroquevillé sous un drap, emmitouflé d'une chemise ayant autrefois appartenu à son père.
Malgré tous les efforts de Sarah, Silas sombrait, accueillant lentement mais sûrement une mort salvatrice. Il ne pensait pas s'en sortir, le bouleversement était immense, et la peine ! intense, difficilement supportable. Du matin au soir, cette douleur le comprimait de part en part, tel un étau incandescent ; c'en était trop, il était épuisé.
Alors, Orviétan était né.
Selon le médecin de la Colonie, Aramis n'avait été qu'une projection héroïque de son esprit traumatisé, un leurre créé de toutes pièces par son cerveau – un moyen de passer outre ces événements chaotiques. L'accident évoqué par Aramis n'était autre que celui vécu par Silas, tout comme les nombreuses anecdotes et plaisanteries échangées au fil de leurs discussions. Aramis représentait celui qu'il avait été avant l'accident, ce garçon à la langue aiguisée dégoulinante de sarcasmes, qui dévorait du Jules Verne à longueur de journée aux côtés d'Aimée et qui répétait à qui souhaitait l'entendre qu'il était éperdument amoureux de Zach, ce garçon rencontré sur un pont : un garçon adorablement givré, souvent suspendu sous un pont ; tout aussi taquin que torturé, drôle et fascinant.
Après une violente crise d'angoisse et une journée passée à batailler contre cet énième bouleversement, Silas s'était calmé. Le médecin de la Colonie, le docteur Granjan ainsi que les accompagnateurs concernés – à savoir Alan et Carine – étaient tenus au secret : quoi qu'il se soit passé sur ce ponton, ils ne devaient pas l'évoquer – si ce n'est Granjan, afin d'établir un meilleur diagnostic et d'écarter définitivement les appréhensions d'une maladie mentale.
Un douloureux gouffre subsistait chez l'adolescent, mais il était optimiste quant à son rétablissement. La vérité, indéfectible, lui semblait étrangement apaisante, pour l'instant.
Abstème était Orviétan.
Silas était Aramis.
FIN
nda : le Zach dont est tombé amoureux Silas est bel et bien le Zach de N0CTEMA dans la différence entre vivre et mourir.
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